Publié le 19 septembre 2013 sur fasozine.com
Inoussa Ouédraogo (collaborateur)
Le Professeur Magloire Somé est enseignant-chercheur au Département d’histoire et archéologie de l’Université de Ouagadougou. Dans cet entretien qu’il a accordé à Fasozine.com, il revient sur un pan de la vie politique de Saye Zerbo en tant qu’homme d’Etat. Un président qui refusait par exemple que les travailleurs fréquentent les bars pendant les heures de travail.
Fasozine.com : Comment avez-vous accueilli la nouvelle de la mort de Saye Zerbo?
Magloire Somé: D’abord c’est une surprise. J’ai aperçu le président Saye Zerbo dans les images à la télévision il n’y a pas très longtemps. Voyant cet ancien militaire toujours en forme assister à des cérémonies, je ne pouvais pas m’imaginer que sa vie tirait vers la fin. Mais on ne peut pas être un homme éternel. Son heure est arrivée. Il a été appelé à Dieu. On ne peut que prier pour lui, que son âme repose en paix.
31 ans après qu’il ait quitté le pouvoir, que peut-on retenir de cet homme d’état?
Saye Zerbo a été d’abord un militaire, un ministre sous Feu le président Sangoulé Lamizana. En 1980, lorsque la vie nationale était paralysée, alors que la troisième république était discréditée, un beau matin, nous avons appris que Saye Zerbo a pris le pouvoir. A l’époque j’étais élève à Bobo Dioulasso, au Lycée Ouezzin Coulibaly et nous avions appris que le Colonel Saye Zerbo avait renversé le pouvoir de Lamizana. Cette nouvelle a été accueillie dans une grande liesse populaire. Tout le monde avait placé beaucoup d’espoir en la capacité de Saye Zerbo de redresser le pays avec son Comité militaire de redressement pour le progrès national, le célèbre CMRPN. En plus, lorsqu’il a formé son gouvernement, cela avait été salué parce que pour la première fois, on voyait de vrais technocrates nommés à la tête des ministères. De par le passé, le gouvernement était composé de cadres qui étaient, pour la plupart, d’anciens auxiliaires de l’administration coloniale. Donc, il n’y avait pas beaucoup de technocrates parmi eux. C’étaient des gens qui étaient au gouvernement parce qu’ils étaient connus au moment de la lutte pour l’indépendance ou depuis le temps de la première république.
C’était une rupture avec le passé?
Avec Saye Zerbo c’était un véritable changement. Quand il a pris le pouvoir, il a commencé à moraliser la vie politique et administrative. Par exemple, il interdisait de boire pendant les heures de service. Il y avait des inspecteurs qui passaient de façon inopinée dans les services, pour s’assurer que chacun était à son bureau. En fait sous la troisième république, les gens ne travaillaient pas. Les gens passaient beaucoup plus de temps dans les bars pour manger des brochettes et boire la bière. Donc Saye Zerbo a pris cette mesure qui interdisait aux travailleurs ce genre de comportement. Si vous vouliez boire, vous attendiez 12h30 à la descente ou encore le soir à 17h30. Une autre mesure qu’il avait prise et qui a été saluée à l’époque, c’était les mesures sur l’immigration. Pour lui, il fallait arrêter l’hémorragie humaine. Tout le monde partait vers les pays de la sous-région. Le pays se vidait. Dans tous les villages, on voyait les paysans, les jeunes qui avaient 18, 19 ou 20 ans qui cherchaient à partir notamment en Côte d’Ivoire. Donc, vous voyez que c’étaient les bras valides de la nation qui partaient. Saye Zerbo a décidé de limiter cela. Il avait initié le laissez-passer. Sans ce document, impossible de sortir du pays. En plus il y avait les tracasseries policières. Toute chose qui a contribué à réduire le phénomène migratoire.
Comment les gens ont-ils accueilli ces mesures?
Au début, ces mesures ont été bien saluées. Elles étaient efficaces. Mais par la suite, elles étaient contournées. Par exemple pour la question des bars, les gens ont trouvé le moyen de créer des maquis. Vous verrez des gens qui garent leur véhicule pour entrer dans une cour comme s’ils voulaient rendre visite à une famille. Alors qu’à l’intérieur de cette cour, dans le salon de quelqu’un, était installé un bar. Les gens violaient la loi, tout en évitant de se faire prendre. Par le simple fait que les gens savaient qu’il y a le contrôle, ils prétextaient une course administrative pour aller boire. Mais quoi qu’on dise, c’était une mesure qui visait à moraliser la vie administrative. Pour ce qui est du laissez-passer aussi, les gens trouvaient les moyens de contourner cela. Je crois que la corruption a dû entrer dans le jeu.
Quand certains évoquent Saye Zerbo, ils font allusion à la restriction des libertés syndicales…
Disons qu’à cette époque, le syndicalisme jouait aussi un rôle politique. Pour comprendre cela, il faut même remonter à la première république. A l’époque, Maurice Yaméogo voulait mettre en place le parti unique, et réprimait donc les partis d’opposition, oubliant qu’on était dans un pays ou les gens étaient attachés à la liberté d’expression. De ce point de vue, les partis politiques s’étaient réfugiés dans les syndicats, et les agitaient. Aujourd’hui, quand on dit par exemple que les travailleurs avaient marché pour faire tomber Maurice Yaméogo, le 3 janvier 1966, c’est juste. Mais il y avait les hommes politiques qui étaient aussi là et qui poussaient, qui agitaient. Donc, les syndicats, les responsables des partis politiques qui n’arrivaient plus à s’exprimer, et toutes les forces qui étaient mécontentes -telles la chefferie coutumière- ont contribué à la chute de Maurice.
Depuis lors, les syndicats ont été perçus comme des mouvements de revendications corporatives, mais aussi de revendications politiques… C’était aussi à une époque où les groupuscules et les partis de gauche, se réclamant du marxisme léninisme, faisaient leur apparition. Donc, entre temps, ces mouvements de gauche n’appréciaient pas la gestion du pouvoir par le CMRPN du colonel Saye Zerbo. D’ailleurs on reprochait à ce dernier de s’être appuyé sur le Mouvement de libération nationale, qui était devenu entre temps le Front progressiste voltaïque (FPV), pour gérer le pays. Du reste, on avait constaté que la plupart des cadres du CMRPN étaient des cadres du FPV. Du coup, les partis de gauche qui était proches des syndicats de gauche, estimaient que ceux qui étaient au pouvoir étaient en réalité des réformistes, des révisionnistes et commençaient à s’agiter.
En plus de cela, les déçus de la 3ème république étaient aussi là et avaient infiltré les syndicats proches de la droite. Donc les mouvements de contestation commençaient à grandir. Thomas Sankara, alors ministre en charge de l’Information démissionne avec fracas. Il estimait que la répression était grande sur les syndicats. C’est en ce moment qu’il lâcha sa célèbre phrase, «malheur à ceux qui bâillonnent le peuple». Après, l’armée se divise en deux groupes… Puis entre temps intervient le coup d’Etat en novembre 1982. C’est comme ça que Saye Zerbo perdra le pouvoir.
Et comment les populations voltaïques de l’époque ont accueilli ce nouveau coup d’Etat?
Les gens ont été surpris par le renversement du pouvoir de Saye Zerbo. Cela n’a pas créé la joie comme deux ans auparavant, quand Saye Zerbo prenait le pouvoir. A l’époque c’était la joie même dans les villages les plus reculés. Les gens avaient applaudi Saye Zerbo. Mais quand on a renversé Saye Zerbo, les gens étaient stupéfaits. Ils ont trouvé que c’était un coup d’Etat de trop. Beaucoup avaient estimé que ça ne valait pas le coup. Mais les officiers de gauche avaient justifié leur coup par la barbarie du pouvoir de Saye Zerbo. Certes, Soumane Touré (à l’époque leader syndical) avait été pourchassé et affecté dans le Sahel. Hormis ce fait, les gens n’avaient pas constaté, en tant que tel, une mauvaise gestion du pouvoir. Mais on avait compris que c’étaient des contradictions internes à l’armée. Sinon, les jeunes officiers qui ont pris le pouvoir ont dit que c’était un pouvoir anti travailleurs, qui était barbare, etc. Mais en réalité, je crois que les gens cherchaient des justificatifs à leur conquête du pouvoir.
Aujourd’hui quelle image l’historien que vous êtes gardez de l’homme d’Etat qu’était Saye Zerbo?
L’image d’un homme véritablement intègre. Quand il a pris le pouvoir, il a annoncé des mesures sociales qui visaient à moraliser la vie mais aussi à contrôler et vérifier que chacun était à son service. On sentait que c’était un homme qui était attaché au devenir de son pays. Il voulait un véritable développement du pays.