Le XXe anniversaire de la mort du président Thomas Sankara a une couleur particulière. De Harlem à Génève en passant par Dakar jusqu’à Ouagadougou, les différentes manifestations organisées pour commémorer sa mémoire mettent toutes l’accent sur un aspect de l’homme : son idéal panafricaniste.
L’on ne saurait parler du mouvement panafricaniste dans le monde sans évoquer le nom de Thomas Sankara. Ce jeune militaire socialiste arrivé au pouvoir en 1983 aura marqué son temps en défendant l’idée selon laquelle, les Africains et les descendants d’Africains hors d’Afrique doivent former un seul ensemble pour régénérer l’Afrique à travers l’unité et la solidarité de l’ensemble de ses fils. Tout comme ses prédécesseurs, Marcus Garvey, Kwamé N’Krumah, Malcom X, Patrice Lumumba, Sékou Touré, Cheick Anta Diop, Thomas Sankara était convaincu que la libération totale du peuple noir et le développement de l’Afrique dépendaient de l’union entre ses fils ainsi que de la valorisation d’une «culture typiquement africaine» fondée sur la morale, l’intégrité et la dignité.
Dès les premiers moments de son arrivée au pouvoir, Thomas Sankara affiche clairement son idéal panafricaniste, à travers le changement du nom de son pays et des couleurs nationales. La Haute – Volta, nom donné par l’ancien colonisateur au pays, devient ainsi le Burkina Faso qui signifie pays des Hommes intègres. Le drapeau du pays prend ipso facto, les couleurs symboles du panafricanisme que sont le vert, l’or (le jaune) et le rouge. Le poing de la victoire, l’un des symboles du panafricanisme et du mouvement Black power est désormais le geste qui accompagne les slogans anti-impérialistes.
Toutefois, il a fallu attendre sa première intervention aux Nations unies pour que l’expérience révolutionnaire d’un «petit pays» comme le Burkina Faso ait un retentissement à l’échelle mondiale.
La voix des sans-voix
Ce fameux discours du président Thomas Sankara aux Nations unies, s’il a eu un tel succès, c’est bien à cause de son culot, de son audace et son caractère insolite. Qu’un président de l’un des pays les pauvres au monde que l’on avait même du mal à situer sur la carte du monde, se fasse la voix des sans-voix, cela paraissait à la fois insolite et audacieux. Contrairement à certains chefs d’Etat africains, le leader de la révolution burkinabè, n’était pas allé pour quémander, mais pour parler au nom des déshérités du monde entier, ceux-là qu’on a malicieusement baptisés tiers monde. «Je me fais le porte-voix de tous ceux qui cherchent vainement dans quel forum de ce monde ils peuvent se faire entendre. Oui, je veux donc parler au nom de tous les laissés-pour compte parce que je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger».
Combattre l’impérialisme à tout prix
L’idéal panafricaniste de Thomas Sankara est intrinsèquement lié à la lutte contre l’impérialisme occidental et le néo-colonialisme sous toutes ses formes. Dans chacune de ses interventions, il n’a cessé d’interpeller ses homologues africains à s’affranchir du joug colonial notamment de la dépendance vis-à-vis de la France mais aussi des organismes financiers et des grandes puissances. «Des bailleurs de fonds, un terme que l’on emploie chaque jour comme s’il y avait des hommes dont le baillement suffisait à créer le développement chez les autres», a-t-il déclaré en juillet 1987, lors du 25e sommet de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) à Addis – Abéba, où il a prononcé l’un des plus grands discours de son temps. Dans ce speech mémorable, il fustige la dette comme source d’asservissement de l’Afrique.
La dette, avait-il martelé, «c’est encore le néo-colonialisme où les colonisateurs se sont transformés en assistants techniques, pour ne pas dire en assassins techniques». D’où la nécessité pour les dirigeants africains de prendre leur responsabilité, en refusant de rembourser la dette. Malgré sa volonté de faire bouger rapidement les choses, Thomas Sankara ne manque pas de réalisme : «Si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serai pas là à la prochaine conférence». Et d’appeler ses homologues à s’unir pour créer le front uni d’Addis Abeba contre la dette. En effet, dit-il, s’il y a des clubs de Paris et de Rome, des groupes de cinq ou de dix, il est normal que l’Afrique crée son propre club : le club d’Addis Abeba. La création de ce club devrait permettre, au-delà de la défense des intérêts économiques et politiques de l’Afrique, de retrouver leur culture, en refusant toute sorte d’aliénation. Cela devrait aboutir à la restauration de l’histoire du continent noir. Si les autres ne peuvent chanter nos louanges, avait-il martelé, «nous avons au moins le devoir de dire que nos pères furent courageux et que nos anciens combattants ont sauvé l’Europe et ont permis au monde de se débarrasser du Nazisme». Toujours dans cette logique, Sankara ne perçoit pas d’un bon œil, la Francophonie. C’est encore à ses yeux, une stratégie de contrôle, de la créativité et même du devenir de l’Afrique. Et c’est avec regret qu’il constate que «malheureusement ce sont plutôt des Africains qui la défendent plus que les Français eux-mêmes». La libération mentale passerait donc inéluctablement par la mise en place d’institutions et d’appareil culturels propres aux Africains, à même de barrer la voie à l’invasion culturelle occidentale.
Aussi, lorsqu’aux dernières heures de sa vie (17 novembre 1986), il reçoit au Burkina Faso, le président français François Mitterrand, il n’hésite pas à lui donner quelques leçons sur les valeurs morales africaines telles que l’hospitalité et l’honneur.
Qu’on voit ou pas en lui un visionnaire ou un avant-gardiste, l’on ne saurait lui denier sa volonté d’amener les Africains à parler d’une seule voix. 20 ans après sa mort, ses idées panafricanistes demeurent intactes dans la mémoire des peuples africains, en particulier la jeunesse. S’il vivait encore aujourd’hui, celui que certains considèrent comme l’un des pères de l’altermondialiste ou encore le «Che-Guevara africain», ferait peut-être front avec le Vénézuélien Hugo Chavez, avec Evo Morales et pourquoi pas avec Robert Mugabe.
Fatouma Sophie OUATTARA
Source : Sidwaya du 16 octobre 2007 http://www.sidwaya.bf