Par Pauline Imbach et Renaud Vivien (CADTM Belgique – collectif Mémoires coloniales).

Cet article a été publié dans le journal le Soir le 30 juin 2011, en version courte.

La France et la Belgique vont-elles enfin reconnaître leurs responsabilités historiques ? C’est en tout cas un des objectifs des actions menées en France autour de l’assassinat de Thomas Sankara et en Belgique autour du meurtre de Patrice Lumumba.

En France, une demande d’enquête sur l’assassinat de Thomas Sankara a été déposée le 10 juin 2011. Les 21 députés signataires demandent la création d’une Commission d’enquête parlementaire pour « faire le point sur le rôle des services de renseignement français, sur la mise en cause de la responsabilité de l’État et de ses services ». Le 15 octobre 1987, le Président Sankara était assassiné par un commando de militaires de la sécurité présidentielle. Si les faits sont aujourd’hui connus, les responsables n’ont toujours pas été inquiétés. Pire, ils ont été dans bien des cas promus. Comme le souligne la demande d’enquête parlementaire « le Chef du commando, l’adjudant Hyacinthe Kafando, est aujourd’hui député du CDP, le parti au pouvoir, à l’Assemblée nationale, tandis que le capitaine Gilbert Diendéré, à la tête du régiment, aujourd’hui chef d’Etat-major personnel de Blaise Compaoré, a été élevé au rang de chevalier dans l’Ordre national de la légion d’honneur française lors d’un séjour en France, en mai 2008 ».

Plusieurs témoignages confortent également la thèse d’une ingérence étrangère du Liberia, de la France et des États-Unis. Selon un proche de l’ancien président libérien Charles Taylor dans le documentaire de Silvestro Montanaro Ombre africaine « Le piano fut accordé par les Américains et les Français. Il y avait un homme de la CIA à l’ambassade des États-Unis au Burkina qui travailla en étroit contact avec le chef des services secrets de l’ambassade française, eux ont pris les décisions les plus importantes. »

L’enquête devra donc faire éclater la vérité, en particulier sur l’hypothèse accréditant la mise en cause des services secrets français. Selon les députés signataires « Il est maintenant nécessaire de tout faire pour savoir si oui ou non nous avons affaire à un scandale d’État qui nuirait gravement à l’image de la France, déjà malmenée dans cette région du monde pour son soutien aux dictatures ».

En Belgique, la famille Lumumba a déposé, le 23 janvier 2011, une plainte auprès du Tribunal de première instance de Bruxelles contre 10 agents de l’État belge accusés de crimes de guerre et de torture sur la personne de Patrice Lumumba. Comme le souligne l’avocat de la famille, Christophe Marchand, cité par la RTBF le 23 juin 2011 « les principaux commanditaires sont morts aujourd’hui (…) mais d’anciens conseillers et attachés de cabinet du ministère des Affaires étrangères sont toujours vivants. » D’ici deux semaines, un juge d’instruction sera désigné pour examiner la plainte et dire si elle est recevable.

Cette plainte s’appuie notamment sur l’enquête parlementaire menée en 2001, suite à la parution du livre de Ludo De Witte L’Assassinat de Lumumba, qui visait à déterminer les circonstances exactes de l’assassinat de Lumumba et l’implication éventuelle des responsables politiques belges dans cette opération. Pour rappel, en mai 1960, Lumumba remporte les élections et devient premier ministre le 23 juin. Quelques mois plus tard, Joseph Désiré Mobutu (avec l’aide de l’ambassade des États-Unis, des officiers belges et onusiens) le fait arrêter. Le 17 janvier 1961, Patrice Lumumba et ses camarades sont torturés et fusillés. En dépit de nombreux documents attestant du rôle joué par la Belgique, la commission parlementaire décide de ne pas retenir la responsabilité de la Belgique, constatant « qu’à aucun moment le gouvernement belge ou un de ses membres n’a donné l’ordre d’éliminer physiquement le premier ministre congolais et conclut donc que certains membres du gouvernement belge de l’époque ont une « responsabilité morale » dans les circonstances qui ont conduit à l’assassinat de Lumumba. »

Aujourd’hui, la famille Lumumba dépose plainte contre les responsables présumés afin que ce crime d’État ne reste pas impuni. La famille demande dans un communiqué de presse signé de François, Patrice, Roland et Pauline Lumumba « que soit utilisé dans cette affaire, le terme « responsabilité » tout court, au lieu de « responsabilité morale » ; la nuance entre les deux [étant] très claire » et précise que « l’implication des responsables politiques belges résulte, entre autres, du quart de milliard des francs belges (de l’époque) et des moyens logistiques mis à la disposition des adversaires du Premier Ministre Lumumba, dans le projet de son élimination. En effet, dans ce contexte, la lutte de la Belgique contre le Premier Ministre Lumumba était préméditée, agencée, calculée visant son élimination politique et physique. »

Le CADTM soutient ces initiatives en France et en Belgique qui contribuent à faire la lumière sur ces assassinats politiques et souhaite que la justice soit enfin rendue. Des réparations doivent également être envisagées. Cette question a d’ailleurs été au cœur de l’atelier « Lumumba et Sankara : révolutions d’hier et mouvement social d’aujourd’hui » qui s’est tenu lors de l’Université d’été du CADTM (du 1er au 3 juillet à Wépion).

Cette affaire est l’occasion de rappeler que le droit à la vérité est reconnu au niveau international, que ces crimes graves sont imprescriptibles et que la lutte contre l’impunité s’impose à tous. Les institutions financières internationales n’échappent pas à cette règle. La Banque mondiale et le FMI ont soutenu activement la dictature de Mobutu jusqu’à la fin de la guerre froide et continuent à soutenir le régime autoritaire de Blaise Compaoré au Burkina Faso. Leur impunité a elle aussi assez duré!

Pauline Imbach et Renaud Vivien

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