A l’occasion de l’an IV de la RDP, le président Thomas Sankara répond à “un échantillon du peuple”. La crise est latente au sein de la direction de la Révolution, et elle transparait dans cette interview durant laquelle le président répond à aux questions que se posent la partie la plus engagée de la population.

Ce document extrait du n°826 du quotidien Sidwaya daté du 4 août 1987 a été retrouvé et préparé par Daouda Coulibaly. Remercions-le de l’avoir mis à notre disposition.


Question : Sans plus attendre, la première question. Où va la révolution, camarade président ? À gauche, à droite ou tout droit ?

Camarade président : La révolution va tout droit, dans le sens des intérêts des masses populaires ; mais les problèmes que la révolution a à résoudre sont des problèmes qui se trouvent à droite comme à gauche. C’est pourquoi l’on peut nous retrouver tantôt à droite tantôt à gauche pour maintenir le cap, pour imposer l’axe principal des intérêts fondamentaux des masses populaires.

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Est-ce que vous pensez camarade président que la révolution a les moyens de son approfondissement ? Les différentes tendances qui composent le CNR ne constituent-elles pas un frein à cet approfondissement ?

Cde président : Non ! Les organisations qui sont membres du Conseil national de la révolution ne freinent pas la marche de la révolution, bien au contraire. En ce sens que d’abord ces organisations sont fondamentalement d’accord sur l’objectif de la révolution. Ces organisations plurielles apportent des points de vue, des nuances qui, certes, entrainent des divergences dans les analyses, dans les appréciations des diverses questions, mais ces nuances-là constituent pour nous des enrichissements qui nous évitent d’être enfermés dans l’unicité de la voie de la pensée, du raisonnement et de l’action. Ce qui finit par affadir la révolution peut aussi la priver de tous les apports positifs. Les oppositions qu’il y a entre organisations ne sont pas des oppositions d’ordre antagoniques, par conséquent ne se résolvent pas de façon exclusive, mais au contraire se résolvent par des échanges francs, peut-être houleux. Mais quoi de plus souhaitable quand tous ces débats, toutes ces oppositions même, ces frictions n’ont pour but que de faire triompher, par l’organisation, la voie la plus juste.

Q : Camarade président, beaucoup de rumeurs ont fait état de votre volonté de faire procéder à l’autodissolution de ces différentes organisations politiques qui composent le CNR. D’abord est-ce vrai que vous l’avez voulu ainsi, et deuxièmement, est-ce que cela a eu lieu ; qu’en est-il exactement ?

Cde président : Dans la déclaration du 17 mai 1986, les organisations ont clairement affirmé leur volonté, leur détermination à marcher vers l’unité. L’unité, perçue comme un facteur indispensable aujourd’hui pour l’approfondissement de la révolution, nous offre une possibilité nouvelle qui est le dépassement des cadres actuels pour un cadre nouveau qualitativement supérieur. Un cadre qui, tout en admettant l’existence de différences d’appréciation, d’analyse, du moins les nuances, suscitera beaucoup plus un esprit d’union, un esprit aussi de conjugaison des efforts pour diminuer davantage tout ce qui pourrait être opposition possible avec les dérapages vers l’antagonisme. Au point où nous en sommes les débats se mènent librement et démocratiquement au sein des organisations. Il appartient à ces organisations de répondre, il leur appartient d’apprécier si historiquement il est juste ou pas que nous fassions l’unité. Il leur appartient aussi d’accepter ou non les voies et les moyens, mais tout cela par des débats tout à fait francs, mais qui, croyez-moi, ne sont pas des débats d’où on exclut la liberté de dire “oui” ou de dire “non”. Mais le peuple burkinabè appréciera si l’unité lui est utile ou si au contraire la non unité lui est profitable.

Q : Est-ce que l’auto-dissolution est possible aujourd’hui après quatre ans ?

Cde président : Oui ! À condition qu’un certain nombre de principes soient respectés qui garantissent l’approfondissement politique et idéologique de ce que les organisations ont bâti, depuis très longtemps. Si ces conditions sont réunies et si l’unité vise à réaliser ce que le morcellement n’autorisait pas, je pense que dans ces conditions-là, librement les organisations pourront le faire.

De toute façon une unité ne se décrète pas, une unité ne se décide pas par un texte, au contraire elle s’assure comme une démarche volontaire, une démarche militante. C’est pourquoi j’ai pu vous dire que oui c’est possible, mais il y a des préalables qu’il faut accepter ; et c’est aussi pour la même raison, quand nous entendons des personnes dire “allez à l’unité, allez à l’unité”, nous leur disons oui nous comprenons, mais l’unité ne s’impose à personne. Nous laissons la liberté aux uns et aux autres de comprendre et de décider.

Q : On a assisté cette année à une véritable guerre des tendances : ULC-UCB notamment. En tant que président du CNR, comment arbitrez-vous ces luttes d’influence au sein de l’appareil d’État ?

Cde président : (Sourire) Je vous remercie parce que beaucoup de choses ont été dites sur cette question-là, donc c’est une réalité, il vaut mieux ne pas l’occulter. Véritable guerre ! Je ne crois pas qu’il faille aller jusqu’à ces expressions qui sont extrémistes aussi. Il est vrai que ces organisations, vous voulez parler précisément de l’ULC-RULCR à ne pas confondre avec l’ULC.

Il est vrai que sur le terrain il y a eu des affrontements politiques, par exemple à l’université et à l’ASECNA, et on a vite fait de dire que c’était l’ULC-R ULCR et l’ULC-B qui s’affrontaient. Non ! il faut simplement voir ces luttes, ces affrontements comme étant la volonté farouche de résoudre les contradictions qui se posent au sein des CDR, dans ces “points”, dans ces zones. Que l’ULC-R ULCR et l’ULC-B ne soient pas toujours totalement d’accord, quoi de plus normal. Ce ne sont pas des organisations qui portent le même nom et il y a bien des raisons pour qu’elles soient différentes. Que dans l’expression de leur opposition elles en soient arrivées jusqu’au point où les militants ont pu être inquiétés c’est également normal parce que tous les militants ne sont pas informés de la manière dont la vie démocratique est menée au sein du CNR.

Mais toutes ces organisations, malgré ce qui a pu être parfois violent dans leurs affrontements, ou dans l’affrontement de militants CDR qui sont à la fois militants de telle ou telle organisation, eh bien ! toutes ces organisations me semblent avoir conservé le souci essentiel de notre unité d’action. C’est ce qui me permet assez aisément de réconcilier des positions qui, parfois sont assez opposées. J’avoue que ce n’est pas facile, et que beaucoup de temps a été consacré à cette question-là, ce qui est tout à fait normal. Mais je dois aussi dire que nous avons eu à assumer plus de l’extérieur que de l’intérieur du CNR, tout ce qui se disait sur les oppositions. L’on a fabriqué beaucoup d’oppositions au-delà même de la réalité, à tel point que entre l’instant où il faut démontrer que la rumeur n’est pas fondée et l’instant où l’on arrive à la résolution correcte d’une question, il s’écoule beaucoup de temps et on dépense beaucoup de mesures. Les vrais révolutionnaires savent faire établir la hiérarchie des contradictions, savent aussi comment privilégier certaines questions au détriment d’autres questions moins importantes.

Q : Camarade président, dans la gestion de toutes ces tendances on a souvent donné plusieurs étiquettes au capitaine Thomas Sankara. Durant la première année de la révolution, nombreux étaient ceux-là qui disaient que vous étiez PAI-LIPAD. Deux ans plus tard on a dit que vous étiez favorable à l’ULC, que vous étiez même membre de l’ULC ; puis cette année on a dit que le camarade président est membre fondateur de l’UCB. Alors qui êtes-vous camarade président ? Est-ce que demain vous allez appartenir à d’autres organisations ?

Camarade Président : (sourire) C’est assez indicatif que par moment, suivant que telle ou telle organisation semble avoir le vent en poupe aux yeux des masses, aux yeux de ceux qui font la rumeur, l’on dise aisément de moi ou d’autres dirigeants de la révolution que nous sommes membres plutôt de telle organisation que de telle autre. C’est significatif, c’est parce que dans l’esprit de beaucoup de personnes, la force d’une organisation dépend aussi de sa capacité à s’adjuger, à mettre de son côté les points de vue des principaux dirigeants. Il faut aussi dire que certaines organisations n’ont pas manqué de répandre assez pompeusement des informations de ce genre ; mais saluons simplement les dirigeants politiques qui ont su garder, maintenir l’affirmation de la vérité. De toutes ces organisations que vous avez citées, celles que vous supposez, jusque-là on n’a pas pu établir clairement que je suis ou je ne suis pas membre de telle ou telle organisation.

Par contre, ce qui est moins douteux, c’est que je suis membre du Conseil national de la révolution. Cela est moins douteux, cela ne peut pas être mis en cause. Pour le reste, laissons la rumeur courir, laissons les supputations et les interprétations se faire. C’est comme au stade, quand il y a un match de football. Il est difficile de ne pas suspecter l’arbitre officiant la partie ou la personnalité sous le patronage de laquelle est placée la manifestation, d’être favorable à telle équipe qu’à telle autre équipe. Mais cela ne change rien. Le résultat ne dépend pas de ces personnes qui sont sur les gradins ou de l’arbitre. Il y a aussi le combat des autres.

Q : Camarade président, le déguerpissement se fait de manière spontanée, trop rapide. Les délais qui sont laissés aux habitants sont trop courts et de surcroît, les solutions qui ont été trouvées ne sont pas satisfaisantes et cela inspire de nombreuses critiques à l’endroit de la révolution. Camarade président, êtes-vous bien informé de cette situation ou êtes-vous simplement induit en erreur par des CDR qui vous cachent la vérité ?

Cde président : Il faut dire tout de suite que les CDR ne cachent pas la vérité, au contraire, ils l’expriment. Ils rencontrent les autorités qui sont responsables de l’habitat et même ont eu l’occasion de me rencontrer un certain nombre de fois. J’ai reçu des délégués, j’ai reçu des bureaux CDR sur la question. C’est vrai que les délais n’ont pas toujours été suffisants. C’est pourquoi il est normal que nous apprenions à donner des délais beaucoup plus longs. Vous constaterez que les tous premiers déguerpissements ont été réalisés dans un délai donné, par contre, les déguerpissements de la cité An III par exemple se sont faits dans des délais beaucoup plus longs et encore plus longs pour ce qui concerne la cité An IV, et même pour la cité An V. C’est bien avant le 4 août que l’on a parlé du déguerpissement de ces personnes.

Vous vous souvenez que pour la cité An V dans le secteur 14, les réalisations qui doivent s’y faire, c’est depuis 1986 que les habitants ont été informés qu’ils sont sur une zone non-lotie qui est une réserve administrative. Ils ont été informés que l’administration va reprendre son terrain pour l’usage qu’elle avait prévu. Cela n’est pas suffisant ? Il y a des formules de relogement qui ont été prévues. Ces formules ne sont malheureusement pas très connues. Mais beaucoup de maisons neuves ont été construites pour des personnes qui ont subi le déguerpissement. De plus en plus nous recherchons une autre formule. Il ne s’agit pas de casser pour casser. Il faut que nous luttions contre l’insalubrité, contre la mauvaise hygiène. Le peuple a droit à l’hygiène, dans nos villes, et dans nos campagnes. Si vous prenez une ville comme Ouagadougou par exemple, il y a beaucoup de points qui sont très dangereux pour la population de par l’insalubrité que recèlent les caniveaux, les fossés, la mauvaise architecture, l’absence même de plan “urbanistique”. Pour trouver une solution à cela, il faut disposer de moyens colossaux pour rebâtir, nous n’avons pas ces moyens-là.

C’est pourquoi nous avons pensé qu’il fallait inciter des Burkinabè qui ont quelques moyens à accepter de sacrifier une partie de leur revenu pour des logements décents. Si vous faites un recensement de tous ceux qui sont dans les cités An II, An III et ceux qui seront dans les cités à venir, vous verrez que ces personnes-là (même si elles doivent consentir un certain effort, un effort financier, ce qui n’est pas facile, pour être dans ces cités-là), logeaient dans des maisons qui n’étaient pas forcément très salubres. Et ces personnes ne croyaient pas devoir s’imposer un effort, un sacrifice salarial pour se construire des maisons de ce type-là. Au contraire, une certaine tolérance généralisée nous amenait à tous accepter de vivre plus ou moins dans “l’à peu près”. Et je ne parle pas de ceux qui n’ont pas les moyens. Je parle de ceux qui ont les moyens, qu’ils soient fonctionnaires ou commerçants. Ils sont très nombreux les commerçants qui sont autrement plus aisés, plus fortunés que des fonctionnaires, mais qui logent dans des maisons moins correctes, moins salubres que celles de la cité An II, An III et des cités à venir. Pourquoi ne voulaient-ils pas construire ? Eh bien ! parce qu’il y avait une tendance à imiter son voisin ; à la limite, celui-là qui essayait de construire une belle maison faisait l’objet de critiques et d’attaques. On trouvait qu’il était orgueilleux, vaniteux, qu’il avait trop d’ambitions.

Aujourd’hui des personnes ont essayé de faire un effort, ils sont dans ces maisons. Le phénomène ne fait que continuer et l’exemple se répand. Même ceux qui ne sont pas dans les cité An II, An III font un effort pour construire des maisons qui imitent ces cités. Mais ce qui est admirable, on construit maintenant les maisons de la façon la plus simple, la plus fonctionnelle. On ne construit plus de maisons avec piscine, avec de grands auvents en béton armé qui coûtent extrêmement cher. On construit la maison avec les chambres et certaines dépendances, avec des fonctions précises. On va à l’essentiel.

Ainsi, nous espérons que ces cités An II, AN III, et quelques cités à venir seront des exemples suffisants pour pousser tout le monde à rechercher ce standing ou des standings qui s’apparenteraient à cela pourvu que le souci de la salubrité, de l’hygiène, la fonctionnalité des maisons soient pris en compte. Pour le reste aussi, nous pensons trouver des moyens d’aider ceux qui n’ont pas de revenus élevés à se bâtir eux-mêmes leur maison sans quitter la zone dans laquelle ils sont situés. Parce que, lorsqu’on est habitué à un quartier, et qu’on a des voisins, l’on est sentimentalement attaché à cette zone-là. Ainsi, l’on est prêt à améliorer sa maison pour ne pas quitter cette zone. Donc, c’est normal que beaucoup de personnes en ville ne soient pas contentes de ces déguerpissements. Les délais ne sont pas toujours suffisants, il faut donc que nous les augmentions et nous le ferons. Vous avez vu qu’au secteur 14, un certain nombre de décisions avaient été prises et nous sommes revenus dessus, après discussions avec les CDR du secteur. Il en a été de même au secteur 5, où nous sommes revenus sur un certain nombre de détails que les masses ont rejetés. Cela a occasionné un grand retard au secteur 5, mais ce retard est une perte sur le plan du calendrier mais c’est un gain sur le plan de la prise en compte démocratique des points de vue des autres. Ce sont des retards que nous acceptons.

Q : Et la rumeur sur la création de la monnaie, était-elle vraiment sans fondement ? Répondez sans détour, camarade président.

Cde président : (sourire) Sans détour je dirai que ce n’est pas vrai. Nous n’allons pas créer une nouvelle monnaie. Nous n’attendons pas non plus le 4 août pour annoncer la nouvelle monnaie. Le jour où nous aurons décidé de créer une nouvelle monnaie nous informerons tous les Burkinabè. Nous diffuserons dans tout le pays ces signes monétaires, les billets donc, et nous dirons à partir de quelle date les gens devront aller changer leur monnaie. On ne peut pas créer clandestinement une monnaie, sinon elle ne va pas circuler. C’est une rumeur. Elle a circulé. Je l’ai entendue, et j’ai même appris que la confirmation de cette rumeur, c’est que, à la Place des Nations Unies à Ouagadougou, il y avait une plaque avec un billet de 10 000 Francs CFA. Eh bien ! Cette plaque à un moment donné a disparu. Et les gens se sont dit que c’était la confirmation de la volonté du Conseil national de la révolution de créer une nouvelle monnaie. Eh bien ! Tenez-vous bien, cette plaque, ce panneau publicitaire a disparu de là-bas tout simplement parce qu’il y a eu un grand vent qui a terrassé des arbres, qui a arraché d’autres panneaux publicitaires et qui pour la circonstance a aussi arraché ce panneau. Nous avons fait mettre le panneau en place, et les billets de CFA continuent de circuler.

Ce sont des rumeurs dont il faut se méfier. Maintenant, que ça vienne de mon entourage ou que ça vienne d’ailleurs, c’est une autre question qui est posée. Le jour où j’aurai la preuve que quelqu’un, qu’il soit de mon entourage ou pas, répand ces rumeurs-là, on lui posera également la question, tout-à-fait simplement et sans détour également : comment lui, il ose affirmer de telles choses ?

Q : Certains regrettent la suppression du PMK ; pourquoi l’avez-vous fait, camarade président ?

Cde président : À l’époque, je crois que l’explication avait été donnée, mais il faut revenir là-dessus. Le prytanée militaire du Kadiogo a été dissous dans un but essentiellement politique. C’est une école où il y avait sur le plan strictement scolaire des conditions favorables que n’avaient pas d’autres écoles. Mais malheureusement, cette école qui au départ, était une école négligée, personne ne s’en occupait. Vous vous souvenez, au début c’était une école des fils de chefs, une école des fils d’anciens combattants et des fils d’anciens militaires, EMP jusqu’à devenir PMK. Il y a longtemps, cette école n’avait pas toute la considération qu’elle a eue ces dernières années. Quand elle est devenue PMK, l’école a continué de bénéficier des soutiens habituels, mais surtout, cette école a été prise d’assaut. Certains recrutements n’étaient pas tout-à-fait corrects. Depuis que les premiers bacheliers sont sortis de cette école et qu’ils ont été faire des études supérieures, l’on a compris que le PMK ne fabriquait pas uniquement de simples exécutants comme on le supposait par complexe. Mais aussi, un certain esprit de caste s’est développé dans cette école, qui faisait qu’on avait l’impression que les élèves qui en sortaient étaient des élèves particuliers, sortis même de la cuisse de Jupiter. Cela n’est pas compatible avec l’esprit démocratique de la révolution. Cela n’est pas du tout compatible avec notre volonté de briser la barrière qui existe entre militaires et civils. C’est pourquoi nous avons cru devoir supprimer le PMK en tant qu’école particulière militaire.

Mais je dois vous dire que nous reviendrons sur le PMK. Nous referons le PMK sous une autre formule en tant qu’école préparant les militaires à des fonctions militaires comme il y aura d’autres écoles qui seront destinées à d’autres fonctions civiles, techniques, etc. Nous le ferons en prenant soin d’éviter les erreurs du passé et en prenant en compte les critiques du présent. C’est pourquoi nous n’avons pas voulu nous entêter ; il fallait avoir le courage de prendre cette décision. Mais il faut encore demain avoir le courage de prendre d’autres décisions qui consisteraient à tenir compte des critiques qui sont formulées, tant sur les erreurs du passé que sur les possibilités de l’avenir, du présent aussi.

Q : Sur quel critèrjpg/ceao_1984_thom150021_exposure.jpge, camarade président, vous basez-vous pour former le gouvernement ? Est-ce sur le critère professionnel ou alors c’est l’engagement politique ? Si c’est ce dernier point qui est pris en compte, et qu’il se trouve que les camarades ministres ne font pas l’affaire du peuple, que ferez-vous en ce moment camarade président ?

Cde président : (sourire) Bien ! Pour former un gouvernement, c’est facile et c’est difficile. Vous-même qui êtes responsable dans le domaine du football, vous savez que pour former une équipe c’est assez complexe parce qu’il y a tellement de candidats pour chaque poste, qu’on a envie que l’équipe soit à plus de onze joueurs.
Nous tenons compte de plusieurs critères. Quand je dis “nous”, c’est vous dire qu’il y a un débat qui se mène ; il y a des propositions qui se font et à la fin de ces débats, une décision est prise. Bien sûr, c’est le chef de gouvernement qui présente le gouvernement, une fois que la décision a été prise après un large débat. Nous tenons compte des critères de capacité professionnelle, parce que la personne qui est appelée doit être à même de comprendre les questions qu’elle aura à traiter. Mais nous tenons compte de l’engagement politique de ceux qui sont appelés, car quelle que soit la compétence professionnelle que l’on a, on ne peut œuvrer correctement pour la révolution si on est contre la révolution. C’est pourquoi vous verrez certaines personnes qui sont plus politiques que techniques au sens technocratique du terme. Mais nous savons aussi que la révolution a besoin de former des cadres. Et c’est pourquoi nous aurons par moment des personnes qui, sans être connues comme des leaders politiques, simplement sur la base de l’acceptation, du respect qu’ils ont du Discours d’orientation politique, mais disposant de compétences professionnelles qu’elles sont prêtes à mettre entièrement au service de la révolution, seront appelées à assumer des fonctions de ministres.

Les changements se font, parce que pour un gouvernement révolutionnaire, on n’hésite pas à faire partir un ministre du gouvernement si on estime qu’il serait mieux ailleurs qu’au gouvernement. Le jour où nous allons perdre cet avantage, nous allons nous retrouver obligés de garder des personnes qui ne peuvent plus, ou qui ne veulent plus, ou bien de bloquer des personnes qui auraient pu être utiles ailleurs, alors que simplement nous leur imposons d’être ministres.

Q : Camarade président, va-t-on comprendre dans ce cas que la tradition sera respectée ? Vous allez dissoudre le gouvernement bientôt ?

Cde président : Si c’est une tradition révolutionnaire, la révolution continuera. Alors… chaque fois que nous avons le sentiment que les masses ne sont plus d’accord avec un ministre, nous devons avoir le courage révolutionnaire de le faire partir. Cela bien sûr, il ne faut pas penser que dès qu’un doigt est levé pour dire qu’un ministre n’est pas bon, il faut le faire partir, parce qu’on peut être contre un ministre aujourd’hui et être pour lui demain. On peut être contre un ministre sur une position donnée, mais être en accord avec lui sur mille autres positions par la suite. Donc, on ne peut pas se permettre de tomber dans la précipitation. On ne peut pas agir sur la base de quelques points de vue qui ne sont pas solidement défendus. Et puis il y a beaucoup de rumeurs sur les ministres. Je me suis engagé à dire aux ministres, chaque fois que j’apprends quelque chose les concernant, quand j’apprends une rumeur concernant un ministre, même sur sa vie privée, en tout cas si je suis informé, je l’appelle et je lui dis : “Il me reviens que, camarade ministre, vous vous êtes comporté de telle ou telle manière. Je n’ai pas les preuves. Ça peut être vrai, comme ça peut être faux. Ou bien c’est faux, et vous devez chercher à comprendre comment vous avez pu prêter le flanc à la critique, comment vous avez pu favoriser la rumeur, ou bien c’est vrai et je vous invite instamment à arrêter”. Alors, c’est donc facile.

Q : Et si toutefois la rumeur est fondée, faut-il l’enlever tout de suite, ou faut-il attendre le 4 août avant de dissoudre tout le gouvernement ?

Cde président : (sourire) Si la gravité de la situation exige qu’il parte sans attendre le 4 août, il partira. Nous nous concerterons, nous discuterons et nous déciderons du départ de ce ministre. Mais par contre, si la rumeur est fondée et que l’importance de la question ne mérite pas qu’il s’en aille immédiatement, il reste encore une semaine, un mois, plusieurs mois, nous allons continuer avec lui. Parce que cela dépend. On peut avoir fauté sur un point, ce qui peut être grave, mais avoir un repentir ; on peut se racheter, on peut se corriger. Nous permettons à la personne de terminer si sur d’autres plans, la personne est très appréciée. Et cela existe. Il y a des ministres qui sont critiqués sur tel point et qui sont appréciés sur beaucoup d’autres points.
Nous pourrons continuer jusqu’au 4 août, après nous nous donnons rendez-vous, autrement.

Mais il ne faut pas oublier que les hommes que nous sommes se forment à la tâche. Ce n’est pas parce qu’un homme a trébuché qu’il est forcément incapable de marcher. Ce n’est pas parce qu’un homme a commis une faute prouvée qu’il est incapable de s’amender et de devenir meilleur. Donc ce n’est pas parce qu’une rumeur sur un ministre est fondée que l’on doit sur le champ se débarrasser de ce ministre, parce qu’il faut aussi que nous formions les hommes au contact de la réalité. Et c’est en exerçant la fonction de ministre que les hommes, les femmes apprennent un certain nombre de réalités qu’ils ne connaissaient pas. Et c’est comme cela aussi qu’ils apprennent à s’imposer une certaine rigueur. Mais parfois on ne peut pas leur laisser le privilège de faire leur expérience au gouvernement. Le changement existe.

Q : Camarade président, la hiérarchie dans l’armée est parfois incompatible avec la notion de camaraderie. Le soldat, même en ayant raison politiquement, peut-il refuser d’obéir ?

Cde président : Je voudrais que nous fassions la différence entre la désobéissance, l’indiscipline d’un côté, et la liberté de penser de l’autre ; l’argument du débat mais aussi le triomphe d’une cause juste pour l’ensemble. Je veux dire que, si un subordonné, un soldat estime avoir raison, il est plus juste pour moi qu’il cherche à convaincre tout le monde, et son chef et ses camarades, beaucoup plus qu’il prenne un chemin différent tout seul. Parce que s’il prend un chemin tout seul, il brise une unité qui existe. Par conséquent, il affaiblit le groupe. Et puis, s’il estime qu’il a raison, il faut qu’il fasse profiter les autres de la justesse de ses analyses, au lieu que lui se soustraie et laisse les autres aller à l’échec. Il faut donc qu’il y ait le débat. Mais il ne faut pas oublier que tant au niveau des soldats qu’au niveau des officiers, il y a encore beaucoup de choses à apprendre. Il y a des soldats qui ont raison et qui n’arrivent pas à faire passer leur point de vue. Parce qu’on utilise toutes sortes de méthodes pour écarter ce point de vue-là. Il y a aussi des officiers qui ont raison, mais ils sont dominés par une expression majoritaire si bien qu’ils sont obligés de céder. C’est progressivement, avec la transformation de notre armée que nous allons trouver des militaires de qualité qui sauront ce qu’est le centralisme démocratique, comment peut s’exercer la discipline sans nuire au point de vue juste et sans nuire à la discipline dont nous avons besoin. Ça ne viendra pas spontanément, et je suis d’accord avec vous qu’actuellement il existe des cas où des points de vue juste sont écartés trop facilement, parce que ces points de vue-là ont été exprimés par des subordonnés.

Q : Camarade président, lorsque les tracts vous mettent personnellement en cause ou vous accusent de certains pêchés, vous sentez-vous indifférent ou plutôt sensible à ces attaques ?

Cde président : Aucun homme, je ne pense pas qu’un homme puisse être insensible à ce qui est dit sur lui, contre lui. Soit que c’est vrai et vous devez vous corriger, soit que c’est faux et vous devez vous étonner que les hommes soient si prompts à employer des méthodes aussi basses, des méthodes aussi critiquables, aussi éloignées d’un minimum de dignité personnelle. Mais, dans tous les cas, il ne faut pas se laisser abattre, les tracts n’ont pas pour but forcément de vous mettre sur une voie juste. Les tracts ne cherchent pas à vous aider. Les tracts visent à vous affaiblir. C’est là le but premier du tract. C’est affaiblir ceux d’en face. C’est d’ailleurs pourquoi on évite de signer. Parce qu’on sait que ce sont des choses qui sont généralement fausses, qui sont mensongères, et même que vous pouvez vous plaindre en justice pour diffamation. Que quelqu’un vous insulte, ça ne vous fera certainement pas plaisir, mais est-ce parce qu’on vous a insulté que vous devez croiser les bras, vous liquéfier et disparaître complétement ? Non ! On vous a insulté, il s’agit d’avoir une position vis-à-vis de cela. Il faut être suffisamment tolérant. Je connais l’origine de certains tracts, mais jamais je n’ai cherché à poursuivre les personnes qui écrivent ces tracts. Il y a même eu des responsables politiques qui ont avoué et qui ont présenté des excuses, je ne citerai pas leurs noms ; ni la police, ni la gendarmerie ne sont au courant de cela.

Cela ne veut pas dire que je suis en train de protéger, d’encourager les gens à écrire des tracts, non ! Ce n’est pas ce que je souhaite. Mais, ils pensent (ceux qui écrivent les tacts) que c’est une formule pour faire mal, pour détruire. Nous nous devons de garder suffisamment de courage, suffisamment de confiance en nous, confiance que nous tenons du soutien du peuple pour continuer. Sinon, ces tracts sont parfois très choquants. Quand vous les lisez, vous trouvez que c’est révoltant que le président ait fait ceci, ait fait cela. On ne vous donnera pas la possibilité de dire si oui ou non c’est vrai. Si c’était un débat on pourrait tout démonter très facilement, très aisément… S’il vous vient à l’esprit un exemple, je pourrais vous répondre précisément. Vous allez voir que c’est assez ridicule. Et à la limite les tracts aussi prennent les lecteurs pour des gens naïfs, qui seront sensibles au côté anecdotique, au côté sensationnel de ce qui a été dit, donc des gens piégés. Peu importe, on suppose que les gens ne vont pas creuser plus loin pour voir si c’est vrai ou pas. Donc…

Q : Camarade président, lorsque les rumeurs s’attaquent aussi à ceux qu’on appelle les coordonnateurs du Faso, quelle est votre réaction ?

Cde président : Ma réaction est toujours la même. Je ne suis pas content parce que moi je les connais, ces camarades, et je sais que ce qui est écrit dans les tracts est totalement faux. Je détiens même des preuves de leur innocence. Ils sont blancs. Je ne veux pas passer non plus toute l’année, chaque jour à répondre à un trac.

Quand parfois je rencontre ces tracts, je me dis (parfois aussi ça ne me parvient pas) certains ont écrits des tracts, qui disent aujourd’hui le contraire de ce qu’ils disaient hier. Des gens écrivent des tracts aujourd’hui dans lesquels ils mettent ce qu’ils ont proposé hier et qu’on a combattu. Ils le reprennent aujourd’hui, et ils le remettent dans la bouche des autres. Ce sont des méthodes de lutte qui sont employées. Mais elles ne sont pas employées dans le but de construire. C’est dans le but de détruire. Donc, quand on attaque les camarades, mon devoir c’est de les défendre, c’est d’en discuter avec eux, et montrer au niveau de nos instances en quoi ces tracts sont erronés sans que ce ne soit les camarades qui soient obligés de se défendre et ainsi, rétablir les choses. Mais vous savez, chacun fait aussi des tracts ce qu’il veut. Tant que les gens auront assez de papier pour écrire des tracts, il y a aura aussi assez de papiers pour emballer le pain, les gâteaux, donc c’est utile.

Q : Certains camarades CDR des secteurs géographiques jouissent de la protection des puissants du régime malgré leur mauvais comportement. Ils s’abritent derrière des ministres, des coordonnateurs du Faso. Camarade président, est-ce que vous favorisez ce type de protection, ou tout simplement vous n’êtes pas informé ?

Cde président : Je ne crois pas que je favorise cela. J’ai toujours dans mes discours dénoncé les mauvais comportements, j’ai dénoncé les mauvaises habitudes, les compréhensions erronées des dirigeants, des délégués et militants CDR. Et je sais qu’au niveau du Secrétariat général national des CDR, il y a eu beaucoup de sanctions. Des bureaux ont été dissous, des éléments ont été sanctionnés, de sanctions diverses. Mais ceux qui encouragent les mauvais comportements des délégués CDR, ce sont les masses aussi. Ce sont les masses qui ont la possibilité de freiner, d’arrêter même définitivement ce genre de comportement erroné. Comment ?

Lors des nombreuses élections qu’il y a, les masses ont le droit de désavouer qui elles veulent, désavouer courageusement. D’autant plus que les élections se font à ciel ouvert, et chacun sait qui a voté pour lui. C’est fait exprès. Si des militants n’ont pas le courage de désavouer quelqu’un dans un secteur, eh bien ! il nous est difficile, nous, de ne pas accepter, de ne pas entériner une élection, l’expression électorale en faveur de quelqu’un qui semble recueillir le maximum de soutien. Donc d’abord, par les élections on peut désavouer ceux dont on n’approuve pas les comportements. Ensuite, en dehors des élections de façon extraordinaire, les statuts prévoient que l’on peut se réunir, l’on peut dénoncer, l’on peut critiquer, et l’on peut même écrire au Secrétariat général national des CDR, et même à la présidence du CNR pour dénoncer tel ou tel militant ou délégué CDR. Mais souvent, ces moyens ne sont pas utilisés. C’est comme ça que l’on favorise la mystification dont certains éléments mauvais ont besoin sur le terrain. Il y en a qui ont déjà été sanctionnés pour ces trafics d’influence-là. Mais on ne les connaîtra pas tous, tant que les masses ne vont pas les combattre. Ce qui montrera que les CDR ne sont pas au-dessus de tout. Les CDR sont avec tout, sont dans le tout, mais ne sont pas au-dessus de tout.

Je profite pour insister sur le devoir que nous avons tous d’être courageux et changer les hommes quand il faut les changer. Ce n’est pas facile. Quand vous changez les hommes, ce n’est pas toujours qu’ils nous quittent avec le sourire. Parfois ils vous quittent mécontents, et même vous en veulent un peu pour avoir pris telle ou telle décision. Si vous faites de la démagogie, la faiblesse, vous allez couvrir beaucoup de choses. Le camarade Karamogo me posait tout de suite une question sur le changement dans le gouvernement, c’est un peu comme cela aussi : ce qui est valable au niveau du gouvernement c’est ce qui est valable aussi au niveau des CDR, et c’est ce que vous aussi, vous devez avoir le courage de faire. Nous disons que nous ne couvrons personne.

Q : Les CDR ont des pouvoirs excessifs qui leur permettent de mettre en cause l’autorité des responsables de la police, de la gendarmerie, des directeurs. Est-ce qu’à terme cela ne va pas poser des conflits au niveau de la société ?

Cde président : C’est vrai, les trafics d’influence ne s’arrêtent pas simplement à des petites choses, cela va même parfois très loin et c’est très dangereux. Je suis d’accord. On ne sait jamais ce que les gens vont faire de l’influence qu’ils ont trafiquée. Et ce n’est que lorsque le courage de répliquer existe et la volonté de le faire que l’on peut arrêter de genre de personnes. J’ai reçu un certain nombre de correspondances dénonçant des délégués CDR. Ces dénonciations ont été précises ; des enquêtes ont été ouvertes. Des sanctions sont tombées. Mais on ne peut pas sanctionner ce qu’on ne connaît pas. Il y a beaucoup de cas de sanction à la présidence.

À la présidence, nous avons un département qui s’occupe entre autres choses de cette question-là. Dès que nous sommes informés, nous saisissons le Secrétariat général national des CDR, nous lui réclamons une enquête. Il mène l’enquête, il nous donne les pour, les contre. Nous demandons également à ceux qui ont fait les dénonciations de s’exprimer. Même des dénonciations anonymes nous sont parvenues. Mais nous n’encourageons pas l’anonymat. Il faut que les gens aient le courage d’écrire et de signer. Même si c’est anonyme nous prenons cela en compte.

Et beaucoup de questions ont déjà été évoquées, soulevées sous la forme de l’anonymat que nous n’avons pas classées, parce que si on crie au feu ou au lion, vous ne cherchez pas d’abord à savoir l’identité de celui qui crie au feu, vous prenez d’abord des dispositions contre le feu, après on verra si celui qui a crié est quelqu’un d’honnête ou non. Donc même des lettres anonymes nous les traitons. Après, si la personne se révèle, tant mieux, si elle ne se révèle pas, cela ne fait rien, le minimum d’information qu’elle nous a donné suffit. Mais nous menons une enquête. Nous convoquons les personnes impliquées, celle qui a été dénoncée, celle qui est à côté et qui peut donner une information ; nous les convoquons et nous leur disons qu’elles ont été dénoncées pour avoir volé ou pour avoir manqué de respect à quelqu’un. Il y a en a qui ont été sévèrement sanctionnés. Et c’est normal.

Q : Vous avez parlé tout à l’heure de lion, camarade président. Cela a évoqué une question. Il y a beaucoup de rumeurs sur le lion de Koudougou, c’est comme ça qu’on l’appelle ; alors est-ce qu’on peut savoir exactement qu’est-ce qu’il en est. Est-il vraiment en rébellion ? Etait-il entré en rébellion ? De quoi s’agit-il exactement ? Est-ce que la cohésion militaire au sommet de l’armée est une chose toujours sûre ?

Cde président : Le lion est toujours le lion, sa crinière est en place, il n’y a pas de problème. Donc les rumeurs ne sont pas fondées. Mais c’est vrai, nous les avons entendues. Ça été dit lors d’un meeting, à l’occasion de la clôture du symposium des paysans, le camarade Blaise Compaoré a eu à ridiculiser ces rumeurs-là. Mais le camarade Boukary Kaboré, il a beau se présenter en chair et en os et en crinière, on continue de se demander où est-ce qu’il se trouve ? Est-ce qu’il n’est pas en rébellion ? Il faut se méfier de la rumeur, elle a toutes sortes de bases.

Je me souviens que lorsque cette rumeur a été répandue, je pouvais la démentir, je ne l’ai pas fait parce que personnellement je n’ai pas estimé devoir le faire. Une simple histoire. Le camarade Kaboré Boukary était malade à Koudougou. Il avait dû garder le lit pendant quelques jours et son mal s’était quelque peu empiré et c’est devenu un peu comme des crises. Les médecins l’ont soigné mais un malade parfois il se révolte, il ne prend pas les médicaments qui lui sont prescrits par les soignants. L’on m’a téléphoné de Koudougou, de sa famille pour que j’aille le voir et l’obliger à prendre les médicaments qui sont là, parce que je le connais quand même très bien depuis longtemps et je pense qu’en la matière je pourrais faire cela. J’ai été le voir chez lui, je l’ai amadoué, j’ai discuté avec lui, j’ai fait toutes sortes de pressions aussi pour qu’il prenne ses médicaments et qu’il accepte de manger. Son épouse était là qui lui a fait un repas. Ainsi donc il a retrouvé un peu de force. Nous avons longuement conversé de tout et de rien par la suite et moi je suis rentré à Ouagadougou. Je l’ai encouragé à aller faire des examens complémentaires à Bobo au Centre Muraz.

Mais comme une rumeur de rébellion circulait déjà le concernant, nous ayant vu rentrer de Koudougou tard dans la nuit, ou très tôt au petit matin, l’on a estimé que c’était la confirmation que nous avions été l’arrêter, l’enchaîner etc. J’ai dû lui téléphoner pour lui dire ce que j’avais appris. Il m’a dit que lui aussi avait appris cela, il est venu à Ouagadougou, bon… Vous voyez comment on peut faire une interprétation. C’est normal, quand les masses n’ont pas de réponse à une question elles sont obligées d’interpréter et de fabriquer une explication plus ou moins vraisemblable. Parfois aussi il y a ceux qui fabriquent la rumeur dans le but de diviser. La cohésion au niveau des militaires demeure. Nous avons une cohésion que nous n’avons jamais atteinte sous les anciens régimes et chaque jour nous améliorons cette cohésion grâce à la purification que nous faisons, grâce à la lutte que nous menons, grâce aussi à l’éducation que nous nous imposons.

Q : Camarade président, parlons un peu des syndicats. Comment vous percevez les relations qui doivent exister entre les dirigeants des syndicats et le pouvoir avant le renouvellement des bureaux ? Est-ce que vos rapports avec les anciennes directions syndicales étaient au beau fixe ?

Cde président : Il y avait des rapports qui n’étaient pas toujours bons. Ils étaient parfois tendus avec les directions syndicales. Mais il faut très vite situer la nature de ces rapports. Vous savez que beaucoup de syndicats parlent de leur organisation, parlent de leur base qui en réalité se résument à une structure isolée sans base. Et qui évitent soigneusement toute vie démocratique et organisationnelle parce qu’il y aurait des remises en cause de certains dirigeants. Maintenant, dans l’expression quotidienne chacun parle de son syndicat, de sa centrale comme si réellement il y avait des militants derrière eux. Parce qu’il ne faut pas se le cacher, ceux qui sont militants CDR et qui sont dans le syndicat sont tellement nombreux que s’il fallait les mettre eux, de côté, il ne resterait rien ou presque rien, presque personne en tout cas dans les syndicats ; dans certains syndicats en tout cas. Nous avons donc eu des rapports qui ont évolué au gré des difficultés, des problèmes que, eux, avaient à poser, ou que nous avions à poser. Certains ont rencontré plusieurs fois le Conseil national de la révolution et d’autres ont rencontré des ministres plutôt que le Conseil national de la révolution, peu importe. Pourvu que ces rencontres aient eu lieu et il faut les encourager. Il fallait accepter que ce sont des Burkinabè, les rencontrer, écouter leurs propos. C’est vrai aussi que certaines rencontres ont été soigneusement mais volontairement transformées, dénaturées à d’autres fins. Il y a des procès-verbaux sur lesquels nous avons déploré, condamné même ces attitudes qui n’encouragent pas au dialogue.

À partir du moment où quelqu’un s’entretient avec vous, vous ne pouvez qu’être déçu. Généralement, “chat échaudé craint l’eau froide”. Mais ça ne fait rien. Il faut néanmoins instaurer le dialogue que ce soit avec les nouvelles directions qui se sont mises en place ou qui ont fini de se mettre en place, je ne sais pas trop, ou que ce soit avec les anciennes directions, il faut que s’instaure le dialogue.

Q : Les nouveaux bureaux acquis au pouvoir révolutionnaire pourront-ils mobiliser les travailleurs ? Ne sont-ils pas suspects ?

Cde président : Si le fait d’être acquis à la révolution devient suspect, la révolution elle-même devient suspecte. Et par conséquent les travailleurs ne peuvent pas trouver grâce à cette révolution-là, l’organisation de leur outil de production. Bien qu’il ait des personnes qui pensent le contraire, il y en a beaucoup, bien plus nombreuses qui pensent que la révolution leur permet au contraire d’affirmer leur force, leur position au niveau du monde du travail.

C’est depuis qu’existe la révolution que nous avons formellement souligné le droit et le devoir des syndicats à participer aux conseils d’administration, le droit et le devoir des syndicats à participer à la vie de l’entreprise. Il n’y a donc pas originellement une opposition. Mais maintenant, l’usage que chacun fait de ses droits et de ses devoirs.

Cet usage-là parfois a favorisé carrément la réaction, les ennemis même des travailleurs. Et on sait que de tout temps il y a eu des syndicats qui ont été des alliés ouverts des patrons contre les travailleurs. Cela existe et a toujours existé. Ce n’est pas parce qu’ils auront changé de langage ou de méthodes d’actions ou de manteau qu’ils cesseront d’être ce qu’ils sont. Ces collaborateurs du patronat ont fait beaucoup de mal au monde du travail au Burkina Faso, donc il n’y a pas à priori cette suspicion. Maintenant s’ils ne sont pas opposés à la révolution et s’ils ont des comportements négatifs, les syndicats seront dangereux voire mauvais.

Q : Camarade président, ce qui est incompréhensible, c’est que dès le départ il y avait des responsables syndicaux qui chantaient cette révolution-là. Aujourd’hui on voit ces mêmes responsables se retourner contre le pouvoir. Qu’est-ce qui se passe entre eux et le pouvoir ?

Cde président : Le syndicat est une organisation. Nous nous disons qu’il faut respecter le syndicat en tant que forme d’organisation première, forme d’organisation des travailleurs pour le respect de leur droit pour la conquête de leurs intérêts. C’est normal. Mais tout le monde n’utilise pas le syndicat d’une façon honnête. Et beaucoup n’ont vu dans le syndicat qu’un moyen d’action, une force politique pour des ambitions personnelles, une force de pression pour ainsi conquérir des avantages individuels. De telles personnes ont contribué à tromper les travailleurs, à égarer les travailleurs, à négocier au sommet au nom des travailleurs, en fait pour leur propre compte. Ces personnes ont vraiment voulu utiliser le syndicat à leurs fins et à leur seules fins. Elles ont fourvoyé les travailleurs, elles les ont détournés de leurs véritables buts. Cela a porté préjudice aux luttes démocratiques dans notre pays. Parce qu’il y avait parfois des alliances au sommet, des compromis et des compromissions au sommet. Généralement dans ce genre de cas des problèmes se posent tôt ou tard. Et cela se révèle. Il y a des divorces entre des dirigeants et ceux qui estiment être leurs militants.

Q : Toujours sur la question syndicale camarade président vous avez dit un jour que vous êtes prisonnier du peuple. Aujourd’hui les structures populaires demandent des exécutions. Qu’allez-vous faire ?

Cde président : Le peuple demande des exécutions à partir de fautes commises par des coupables, à partir aussi de ce qu’il estime intolérable. Ceci est une chose. Les personnes dont on demande l’exécution sont aussi des citoyens de ce pays. Et le devoir que nous avons (personnellement ce que je pense) c’est que nous devons tout faire pour renforcer la révolution, le pouvoir du peuple, le pouvoir populaire, et nous garder de prendre des décisions, d’avoir des attitudes qui affaibliraient le pouvoir populaire. C’est-à-dire que, chaque fois que le peuple estime devoir faire une chose, nous devons soutenir, encourager le peuple. Mais cela veut dire en même temps (c’est dialectiquement comme cela que je le comprends) que nous devons avoir le courage en tant que direction, chaque fois que c’est nécessaire d’oser dire au peuple ce qu’il doit éviter, même quand cela lui paraît comme évident, prendre tout le temps qu’il faut, nous sacrifier comme il faut pour dire au peuple : oui c’est vrai, vous avez besoin de ceci et cela mais à terme cela va vous coûter à vous plus cher, cela va nous être préjudiciable. C’est ce qu’on appelle aimer le peuple.

Aimer le peuple ce n’est pas croiser les bras, l’encourager à faire tout ce qu’il estime devoir faire parce qu’un groupe d’hommes peut aujourd’hui estimer qu’il faille aller dans telle direction et le lendemain avoir d’autres points de vue. En tant que direction mais aussi en tant que Président du Faso, avec les autres membres de la direction, ce que nous devons faire, c’est d’abord chercher à savoir où se trouve l’intérêt du peuple, aujourd’hui mais demain également. En fonction de l’intérêt aujourd’hui et de demain nous devons décider. Si l’intérêt général finalement nous commande d’encourager le peuple tout de suite à faire ce qu’il promet et propose de faire, tant mieux. Si également, c’est une autre conclusion à laquelle nous aboutissons, mais toujours dans l’intérêt du peuple et dans le cadre du renforcement de son pouvoir, nous devons nous donner tous les moyens d’expliquer, et de convaincre. C’est pourquoi, lorsque sur la question une décision sera prise, elle sera prise en fonction de ce qui peut le mieux consolider le pouvoir du peuple et non pas ce qui peut le plus faire plaisir à telle ou telle personne.

Q : À la Maison du peuple, un certain syndicaliste a déclaré : au sein du CNR, il y a des détournements. Camarade président, pouvez-vous développer cette question ?

Cde président : Je pense que vous faites allusion à la question du TPR qui avait siégé sur l’affaire de la CNSS. C’est vrai, il y a eu des déclarations de ce genre qui ont été largement exploitées pour dire qu’il y a des détournements. En réalité, la personne même qui a fait ces déclarations a fait une autre déclaration pour dire non, qu’elle n’a jamais dit que tel ou tel responsable du CNR détourne de l’argent. Mais il a dit que l’argent de la Caisse avait une destination bien précise, et nous avons pris cet argent pour aller faire des travaux qui n’étaient pas prévus, et que nous avons fait changer l’argent de route donc nous avons fait un détournement du point de vue du chemin que devaient suivre ces fonds. Je veux bien comprendre.

Mais ça c’est d’autres déclarations qui ont été faites et qui ont été enregistrées sur procès-verbaux aussi, alors que précédemment il y a eu d’autres déclarations, elles aussi enregistrées, mais qui avaient semé cette confusion. Est-ce que c’était volontaire ? Est-ce que ce n’était pas volontaire ? C’est un autre débat. Mais il ne faut pas oublier que cette même personne avait eu à réclamer à corps et à cri qu’on prenne ces soldes pour faire des constructions, les mêmes constructions contestées. À l’époque, je l’avais reçu plusieurs fois, et il avait insisté pour que je donne ordre de débloquer les sommes et de procéder aux travaux. J’avais fini par lui dire d’accord, mais heureusement pour moi, j’avais rédigé une lettre pour demander au Conseil d’administration l’autorisation de disposer de ces sommes, si le conseil estimait nécessaire. Donc la lettre est partie officiellement. Il y a eu des débats au sein de ce Conseil d’administration ; entre temps cette même personne qui disait de prendre l’argent d’office au lieu de s’embarrasser de juridisme et de bureaucratie, cette même personne ayant des positions politiques a estimé qu’il ne fallait même plus autoriser la sortie de l’argent et a mené un certain nombre d’actions ; mais le Conseil a eu à apprécier une demande qui lui a été transmise officiellement. Et il a eu à donner une réponse toute officielle également. Ce sont là des attitudes changeantes.

Q : Quelles explications donnez-vous à l’attitude de ce syndicaliste qui au début a mené le même combat que vous, et aujourd’hui vous avez des points de divergences. La rumeur estime que le syndicaliste a certainement beaucoup de choses à dire, voilà pourquoi il a des problèmes.

Cde président : Par le comportement que vous-même avez dénoncé, des changements, vous pouvez savoir ce que visent ces personnes. Vous-même avez parlé de leurs ambitions individuelles. C’est normal, c’est un conflit. Si ces personnes avaient quelque chose à dénoncer elles l’auraient fait, chaque fois qu’elles ont eu la possibilité de le faire. Et ce n’est pas rien non plus que chaque jour nous entendions des rumeurs. Est-ce que vous savez que parmi ces personnes, il y en a qui ont écrit noir sur blanc que nous voulions créer la monnaie : la fameuse rumeur qui circule a été écrite noir sur blanc. Les personnes convoquées ont dû avouer leurs forfaits et présenter des excuses ; mais qu’est-ce qui se passe dans la ville tout le monde dit oui nous voulons créer la monnaie. Ce document a été envoyé à des gens un peu partout. Nous avons les preuves matérielles ce qui veut dire que, au point où ces gens en sont, ils cherchent tout ce qui peut nuire. Ils n’hésitent pas à fabriquer, pourvu que cela fasse du tort au CNR, parce que eux, ils ne sont pas pour la révolution ; parce que également ils avaient vu les choses autrement que de cette façon ; ils estiment n’avoir pas profité ; ils voient en termes de partage de gâteau. Je vous laisse le soin d’apprécier ces gens-là.

Q : Camarade président, le CNR a combattu à travers les CDR la corruption. Mais on constate actuellement qu’il y a une forme de corruption très subtile, qu’allez-vous faire ?

Cde président : Je crois qu’on ne peut pas définitivement supprimer la corruption dans le monde et dans notre pays tant qu’à tous les niveaux, toutes les tâches des transformations de la société n’auront pas été accomplies, et même tant que notre environnement économique, politique, social n’aura pas lui aussi été sur des positions qui favorisent la lutte contre la corruption. Il y a des corrompus, parce qu’il y a des corrupteurs. Même le jour où il n’y aura plus de corrupteurs au Burkina Faso, il se pourrait qu’il y ait des personnes à l’étranger, des personnes que nous ne contrôlons pas qui croient encore à la corruption et en la force de la corruption de résoudre les problèmes, qui vont être là pour piéger, tenter, séduire, soudoyer des Burkinabè. C’est pourquoi de tous les maux de la société, le mal est toujours en avance du point de vue de l’imagination sur le bien. C’est pourquoi les corrupteurs trouvent toujours des méthodes de répression de la corruption. Nous avons trouvé une méthode de lutter contre une certaine forme de la corruption, eux ont créé une nouvelle forme de corruption, à nous de trouver de nouvelles méthodes. Mais ces nouvelles méthodes, quelles qu’elles soient supposent que le peuple lui-même combatte la corruption, dénonce les corrompus, les corrupteurs, les cas de corruption ; et que nous n’hésitions pas à sanctionner tous ceux qui ont pu être corrompus, traduire en justice toutes les formes de corruption et de corrupteur. Cela se fait mais j’estime à mon avis que ce n’est pas encore suffisant. De ce point de vue, il faut continuer, chercher davantage, accentuer et nous y parviendrons. Ce n’est pas parce qu’on parle de lutte contre la corruption au Burkina que nous serions le pays le plus corrompu. Non. Même ceux qui ne parlent pas de corruption ont des corrupteurs chez eux. Et tous ceux qui essaient de tenir des discours sur la lutte contre la corruption, ne sont pas forcément si innocents que cela. Ils sont nombreux parce qu’ils ont peur de la CPPC, font tout pour qu’elle n’agisse pas. Ils disent qu’elle est inutile, inefficace, dévalorise le régime et ses dirigeants, règle des comptes. En réalité, ceux qui estiment que c’est inefficace, sont plutôt des gens qui veulent qu’on laisse durer encore la corruption.

Q : À propos de cette commission camarade président, si on n’a pas toujours dit du bien de celle-ci, c’est parce que les aveux de pauvreté entendus presque systématiquement ont enlevé une partie de sa crédibilité.

Cde président : C’est possible. La commission n’a pas encore publié ses résultats. Beaucoup d’autres personnes sont en train de se présenter devant la commission et je sais déjà qu’il y a des déclarations que la commission n’a pas acceptées. Elle est en train de démontrer que ces déclarations ne sont pas justes. Je sais aussi que d’autres personnes ont dû préciser ou rectifier des déclarations qui vont être rendues publiques. En réalité la commission travaille mais peut-être qu’elle gagnerait à se faire connaître plus.

Q : Camarade président, certains ministres ne s’affichent plus quand ils ne sont plus à leur poste. À quoi cela est dû ?

Cde président : Concernant l’attitude de ceux qui, selon vous, disparaissent de la scène politique, de la lutte politique dès lors qu’ils ne sont plus ministres, si c’est le cas c’est déplorable. Mais il faut s’expliquer là-dessus. Il faut se dire qu’il y a une conception que nous avons des postes de ministres qui n’est pas toujours juste. Parfois on pense que le poste de ministre c’est le poste que chaque cadre militant doit s’attacher à conquérir. Donc c’est le fruit d’une conquête personnelle, un travail personnel et par conséquent c’est aussi une récompense, la preuve que l’on est reçu à un examen et que l’on est arrivé au sommet. Si on a une telle conception, il est tout à fait normal aussi que le jour où on n’est plus ministre on s’estime perdant, tombé en décrépitude, en désaveu etc. Ce n’est pas cette conception qu’il faut avoir. C’est pourquoi il y a des personnes qui avaient été ministres, qui ne le sont plus, et qui continuent d’être des personnes militant sérieusement avec ardeur, qui ont le soutien des masses populaires dans le lieu où ils travaillent pour la révolution ; elles-mêmes ont pu trouver leur occasion de s’épanouir davantage et d’apprendre davantage au profit de la révolution parce que c’est une école continue pour chacun de nous. Maintenant, s’il y a des gens, on ne milite que quand on est ministre, ça c’est une erreur. Ministre ou pas ministre, on doit servir le peuple à tous les postes.

Q : Camarade président, l’impérialisme n’a pas encore dit son dernier mot. Est-ce que la Révolution d’août est bien assise pour faire face à toute tentative de déstabilisation ?

Cde président : Tant qu’il y a la révolution il y aura la réaction, il y aura la contre-révolution, il y aura l’opposition à la révolution. Et l’opposition à la révolution prendra toutes sortes de formes et bénéficiera de toutes sortes de soutien. Le premier ennemi de la révolution c’est l’impérialisme qui travaille. Je ne peux pas vous dire que nous avons définitivement écarté tout risque. L’impérialisme peut à tout moment tenter de faire quelque chose. Et il tente tout le temps, à tout moment, tous les jours. Il tentera de s’appuyer sur telle ou telle personne contre la révolution à l’extérieur, à l’intérieur du Burkina Faso. La seule garantie que nous puissions avoir, c’est le peuple qui s’organise pour se défendre, pour défendre sa révolution, pour protéger sa révolution, pour faire échec à l’impérialisme. Cela heureusement se développe davantage. Notre système de protection de la révolution se développe davantage et nous avons de plus en plus de raisons d’admettre, de comprendre, de croire, qu’il faut perfectionner tous les moyens de lutte. Pas seulement des moyens armés mais aussi sur le plan idéologique. Que chacun ait assez de moyens, d’armes idéologiques pour répondre aux manœuvres de l’impérialisme. Les moyens qu’on pouvait par exemple utiliser pour tromper notre peuple en 1983 ne sont plus valables en 1987 et sûrement que demain ces méthodes nous feront reculer les limites des moyens d’action contre l’impérialisme.

Q : Des questions relatives à des sujets très variés :
1. Camarade président, est-ce que l’an prochain, les fédérations et les ligues seront mises en place ?
2. Ne peut-on pas former politiquement et idéologiquement les CDR de manière à corriger certaines de leurs inconséquences ? Par exemple il y a des CDR fainéants qui sous le couvert de leur responsabilité politique au sein des services terrorisent les patrons.
3. Est-ce que Sayouba Zerbo a réellement triché lors du tour du Faso ?
4. Qu’en est-il des rumeurs sur les dissensions entre vous et Henri Zongo, Blaise Compaoré, Boukary Lingani ?

Cde président : À propos des fédérations et des ligues, je sais que le débat est avancé dans le milieu sportif. Nous avons écrit au ministère des Sports à ce sujet. Une réflexion s’est engagée pour voir comment nous allons procéder. Va-t-on mettre les fédérations et les ligues en place ? Quand allons-nous le faire ? Comment allons-nous le faire pour ne pas être obligés de mettre en place des fédérations et des ligues sur lesquelles nous allons revenir ? Nous avons purement et simplement demandé qu’on nous réponde à cette question-là. Nous attendons, ceux qui doivent réfléchir sur ces problèmes vont nous répondre et nous verrons bien. Je crois que le ministère des Sports est très avancé là-dessus mais je ne vais pas dévoiler le travail qui est en train de se faire dans ce ministère.

Pour ce qui est de la formation des CDR, je voudrais d’abord rectifier quelque chose. Vous avez dit “il faut former les CDR car la formation ne doit pas s’adresser seulement au peuple”. Non. Les CDR, c’est le peuple. Il n’y a pas d’un côté le peuple et de l’autre côté les CDR. Nous devons beaucoup mettre d’accent, il est vrai, sur la formation. C’est dommage que nous ne puissions pas aller aussi vite que nous même nous souhaitons. Mais nous avons avancé, nous avons acquis des victoires. Il reste quand même beaucoup de choses à dénoncer et vous avez parfaitement raison de le faire ; si vous faites une comparaison entre une rue de Bobo-Dioulasso au cours de septembre octobre décembre 1983, et la même rue en 1987, vous verrez que les comportements ont beaucoup changé. Comparez deux photos de meeting. Un meeting de 1983 et un meeting de 1987. Les attitudes ne sont plus les mêmes. Comparez un film d’un meeting de 1983 et d’un autre de 1987. Les attitudes, les agissements ne sont plus les mêmes. Les gens ont beaucoup évolué mais ce n’est pas suffisant. Nous avons créé des cercles de formation. Il y a l’école 11 01. Nous avons même envoyé des gens en formation à l’étranger auprès de certains partis qui ont beaucoup d’expérience. Nous avons dissous des bureaux, nous avons recommencé des élections générales, des élections particulières quand il y a des problèmes qui se posent. Bref ! Chaque jour qui passe, nous disons que nous ne sommes pas encore satisfaits. Ce n’est pas encore le niveau qu’il faut. La révolution amène tout le peuple à avoir beaucoup de besoins, beaucoup d’exigences. Tout ce qu’on n’osait pas réclamer avant, sous les anciens régimes, on le réclame aujourd’hui parce que c’est la révolution. C’est normal car cela veut dire que la révolution libère la conscience du peuple. Avant les gens ne disaient rien. Cela ne veut pas dire qu’ils ne souffraient pas. Maintenant ils disent tout ce qu’ils pensent. S’ils n’ont pas à boire, s’ils n’ont pas à manger, s’ils n’ont pas de logements, s’ils n’ont pas ceci, s’ils n’ont pas cela, ils le disent. Il y avait des partis politiques qui avaient leurs milices, leurs groupes d’actions, leurs jeunesses. On ne disait rien. On voyait, on n’était pas content, on laissait faire, on se résignait par fatalisme. Maintenant que c’est la révolution on parle. C’est bien. Cela veut dire que la révolution a réellement libéré les consciences des gens et ils peuvent voir ce qui ne va pas, et ils peuvent oser dénoncer. Il faut que nous continuions. Et continuer, c’est faire comme chacun de nous fait. Vous, par exemple, vous venez de dénoncer un certain nombre de choses. J’espère que les militants CDR vous entendront, les responsables CDR vous entendront, prendront à cœur de s’amender sur les points où leurs comportements ne sont pas corrects ; vous expliqueront que vous-même avez mal compris certaines de leurs attitudes. J’espère que vous-même dans votre CDR, vous allez agir à transformer les choses, à dénoncer même si vous n’avez pas de solutions à proposer, au moins à faire une critique.

L’autre question était que “ Est-ce vrai que Zongo Sayouba a triché ?” Je suis content qu’on puisse poser les questions sans détour et de cette manière-là. La rumeur m’est parvenue, nous avons saisi les organisations du tour du Faso.

Nous les avons saisis par écrit pour qu’ils nous disent si oui ou non Zongo Sayouba a triché. Nous avons commis une enquête à ce sujet. Même s’il a triché, ce ne sera pas la première fois qu’un coureur cycliste ici ou ailleurs aura triché. Il y en a eu tellement dans le monde et chaque jour. Il n’y a que ceux qu’on n’a pas pris qui n’ont jamais triché. Il y a même un footballeur très célèbre, une grande vedette qui a dit que celui qui n’a jamais triché en football n’est pas un footballeur. Enfin ça, je lui laisse la responsabilité de sa déclaration. Je signale simplement cela pour dire qu’il y en a tellement. Maintenant, je pense qu’il ne faut pas que tricher soit l’arme que nous utilisons pour gagner. Parce que si vous utilisez cette arme, d’abord, ce n’est pas toujours que vous allez réussir à tricher, donc la honte vous attend au bout d’une course un jour où l’autre. Vous avez gagné en trichant aujourd’hui, demain vous allez perdre parce que vous avez essayé de tricher et on va débusquer. Vous allez même trouver des gens qui trichent mieux que vous. Ensuite, je crois que tricher pour gagner une course cycliste, ça risque de vous conduire à tricher pour gagner autre chose. Et ainsi de suite, vous-même vous serez un jour victime d’une tricherie et vous serez le premier à regretter que les hommes trichent. Celui qui vole pour se satisfaire oublie qu’un jour lui-même peut être volé et c’est en ce moment qu’il comprendra que le vol doit être combattu et que lui aussi doit combattre le vol en commençant par combattre ses faiblesses en lui-même. Qu’est-ce que nous allons faire si c’est vrai qu’il a triché ? Tout ce qui peut éduquer le peuple, tout ce qui peut nous éduquer, nous mener sur la voie de la vertu révolutionnaire, eh bien c’est tout ce que nous devons privilégier. Cependant nous ne sommes pas là pour casser et détruire les gens. Personnellement j’ai fait écrire une lettre au ministère, aux organisateurs, et une commission est commise pour nous dire si oui ou non il y a eu tricherie. Nous attendons d’avoir tout, qu’on nous fasse la synthèse et qu’on dise en conclusion qu’il y a eu tricherie ou qu’il n’y a pas eu tricherie.

jpg/thoma-blaise-lingani.jpgÀ propos de dissensions entre Henri Zongo, Blaise Compaoré, Boukary Lingani et moi. Je vous dis tout de suite que c’est faux. Maintenant je vais vous dire une chose. Mes meilleurs informateurs, ceux qui viennent me dire “attention, on dit ceci, on dit cela”, c’est Blaise Compaoré, c’est Henri Zongo, c’est Lingani Jean-Baptiste, c’est vrai que le jour où ces gens-là ne me diront plus la vérité, ou ils ne seront plus là parce que l’ennemi leur aura fait du mal, ce sera une grande perte. Donc, ce sont eux-mêmes qui m’apportent les informations. Je connais même un responsable politique qui un jour est allé voir le commandant Lingani pour lui dire “mais… il parait que… qu’on a voulu arrêter un tel… qu’on a voulu faire telle chose”.

Je connais un responsable politique qui est venu me voir, tout à fait sincère, pour me dire “il paraît que vous avez tenté d’arrêter le capitaine Blaise et que c’est sur son chauffeur qu’on a tiré”. Alors j’étais heureux parce que le même capitaine Blaise était au fond, dans la salle à manger. C’est donc le capitaine Blaise lui-même qui est sorti pour expliquer. On pourrait peut-être penser encore que je l’avais enfermé dans la salle à manger, mais ce serait alors une prison agréable que d’avoir tout à l’œil. Et puis c’est simple. C’était une banale histoire. Le chauffeur du capitaine Blaise était effectivement absent. On disait “est-ce que vous voyez encore le chauffeur, il a été tué, il a été abattu”. Mais en réalité le chauffeur était parti en stage.

J’ai appris il n’y a pas longtemps que le commandant Lingani va être mis à la retraite. À la retraite de quoi ? Je ne sais pas. Si c’est à la retraite de l’armée, c’est lui qui sait, c’est lui le commandant Lingani, commandant en chef des forces armées, ministre de la Défense qui le sait. Mais si c’est à la retraite de la révolution, là c’est grave parce qu’il joue un rôle dirigeant tellement important que s’il va à la retraite de la révolution, nous allons tous partir ensemble. On me dit que le capitaine Henri Zongo est en dissidence, qu’il n’est pas d’accord, qu’il est parti, qu’il a même été arrêté et enfermé. Mais qui mieux que lui peut me donner les informations qu’il apprend. Ce que lui aussi apprend. Parce qu’il ne peut pas avoir toutes les informations du pays. Il peut dire que “attention, si les gens ont dit telle chose, c’est parce qu’ils ont compris ceci et cela” et parfois ça fait rire mais parfois ça ne fait pas rire, quand on pense que ça a inquiété et troublé des militants sur le terrain. Non ! Rassurez-vous. Ainsi qu’eux-mêmes, Lingani ou Blaise ou Henri, ont eu à le déclarer, nous ne sommes pas venus à la révolution par une campagne électorale, nous ne sommes pas également venus à la révolution par un jeu de cartes. C’est une lutte politique de révolutionnaires qui acceptent d’assumer des tâches, des fonctions, qui font face aux missions qui leur sont confiés, et puis c’est tout. Chacun a un poste donné. Et en plus, rien ne se sait sans que nous ne discutions sérieusement et âprement ; et nous avons tellement traversé d’obstacles, de revers dans notre vie que ce ne sont pas les quelques rumeurs qui viendraient à bout de cette unité dont nous avons besoin. Je crois que le peuple a besoin de cette unité-là. Maintenant il y a des gens qui rêvent de cela : comment faire pour nous opposer ? Je regrette de devoir dire que mes camarades eux-mêmes viennent me dire ce qu’ils apprennent, que moi aussi je leur dis ce que j’apprends et ainsi de suite. Parce que, en le disant, je vais couper l’herbe sous les pieds des détracteurs qui allaient de temps en temps voir un tel ou un tel.

Malheureusement quand vous allez voir un, tous les quatre le sauront, ç’a toujours été comme ça jusqu’aujourd’hui. Je crois que cela nous a beaucoup aidés. Cela nous a beaucoup sauvés, nous a beaucoup enseigné. D’ailleurs, je ne serais pas venu à votre entretien sans les avoir vus auparavant.

Q : La saison des pluies s’annonce mauvaise pour les uns et si elle devient vraiment mauvaise, qu’elles en seront les conséquences sur notre politique d’autosuffisance alimentaire et sur les résolutions de la deuxième conférence nationale des CDR ?

Cde président
: Les statistiques pluviométriques ne sont pas tellement brillantes, très heureuses. Elles sont en deçà des meilleures saisons, de ce que nous avons connu. Par conséquent, vous avez raison d’avoir quelques inquiétudes pour l’issue de notre campagne agricole, donc de cette politique d’autosuffisance alimentaire qui est un de nos combats. Cela pourrait compromettre sérieusement nos efforts, mais si malgré tout nous nous en sortons, ce sera grâce au travail de nos agriculteurs, de nos paysans ; tous ceux qui sont dans le monde de l’agriculture, qui les encadrent, qui les soutiennent ou tous ceux qui tiennent la daba, la charrue ou le tracteur. Ceux-là, il faut leur rendre hommage mais dire aussi que la révolution a incité les producteurs agricoles à transformer leurs méthodes de travail à tel point qu’avec un niveau de pluie égal à ce que nous avons connu jusque-là, nous pouvons obtenir des résultats meilleurs ; je peux même dire que très sûrement nous aurons des résultats, somme toute, acceptables.

Mais il faut voir plus loin. Cette saison qui démarre d’une façon pas totalement satisfaisante pour nous est une leçon. Pourquoi ? Parce que l’année dernière nous avions une bonne saison que l’on pensait que toutes les saisons seraient comme cela. Mais nous apprenons maintenant que le problème de l’agriculture, le problème de l’autosuffisance alimentaire doit cesser d’être un problème de simple pluviométrie. Il faut maîtriser l’eau. L’eau des pluies, l’eau des forages, des puits. Il faut maîtriser l’eau de nos cours d’eau etc. Il nous faut construire beaucoup de barrages. C’est en cela que notre politique de barrages, grands ou petits, est une politique juste. Le jour où nous aurons maîtrisé suffisamment, nous aurons construit beaucoup de barrages, il nous faut encore des milliers de retenues d’eau. Le jour où nous aurons des milliers de retenus d’eau, eh bien même une pluie, même une saison pluviométrique qui ne serait que le tiers de ce que nous voyons actuellement, ce serait suffisant pour que nous réalisions, nous maintenions l’autosuffisance alimentaire du peuple.

Donc nous ne sommes pas découragés. Nous devons faire la différence avec les régimes réactionnaires, de démissions ; c’est-à-dire qu’au lieu d’attendre que les pluies soient bonnes pour avoir de bonnes récoltes, au lieu de tendre la main pour recevoir de l’aide alimentaire, nous devons développer tous les moyens qui nous permettent avec le minimum d’eau qui tombe, d’avoir une bonne saison. Mais la saison a commencé d’une façon qui est en deçà par rapport à 1986 mais la saison n’est pas terminée et rien ne nous dit que pour les semaines et les mois à venir, la saison ne va pas être meilleure. Du reste, c’est la tendance que nous sommes en train d’observer au niveau des stations de météo. Actuellement il y a une remontée. La courbe est en train de remonter agréablement, admirablement. Souhaitons qu’elle continue. En tout cas, il faudrait que nous continuons avec la construction des barrages ; c’est pourquoi le ministère de l’Eau doit persévérer dans les petites retenues d’eau mais aussi dans les quelques grands barrages que nous avons.

Q : Quel sort sera réservé à la communauté musulmane dans le contexte révolutionnaire. Parce que la révolution dans sa lancée ne recule devant aucun obstacle. Elle a eu à détruire des mosquées pour construire de nouvelles cités. Cela a inspiré un certain nombre d’inquiétudes au sein de cette communauté qui voudrait en avoir le cœur net.

Cde président : La vie de la communauté musulmane appartient d’abord aux musulmans eux-mêmes. Ce sont les musulmans qui composent la communauté musulmane. S’il n’y a pas de musulmans il n’y a pas de communauté musulmane. Donc les musulmans doivent s’entendre autour d’une seule ligne. La révolution leur a permis de pratiquer la religion. C’est pourquoi la communauté musulmane ne doit pas être un centre d’affrontement. On dirait qu’elle est devenue un ring avec des combats ou un champ de bataille, de lutte. Nous ne pouvons pas être d’accord avec une telle situation si elle présente des conséquences pouvant influer sur d’autres secteurs de la vie ; nous ne pouvons pas permettre que la communauté musulmane trouble l’ordre par des querelles nombreuses à l’intérieur de la communauté musulmane. Mais nous ne voulons pas non plus imposer une solution aux musulmans. Je le répète, c’est la communauté musulmane qui doit trouver la solution. C’est pourquoi tout ce que nous, nous pouvons faire, c’est d’insister sur la nécessité pour les musulmans de s’entendre. Parce que cette entente n’existe pas, et que la communauté musulmane pose des actes qui troublent l’ordre public ; tous les Burkinabè ne sont pas musulmans, et tous les Burkinabè ne sont pas obligés de n’avoir pour règle de conduite que les règles et les querelles de la communauté musulmane. Pour ce qui est des mosquées, nous ne sommes pas contre l’existence des mosquées, des églises, des temples, tous les autres lieux de culte quels qu’ils soient.

Nous ne sommes pas contre. Nous demandons simplement qu’elle soit une belle mosquée. Dans le cadre de l’opération ville blanche, que les mosquées soient peintes aussi en blanc. Je crois que cela est même conforme à ce qui est dans le Coran et à ce qui est dans les pays de tradition islamique comme à la Mecque. Si des mosquées ont été détruites c’est parce qu’elles n’étaient pas conformes à un certain plan d’établissement, c’est tout. Mais on n’a pas dit qu’il ne fallait pas en reconstruire quelque part. C’est pourquoi, de même que la révolution a fait déplacer certaines mosquées, peut-être même on a vu les musulmans, les catholiques, les protestants et des autres religions avoir elles-mêmes à décider du changement de lieu d’une mosquée, des travaux d’agrandissement, d’embellissement même carrément de déplacement d’un lieu de culte. Donc il faut que ce soit clair. Nous, nous avons reconnu la liberté de culte, chacun croit en la religion qu’il a choisie librement.

Q : Camarade président, nous revenons sur les questions syndicales. Il y a eu des arrestations de militants syndicalistes à Ouagadougou et dans les provinces. Et l’opinion à vrai dire n’a pas eu suffisamment d’informations sur les raisons de ces arrestations. Est-ce qu’on peut en savoir davantage ?

Cde président : Oui ! Il y a eu beaucoup d’explications données là-dessus, c’est vrai que je n’ai pas eu l’occasion moi-même d’en parler. Mais, il faut se dire qu’il y a eu des arrestations, nous le reconnaissons, mais ce ne sont pas des arrestations de syndicalistes. On n’a pas arrêté des personnes parce qu’elles étaient syndicalistes. Parce qu’il y a beaucoup plus de syndicalistes dehors que de syndicalistes arrêtés, un. De deux, il y a des bureaux qui n’ont pas été touchés. Donc ce n’est pas la position de syndicaliste qui importe. C’est la position que l’on a par rapport aux luttes que mène notre peuple. Si on ne soutient pas ces luttes, c’est déjà le devoir pour nous de convaincre. Si on s’oppose à ces luttes, on s’oppose à ce que nous faisons. Sur le terrain, il y a bien souvent des conflits de ce genre, de même que des personnes s’organisant de mille et une manières sur des bases qu’elles essayent de faire passer pour des bases syndicalistes, afin d’atteindre leurs objectifs, de même d’autres personnes s’organisent sur des bases révolutionnaires pour combattre l’impérialisme pour davantage renforcer le processus révolutionnaire, et asseoir le pouvoir populaire chez nous. Ce sont des luttes purement politiques qui s’affrontent, et ce sont des victoires qui ne peuvent qu’être purement politiques, ou des échecs purement politiques. Ce n’est pas autre chose. Alors, c’est donc sur la base du débat politique également que ces questions se sont résolues. Ce n’est pas au regard du droit du travail que l’on pose le problème, non ! Vous avez un droit au travail c’est une chose, mais votre droit au travail n’est pas une raison pour que vous attaquiez le droit des autres.

De même, il n’est pas normal que des personnes, habilement, essayent d’utiliser la connaissance que l’opinion internationale a de leur propre existence pour faire des amalgames qui ne seraient pas bien venus. Personne n’a été arrêté parce qu’il est militant de tel ou tel syndicat. Bien sûr, je sais que certaines personnes arrêtées se sont empressées de mettre cela sous le couvert du syndicalisme, parce que, aussi c’est ce qui à l’étranger marche le mieux, convainc le mieux. Quand vous pouvez dire à l’étranger que vous avez été arrêtés à cause du syndicalisme, vous créez de la sympathie autour de vous. Mais vous vous gardez bien de dire tout ce que vous avez fait. Je pense que de même que nous devons plaindre ceux qui ont été arrêtés pour les fautes qu’ils ont commises, pour les provocations dont ils ont été auteurs, de même nous devons plaindre les millions et les millions de personnes qui ont été provoquées, qui ont été bousculées, des personnes dont on a essayé d’arrêter la lutte, et les points de vue. Ces militants de CDR se sont sentis aussi blessés par les personnes qui les ont provoqués. Qui défend les CDR ? Ou bien les CDR n’ont pas le droit d’exister ? Ou bien le point de vue des CDR n’est pas à prendre en compte ? Il ne faut pas qu’on provoque aussi les CDR. Je veux bien que les CDR qui ont tort soient sanctionnés, ça je n’hésiterai pas. Mais je ne suis pas d’accord non plus que l’on fasse des CDR ce que l’on veut. Parce qu’ils ont droit aussi à leur point de vue. Si leur point de vue n’est pas juste on débat et on détruit ces points de vue-là. Je suis d’accord. Mais au-delà c’est de la provocation qui n’est pas correcte.

Q : Camarade président beaucoup de militants se demandent qui dirige l’Intrus. Un certain nombre pense que c’est vous-même. Qu’en est-il exactement ? Et puis il y a la baisse du niveau des scolaires. La rumeur attribue cette baisse de niveau aux multiples réunions qui accaparent les maîtres d’écoles. Quels sont les maux de l’école burkinabè ?

Cde président : D’abord je préfère parler de la question de l’éducation parce que c’est une question qui nous préoccupe tous. Parce que chacun de nous est élève, enseignant ou parent d’élève. Donc nous sommes tous concernés. Dans tous les cas, le présent, l’avenir dépendent de la formation que nous allons donner aux enfants aujourd’hui et demain.

Beaucoup de réunions, c’est vrai, ce ne serait pas une bonne chose parce que cela va accaparer les enseignants. Les élèves seront forcément abandonnés. Je suis d’accord avec vous. Et les neuf mois de l’année scolaire qui généralement ne sont pas utilisés à plein temps risquent de n’être en réalité que six mois, peut-être même cinq ou même moins de 5 mois, 4 mois de vrai travail. Ça, ce n’est pas une bonne chose. Je suis d’accord avec vous ! Mais la question de l’éducation ne se résume pas simplement aux réunions des enseignants. Même pas seulement aux enseignants, c’est nous tous qui sommes impliqués.

Dans l’appel de Gaoua j’ai eu à poser pour le moment les problèmes immédiats de nos attitudes de responsabilités en attendant que le problème de fond, de transformation politique structurelle de l’école puise se faire. Mais ça c’est un autre débat. Et je puis vous dire que, un certain travail a commencé, il faut que nous arrivions à trouver ensemble, la formule de l’école nouvelle que nous allons mettre en place. Formule qui correspondra aux aspirations démocratiques de notre peuple. Il faut débattre. Nous avions fait une première proposition qui n’a pas été acceptée. Vous avez vu que nous l’avons retirée. Nous préférons retirer. On va chercher encore. On finira par trouver. Qu’on n’ait pas trouvé du premier coup, ce n’est pas je l’espère une faute en soi. Maintenant si nous nous étions entêtés, si nous l’avions imposée malgré tout, ç’aurait été une mauvaise chose. Nous retirons, nous repartons encore à la base pour trouver une nouvelle formule.

Donc je pense que le problème de l’école est bien plus profond que simplement la responsabilité des enseignants, leur temps libre, le nombre de réunions qu’ils ont. Ce n’est pas non plus une question de fournitures scolaires, ça va au-delà de cette question. Ce n’est pas une question de nombre d’écoles, de nombre de classes. Il y a beaucoup de choses qui concernent toute la société, et je voudrais qu’à l’occasion des débats que nous allons avoir sur l’école, chacun continue de se prononcer tout à fait clairement et librement.

Pour revenir maintenant à la question de l’Intrus. Des personnes disent que le président lui-même est le rédacteur de l’Intrus. Je ne sais pas s’il faut prendre cela comme un compliment ou comme une attaque. Parce que si je le prends comme un compliment ça veut dire que l’Intrus écrit bien ; si je le prends comme une attaque ça veut dire que j’attaque l’Intrus et je ne voudrais attaquer personne. Je suis d’accord sur l’existence de L’intrus. Mais… je n’ai pas le temps de faire ce que je fais et d’écrire dans l’Intrus. Peut-être qu’on est surpris qu’on n’ait pas pris une décision contre ce journal. Moi je ne suis pas d’avis qu’il faille prendre une décision contre ce journal. Au contraire je pense qu’il doit exister. Mais il n’a pas attaqué que des ministres. Il a attaqué aussi des gens qui ne sont pas ministres. Bien sûr les ministres sont en vue beaucoup plus que d’autres personnes. Et la tendance dans les rumeurs, les critiques ; qui est-ce qu’on critique dans les rumeurs ? Ce ne sont pas les personnes moins connues, ce sont celles qui sont connues. L’Intrus a parlé de moi aussi en des termes qui ne sont pas forcément révérencieux. Et ce n’était pas très élégant, très honorable que moi aussi je me sois retrouvé décrit de telle ou telle façon, interpellé de telle ou telle façon, mais enfin puisque nous sommes d’accord qu’il existe, il faut qu’il continue.

Chacun de nous va lire l’Intrus, et va puiser là-dedans ce qui peut l’intéresser, ce qui peut lui être utile. Je crois qu’il y a beaucoup de pays où les masses seraient très heureuses d’avoir l’Intrus. Et si moi j’avais le temps et le savoir-faire pour animer l’Intrus j’allais y contribuer.

Je ne suis pas toujours d’accord avec ce que dit l’Intrus, mais quand c’est vrai aussi, même si c’est dit par l’Intrus, ça ne doit pas nous empêcher de prendre des mesures.

Q : Les propos du camarade président sont jugés parfois excessifs ; vos hautes fonctions, camarade président, vous amènent à être le père de la nation et à ce titre-là vous devriez chaque fois tenir des propos d’une grande sagesse, et sur lesquels vous n’auriez pas à revenir. Cela est-il dû à la jeunesse de vos conseillers ou à la mauvaise qualité de votre entourage ?

Cde président : D’abord il faut dire qu’on peut revenir sur des propos que l’on a déjà tenus. Bien sûr il est souhaitable de revenir le moins possible. C’est-à-dire de trouver à chaque fois ce qu’il faut dire, ce qu’il faut faire. Mais il y a des cas où nous nous apercevons qu’il est nécessaire de faire marche arrière pour reconsidérer la situation. Cela existe et je pense qu’il faut l’accepter démocratiquement ainsi. C’est une forme nouvelle de pouvoir. Ce n’est pas un droit divin, ce n’est pas un pouvoir infaillible, c’est un pouvoir des hommes, par des hommes avec les hommes sur des questions qui concernent les hommes. Quant aux conseillers, jeunes ou pas jeunes, bons ou mauvais, ce sont aussi des hommes. Par conséquent ils conseillent ce qu’ils peuvent conseiller. Ils ne peuvent pas trouver des solutions qui dépasseraient leurs propres personnes. Et il y a quelques garanties. D’abord ils ne sont pas seuls. Ils discutent leurs propositions avec d’autres personnes, qui sont parfois plus âgées qu’eux. Il y a des jeunes, mais il y a des personnes qui ne sont pas très jeunes. Ensuite nous en discutons aussi. Et on n’est pas obligé d’accepter ce que disent les conseillers si on est convaincu que ce n’est pas bon. On peut même montrer au conseiller qu’il s’est trompé. Tout comme c’est le conseiller qui peut avoir trouvé la solution à un problème donné. Par conséquent c’est l’expérience de la vie, et c’est l’évolution dialectique des choses que parfois nous soyons sur le point juste mais que parfois aussi nous soyons capable de nous tromper. Nous sommes à la fois les deux faces, ce qui est juste et ce qui est erroné.

Et nous combattons chaque jour les erreurs au profit des positions les plus justes. Peut-être qu’un jour nous allons devenir infaillibles mais ça c’est dans l’idéal.

Q : Avez-vous un dernier mot à l’endroit des camarades militants ?

Cde président : Cet entretien que j’ai ici avec les camarades militants est un entretien très utile ; je le souhaite très fructueux pour tous dans la mesure où des questions de tous ordres ont été posées ; à la vérité ce ne sont pas des questions nouvelles et surprenantes, même si elles n’ont jamais été posées de cette façon-là et de façon publique et libre.

Je dirais que nous avons chaque année deux rendez-vous principaux : c’est le rendez-vous du 4 août, c’est le message du 31 décembre où généralement, nous parlons sur le plan social à notre peuple. À la veille du 4 août, c’est sur le plan des transformations politiques. Je voudrais que nous retenions que l’année politique qui vent de s’écouler a été une année qui a mis notre révolution à l’épreuve des contradictions de tous genres qu’une révolution peut connaître. Il reste certainement des contradictions que nous n’avons pas encore connues. Nous avons vu d’autres révolutions naître et évoluer, parfois mourir ; nous avons lu comment d’autres révolutions ont cheminé et il nous est parfois arrivé de penser à tort que cela n’arrivait qu’aux autres. Eh bien, cela peut aussi nous arriver. Nous avons connu des contradictions secondaires, nous avons connu des contradictions fondamentales, principales.

Nous avons connu des contradictions dans nos rangs, des contradictions hors de nos rangs, des contradictions même hors de notre pays. Tout cela nous a instruits. Je pense que les révolutions doivent se convaincre d’une chose : c’est qu’il n’y a pas de faiblesse à utiliser l’argument du débat démocratique pour faire triompher ses idées.

Au contraire ! Chaque fois qu’un révolutionnaire gagne à lui une personne à partir d’un débat franc, sincère, courageux, eh bien ! il renforce sa révolution. Chaque fois que le révolutionnaire est obligé d’écarter, de repousser quelqu’un, qui qu’il soit parce qu’il estime, lui, le révolutionnaire, avoir expliqué en vain, eh bien, c’est une perte. Il faut qu’on se le dise. Et il faut qu’on se dise qu’il y a plus de personnes qui se posent la question, ici même, et ailleurs “qu’est-ce que la révolution”, que de personnes qui savent ce que c’est, qui aiment la révolution, qui sont donc prêtes pour la révolution.

Donc notre combat est un combat de personnes humaines qui doivent avoir le courage révolutionnaire de surmonter toutes les difficultés que nous rencontrons. Ne pas nous laisser aller au sentimentalisme et au subjectivisme. C’est-à-dire le découragement, la peur, c’est-à-dire aussi la recherche de solutions faciles et expéditives en tout débat, face à tout problème, c’est-à-dire ne pas nous laisser mener par l’excitation que certaines personnes très intelligentes auraient découvert pour nous aiguillonner vers des directions qu’elles choisissent.

On vous pousse par la critique, par les attaques, par la provocation même, et vous réagissez comme un homme programmé. Dans ces conditions aussi, on peut programmer votre perte. Justement là où on veut que nous réagissions de façon brutale, en nous abandonnant, en nous investissant totalement, nous devons garder le calme et la réserve nécessaire. C’est ça, garder son intelligence pour économiser ses forces pour soi, éviter de nous laisser exciter. Le sentimentalisme, c’est éviter de réagir sur la base de nos propres sentiments. Il m’a insulté, je ne suis pas content, donc nous allons nous affronter ; j’emploie tous les moyens que j’ai pour l’affronter. Si nous devons agir ainsi, nous perdrions toute la capacité de mobilisation dont nous avons besoin pour faire avancer le processus.

Mais je ne méconnais pas qu’il y a tous les jours de la provocation sur le terrain et souvent qu’on demande “camarade président, voilà les preuves qu’un tel a fait ceci, a fait cela contre votre personne ; qu’allez-vous faire ? Faites quelque chose”. Non justement, il ne faut pas réprimer à ce moment-là. Ce n’est pas normal. Au contraire, il a fait cela, ce n’est pas bien, qu’allons-nous faire pour qu’il ne recommence plus. Il y a la possibilité d’utiliser l’arme de la coercition mais il y a aussi la possibilité d’utiliser une autre arme qui est plus lente, plus pénible, plus difficile, qui est l’arme du débat. Cela aussi n’est pas une façon d’inviter les gens à se dire tout ce qu’on veut parce qu’on ne sera jamais sanctionné, il n’y aura que des débats, et qu’on peut ne même pas écouter ces débats. Chaque fois que nous acceptons le débat, le dialogue en tant que révolutionnaires sur nos principes, sur nos positions, nous ne faisons qu’avancer ; mais chaque fois que nous refusons le débat, chaque fois que nous refusons le dialogue, nous ne faisons que reculer.

Je voudrais inviter les camarades à cela et dire aussi que si des personnes ont eu à fauter, il nous appartient en tant que révolutionnaires d’avoir le courage de trancher leur cas, sans sentimentalisme, c’est-à-dire avoir peur de prendre certaines décisions même si elles doivent être fermes, d’avoir le courage face à la faute et à la gravité et en même temps avoir le courage et la force de savoir œuvrer pour mettre les camarades sur une ligne qui sera la ligne de la révolution, la ligne des masses. Nous devons traiter chacun avec un esprit humain parce que nous avons affaire à des hommes et des hommes qui, dialectiquement, peuvent redevenir de vrais combattants révolutionnaires ; nous devons le croire et ne jamais penser qu’un homme est perdu définitivement. J’invite tous les militants à comprendre que chaque année, chaque 4 août, nous devons nous dépasser. Ce que nous n’avons pas accepté en 87 nous devons l’accepter en 88, et demain nous devons être un exemple grâce à un dépassement de nous-mêmes. Je vous remercie.

La patrie ou la mort, nous vaincrons.

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