On trouvera aussi notre présentation du film à http://thomassankara.net/?p=1302.
La rédaction
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Capitaine Thomas Sankara La flamme de la révolution au Burkina. Africulture 24 novembre 2015
Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France) pour le magazine Africiné
La distribution dans les salles françaises de Capitaine Thomas Sankara, réalisé par Christophe Cupelin, met en lumière la détermination de deux hommes engagés. L’un est le fameux président du Burkina Faso, Thomas Sankara, assassiné en 1987, dont le film brosse un portrait fouillé ; l’autre est le réalisateur, Christophe Cupelin, qui a bataillé obstinément pour concrétiser son projet et obtenir le droit de montrer ses images.
Capitaine Thomas Sankara, réalisé en 2012, finalisé pour le grand écran en 2014, est la contribution documentée d’un cinéaste suisse à la valorisation d’une période révolutionnaire en Afrique, qui l’a fait mûrir. Débarqué au Burkina Faso en 1985, en pleine effervescence de l’ère Sankara, Christophe Cupelin, âgé de 19 ans, éprouve un choc qui secoue ses questions de justice sociale et d’engagement citoyen. Il assiste aux réformes audacieuses du régime, reçoit les vibrations de la société du Burkina en marche sur laquelle il engrange des images.
Capitaine Thomas Sankara est la combinaison de plans d’époque, d’archives récupérées en 2007, à l’occasion des 20 ans de la mort de Sankara, quand certaines apparaissent libres de droit sur le Net. Cupelin tente alors de retrouver toutes les images et les témoignages possibles pour faire revivre la figure charismatique et anticonformiste de Thomas Sankara. Le film est nourri des impressions du cinéaste sur le terrain, dès 1985, des documents écrits et audiovisuels disponibles mais aussi de témoignages oraux de protagonistes de l’époque qui ne figurent pas toujours dans le montage, élaboré par Christophe Cupelin lui-même.
Le portait composé par le réalisateur suisse fait ainsi revivre la figure emblématique de Thomas Sankara. Ce militaire décidé, né le 21 décembre 1949, devient à 34 ans, président de la Haute-Volta dont il change le nom pour devenir Burkina Faso, “la Patrie des hommes intègres“. La formule annonce l’ambition du politique révolutionnaire qui tente de moraliser la vie du pays en le modernisant et en l’émancipant des influences étrangères. Entre le 4 août 1983 où il accède au pouvoir, et le 15 octobre 1987 où il est tué avec 12 collaborateurs, Thomas Sankara mène le changement au pas de charge.
Ses mesures sociales se font sur tous les fronts. Il prône une campagne de vaccination pour améliorer la santé. Il construit des logements, lance un mouvement de reboisement massif, soutient l’Union des paysans. Tout en défendant la promotion de la femme, il réforme l’éducation en misant sur l’alphabétisation dans toutes les langues nationales. Cette politique est menée tambour battant car Sankara sait que son temps est limité. Il fonce avec intransigeance vers ses objectifs et bouscule son entourage qui veut préserver ses privilèges. Mais la réaction interne n’est pas la seule menace pour le président.
Ses prises de position en faveur d’une plus grande autonomie du Burkina, ses attaques contre les forces occidentales toujours impliquées dans la gestion des territoires africains, sont violentes. Il déclare effrontément, lors de la conférence des pays membres de l’Organisation de l’Unité Africaine, en juillet 1987 : “La dette ne peut pas être remboursée parce que si nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourrons pas. Par contre si nous payons, c’est nous qui allons mourir.” Le message passe mal avec certains interlocuteurs de l’Occident mais Sankara s’impose comme une référence de la dignité africaine.
Capitaine Thomas Sankara permet de mesurer le charisme du leader burkinabè qui tient ses discours percutants avec une verve alerte, ponctuée d’un humour corrosif. Cette aptitude, illustré par le film de Christophe Cupelin, impose Sankara comme le porte-parole des laissés pour compte dans son pays mais aussi dans le reste du continent. En découvrant Sankara jouer de la guitare, être galant avec les femmes, affable avec ses alliés, se dessine à l’écran le portrait d’un homme contrasté que le réalisateur n’hésite pas à démystifier. Mais il propose aussi de réhabiliter la stature du leader politique assassiné dont l’empreinte a été reléguée par Blaise Compaoré, son successeur.
Ce documentaire qui vise à fixer la mémoire en faisant parler les documents, est l’aboutissement de l’engagement extrême de Christophe Cupelin. Cinéaste indépendant, capable de saisir la vie d’un village du Burkina avec Kononga, 2006, tourné en Super 8, il signe aussi des portraits de Burkinabès à Genève ou Ouagadougou. Cette approche témoigne de l’empathie du réalisateur suisse avec l’évolution du Pays des hommes intègres. Sa fascination pour l’élan de Sankara le motive à repousser les limites des productions normées en créant seul, Capitaine Thomas Sankara. Ce combat, poursuivi pour récupérer les droits des archives, lui permet aujourd’hui de toucher des spectateurs dans les salles suisses, françaises, jusqu’en Afrique. Un hommage indispensable au leader politique qui a, selon sa formule, “osé inventer l’avenir“.
Source : http://www.africultures.com/
Cinéma : “À travers Thomas Sankara, l’Afrique prend une place dans le monde “France 24, 25 novembre 2015
interview réalisée par Guillaume GUGUEN publié sur http://www.france24.com/ le 25 novembre 2015
Dans les salles françaises ce mercredi, le documentaire “Capitaine Thomas Sankara” brosse le portrait du défunt dirigeant burkinabè devenu une icône révolutionnaire pour la jeunesse africaine. Rencontre avec son réalisateur, Christophe Cupelin.
Après avoir tourné dans plusieurs festivals internationaux, le documentaire “Capitaine Thomas Sankara” sort mercredi 25 novembre sur les grands écrans français. Essentiellement constitué d’archives photos, sonores et vidéos, le premier long-métrage du documentariste suisse Christophe Cupelin s’attache à brosser le portrait de celui qui, au mitan des années 1980, incarna la révolution burkinabè et les espoirs d’une jeunesse africaine en quête de leader charismatique : Thomas Sankara.
En seulement quatre années d’exercice du pouvoir au Burkina Faso (1983-1987), l’ancien capitaine des parachutistes aura imprimé tout un continent de sa marque d’iconoclaste dirigeant révolutionnaire. Pourfendeur de l’impérialisme, du néo-colonialisme et de l’apartheid, chantre du panafricanisme, écologiste et féministe avant l’heure, Thomas Sankara n’hésitait pas à vilipender publiquement l’arrogance des puissances occidentales ainsi que celle de l’empire soviétique, dont il était pourtant plus proche idéologiquement.
Ci-dessous la bande annonce
En France, l’ancienne puissance coloniale, on ne goûtait que moyennement ce franc-parler (il n’y a qu’à voir dans le film les rencontres entre François Mitterrand et Thomas Sankara pour mesurer la défiance mutuelle entretenue par les deux pays). Chez les voisins africains, les postures révolutionnaires du “bouillant” capitaine n’étaient pas non plus vues d’un très bon œil.
Assassiné en 1987 lors d’un coup d’État sanglant vraisemblablement orchestré par son ancien bras droit Blaise Compaoré – qui lui succèdera 27 ans durant avant d’être renversé par la rue en octobre 2014 – le père de la révolution burkinabè fait aujourd’hui figure d’exception dans le pré-carré de la Françafrique. Alors que le Burkina Faso est aujourd’hui engagé dans un processus de transition démocratique, son spectre semble plus que jamais planer sur le destin du pays. Pour Christophe Cupelin, les valeurs léguées par Thomas Sankara ne peuvent, en tous cas, qu’être bénéfiques au pays.
France 24 : Vous êtes l’auteur de plusieurs documentaires sur le Burkina Faso. “Capitaine Thomas Sankara” est votre premier long-métrage. D’où est né votre intérêt pour le pays ?
Christophe Cupelin : J’ai posé pour la première fois le pied au Burkina Faso en 1985 pour y travailler comme coopérant au sein d’une association d’aide au développement. Le pays avait changé de nom un an auparavant [avant d’être rebaptisé par Thomas Sankara, le pays s’appelait la Haute-Volta, NDLR]. Je ne savais même pas qu’il existait et encore moins qu’une révolution y était en cours. L’information ne circulait pas comme aujourd’hui.
Il m’a fallu du temps pour me rendre compte que quelque chose d’historique s’y déroulait. En descendant de l’avion à Ouagadougou, on découvrait les slogans de la révolution qui affirmaient : “Bienvenue au Burkina Faso, tombeau de l’impérialisme”. On voyait des garçons de 6 ans en tenue militaire, des gamins enrôlés dans l’école des Cadets de la révolution qui marchaient au pas. Ma première impression ne fut donc pas forcément positive, je me disais qu’on avait là une révolution qui avait encore mal tourné. Comme toutes les révolutions du monde. Puis, j’ai voulu en savoir plus, essayé de découvrir ce qui se cachait sous le vernis des slogans.
Dès lors, la révolution burkinabè ne vous a plus lâché…
Dans les années 1980, la révolution était une utopie dans laquelle on se projetait quand on avait 20 ans et qu’on voulait changer le monde. Aujourd’hui, malheureusement, certains jeunes pensent pouvoir le changer en partant en Syrie.
Pour ma part, c’est au contact des Burkinabè et en participant à des travaux d’intérêt général, comme ceux consistant à construire des barrages, que je me suis rendu compte que quelque chose était en marche, qu’un pays pauvre pouvait s’affranchir de la tutelle des puissances mondiales, grâce notamment à l’auto-suffisance.
Et puis, Thomas Sankara s’imposait comme un leader charismatique qui portait cette idée de manière unique. Sa position était de s’opposer à l’impérialisme avec un simple pistolet. Il tirait en l’air et disait n’avoir que cela pour se battre. Il donnait une vision romantique de la révolution.
C’est le Burkina Faso qui m’a donné le goût de la révolution et du cinéma. Quelques mois après mon arrivée, j’ai décidé de faire des études de cinéma à Genève pour ensuite me mettre au service de la révolution en tant que cinéaste. Mais le temps que je suive mon cursus, Thomas Sankara a été assassiné.
Comment, à l’époque, les médias occidentaux, et plus particulièrement français, percevaient-ils ce qui se passait au Burkina Faso ?
Les journalistes français décrivaient toujours Thomas Sankara comme “pro-libyen”, ce qui est faux. À l’époque, le Tchad et la Libye étaient en guerre, et Paris soupçonnait le président burkinabè de soutenir Mouammar Kadhafi contre le Tchad de Hissène Habré qui, je le rappelle, est actuellement jugé à Dakar pour crimes contre l’humanité. Les médias offraient une vision partiale d’un dirigeant de gauche et, en cette période guerre froide, tout ce qui était à gauche dans les pays du Sud était mal perçu.
Ne craignez-vous pas que votre documentaire soit considéré comme trop hagiographique ?
J’ai voulu faire un film politique et engagé mais pas un film militant. Je veux ouvrir un débat. Je trouve Sankara intéressant dans la mesure où il n’est pas un être parfait. Il n’a pas eu tout bon, il a pu se contredire, être paradoxal. Il l’a lui-même concédé. À la fin du film, on l’entend dire à une journaliste qu’il a commis 1 000 erreurs avant d’obtenir une petite victoire, puis 10 000 erreurs avant d’obtenir trois ou quatre succès.
Ceux qui se le réapproprient en font un personnage trop lisse et trop parfait. En tant que passionné de Sankara, j’ai souhaité montrer le personnage avec tous ses défauts. Mon film s’adresse à ceux qui lui vouent un amour absolu, comme à ceux qui lui manifestent de l’aversion.
Faire un film uniquement constitué d’archives était-il une façon de rester impartial ?
Je n’ai jamais souhaité faire un film avec des archives, c’est arrivé comme ça. Après l’assassinat de Sankara, le gouvernement de Blaise Compaoré a tenté d’effacer sa mémoire et toute trace de son passage sur Terre. Pour moi, ce n’était pas possible. J’ai alors commencé à collecter des coupures de presse, des objets, des discours enregistrés par des habitants sur des radio-cassettes. Je l’ai fait pendant 25 ans sans réfléchir, uniquement pour prouver qu’il avait existé.
Puis, je me suis dit que je devais faire un film sur lui. Je me suis fait cette promesse : j’étais devenu cinéate grâce à lui et devais donc lui rendre quelque chose. À l’origine, je voulais faire une fiction que je pensais être la forme la plus adaptée pour un personnage de cette envergure. Mais comme je n’avais ni le budget ni le soutien de sa famille, j’ai sorti mon carton d’archives. J’ai compilé mes sources propres, des sources privées et des sources institutionnelles comme le fameux discours de la dette à Addis-Abeba, en Éthiopie, ou celui de Harlem à New York, que la télévision publique burkinabè a mis à disposition sur YouTube.
Depuis la chute du régime de Blaise Compaoré, le gouvernement burkinabè est-il prêt à honorer la mémoire de Thomas Sankara ?
Lorsque j’ai présenté mon film en mars dernier au Fespaco [Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou], j’ai eu la chance de rencontrer quelques ministres ainsi que la directrice de la télévision publique à qui j’ai fait part de ma volonté de restituer une partie de leur mémoire audiovisuelle. Ils m’ont dit : “d’accord, donne” sans que je sache ce qu’ils allaient en faire. Idem pour la Fondation Sankara.
Je veux bien donner mes archives si elles sont répertoriées, structurées, valorisées et mises à la disposition des Burkinabè. J’aurais souhaité organiser une remise officielle de mon fonds afin de démontrer que le Burkina Faso était prêt à valoriser sa propre mémoire. Mais comme les autorités ne sont visiblement pas dans ce discours, je n’ai pas donné suite.
La figure de Thomas Sankara a-t-elle un rôle à jouer dans le Burkina Faso d’aujourd’hui ?
Thomas Sankara est une sorte de mot-clé dans lequel se reconnaît la jeunesse burkinabè, de l’Afrique en général et même au-delà du continent. Il fait partie des héros révolutionnaires du XXe siècle. Il y a 20 ans, il n’existait peut-être qu’une chanson sur lui. Aujourd’hui, il y en a près d’une centaine. Sa figure est partout, dans le théâtre, la peinture, la sculpture, le cinéma.
En octobre 2014, la population est sortie dans la rue pour chasser Blaise Compaoré du pouvoir, tout en se réclamant de l’idéal de Sankara. Même si, aujourd’hui, la révolution paraît anachronique, on peut toujours se référer à lui. Il lègue des valeurs comme l’intégrité, la dignité, la responsabilité, toutes ces valeurs qui sont bénéfiques pour le Burkina Faso, mais aussi pour la France, la Suisse, le reste du monde…
L’Afrique a quelque chose à dire à travers Thomas Sankara. Avec lui, c’est comme si le continent prenait une place dans le monde. Un peu comme avec Nelson Mandela.
Source : http://www.france24.com
[Vidéo] Le documentaire qui ressuscite Thomas Sankara, RFI 25-11-2015
par Sébastien Jédor
Sankara : ce nom reste gravé dans les mémoires en Afrique. Un documentaire, « Capitaine Thomas Sankara », sorti ce mercredi 25 novembre sur les écrans français, ravive le souvenir du jeune révolutionnaire burkinabè, assassiné en 1987. Le réalisateur suisse Christophe Cupelin a retrouvé des archives précieuses qui éclairent d’un jour nouveau son style étonnant, sa relation avec la France et avec Blaise Compaoré.
« A bas l’impérialisme ! A bas le néo-colonialisme ! » C’est presque un jeune homme qui s’exprime à la tribune, dans les premières minutes du documentaire de Christophe Cupelin. Thomas Sankara a pris le pouvoir à 34 ans, en 1983, dans un pays qui s’appelait encore la Haute-Volta. Un pays qu’il va rebaptiser le Burkina Faso, et ce n’est là qu’un des multiples changements que ce militaire guitariste va mettre en œuvre avant son assassinat, en 1987. Un assassinat qui va contribuer à faire de lui une icône de la jeunesse africaine.
Christophe Cupelin a vécu les années Sankara. Le réalisateur suisse n’a que 19 ans quand il débarque à Ouagadougou, en 1985. « J’avais l’impression qu’un peuple se mobilisait pour prendre en main son propre avenir, se souvient Christophe Cupelin. L’histoire s’écrivait en direct à ce moment-là. »
Un militaire jamais à court d’idées
Pour faire revivre cette histoire, le documentaire s’appuie uniquement sur des images d’archives. Capitaine Thomas Sankara brosse le portrait d’un dirigeant jamais à court d’idées ni de formules choc. Socialiste, féministe, écologiste, il plante des arbres pour lutter contre la désertification, fait vacciner les enfants à tour de bras, instaure des tribunaux populaires pour les fonctionnaires corrompus et veut libérer la femme de la « domination féodale » de l’homme. Parmi les morceaux d’anthologie du film, cette séquence où le groupe les Colombes de la Révolution interprète le tube de Cookie Dingler, « Femme libérée », à la télévision burkinabè…
Car Thomas Sankara est un soldat mélomane. Il ne possède d’ailleurs quasiment rien à part son pistolet, qu’il arbore toujours à la ceinture, et deux guitares. Le documentaire témoigne aussi de ce « style Sankara » : payé l’équivalent de 230 € par mois, il impose la petite Renault 5 comme véhicule de fonction des ministres. La Mitsubishi de sa femme, raconte la légende, était tellement en mauvais état qu’il fallait la pousser chaque matin pour la faire démarrer.
« Avec lui, pas facile de dormir en paix »
Mais Sankara dérange, et pas seulement par son style. Le film déroule une longue séquence – qu’on imagine éprouvante pour le président français de l’époque – où le dirigeant burkinabè « fait la leçon » à François Mitterrand. Face à la presse, il lui reproche d’avoir accueilli en France Pieter W. Botha, le numéro deux du régime de l’apartheid en Afrique du Sud, et Jonas Savimbi, le rebelle angolais, soutien du régime ségrégationniste.
« Des bandits et des tueurs ont taché la France si belle et si propre de leurs pieds et de leurs mains couverts de sang », accuse Sankara aux côtés d’un Mitterrand de marbre. « C’est un homme un peu dérangeant, le président Sankara. Avec lui, il n’est pas facile de dormir en paix », reconnaît peu après le président socialiste, agacé et embarrassé.
Le Capitaine Thomas Sankara, mauvaise conscience de la Françafrique, « sortait du cadre, il était anticonformiste, il ne se conformait pas aux usages », souligne Christophe Cupelin.
« La dette ne peut pas être remboursée… »
Sankara agaçait aussi prodigieusement ses pairs. Le documentaire ne fait pas l’impasse sur le plus célèbre discours du dirigeant burkinabè. A la tribune de l’OUA, l’Organisation de l’unité africaine, en juillet 1987, il appelle les autres Etats du continent à ne pas payer la dette extérieure. « La dette ne peut pas être remboursée parce que, si nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas. Par contre, si nous payons, c’est nous qui allons mourir. Que celui qui veut payer prenne son avion et aille tout de suite à la Banque mondiale ! », lance-t-il devant les autres dirigeants du continent. Deux mois et demi après, Sankara est assassiné. « Ce discours remet en question l’ordre mondial, mais Sankara n’a pas été assassiné à cause de ce discours en particulier, affirme Christophe Cupelin, le réalisateur. En fait, Sankara a peut-être été assassiné à cause de tous ses discours ! »
« Si Blaise prépare un coup d’Etat contre moi… »
Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara tombe sous les balles lors d’un putsch qui porte au pouvoir son frère d’armes, son confident, Blaise Compaoré. Quelques jours auparavant, le chef de l’Etat burkinabè, fataliste, avait confié à un journaliste : « Le jour où vous entendrez que Blaise prépare un coup d’Etat contre moi, ça voudra dire que ce sera trop tard et que ce sera imparable. Il connaît tellement de choses sur moi… Personne ne peut me protéger contre lui ». Cet enregistrement historique, retrouvé par Christophe Cupelin, confirme, selon le réalisateur, que « Sankara avait réponse à tout, même sur sa propre mort. Il plaçait l’amitié au-dessus de tout. Et je crois que, depuis que Sankara est décédé, Blaise [Compaoré] a cette mort sur la conscience ».
Interrogé quelques jours après le coup d’Etat par une équipe de télévision française qui lui demande s’il a des regrets sur ce qui s’est passé, Blaise Compaoré marque un long temps d’arrêt avant de lâcher : « C’est dommage ».
Capitaine Thomas Sankara s’achève par des images de la tombe du révolutionnaire burkinabè, sur laquelle des jeunes viennent se recueillir. Des jeunes semblables à ceux qui, il y a un an, se référant à Sankara, ont chassé Blaise Compaoré du pouvoir, ouvrant la voie à une enquête sur la mort du « capitaine ». « J’espère que l’on connaîtra un jour la vérité », conclut Christophe Cupelin.
Source : http://www.rfi.fr
Documentaire : « Capitaine Thomas Sankara », la naissance d’un mythe. Jeune Afrique
Publié le 25 novembre 2015 sur http://www.jeuneafrique.com
Par Renaud de Rochebrune
Conçu à partir d’images d’archives, dont certaines inédites, le documentaire de Christophe Cupelin revient sur celui qui aura profondément marqué les Burkinabè : Thomas Sankara.
«Sans formation politique et idéologique, un militaire n’est qu’un criminel en puissance. » Cette forte sentence, que l’actualité a tant de fois validée, hélas, prend une valeur toute particulière quand on sait que son auteur… était un militaire. Mais pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit de Thomas Sankara.
Curieusement, s’agissant d’un dirigeant politique de son envergure, qui a laissé une trace indélébile dans l’Histoire, à tel point que l’on peut considérer qu’après Mandela il s’agit sans doute du plus grand héros de l’Afrique subsaharienne contemporaine, Sankara n’avait fait l’objet jusqu’ici d’aucun long-métrage. Le documentaire de Christophe Cupelin, Capitaine Thomas Sankara, vient donc combler un vide. Et ce un an après le renversement par la population burkinabè du président Compaoré, soupçonné d’être le commanditaire de l’élimination, en 1987, de celui qui se croyait encore son meilleur ami, et quelques mois après le putsch raté du général Diendéré, organisateur de l’arrestation du jeune capitaine, qui n’avait jamais voulu s’octroyer un grade supérieur une fois au pouvoir.
Capitaine Thomas Sankara a été réalisé pour l’essentiel avant la chute de Compaoré. Ce qu’on peut regretter, tant le souvenir de Sankara et de son passage au pouvoir a été présent à l’esprit des révolutionnaires de 2014, auteurs d’un soulèvement d’inspiration manifestement sankariste. Un regret tout relatif cependant puisque le film fait revivre, surtout à l’aide d’images d’archives, le parcours et les initiatives d’un homme extrêmement populaire quand il a exercé le pouvoir entre 1983 et 1987. Mais pourquoi ce documentaire n’arrive-t-il qu’un quart de siècle après cette époque ? Tout simplement parce que Christophe Cupelin, qui fut fasciné par le charisme de Sankara lors de son premier séjour au Burkina dès 1985, à l’âge de 19 ans, n’a pu disposer d’archives audiovisuelles exploitables en quantité suffisante que depuis 2007. Le vingtième anniversaire de la mort de Sankara a fait réapparaître des images jusque-là introuvables ou en tout cas impossibles à utiliser.
Ce que montrent ces images, c’est un chef d’État unique en son genre. Pas seulement parce que, proche du peuple, il participait à des courses cyclistes ou jouait à l’occasion de la guitare électrique en public. Dans ces années 1980 où les militants révolutionnaires étaient déjà presque partout sur la défensive, ce brillant pédagogue, orateur né, toujours de bonne humeur, qui terminait tous ses discours par le slogan « la patrie ou la mort, nous vaincrons », électrisait les foules lors de ses innombrables déplacements dans le pays.
Utilisant des formules de morale élémentaire mais aussi, le plus souvent, « para-marxistes », il ne cessait de fustiger « le néocolonialisme, le racisme et le fantochisme » (entendre : les régimes africains fantoches, soumis aux Occidentaux, comme celui qu’il avait renversé à Ouagadougou). Le voir faire scander à tue-tête par toute la population d’un village réunie autour de lui « L’impérialisme ? À bas ! Les paresseux ? À bas ! Les voleurs ? À bas ! » comme l’entendre servir tout sourire des leçons de morale aux autres présidents africains ou occidentaux à l’OUA et l’ONU, voilà des « spectacles » dont on imagine aisément l’effet lors de leur retransmission télévisée ou radiophonique, au Burkina mais aussi ailleurs dans le monde.
Capitaine Thomas Sankara, on l’a compris, a de forts relents hagio-graphiques. Bien qu’il nous montre le héros de la révolution de 1983 reconnaissant avoir fait « 10 000 erreurs » et qu’il donne à voir à quel point son aura indisposait les autres dirigeants africains, sans parler des Français, ce film n’explique guère quelles furent lesdites « erreurs » et pourquoi il « fallait » l’éliminer. Mais il fait néanmoins comprendre pourquoi, certes en partie grâce à sa mort précoce, il est devenu un mythe. Qui n’est, et c’est tant mieux, pas près de disparaître.
Source : http://www.jeuneafrique.com