Smockey : “Thomas Sankara c’était notre avenir” interview
Nous vous proposons ci-dessous une très longue interview de Smockey, l’un des musiciens, les plus en vue du Burkina. Il a introduit le rap au Burkina et créé son propre studio à Ouagadougou. Il nous raconte ici son itinéraire, son long séjour en France, son voyage aux Etats-Unis, ses débuts dans la musique, l’ouverture de son studio. Il s’explique sur ses engagements, les ennuis et menaces que cela lui a valus, mais aussi les rapports nouveaux qui se sont créés entre les associations du mouvement social, les militants et les artistes.
Il s’explique longuement sur ce qui s’est passé à propos du titre “A qui profite le crime” qu’il a du retiré de son deuxième album. Comment cette expérience l’a fait murir et comment il a pris ses dispositions pour que désormais, personne ne lui impose d’autres choix que les siens. Enfin il s’exprime sur Thomas Sankara et invite les jeunes qui visitent le site thomassankara.net à aller plus loin que des simples consultations pour s’engager vraiment. Cette interview a été réalisée pour le site thomassankara.net. Nous avons élaboré les questions et avons profité du passage d’un militant de SURVIE, qui a réalisé l’enregistrement. Il nous a fallu après retranscrire l’interview. Les animateurs du site.
Vous êtes issu d’un milieu relativement aisé. Vous auriez pu comme les autres vous contenter d’une jeunesse sage si ce n’est dorée?
C’est quoi une jeunesse sage, une jeunesse dorée ? C’est quoi ? Une question en amène une autre. Milieu relativement aisé c’est vrai par rapport à d’autres, Pourquoi j’ai choisi de me battre ? Parce que je pense qu’il y a urgence. Je n’ai pas appelé mon studio Abazon par hasard ? Abazon ca veut dire en bissa « il faut faire vite ». Ca veut dire qu’il y a le côté urgent, de la situation. On ne peut pas être africain sans lutter, c’est impossible. En regard de tout ce qui se passe, de tout ce qu’il y a de nous. C’est plus qu’un droit, c’est un devoir.
Dans l’album photo sur le site zongo10ans, une photo montre votre maman comme passionaria du collectif mais aussi membre de la direction du PAI… Vous parents ont influencé vos choix?
Je ne crois pas que mes parents aient influencé mon choix. Je ne crois pas non. Ceci dit, il parait que le propre de la manipulation c’est justement de ne pas avoir d’effet sur celui qui est manipulé. Parce que s’il sait qu’il l’est, en l’occurrence, c’est qu’il ne l’est plus. Donc oui peut être sans m’en rendre compte j’ai plus ou moins pris dans mes exemples du côté de mon père qui est économiste politicien du côté de ma mère qui était enseignant. J’ai de quoi prendre. Mais je pense qu’on m’a éduqué plutôt dans le respect strict de ma liberté et des libertés individuelles. J’ai toujours fait ce que j’avais envie de faire d’autant plus que j’avais la tête dure, j’étais une sorte de vilain petit canard de la famille. J’ai toujours fait un peu ce que j’avais envie de faire. Et donc je ne pense vraiment pas avoir été influencé dans mes choix.
On dit que vous êtes le premier à voir osé raper en public au Burkina à la fin des années 80. Vous vous en rappeler ? C’est un bon souvenir ? Comment êtes-vous venu à cette musique ?
C’est un bon souvenir si le ridicule ne tue pas. C’est vrai qu’à l’époque on n’avait pas peur d’être ridicule. On rapait en fait sur des beats des des américains et en anglais phonétique, plus proche des onomatopées que d’une véritable expression. On écoutait les cassettes de … Public Queen moody, Ennemy, Africa bambata et on essayait de copier. Ca a duré un certain temps jusqu’à ce que ça devienne corsé parce qu’il y avait un peu de concurrence. On a reçu la visite d’un burkinabé et qui a grandi et qui est né aux Etats Unis et qui parlait excessivement bien l’anglais et qui franchement ne nous laissait plus de place. Il a fallu faire un choix. J’ai commencé à raper en français. Je crois que j’étais le premier à m’essayer au rap français au Burkina. On pensait que c’était possible de raper en français. On ne pensait pas que c’était insensé.
Le rap français était complètement naissant, il était vraiment à la traine. IL y avait que deux groupes. Ill y avait NTM et le 18eme et assassin. Je m’en souviens bien en tout cas et puis il y avait l’autre là Bennyb qui est venu après B E N N Y B (rire). Ca faisait pas le poids avec ce qu’il y avait de l’autre côté de l’Atlantique
Ensuite vous êtes parti de nombreuses années en France pour étudier. Vous étiez déjà engagé dans la musique ? Quelles rencontres marquantes avez-vous fait ?
Enfin plus que pour étudier c’était surtout faire une expérience autre que l’expérience africaine, découvrir un ce qui se faisait notamment en France etc.. Je n’avais pas d’ambition professionnelle et musicale. J’avais aussi envie de faire l’armée. Je m’étais laissé avoir par un film de Bourvil, je sais plus, je crois que c’était le 121eme régiment d’infanterie, ou quelque chose comme ça, où les mecs s’éclataient dans un régiment. Ils se faisant des coups foireux entre eux. C’était la franche rigolade. Je m’imaginais que c’était ça l’armée. J’étais pas du tout sérieux, pas du tout responsable pour un sou, j’avais envie d e m’éclater de rigoler ou de me changer les idées. Je m’étais dit que c’était l’armée qu’il me fallait. En fait je me suis pris une claque parce que c’était pas du tout ce à quoi je pensais. (rire). Donc du coup j’ai fini par des études d’hôtellerie restauration. C’est après que mon ancienne envie m’a rattrapé en chemin.
Et en France tu as fait des rencontres intéressantes ?
En France, en ce qui concerne le milieu musical, j’ai rencontré, un personne qui m’a vraiment poussé à me tourner vers le côté production c’est Alain Toko, c’est un camerounais musicien qui a baroudé pas mal sur Paris qui a travaillé sur pas mal d’album, il est guitariste, et qui faisait des arrangements à l’époque sur ATTARI, avec qui je travaillais de temps en temps et qui m’a dit un jour, tu viens tout le temps, on travaille tout le temps ensemble, ca te dirait pas d’essayer aussi, peut-être que ca te plairait de t’essayer à faire des arrangements. Et là ca a fait tilt tout de suite. J e me suis dit tout de suite, Faut que j’essaye aussi de le faire par moi-même, parce que je travaille beaucoup avec Toko, mais lui il était plus dans la rave, world, plus dans la musique africaine, tout, mélange, soul, jazz. Le rap c’était amusant pour lui mais c’était pas trop son truc quoi. Heureusement et j’ai bien aimé d’ailleurs parce que ca permet de mélanger d’avoir un truc différent. Bon du coup, je me suis senti intéressé par cette proposition, j’ai du me mettre au chômage pendant un an pour pouvoir me payer le luxe de m’essayer à la musique. C’est ce que j’ai fait. Je me suis acheté du matériel à Paris bien sur, avec deux mégas, des barrettes ca pèse que dal, c’est que du midi, et je travaillais j’avais un clavier Roland, j’apprenais à faire de la musique comme on… En tout cas on fait des arrangements de la programmation musicale. Don c pendant un an j’ai fait que ça jusqu’à ce que je passe PC après.
Au niveau politique, Ce séjour a-t-il contribué à votre prise de conscience ?
Bien sur parce que du coup, vous passez d’un le monde excessivement fermé, on va dire, question information parce que il faut se dire vous dire qu’en 91, déjà il y avait pas internet, et l y avait qu’une seule télévision, c’était la télévision nationale qui émettait de 18h à minuit et qui passait un film, je crois, tous les 2 ou 3 jours. Donc il n’y avait pas beaucoup d’information. La télévision nationale, de toute façon, elle n’a pas intérêt à publier les informations les vraies. Donc vous n’avez pratiquement que dalle. Par contre ce qui était bien c’était que ça vous poussait à lire. Il vous restait plus que la lecture. Encore fallait-il que livres soient sur le territoire, qu’ils soient autorisés, qu’ils ne soient pas interdits. Vous passez de ce monde à un autre où il y a que des informations, C’est bouleversant parce qu’on vous inonde d’informations. Il y a que des informations. A la télé, il y a je ne sais pas combien de chaine. Moi c’était ça mon problème au début. Je restais scotché à la télé. Tout le temps quoi (rire), je n’arrivais pas à m’en passer. Pas c’était automatique, le petit bouton j’allume je regarde quoi. Parce que… C’était pas trop ça quoi. Pourtant le Burkina c’était le premier pays d’Afrique à avoir eu la télé ! C’est ça qui est grave. Le premier aussi à avoir eu une radio FM. On n’a plein de trucs où on est premier. Je ne pense pas qu’on y est encore. On se fait rattraper quoi.
Donc tu arrives, tu passes de ce monde à un autre effectivement qui est beaucoup plus … Tu as a une certain jouissance à découvrir les choses, tu fouilles, tu cherches, tu te prends aussi d’autres claques parce que tu découvres que c’est pas si simple que ça. Même que tu as beau avoir une partie de toi d’être français, c’est pas pour autant que ca fait de toi un français. Etc. Que le racisme ça excite en France … Trouver un boulot c’est pas facile… un appartement… que tout le monde se fout de tout le monde, que c’est chacun pour soi etc. Plus tu avances, plus tu vois qu’il y a un système qui est là. IL y a d’un côté des gens, une petite société une société bourgeoise aristocrate, il y a une société très aristocrate en France, et puis tu tournes et tu rencontres des gens sympas dans tous les milieux, dans les milieux aisés comme dans les milieux moins aisés. En banlieue par exemple. Moi j’ai tourné en banlieue mais aussi dans le 9eme. J’étais dans le 18eme, Ivry sur Seine, Nanterre Université. Il y a un tas de monde intéressant comme ça. C’est vrai que très important parce que ça te donne de ma matière, de la matière à réfléchir, de la matière à écrire, ca inspire. Ca inspire un artiste. Moi par exemple, je suis allé dans le 18eme exprès juste pour m’inspirer, sur la fin, juste deux ans avant de quitter la France, parce que je voulais rentrer. Juste avant de quitter la France, je m’étais donné 5 ans. Au bout de 10 ans, j’étais encore là-bas (rire). Donc deux ans avant de partir je me suis bougé dans le 18eme, je me suis dit : « ca va me donner des idées ». C’était le seul quartier pratiquement dans lequel je n’avais pas habité. Franchement effectivement il y a de l’influence. Je découvrais aussi parce que, entre temps, j’ai fait un saut aux Etats-Unis.
Tout le monde me parlait des Etats-Unis. J’avais ma compagne qui rêvait d’aller aux Etats-Unis. Je voulais voir les Etats Unis c’était comment ? J’ai même fait 3 mois avec l’armée du Salut à Oklaoma City à vivre avec les damnés, les damnés des States on va dire quoi, les laissés pour compte, les vendeurs de crack, les clochards et tout. Je me faisais passer pour un espèce de clochard philosophe, ou je sais pas quoi (rire). Donc j’ai tourné deux mois là-bas, pour voir c’était quoi la face cachée américaine. C’est là que j’ai compris que la face cachée, la vraie Amérique, elle n’est pas bien quoi. C’est que la que j’ai tout compris, Parce que moi je voyais les images à la télé. Ouah on voit toujours des buildings, des supers boulots, des machins et tout ça, Moi j’ai vu ce vrai côté de l’Amérique et ça j’aurai pas pu le faire si je ne vivais pas en France. Bien sur. Je peux comparer parce que j’ai fait aussi l’armée du salut en France. Je suis allé sur la péniche pendant deux jours pour voir comment c’était. J’ai vécu avec les gars. Ca a duré deux jours. C’est normal, en France… Mais aux Etats-Unis ça a duré 3 mois et franchement je souhaite à tout le monde d’avoir une expérience comme ça. Ca vous permet vraiment de voir le système comment il est fait et quels sont ceux qui profitent du système. IL y avait même des nantis qui venaient chercher des tickets restaurants aux Etats Unis là où on était. Je les voyais venir se garer avec leurs belles bagnoles pour venir faire la queue pour prendre des tickets restaurants. Il y avait… parce qu’on dit qu’il y a pas de système de sécurité sociale aux Etats Unis, vous vous rendez compte que c’est les riches, de ces cités là, qui payent pour ne pas être dérangés. Ils ont une forme de cotisation qu’ils payent à chaque état pour qu’on cantonne les pauvres dans les « villages », pour pas les voir quoi. Donc il y a un système de sécurité quand même qui existe. Quand tu n’as pas d’argent, moi je me déplaçais gratuitement, je mangeais gratuitement tous les jours. J’avais un abri sauf que le matin on nous virait à coups de pompe dans le cul. Nettoyer les chiottes et après on nous envoyait sur un terrain vague là-bas ; on était laissé là-bas toute la journée mais au moins on arrivait à dormir au chaud et à avoir un diner etc. Donc et là vous vous rendez compte aussi de ce qui peut exister comme exploitation dans la société market, les puts, les vendeurs de crack, les dealers, qu’est ce que je peux dire, les belles banlieues de bourgeois les belles banlieues juives etc.. il y a une grosse différence avec le « village » (prononciation en anglais), tu rencontres tous ces mondes différents , ces noirs par exemple, ces frères noirs black certains s‘appelaient, “brothers”, certains c’est “fuck of”f ou bien « negger », ces frangins, avec lesquels on était, qui étaient persuadés que ça ne servait à rien de voter à l’époque, à l’époque je crois qu’il y avait le révérend Jackson, en tout cas il y avait des noirs qui s’étaient présentés aux élections on avait eu un débat comme quoi une fois où ils disaient que c’était complètement inutile de voter parce que ca servait à rien, que de toute façon ces noirs là c’était tous des vendus, qu’ils étaient même pires que les blancs qui étaient au gouvernement. Donc le mec qui était avec moi il a eu cette expression « démarre déjà vers autre chose », même si c’est pas bien, ça permet d’ouvrir la porte à autre chose Finalement on voit que 10 ou 15 ans plus tard, c’est ce qui se fait. Il y a un noir qui rentre à la présidence ; Ca me renvoie un peu au débat que j’avais eu avec les gars à l’époque. Je me dis Il a fallu qu’il y ait un noir en qui il y croit pour qu’on se mette à voter. On n’est pas obligé de croire en, quelque chose pour participer au développement d’une société. Le principe de faire changer les choses c’est de vouloir faire avancer, d’être actif. Essayer de changer les choses quoi. On change pas toujours les choses en bien mais au moins on change les choses. Ca parait con mais pour qu’une roue puisse tourner, il faut impulser le mouvement. A partir du moment où tout le monde reste en disant ouais on va attendre que ça se passe ou bien qu’il y ait un truc qui nous intéresse… pour qu’on puisse pour qu’on impulse le mouvement. Ben le mouvement ne sera jamais impulsé. Il n’y aura jamais personne qui va bouger. Tout monde va rester comme ça. A attendre quelque chose qui ne viendra jamais.
En parlant de mouvement, à partir de votre expérience, vous êtes bien placé pour comparer l’état d’esprit de la jeunesse européenne et de la jeunesse burkinabé. Est-ce que vous n’avez pas l’impression que la jeunesse au Burkina est plus consciente, plus engagée que la jeunesse d’Europe ?
Non. Pas du tout. J’ai plutôt l’impression que la jeunesse burkinabè et africaine a des réalités que la jeunesse européenne ne connait pas. On a encore des droits basiques dont vous vous jouissez et que nous on en connait pas ici. La liberté d’expression c’est plutôt nouveau pour nous. On en est encore à se battre sur plein de côtés. La justice, on a plein de cas de justice pendant. La misère, le travail , le boulot, c’est encore plus compliqué ici. Chez vous, il y a un système de sécurité sociale, chez nous nous il n’y en a pas. Chez vous il y a des allocations chômage enfance tout ça chez nous il n’y en a pas. Chez nous il n’y en a que pour les 10% ou 6% de la population qui travaille pour l’administration qui est dans le système ? Tout le reste c’est entrepreneur privé. Pour gagner sa vie au Burkina 80% ou 90% même sont de l’entreprenariat privé. L’agriculture, moi j’appelle ça de l’entreprenariat privé. 80% des burkinabés sont paysans, pour moi c’est quelqu’un qui s’embauche lui-même et qui cultive la terre. Le reste c’est sont de gens qui ont de boutiques ou comme moi un studio ou une petite entreprise et qui essayent de gérer leur truc. Donc on a quand même certaines choses qu’on n’a pas et pour lesquelles on est obligé de se battre. Par contre chez vous, se battre c’est comme une forme de différenciation, ca devient un idéal, ca devient un moyen de se substituer au train train de la vie quotidienne, à l’enfermement dans les tours de béton etc. Ca devient un moyen de vivre quoi. Tout simplement. Se rebeller c’est vivre en Europe. Pas se rebeller pour se rebeller mais se rebeller pour des causes. C’est vrai que chez vous aussi c’est pareil. Les grandes causes produisent les grands effets, les petites causes les petits effets, mais en tout cas c’est les mêmes effets pratiquement, avec des échelles différentes. Vous vous aurez a à vous battre aussi mais nous on a quand même des choses, voilà les choses sont plus insultantes ici. En Afrique on a affaire à un système qui est là devant vous qui ne se cache pas, qui vous regarde droit dans les yeux bien haut (rire) et qui vous le met bien profond avec le sourire s’il vous plait. Alors que chez vous au moins le système a au moins la décence de se cacher (rire), de vous faire croire à autre chose. Il faut vraiment fouiller, il faut être cultivé pour se rendre compte que voilà y a ça, franc-maçonnerie derrière, il y a ça que machin manigance, que l’Etat français… Qu’est ce qu’ils font… Il faut chercher. Il faut aller assez loin quoi. Chez nous c’est clair ? Vous sortez devant votre porte. Vous croisez un flic. Il va vouloir vous montrer que vous êtes un citoyen burkinabé mais vous valez que dalle. Donc, c’est vrai que du coup, nous on beaucoup plus de choses à… plus de choses à … On a la haine quoi, c’est tout. Je pense qu’on a cette haine qui fait qu’on ne peut pas se taire on peut pas ne pas parler. Je me vois mal râper sans mettre du politique dedans. Parce que le politique est à la base de tous nos problèmes. C’est parce qu’on a des merdeux qui nous dirigent qu’on est de la merde. C’est vrai qu’on est de la merde puisque on est considéré comme n’importe de quoi. On est devenu… On est dans la mendicité internationale. Maintenant quand je vois mon président qui s’en va à l’Union européenne pour dire à la France, à Sarkozy, de ne pas prendre prétexte de la crise internationale pour baisser l’APE et les aides au Burkina Faso, j’ai honte. Tout son système est basé sur l’aide internationale. Au nom de tous les burkinabé il s’en va tendre la main.
En tant que métis franco-burkinabé, vous en tirez une sensibilité particulière ?
Si sensibilité il doit y avoir c’est que j’ai appris à faire en sorte que l’habit ne fasse pas le moine. C’est vrai que c’est difficile pour quelqu’un qui est issu de deux cultures, en l’occurrence j’en ai qu’une africaine, je veux dire, puisque je suis d’abord né et j’ai grandi en Afrique, mais c’est vrai qu’il y a quand même un mélange et que ma mère est française, on parlerait même d’un mélange racial. C’est assez difficile parce que, en fait vous subissez les tares des deux sociétés desquelles vous êtes des deux cultures. Vous subissez pas forcément que les aspects positifs. Vous avez plus souvent affaire aux aspects négatifs des deux cultures. Dans un milieu dès qu’on parlera de racisme vous serez le premier touché puisque vous ne serez ni d’un côté ni de l’autre. Ce qui fait que j’ai développé un autre esprit, franchement et c’est vrai que j’ai du mal avec les autres métisses comme moi… de les approcher de discuter avec eux. Je ne veux surtout pas… Ils développent une forme de complexe. On se dit non c’est pas vraiment un complexe, c’est un peu une forme de rejet. Par exemple on a vous dire au Burkina les métisses font le malin. On dit ils font le malin… Pourquoi ils font le malin, je sais pas mais ils font le malin. Vous avez peut être le même phénomène à paris ans certains milieux et donc du coup, vous n’avez pas envie qu’on vous considère comme un métis. Vous avez envie qu’on vous considère comme autre chose. Votre moyen a vous pour qu’on ne vous considère pas comme un métis c’est de ne pas fréquenter les métis, de pas faire comme eux. Si vous voyez un métis qui joue au tennis vous ne jouerez surtout pas au tennis quoi (rires) parce que sinon on dira c’est la même clique c’est le même tabac. C’est quand vous grandissez au fur et à mesure vous vous rendez compte que c’est ridicule. Ca vous mènera nulle part. Il faut bien que vos vous assumiez comme vous êtes. Surtout que vous en gardiez des aspects positifs. Avant je calculais maintenant je ne calcule plus. Mais c’est vrai, un moment j’étais traumatisé quoi. Moi par exemple, çà l’école, puisque j’ai fait l’école primaire… toute mon école primaire au Burkina Faso. Par exemple il y a des anecdotes… Je me suis fait tabasser dans la cours parce que les élèves voulaient voir si mon zizi il était rouge ou bien il était noir…C’est des trucs, quand tu es gamin ça te reste dans la tête quoi. Tu ne comprends pas pourquoi on est obligé de te frapper pour ça quoi. Bon. Ils auraient pu me demander quoi (rire). Y a des petits trucs qui te restent comme ça. Ca te marque. Parce que moi, c’est vrai à l’époque, j’étais le seul métis de l’école donc ca renforce ce côté curiosité naturelle, j’étais aussi le plus petit de la classe donc pendant longtemps le souffre douleur. Je me suis vengé après. Comment avec une grosse pierre pendant les vacances… Mais bon, tout ca pour dire, c’est un aspect. Pendant longtemps j’en ai été malade mais maintenant je suis guéri. Mon côté métis j’y pense même plus tu vois.
Et dans l’inspiration musicale est-ce que ça a joué ? Par exemple dans le métissage, RAP et musique traditionnelle ?
Je ne pense pas que ça a joué sur le mélange entre la musique traditionnelle et la musique rap. J’aime la musique rap parce que j’ai toujours dit que la mélange des genres c’est pas vraiment ça qui est important, et c’est même pas ça qui est forcément enrichissant, ça c’est purement physique on va dire. Ce qui est vraiment enrichissant c’est le mélange des cultures. C’est comment on peut arriver à… on peut mélanger les idées, etc… les expériences pour en faire quelque chose d’original de différent, et en cela effectivement, puisque j’ai grandi ci et que j’ai vécu un certain moment en France ça m’a permis peut-être de me dire qu’il y avait des choses qui étaient faisables, des mélanges qui étaient faisables. Donc tout naturellement , la musique traditionnelle… La musique traditionnelle en Afrique par essence c’est la musique populaire, la plus populaire. Que vous le vouliez ou que vous le vouliez pas, par essence c’est la musique populaire. C’est pas comme en Europe, ou en France par exemple ou ne je crois plus que ce soit vraiment le cas. la musette ou autre on peut pas vraiment appeler ça de ma musique populaire. Mais en Afrique c’est toujours le cas parce qu’il y a une forte tradition musicale africaine. Beaucoup de mariages avec des musiciens traditionnels par exemple, les enfants depuis qu’ »ils sont petits ils baignent beaucoup dans les , dans las musique traditionnelle etc. Ca existe quoi.. Vous êtes dedans. Forcément vous réagissez au rythme. En fait vous en avez même marre parce que le problème c’est quoi. En fait les jeunes ils n’écoutent pas la musique traditionnelle parce qu’ils en ont marre. Ils sont saturés de musique traditionnelle, ils écoutent tout le temps de la musique traditionnelle. Donc la seule façon de leur faire réécouter leur patrimoine c’est de leur resservir ça avec une autre gastronomie quoi : émincé de musique traditionnelle sur coulis… (rires) sur lie de hip hop quoi, un truc comme ça et là du cop ils redécouvrent ça, ils trouvent ça original. Bien/
Le rap est encore un peu méprisé en France, souvent considéré comme la musique des banlieues. Au Burkina ça existe la banlieue, le terme banlieue il veut dire quelque chose ? Pourquoi le RAP pour vous ?
Moi je ne pense pas que le rap est un phénomène de banlieue ou une musique de banlieue. Le rap est une musique de… paria, de gens qui en fait un moment donné se sentent écrasés parle poids de la société. C’est une musique pour les jeunes quoi. Des les gens qui ont envie que ça bouge. C’est tout et puis donc forcément d’oppressés. Et dans ce sens là, c’est vrai qu’il n’y a pas que les banlieues qui oppressent, il y a plein de choses qui oppressent. Et comme dit mon ami Big Dig qui joue le fils du boss dans aura, même les riches ont des problèmes même les enfants de riches ils ont des problèmes. Ils sont mal dans leur peau. Il y en a plein ils ont envie de se suicider, machin et tout. Les opprimés il y en a partout quoi. En Afrique, en tout cas, c’est pas ça qui manque mais nous c’est pas les banlieues quoi, non c’est plutôt du type favelas que banlieue. Je sais pas si on appelle ça des banlieues. Mais ici on parle de ghetto. Ils ont repris le terme de ghetto et c’est aussi le strict minimum qu’il n’y a pas. Quand vous passez votre temps à être assisté, c’est vrai que la seule musique qui vous reste pour crier votre ras-le bal, c’est le rap, c’est le reggae. En général ce sont ces deux genres musicaux qui vont prendre la défense des bramoghos comme on dit, bramoghos du ghetto. Ce sont les deux genres musicaux où il y aura quand même des gens qui vont parler, qui vont vont chanter la misère du peuple. Du coup forcément on devient un peu le relais, mais c’est pas forcément banlieue, c’est même pas banlieue chez nous. On ne comprend pas ce que ca veut dire banlieue, ici HLM et tout. On imagine mais on ne comprend pas. Ici on a de l’espace. C’est pas l’espace qui manque. En banlieue ils n’ont pas d’espace, ils sont les uns sur les autres. Contrairement à ce qu’on dit, moi j’ai habité en banlieue, ils ne sont pas si solidaires que ça. Ils sont solidaires que pour la baston, c’est tout. Mais en réalité pour s’aider ils le sont pas. Mais pour la baston oui. Dès que il y a un Niagha, comme on dit, ou bien qu’il yen a un quoi se fait taper dessus, tout le quartier lui tombe dessus. Mais quand il faut aider les gens, il faut les soigner, il faut les guérir, il faut leur prêter de l’argent, faut les nourrir, tu ne vois personnes plus personne. C’est le même esprit individuel occidental, il revient. Payez l’addition et ils disparaissent tous. Mais pour se défouler, ils appellent ça solidarité. Alors qu’ici dans les ghettos les gens ils s’aident vraiment. C’est pas des histoires de bagarre. D’abord ils ne vont même pas comprendre qu’un quartier se mette à taper sur un gars. Parce que ici le poids de la tradition c’est chaud. Les grands frères on rigole pas avec ça.
Vous êtes très vite ambitieux puisque dès votre retour vous montez votre propre studio. Vous avez été aidé ?
Non. Pas du tout, j’ai pas été aidé. J’avais juste une idée fixe, c’était de monter un studio. J’avais déjà le nom du studio Abazon et puis voilà. Je me suis lancé quoi.
Comment s’est faite votre rencontre avec Didier Awadi avec qui vous collaborez depuis votre album Zamana ?
Didier et moi on s’est rencontré au Bénin au festival Artdiess et puis voilà on a fait copain copain, dès la première rencontre. Parce que je tiens à préciser que Didier c’est quelqu’un de très humble, c’est quelqu’un qui vous frappe par son esprit de communication quelqu‘un qui ne se prend pas la tête. IL peut discuter avec tout le monde. Dès qu’on s’est rencontré on a commencé à discuté, on a parlé de ce qu’on avait présenté au festival, on a sympathisé, on a expliqué ce qu’on faisait chacun dans son pays. Ca a été une amitié qui a démarré presque automatiquement tout de suite et puis ça dure depuis plusieurs années maintenant. On est vraiment pot quoi. C’est vraiment quelqu’un de génial quoi, parce que c’est un gars qui est vraiment ouvert, c’est vraiment l’artiste qui se la joue, qui croit qu’il est arrivé alors qu’il pourrait, vu sa carrière, sa carrure, et tout le travail qu’il abat. C’est quelqu’un qui pourrait de prendra la tête mais il ne le fait. C’est ce que j’admire chez lui. J’admire son talent, cette humilité qu’il a.
Est-ce que vous pouvez nous parler de votre collaboration au projet Présidents d’Afrique ?
Présidents d’Afrique c’est une idée donc de Didier qui s’est dit bon avec tout ce que je commence à avoir comme archives, je suppose, il ne me l’a pas dit mais je m’ne doute que ça doit être ça. Parce qu’il a pas mal d’archives. Chaque fois qu’il va dans un pays, il demande toujours à voir des extraits de tel ou tel politicien ou personne intellectuelle qui l’a marqué. Donc il s’est dit comment je vais exploiter ça, Présidents d’Afrique, on va faire un truc on va faire un album. Je trouve que c’est une idée géniale, avec un featuring, avec les personnes, les intellectuels qui ont vraiment compter pou l’Afrique, des politiciens, les gens qui ont vraiment compter pour ce continent : Patrice Lumumba Nkwamé Nkrumah, Thomas Sankara etc . Des gens qui ont compté. Voilà on va les faire participer avec des rappeurs de chaque pays. L’idée était géniale quoi. Donc quand il m’a parlé notamment du titre sur lequel on travaillé sur Thomas Sankara, moi bien sur tout de suite j’ai été très enthousiaste. Il a fait la musique on s’est rencontré ici … moi c’est à Dakar que j’ai posé dans son studio. Voilà tout de suite la collaboration est passée. Après il m’a fait participé à plusieurs spectacles qu’il a fait auxquels j’ai participé. Il m‘a invité. Et puis on a fait d’autres titres ensemble. C’est chouette. Je le sens bien cet album quoi n’est pas encore sorti mais je suis sur que ça va faire un carton (rites).
En 2005 vous entrez un peu plus dans la contestation avec « Votez pour moi », pourtant la même année, vous êtes consacré lors des Kundé d’or du meilleur artiste de 2005 ? Comment vous l’expliquez ca, c’est paradoxal ?
Tu as raison de dire que c’est paradoxal puisque moi-même j’ai été le premier surpris, j’y croyais pas. Ils sont en train de me… D’autant plus qu’il y a la première dame qui est venue, qui a dit en direct qu’elle n’était pas d’accord que c’est pas moi qui aurait du gagner, et d’abord qu’elle aime pas le rap/ Pour moi c’est vrai que c’était trop énorme. Moi jusqu’ici dans mes albums, les titres où je critiquais le régime, les titres entre guillemets engagés, j’évitais de les clipper parce que je savais que ces clips ne pourraient pas passer à la télé. Je ne prenais pas le risque de faire un clip qui allait rester sur le carreau. Parce que il faut dire qu’ici c’est beaucoup de l’autoproduction vous misez tout donc vous pouvez perdre tout. Les artistes, il n’y a pas vraiment de structures qui financent comme en Europe, le conseil régional d’Ile de France… Ici c’est toi qui économise tes tunes et puis qui les mets dans la prod. Tu peux pas trop te planter, tu n’as pas vraiment le choix. C’est vrai que moi j’évitais de faire ces clips là. Donc je faisais des clips plutôt populaires, on va dire, puisqu’on parlait de popularité tout à l’heure. Mais là je me suis dit, tiens, j’en ai marre. Aussi j’ai discuté avec mon administratrice, qui a dit aussi, on s’est dit… Attends… pour une fois on a qu’à balancer un clip qui rentre bien dans le lard des gars. Tant pis s’ils ne le diffusent pas, il y aura des gens qui vont le diffuser. Et on a fait « votez pour moi ». Et, le truc aussi, c’est que comme c’était comique, en fait, je crois que c’est surtout là que, en fait, ils se sont fait avoir en fait. Comme le truc il était bien… il y avait beaucoup d’humour dedans, même le clip, la façon dont on l’a fait, il était assez humoristique, on se fait avoir, on se fait piéger facilement on n’écoute pas au second degré. Donc on se fait avoir facilement par ça. Du coup, le truc il passait en rotation. Il passe plus maintenant c’est fini mais il passait en rotation quoi tu vois. C’était pendant les élections faire la fin des élections en 2005. Il y en a même qui pensaient que c’était une invitation à voter pour Blaise Compaoré. Il parait que un gars même une fois, dans une salle, des gars ont dit : “ah augmente le son” parce que le clip passait et puis il y a un gars du CDP qui est rentré, un haut représentant dont je tairais le nom et il a dit : » coupez moi ça tout de suite ». Lui il avait compris que c’était pas bon (rires). C’est vrai qu’un clip comme ça, n’aurai jamais du recevoir le Kundé d’or en 2006 surtout que les Kundé d’or, cette année, étaient parrainés par la première dame du pays. D’où ma fierté, d’où mon immense fierté d’avoir eu le titre. Parce que moi les titres en général, ca m’impressionne pas, c’est pas vraiment mon truc. Mais celui-là il vaut son pesant d’or.
Donc tu l’expliques par un quiproquo…
Moi franchement, je l’explique parce que la plupart des gens n’écoutent pas. C’est malheureux à dire, ils écoutent les refrains. 1 2 3 votez pour moi sur la croix je serai droit 4 5 6 plus de justice je punirai tous mes complices 7 8 9 remets toi à neuf, je promets même si c’est du bluff 10 11 12 avant qu’on e découse je vous mets tous dans la bouse .Mais il y en a qui écoutent pas. Ils écoutent pas ils disent “ah ça fait comme un refrain de gamin, une ritournelle, une comptine machin”. Ils se sont dit “c’est bon c’est rigolo” et après vlan ! (rire) Je pense que en gros c’est du à ça. On a trouvé gentil.
En 2007 avec le titre « A qui profite le crime ? », vous entrez un peu plus en contestation mais les ennuis commencent ?
Bon là ça commence effectivement. J’avais déjà eu des problèmes avec « putsh à Ouagadougou » quand j’étais arrivé à Ouaga. C’est pour ça que j’avais chanté Yabaa. Une chanson avec un refrain françalou qui disait que mon grand père avait dit que ici c’est pas la France, ici c’est l’Afrique, tu as pas intérêt à dire tout ce que tu penses. Parce que si tu dis tout ce que tu penses tu vas finir comme l’autre là. Bon j’ai fait une chanson comme ça parce que mon grand père avait quitté le village était venu pour venir me sermonner par rapport à ça. Ma famille m’était tombée sur le dos. Bon ça ça faisait un bon de temps, c’était mon premier album, c’était avec Thawagado. Mais je n’étais pas connu vraiment.
Mais là avec « à qui profite le crime » c’est là que mes ennuis ont vraiment commencé ». Parce qu’en fait c’était clair, d’habitude je mets de l’humour. En fait Smockey c’est la contraction de « se moquer », se moquer du système ou mettre un peu d’humour noir, écrire un peu en forme de pamphlet. Pour une fois, je ne mettais pas vraiment de l’humour, puis il y avait des extraits sonores de François Mitterrand, de Blaise Compaoré, une atmosphère un peu glauque, ça les a bien fait flipper. Là effectivement j’ai eu des ennuis tout de suite. J’ai eu des ennuis avant même que l’album ne sorte. J’avais juste déposé le CD au BBDA et j’ai été convoqué au ministère de la culture, dans le bureau du ministre. On m’a demandé purement et simplement d’enlever ce titre de l’album. J’ai demandé pourquoi ? J’ai passé plus d’une heure de temps en tête à tête avec le Secrétaire Général du ministère. La ministre avait pris ses fonctions, je crois depuis quelques mois mais elle a appelé au téléphone. Donc ce qui m’a fait comprendre que tout le monde s’intéressait à mon cas, que voilà, on était en Afrique, qu’il y avait des les histoires de grands frères, qu’il fallait respecter… On est passé par tous les proverbes … Voilà… Comme ça se passe d’habitude. Voilà… Par les menaces aussi entre le ministère et chez toi il peut t’arriver plein de choses, donc il faut éviter des choses comme ça, par ta famille, tu as des enfants ils sont passés partout. Après ils m’ont demandé franchement si sincèrement je peux le faire. Dans tous les cas si je choisissais de garder ce titre là dans l’album, parce que ils avaient accepté, ils ont fait du chantage aussi, eux ils avaient accepté de financer une partie d’un de mes clips, le clip de Yamaa ca, ça devait 2 ou 300000 Fcfa. Ils ont dit que si jamais je décidais de mettais ce titre là dans l’album, ils ne voulaient pas que le nom du ministère ou le logo du ministère figure sur la pochette de l’album. Ils ne voulaient en aucun cas avoir affaire à moi. Il ne fallait pas que je dise avoir été épaulé sur quoi que ce soit dans l’album par le ministère. J’aa dit “OK”. J’ai voulu donné la réponse tout de suite, il ma dit : « Non faut rentrer faut réfléchir ». Je suis rentré chez moi. Dès que je suis rentré, mon téléphone n’a pas arrêté de sonner Ca a appelé de tous les côtés. J’ai toue la famille qui m’est tombée dessus. Mon grand frère qui m’a appelé de Paris, mes sœurs qui m’ont appelé, mon oncle, mon grand père qui est arrivé à Ouaga, mon oncle qui me dit qu’il s’est fait appeler par la garde présidentielle, qu’ils l’ont menacé. Même si moi pour moi j’ai envie de me suicider au moins que je ne suicide pas les gens avec qui je suis. Une autre forme de chantage. Des pressions directes sur ma famille qui, à son tour, a fait des pressions directes sur moi. Du genre, si moi je ne tiens pas compte de ça, je suis un fils indigne. Ou bien je ne pourrai m’en prendre qu’à moi s’il leur arrive quelque chose. Mais ça de tout temps ça a toujours été leur méthode. Sur le moment je n’ai pas vraiment pensé à moi. C’est après que je me suis rendu compte qu’ils font ça à tout le monde. Ils passent toujours par la famille pour vous avoir. Moi ce que j‘avais décidé à l’époque, parce que après tout ça j’ai réfléchi, ça ne sert à rien d’impliquer les gens dans mes choix. Donc je me suis dit, tant qu’à faire, si ça qui peut leur faire plaisir je vais leur enlever de l’album. Maintenant je vais le mettre sur un site et tous ceux qui veulent le télécharger vont aller le télécharger. Comme c’est juste ce qu’ils mont demandé, par ce que j’ai demandé au type du ministère : « Votre problème c’est quoi, que le titre ne figure pas sur l’album ? », il m’a dit oui. J’ai dit OK. Donc je n’ai pas mis ce titre sur l’album mais ce titre a été sur le site. Celui qui veut le télécharger il va le télécharger j’ai communiqué là-dessus. Ca au moins je n’avais pas promis. Ils ont réussi à faire de la publicité à quelque chose qui méritait pas tant de publicité. Ca a été censuré par la pression. Ils n’auraient pas le censurer officiellement. Je ne vois pas sur quel critère. Je ne vois pas comment ils auraient pu censurer un titre qui n’indexe personne directement. Le titre demande à qui profite le crime. Il n’est pas si menaçant que ça, il leur a fait peur mais il n’est pas aussi menaçant que ça. Mais maintenant ils ont réussi quand même à faire de la pub à ce titre et je les remercie pour ça. Mais maintenant je leur ai fait une concession, je leur en ferai pas deux. Parce que depuis aussi j’ai pris mes dispositions. Je me suis entouré des gens, des gens qui m’aiment ont bien compris ma prise de position et il n’est en aucun cas possible aujourd’hui que les gens qui m’aiment m’obligent à changer mes choix. Ils m’aimeront pour mes choix. Voilà. Maintenant j’ai fait mes concessions j’ai fait mes concession. Je suis devenu plus malin aussi. Je veux me tenir éloigner de…. En tout cas en ce qui concerne mes choix, de ce côté-là artistique, je vais faire en sorte que ma famille soit la dernière au courant.
Vous avez reçu d’autres menaces à d’autres moments comme Sams’K Le Jah par exemple ? Par le net ?
Par le net non. Sams’K Le Jah il s’est fait brulé son véhicule. Moi non. Je n’ai pas reçu de menaces directes. Non. … Des menaces directes, si. J’ai eu des gens qui m’ont dit tu arrêtes. Par exemple j’ai croisé il y a même pas un mois de ça des éléments de la garde présidentielle qui buvaient un coup dans un maquis. Il y en a un qui m’a dit : « tu as intérêt à arrêter parce qu’on parle que de toi là-bas. Tu es trop partisan dans tes chansons. Tu devrais changer. Tu prends trop position. Etc. Quand les gens te disent ça c’est qu’ils vous ont dans le collimateur. Mais je n’ai pas reçu des menaces directes physiques, genre bruler mon véhicule. Je ne souhaite pas que ça m’arrive parce que franchement je ne le souhaite à personne. Voilà je n’ai pas eu ça. Heureusement. Mais Bon. Ca veut pas dire que… C’est pas impossible. On a tout vu dans ce pays là. Donc je prends mes précautions quoi. On a compris maintenant que ça ne servait à rien d’être isolé. Dès qu’il arrive quelque chose à quelqu’un on fonce direct. On fait comme dans la banlieue. On leur rentre pas dans le lard mais au moins on le protège quoi. (rires)
Tout récemment un morceau de soutien aux étudiants en collaboration de Sams’K Le Jah ? L’alliance du RAP et du reggae, des deux musiciens les plus engagés du Burkina? Commet ce projet est-il né ?
Le projet est né parce qu’en fait moi j’avais décidé de faire un titre sur les étudiants par rapport à la situation à l‘université, récente, actualité récente. C’est encore d’actualité puisque l’université est toujours en grève mais cette fois c’est plus les étudiants mais c’est les enseignants (rires). C’est du ping pong à l’université. Et donc les étudiants effectivement se sont fait tirer dessus, d’après leurs dires même à balles réelles. Donc il y a eu plein de blessés au sein de l’établissement. Il y a des éléments de la garde présidentielle qui protègent le petit frère du président qui ont attaqué les étudiants en cité. Donc j’ai trouvé ça suffisamment grave. J’en ai parlé à Sams’K le Jah qui a marché tout de suite. Et puis on est parti à fond. On a fait un truc qui s’appelle « on est dans la rue ». Moi j’avais fait un autre titre déjà. Et donc le deuxième qu’on a fait c’est « on est dans la rue ». On a fait un clip qui ne passe pas sur la TNB bien évidemment mais qui passe au moins déjà ce qui est pas mal sur la chaine TV et puis je crois qu’il est passé plusieurs fois sur africable. Au moins ça a permis au gens de voir un peu ce dont on parle et voir un peu des éléments… dans le clip il y a des images de la sur manif. On a filmé un étudiant en cité qui était en train de manger du piment. En fait quand on ne prend pas garde, on ne se rend pas compte, mais c’est du piment que le gars est en train de manger. Quand on mange du piment en fait c’est parce qu’on a faim. Tu vois le piment ça calme la faim. Après tu bois beaucoup d’eau et puis c’est bon quoi. Donc la situation était catastrophique parce que les étudiants effectivement, puisque les restaus étaient fermés, il y avait des étudiants étrangers qui étaient là, il y a beaucoup d’étudiants qui n’arrivaient pas à manger. Tu peux te loger, tu ne peux pas te doucher, tu ne peux pas manger. C’était assez misérable. Alors voilà c’est ce qui nous a mené à faire ce clip là. Ca a été bien apprécié par le milieu. On a fait quelques “talking show” à l’université. On a rencontré les étudiants en direct aussi, discuté avec eux, échangé sur leurs problèmes. Voilà c’est beaucoup plus qu’enrichissant.
Que représente Thomas Sankara pour vous qui avez accepté de vous produire au concert de la commémoration du 20eme anniversaire de la mort de Sankara ?
Thomas Sankara c’était notre avenir. C’est encore notre avenir aujourd’hui par rapport aux enseignements qu’il a laissés. Pour moi ça représentait l’avenir du Burkina Faso, parce qu’il était jeune déjà, parce qu’il avait de l’ambition parce qu’il avait des rêves, des choses qu’il espérait qu’il était impossible à réaliser. C’était déjà bien de les rêver, d’avoir envie de les réaliser quoi. C’était pas un idéaliste, puisque c’était quelqu’un qui était vraiment actif. C’était un homme de terrain. La bataille du rail c’est pas des idéaux, c’est du concret, c’est pas un idéal, c’est quelque chose qui s’est fait concrètement en fait. Mais c’est vrai qu’Il avait ce pouvoir d’arriver à stigmatiser toutes les volontés. Que tous les burkinabé se disent qu’il peut y arriver quoi. Je veux y arriver que veux pouvoir le faire, parce que Thomas Sankara a dit que c’était possible. C’est quelqu’un qui a vraiment marqué ma jeunesse, ma génération quoi. De même qu’il est important de lui rendre hommage. Je crois que l’Afrique lui doit beaucoup. Beaucoup de la politique qui est actuellement pratiquée même par son successeur sanguin et par le sang, il vient de tout ce qu’avait institué Thomas Sankara à l’époque. C’est-à-dire qu’il a des plans comme les plans quinquennaux, les mouvements féminins et tout ça, les luttes pour les revendications féminines etc. C’est des héritages de Sankara que Blaise est obligé de continuer et qu’il va mettre à son profit mais ce ne sont pas ses acquis à lui. Ce n’est pas lui qui a initié ces choses. Aujourd’hui quand vous voyez des mouvements féminins qui se baladent, ou des associations, et qui disent que c’est grâce à Blaise Compaoré que la femme a machin c’est fait. C’est de la fausse propagande. Mais bon pour donner un simple exemple. Maintenant Sankara c’est vraiment quelqu’un qui a beaucoup marqué et à qui il faut rendre un vibrant hommage.
L’apparition d’artistes engagés dans des initiatives de la société civile, pour l’anniversaire de la mort de Sankara, les forums sociaux, et plus récemment à l’occasion de l’anniversaire de la mort de Norbert Zongo est quelque chose d’assez nouveau au Burkina. Ca permet d’attirer la jeunesse, mais est-ce que la jonction avec les anciens militants se fait assez facilement ? Est-ce que notamment vous n’avez pas peur d’être récupéré ?
Ben écoute si on est récupérés dans le bon sens c’est tant mieux. Le problème n’est pas un tant soit peu d’être récupéré mais d’être bien récupéré. Il y a des propagandes qui sont bonnes. Un exemple c’est l’affaire d’Alpha Blondy avec son morceau sur Norbert Zongo. Alpha dit qu’il s’est fait manipulé par les gens de RSF et que c’est pour ça qu’il ne veut plus chanter la chanson. Et tout ça… Même si le grand frère, on sait qu’il est rentré en brousse, parce que c’est un grand frère pour moi avec tout le respect que je lui dois, s’il s’est fait manipuler, son message est retranscrit. Et partout on dit “c’est pas bien d’avoir tué Norbert Zongo, rendez justice à Norbert Zongo”, c’est tant mieux ! C’est pour le bien de la justice, ce type de récupération d’accord pourquoi pas. Même s’il a été récupéré, et alors ? Où est le problème ? Il y a pas de mal à se faire récupérer pour des messages aussi positifs que celui-là ? Et donc en ce moment, je vous dis que c’est un peu la même mentalité qui prévaut dans ce qu’on fait musicalement, artistiquement, on fait des choses. On n’ira pas faire des choses pour les politiciens. Mais c’est vrai que par exemple quand il y a un mouvement social, par exemple le mouvement du collectif, pour pouvoir avoir une salle de spectacle ou une place telle que la place de la révolution, pour faire un concert, avec des artistes tel que Sams’K et moi, et d’autres, mais sans le collectif c’est un truc impossible. Eux ils avaient déjà la place pour la manifestation. C’est obligé. Le Président es obligé de concéder ça parce que ça fait partie des points qu’il a signés, ca fait partie des accords qu’il a signés. Si nous on est intelligent on peut infiltrer le truc. Qu’on soit récupéré par rapport à nos propos, je vois pas où est le problème ? Mais on n’a pas dit va voter pour un tel, va faire le truc… On a juste dit, rendez justice à Norbert, rendez justice à Thomas Sankara. Si on peut récupérer ce message de façon à ce que ça soit vraiment réalisé, c’est tant mieux.
Maintenant entre les anciens militants et la jeunesse, les anciens militants les nouveaux militants c’est quoi ? Pour moi c’est kif kif bourricot. Militant égal militant, ancien ou nouveau, c’est pareil. Il y a quoi qui change entre un ancien militant et un nouveau ancien militant. Un ancien militant fut aussi un nouveau militant. Le militantisme finalement c’est ça qui compte, c’est ça le trait d’union. C’est, est-ce qu’on lutte ou est-ce qu’on lutte pas ? L’important n’étant pas tant de gagner mais de lutter. Beaucoup croit que l’important c’est de gagner. Finalement c’est pas tellement de dire j’ai gagné, oui c’est bien de gagner mais ça suffit pas. Il faut montrer que, en fait, c’est au quotidien. Parce que c’est vrai qu’on va dire que pendant 20 ans il y en a des gens qui ont lutté tous les jours pour arriver à quelque chose. Il y a en a un qui arrive il rajoute juste une brique, ouais il a gagné (rire). Non. Il y a plein de gens qui travaillent derrière. Il y a toute une équipe qui bosse. Voilà quand on dit Smockey il a écrit un texte, soit disant entre guillemets engagé, ou il a critiqué le système, non il a toute une équipe qui a travaillé derrière, qui a permis à Smockey de pouvoir passer ce message là. C’est une équipe, il y a plein de travailleurs, il y a plein de gens qui combattent. C’est ensemble qu’on va y arriver. Anciens ou nouveaux militants, tout le monde est important. Si on n’a pas compris qu’ensemble on est important, ça ne sert à rien de lutter.
Vous tournez de plus en plus à l’étranger. Le début du succès international ?
Ben je sais pas si c’est le début du succès international si succès il y a. Mais bon. Je sais pas, je sais pas. Moi tout ce que j’ai envie c’est de réaliser, continuer à faire de la musique de faire de la musique qui est propre, continuer à être inspiré à pouvoir écrire des choses, et de le faire bien, de le faire du mieux que je peux. C’est vrai que, avoir l’occasion de faire un spectacle, c’est bien. C’est pas souvent que j’ai cette occasion. Vu mes activités studio, côté technicien. C’est ça que j’ai envie de changer en fait. J’ai envie vraiment de bouger beaucoup. Ca m’a porté énormément de bien de tourner, de bouger beaucoup, notamment l’année dernière, c’est vrai que j’ai beaucoup bougé. C a m’a fait beaucoup de bien vous pouvez pas savoir ! Ca m’a vraiment changé de cette atmosphère câblée, dans les studios tout le temps. C’est vrai que j’ai envie de répéter ça. Je suis partant pour que ça continue, même que ça s’améliore. Je trouve même que j’ai pas assez bougé. J’aimerai aller partout. Par exemple, on est en train de travailler là-dessus, je prépare le prochain album, on est en train de travailler sur une formule live qui vas nous permettre de faire tourner un groupe un peu partout dans plusieurs villes.
Un mot pour les visiteurs du site thomassankara.net ?
Ce que je peux leur dire c’est peut être… L’heure est grave, l’heure est vraiment grave. Il faut se réveiller. Pendant qu’on dort comme des bébés, le système continue de nous enfoncer. Alors il y a de quoi se réveiller vraiment. Il faut arrêter de penser que les choses vont s’arranger d’elles-mêmes/ C’est faux. Les choses ne s’arrangent jamais d’elles-mêmes. Il faut quelqu’un qui pousse pour que ça s’arrange. Et pourquoi ça serait ton voisin qui pousserait, pourquoi ça ne serait pas toi ? C’est bien d’aller sur un site, de se cultiver, le site de Thomas Sankara notamment, de renseigner sur le personnage qu’il était, son combat, sa vie, ses écrits, mais c’est aussi bien d’être actif. Au-delà de tout ça, de la simple culture générale, d’arriver à faire en sorte que des choses comme ça ne se reproduisent plus, qu’on ne perde plus des gens aussi importants comme ça, et de façon aussi barbare comme ça s’est passé. Il faut que ça s’arrête maintenant. Et pour que ça s’arrête, il faut vraiment que les gens se mettent ensemble, s’associent et soient prompts à la réaction. Dès qu’il y a quelque chose, un peu comme sur internet, une phrase qui ne plait pas, « les juifs ont fait ci ». Paaaa ! On réagit tout de suite « antisémites ! » tout de suite ça réagit. Paaaa ! Le gars il s’en prend plein la gueule et puis le lendemain on n‘en parle plus quoi. Partout, c’est comme ça qu’il faut faire aussi. Dès il y a un dirigeant africain qui commet une horreur, un crime aussi méprisable que celui-là, il faut le ramasser, il ne faut pas être aux petits oignons avec lui.… Il faut rien lui tolérer, il faut pas dire : « oui c’est bon il a tué Thomas Sankara. Mais bon euh. OK… . Finalement euh… C’est un peu grâce à lui qu’il y a la démocratie… ». Mon cul oui ! C’est du boudin. Le gars il a tué, il a tué, qui a tué, tuera. De toute façon même si il ne tue plus après, rien que ce qu’il a fait, mérite d’être vraiment impartial, mérite l’impartialité. Il faut réagir, il faut dire merde au système quoi. Quand vous réagissez tout de suite, dès qu’on sent qu’il y a du monde qui se bat pour une cause, tout de suite, la cause est déjà gagnée d’avance quoi. Voilà donc je vais demander aux internautes qui font un tour sur le site de faire plus que ça. Encouragez le site a fond, de répondre d’écrire de dire tout leur sentiment et aussi de continuer la lutte même individuellement.
Interview réalisée pour le site thomassankara.net le 7 janvier 2009