Nous vous avons présenté le livre Thomas Sankara et la révolution au Burkina Faso, une expérience de développement autocentré de Maitre Appolinaire Jean Kyelem de Tembela, (voir à l’adresse) en soulignant «Sans les difficultés que rencontre la diffusion, ce livre aurait tout pour devenir la référence sur la révolution burkinabè» et ajoutant en conclusion «Un livre d’une très grande importance, dense, riche et de très bonne qualité».

C’est donc tout naturellement que nous avons donc voulu l’interviewer. C’est chose faite, et il faut remercier Maitre Kyelem de Tembela, qui malgré ses multiples occupations a pris le temps nécessaire, et i lui en a fallu beaucoup comme vous allez le constater.

Cette interview, nous permet, outre de mieux faire connaissance avec son auteur, d’approfondir la réflexion sur la révolution et ses acteurs. Par ailleurs Maitre Kyelem de Tembela a bien voulu nous ouvrir ses archives et nous autoriser à publier quelques photos. Un grand merci à lui, et à Amidou Kabré qui a pris le photos.

Bruno Jaffré


 

Qu’est ce qui vous a amené à écrire ce livre ?

1- J’ai toujours voulu faire un ouvrage sur Thomas Sankara et la Révolution. Par la suite j’ai remarqué que beaucoup parlaient de Thomas Sankara et de la période révolutionnaire sans fondement sérieux, sans logique, sans ligne directrice. Certains de bonne foi, d’autres de mauvaise foi. On ne peut réellement comprendre et apprécier la politique de Thomas Sankara si on n’en saisit pas la philosophie, les fondements, les motivations principales. Je me suis alors dit qu’il convenait réellement de proposer un document de base pour appréhender la Révolution burkinabè et contribuer à perpétuer la mémoire de Thomas Sankara.

Vous aviez quel âge à l’époque ? Etiez vous engagé ?

2- Je suis né le mercredi 11 juin 1958 à 15 h dans la maternité de Koupéla. J’ai été baptisé le dimanche 15 juin 1958 dans la cathédrale du même lieu. Quand éclatait la Révolution, j’avais un ami, aujourd’hui décédé, qui s’appelait Ablassé Compaoré. À son initiative nous avions créé, en 1982, le Club des étudiants juristes de l’université de Ouagadougou (C.É.J.U.O.) pour sensibiliser et éveiller les consciences. À cet effet nous avions créé un bulletin trimestriel qui, sur ma proposition, s’appelait Le Juriste. Nous organisions des conférences, des projections de films suivis de débats, etc.

3- Du 17 au 31 juillet 1983, le C.É.J.U.O. a organisé un voyage d’études et de tourisme au Niger, au Bénin et au Togo. Le but était aussi d’appréhender le droit de la famille de ces pays en vue de contribuer à la réforme du code burkinabè de la famille qui était déjà en projet.

Nous sommes revenus dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1983 vers 1 h du matin. Le point d’arrivée était au rond-point des Nations Unies, près de la Grande Chancellerie, côté ouest. Pendant que chacun s’affairait à récupérer ses effets, Thomas Sankara arriva au volant d’une Peugeot 504 noire. Il revenait du domicile du président Jean-Baptiste Ouédraogo, lequel logeait dans l’actuelle Délégation aux anciens combattants et anciens militaires.

Je ne l’ai pas vu venir. Étant un des responsables de la tournée, je veillais au bon déroulement des choses. C’est Ablassé Compaoré qui m’a interpellé pour m’informer de la présence inattendue de Sankara. Il était informé de la tournée. Ayant vu l’attroupement, il s’était dit que c’était sans doute nous qui étions de retour.
Je lui dis : « Capitaine ça va ? » Il me répondit nonchalamment : « On ne peut pas dire que ça va, tant que l’impérialisme dominera le pays. »

Peu de temps après, il nous fit comprendre qu’il devait partir parce qu’il était surveillé et qu’il devait sans cesse tromper la vigilance des services de sécurité.

4 – Le C.É.J.U.O. a été le premier club universitaire du pays. À sa création, il a été violemment combattu par l’Association des étudiants voltaïques à Ouagadougou (A.É.V.O) qui n’entendaient pas voir brisé le monopole dont il jouissait dans “l’encadrement” des étudiants. Nos affiches étaient systématiquement arrachées ; nos engins de locomotion régulièrement endommagés ; les intimidations, les menaces physiques étaient constantes ; les insultes, les calomnies et la désinformation permanentes. Contre vents et marées, nous avons tenu bon. Depuis, d’autres clubs ont été créés dans d’autres facultés. Il est heureux de constater que certains de ceux qui nous combattaient et qui sont devenus maintenant enseignants dans les universités de Ouagadougou se plaisent à parrainer des activités du C.É.J.U.O. ou des clubs d’autres facultés.

5- Ablassé Compaoré était beaucoup plus intéressé par l’action politique et l’agitation. Moi par l’observation et la réflexion. Il avait beaucoup d’estime pour moi, au point qu’il a épousé une de mes cousines. Il essayait de m’entraîner avec lui. Sous le régime du C.M.R.P.N. il était déjà en contact avec les futurs acteurs de la Révolution. Il fut très proche de Thomas Sankara. Il a occupé plusieurs postes à ses côtés : conseiller juridique, chargé de missions, secrétaire général de la présidence, haut-commissaire.

6- Quand la Révolution éclatait, nous venions de finir la maîtrise en droit en juillet 1983. La Révolution avait besoin de nouveaux cadres. Ablassé et Thomas Sankara que je ne connaissais pas vraiment, voulaient me retenir auprès d’eux. Mais je tenais à poursuivre mes études, d’autant plus que j’avais une bourse pour le troisième cycle. Ma détermination ébranla Ablassé dans ses convictions. Le jour de mon départ pour Paris, il me rejoignit à l’aéroport quelques minutes avant le décollage, me remit sa fiche d’inscription pour un D.É.A de droit processuel à Pari-II et promit qu’il ferait tout pour m’y rejoindre. L’occasion ne lui fut pas donnée. J’ai moi-même échappé de justesse parce que j’ai pris l’avion le 14 septembre 1983 à 14 h alors que le décret de ma nomination devait être rendu public au journal de 20 h. En France je me suis retrouvé successivement à Paris, Sarcelles et surtout à Nice.

7- À Nice, avec certains des anciens, nous avions créé et animions le Comité de défense de la Révolution (C.D.R.) qui, à mon avis, était le plus dynamique de France, le C.D.R. Nice-Côte d’Azur. Sa compétence territoriale allait de la Corse aux limites du département du Var. Nous avons, avec le C.D.R. de Paris, contribué à la mise en place du C.D.R. de Marseille. Nous avons contribué aux caisses de solidarité révolutionnaire et de lutte contre les calamités naturelles, à la caisse pour la bataille du rail, au soutien aux victimes du conflit Mali-Burkina, etc.

8- Les 19 et 20 avril 1984, nous avons participé à l’université Paris-VIII à un colloque sur “Le marxisme et le Livre vert”. Nous préconisions alors la prudence à l’égard des théories du Livre vert, de poursuivre la réflexion, d’approfondir l’analyse et de ne pas se livrer à des jugements définitifs. Le colloque était organisé par le Centre mondial d’études et de recherches sur le Livre vert. Le 10 mai 1984, nous avons pu faire venir, pour un meeting à l’université de Nice sur la Révolution burkinabè, l’ambassadeur du Burkina à Paris de l’époque, Emmanuel Salembéré, son conseiller Amado Pitroipa et une délégation du C.D.R. de Paris. Le meeting a connu la participation de personnalités diverses et de divers partis et mouvements de gauche. Le lendemain 11 mai, à la résidence universitaire Jean Médecin, la délégation venue de Paris a rencontré des Burkinabè de la Côte d’Azur pour des échanges informels. Nous avons participé aux dernières réunions de la section locale de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (F.É.A.N.F.)

11 mai 1984 Nice. L'amabasseur du Burkina et son premier conseiller Pitroipa Amadado reoivent les voltaques de la Cte d'Azur

9- À partir de 1985, nous avions pris un abonnement à l’unique hebdomadaire de l’époque, Carrefour africain, pour suivre l’évolution de la Révolution. À la même époque, l’infiltration du C.D.R. par des éléments opportunistes de l’U.C.B – nous le saurons seulement plus tard – l’ébranla un moment sans toutefois le déstabiliser, vu que le noyau constitutif était assez solide.

10- Les 18 et 19 février 1986, nous avons organisé dans toutes les facultés de Nice une exposition-vente d’objets d’art burkinabè que nous avions fait venir de la Direction des arts plastiques et de l’artisanat d’art du ministère de l’Information et de la Culture. En novembre 1986 nous avons procédé à une collecte de livres et fournitures scolaires que nous avons envoyés au Secrétariat général national des C.D.R.

Le 4 août 1986, en accord avec l’équipe de la radio “Forum Pacific” qui était animée par la Fédération des mutuelles de France, nous avons, une matinée durant, informé les auditeurs sur le Burkina Faso et sa Révolution. À cette occasion, nous avons, depuis Nice, interviewé Thomas Sankara à partir de son bureau de la Présidence. Un enregistrement de cette émission a été envoyé à la présidence du Faso. Le chef du département de la presse présidentielle qui n’était autre que Babou Paulin Bamouni, nous a, au nom du président Sankara, envoyé une lettre d’encouragement. J’ai toujours avec moi la cassette d’une partie de cette émission. Les 4, 5 et 6 décembre 1986 nous avons organisé à l’Espace Nice/Magnan des journées culturelles intitulées : “Regard sur le Burkina Faso”. Le directeur des affaires culturelles de l’ambassade du Burkina, Souleymane Ouédraogo, y était présent. Des films burkinabè suivis de débats furent projetés avec une exposition-vente d’objets d’art.

11- En décembre 1987, nous avons donné une conférence sur le Burkina Faso aux élèves du collège Jean Médecin de Sospel dans les Alpes Maritimes. Nous avons contribué aux Conférences nationales des C.D.R. et des C.D.R. d’université. Un des sympathisants de notre C.D.R., William Caruchet, est devenu le premier consul honoraire du Burkina à Nice.

Si la direction du C.N.R avait tenu compte des recommandations qu’à l’occasion nous lui faisions parvenir, le drame du 15 octobre aurait peut-être pu être évité ou alors, il eut été différent.

12- Nous participions aussi à d’autres structures associatives et syndicales. J’étais ainsi membre de l’Union nationale des étudiants de France (U.N.E.F.), de l’Union des étudiants communistes (U.E.C.) et en 1984, j’étais délégué au congrès d’Orsay de la Fédération des résidences universitaires de France (F.R.U.F.) J’ai été aussi plusieurs années durant, membre de l’équipe du jury œcuménique du festival international du film de Cannes. Notre immersion dans la société facilitait nos activités.

En 1990, à mon initiative, nous avons mis en place une association dénommée Amitiés France Burkina dont je suis d’ailleurs le président. Avec mon retour au Burkina, elle est en hibernation.

Vous avez écrit d’autres ouvrages, notamment des travaux universitaires sur la coopération et le développement autocentré, puis un ouvrage intitulé « Relations diplomatiques et souveraineté » publié en 2007 à l’Harmattan et préfacé par Basile Guissou. Il y est question de la révolution ?

13- De nature je suis contre l’immobilisme et pour l’innovation. Je suis contre tout ce qui est considéré comme définitivement acquis. Tous mes ouvrages tendent donc à faire des remises en cause, à susciter le questionnement et à faire des propositions. Dans la mesure où la révolution est mouvement – dans le sens positif du terme – on peut dire que tous mes ouvrages parlent de révolution. Toutefois, seul l’ouvrage sur le développement autocentré qui est la thèse que j’ai présentée pour le doctorat sous la direction du Pr Robert Charvin, parle explicitement de révolution.

Kyelem Joachimson Appolinaire de Tembela presente sa these en 1987 a Nice

Vous êtes avocat ? Vous avez mené de paire une carrière d’universitaire et d’avocat ?

14- J’ai d’abord commencé par la carrière universitaire comme assistant au Trinity College de l’université de Toronto puis chercheur à l’université de Nice. J’ai obtenu un poste à Kent State University, Ohio, U.S.A. Poste que je n’ai pas rejoint. Par la suite je suis devenu aussi avocat pour vivre pleinement ma qualité de juriste (dans la théorie et dans la pratique). Au Burkina j’ai enseigné à l’université de Ouagadougou, à l’É.N.A.M. et à l’université Saint Thomas d’Aquin.

Votre livre est truffé de références de très nombreux livres de différentes disciplines. C’est une de ces grandes qualités. Toutes ces connaissances vous viennent de votre longue période d’étude ?

15- Depuis l’enfance, j’ai toujours voulu trouver une réponse aux diverses interpellations de la vie. J’ai fait un bac mathématique, science physique et science de la nature. J’ai entrepris les études de droit que je pense avoir mené à terme puisque j’ai pratiquement abordé toutes les branches du droit. Je publie aussi bien en droit privé, en droit public, en science politique qu’en économie politique. J’ai aussi fait un Diplôme de langues et de civilisations anglaises et américaines (D.L.C.A.A.) qui m’a quelque peu familiarisé avec les civilisations nord-américaines, d’Australie, d’Irlande et du Royaume uni. J’ai obtenu un certificat de licence pour l’enseignement du français comme langue étrangère (F.L.E.) Dans ce cadre j’ai eu à apprendre des notions de chinois et de civilisation chinoise.

16 – J’ai fréquenté et/ou étudié des chapelles religieuses (catholicisme, islam, église universelle du révérend Moon, adventiste du septième jour, église de Jésus Christ des saints des derniers jours, église de Montfavet, témoins de Jéhovah, focolare, bouddhisme, bahaï), philosophiques et politiques (idéalisme, matérialisme, marxisme, socialisme, libéralisme).

Ce sont les connaissances acquises à travers mon parcours qui interviennent dans mes ouvrages, soit à titre principal, soit incidemment.

Comment situez vous votre ouvrage par rapport à tout ce qui est sorti sur la révolution ?

17- Je pense que mon ouvrage vient en complément des autres. Il essaie d’embrasser la Révolution burkinabè dans son ensemble pour permettre au lecteur de se faire son opinion.

Pourquoi avez-vous attendu si longtemps pour le publier ?

18- En 1989, alors que j’étais de passage à Paris venant du Canada, j’ai essayé une première fois de publier quelque chose sur le même thème. L’éditeur que j’ai contacté m’avait alors dit qu’il venait de publier une revue dont les analyses allaient dans le sens contraire de ce qui était avancé dans mon manuscrit et que par conséquent, pour rester logique, il ne pouvait le prendre. Un autre que j’ai aussi contacté n’a pas donné de réponse. Sur ces faits, je quittais Paris en abandonnant aussi provisoirement le projet. En 1990, avec des universitaires français et suisses, on a essayé de faire un ouvrage collectif sur les révolutionnaires africains (Sankara, N’Krumah, Nyéréré, Lumumba, Um Nyobé, Cabral, Nasser). Le projet ne s’est pas réalisé parce que la plupart n’ont pas pu honorer leur engagement. En 1999, j’ai publié dans le quotidien burkinabè Le Pays un article sur Sankara. C’était à une époque où il n’était pas encore courant au Burkina de traiter de ce sujet.

19- Dans la mesure où il existait déjà des ouvrages sur Thomas Sankara et sur la Révolution burkinabè (Bamouni, Englebert, Andriamirado, Somé, Jaffré, etc.) ce n’était donc plus une priorité. Mais, j’avais toujours pensé que je pouvais aussi apporter ma contribution. Cependant, j’avais d’autres publications à faire. Quand je me suis rendu compte que beaucoup parlaient de la Révolution sans trop la connaître, parfois en disant des contrevérités ; que le pouvoir en place et ses partisans, par des déclarations, des allusions, des insinuations, faisaient tout pour toujours discréditer Thomas Sankara et la Révolution, je me suis dit qu’il était temps de se mettre au travail pour essayer de donner une vision plus ou moins objective des choses. Mais le temps me manquait parce que j’étais avocat, chercheur et enseignant, sans compter de multiples autres occupations. C’est pourquoi c’est seulement en février 2011 que le manuscrit a été bouclé. Il a aussi traîné chez l’éditeur – près de deux ans – J’ai beaucoup insisté pour qu’il paraisse avant le 15 octobre 2012, 25e anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara.

Il y a des informations jusqu’ici inédites dans votre livre, quelques anecdotes notamment sur la période précédent la révolution. D’où vous viennent ces informations ?

20- C’est le fruit de longues et patientes recherches. Je continue d’ailleurs les recherches pour essayer d’enrichir la prochaine édition.

Vous soulignez des aspects positifs du CMRPN, ce qui est nouveau par rapport aux ouvrages parus jusqu’ici ? Vous semblez dire que leur seule erreur c’était d’avoir restreint les libertés alors qu’ils avaient de bonnes intentions ?

21- Le bilan du C.M.R.P.N. est globalement positif. Son principal tort est d’avoir été renversé par les futurs acteurs de la Révolution. Du coup, le régime a été chargé de tous les péchés d’Israël. Sans discernement. Par la suite, s’adonnant à la facilité – comme c’est l’habitude de la plupart des Africains alphabétisés – on s’est contenté de répéter les choses et personne ou presque n’a entrepris un travail objectif sur ce régime.

22- Il est vrai que certains syndicats ont connu des périodes difficiles sous le C.M.R.P.N. Mais, il n’en a pas été très différent sous la Ie République ou sous la Révolution. Même sous le régime débonnaire de Lamizana, il y eut un projet de loi anti-grève, le décret n° 79/389/PRES excluait des centaines d’étudiants de l’université de Ouagadougou ; l’arrêté ministériel n° 46/ENC/SD du 21/12/1979 interdisait les associations d’élèves dans les établissements secondaires. Si Blaise Compaoré est devenu militaire, c’est parce que, à la suite de manifestations scolaires, il a fait partie de ceux qui ont été envoyés en rééducation dans les casernes. Y ayant pris goût, il opta pour la carrière militaire. C’était sous Lamizana. B. Jaffré mentionne d’ailleurs cet épisode dans son ouvrage : Biographie de Thomas Sankara, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 94 – 95.

23- Quelques dirigeants du C.M.R.P.N. ont sans doute été impliqués dans des dossiers non transparents, mais pas plus que sous les autres régimes. Sankara lui-même, au nom de la solidarité révolutionnaire et de la cohésion de l’équipe dirigeante, a fermé les yeux sur des pratiques peu recommandables de certains de ses plus proches collaborateurs.

Saye Zerbo, le président du C.M.R.P.N., a vécu pauvrement et humblement jusqu’à la fin de ses jours. Comme tout le monde, il a commis sans doute des erreurs. Mais il semble avoir gouverné en toute bonne foi.

Vous êtes sévère avec le PCRV, le parti communiste révolutionnaire voltaïque et vous critiquez ses thèses en vous référant aux classiques, empruntant largement à des textes de Lénine, et même de Marx notamment.

24- On ne peut pas vraiment dire que j’ai été sévère ou complaisant envers qui que ce soit ou quoi que ce soit. J’ai simplement analysé les faits. La révolution suppose un mouvement continu, une remise en cause permanente pour s’adapter aux réalités qui sont en perpétuelle évolution. Or, le P.C.R.V. ne connaissait pas le mouvement. C’était un parti figé qui vivait en fonction des premières connaissances mal assimilées par ses dirigeants. Ce n’était donc pas un parti révolutionnaire mais conservateur. À un moment donné, ses cadres avaient opté pour la facilité des pensées acquises et transmises par d’autres. En arrêtant de penser, ils avaient voulu figer l’histoire.

25- Si le P.C.R.V. était parvenu au pouvoir dans les années 1980, on aurait pu avoir quelque chose comme le régime des khmers rouges au Cambodge ; au mieux, comme le régime de Mengistu en Éthiopie. Les militants de ce parti se caractérisaient surtout par une suffisance et une intolérance sans borne ; sans doute à la mesure de leur ignorance.

26- Beaucoup parlent, invoquent et convoquent le marxisme sans réellement y comprendre grand-chose. Ne dit-on pas que ce sont les tonneaux vides qui font le plus de bruit ? Le corollaire de l’ignorance c’est l’arrogance. Ne dit-on pas aussi que le premier pas dans l’ignorance est de présumer que l’on sait ? Or, le révolutionnaire me semble-t-il, doit être humble, ouvert et détaché tout en restant déterminé.

27- Il convient de reconnaître que Marx lui-même n’a pas toujours donné le bon exemple. Il avait la manie de refuser à tout autre la capacité et l’autorité de penser le socialisme. Alors que dans les sciences qui relèvent du continent histoire, seuls l’archéologie et les faits historiques peuvent prétendre à une certaine exactitude. L’être humain étant libre par essence, les sciences sociales se caractérisent par leur flexibilité. Dans l’appréhension des faits sociaux, nul ne peut prétendre en détenir le monopole.

Vous dites que Blaise Compaoré était chargé du lien avec le PCRV et que « le CNR qui a appelé à l’unité des mouvements et organisations de gauche fournit la logistique nécessaire pour le congrès du SAMAB (syndicat autonome des magistrats burkinabè) et le ministère de la Justice dont Blaise Compaoré détenait le portefeuille facilita autant que possible son organisation ». Les syndicats autonomes que l’on disait liés au PCRV n’étaient-ils pas pourtant à l’époque dans une stratégie de confrontation avec le pouvoir ? C’était le positionnement de Thomas Sankara, mais il semblait bien qu’à cette époque il avait à affronter l’opposition de ceux qui voulaient au contraire procéder à de nouvelles épurations au sein du CNR.

28- Thomas Sankara, c’est peut-être un des aspects de sa naïveté, n’avait jamais perdu l’espoir de parvenir à regrouper tous ceux qui se disaient de gauche et au-delà, tous ceux qui étaient de bonne volonté pour participer à la construction du pays. C’est dans ce sens que, malgré les vicissitudes, le contact n’était pas rompu. Blaise Compaoré était chargé du maintien des contacts avec les organisations de gauche.

29- L’ouverture et la tolérance que préconisait Thomas Sankara ne convenaient pas à tous. Elles étaient ressenties comme une menace, notamment par les opportunistes de l’U.C.B. et du G.C.B. qui craignaient pour leur propre positionnement. Blaise Compaoré a tiré profit de la mission qui lui était confiée d’entretenir les contacts pour rallier les plus fragiles – intellectuellement et moralement parlant – à son projet de prise du pouvoir.

Vous êtes aussi très sévère avec la LIPAD dont vous reconnaissez pourtant l’action précédant la révolution ?

30- Comme je l’ai déjà dit, je n’ai voulu être ni sévère ni complaisant. Le subjectivisme ne convient pas à la méthode de travail scientifique. Ce sont les faits, leur confrontation à la réalité du terrain et aux théories sur lesquelles ils prétendent se fonder qui dictent le contenu de l’analyse.

Le P.A.I. a été créé en 1957 au moment où la conception stalinienne de la révolution et de construction du socialisme prédominait. La déstalinisation ne date que de 1956, soit un an auparavant. Depuis, le P.A.I. n’avait sans doute pas renouvelé ses analyses. Il avait préféré le confort de l’immobilisme intellectuel au risque du mouvement. Il était donc devenu un parti conservateur, ayant figé l’histoire à un moment donné. C’est ce qui explique qu’il définissait la révolution à intervenir en termes de révolution populaire de libération nationale (R.P.L.N.) alors que, dès lors qu’une entité acquiert son autonomie, il n’est plus possible de parler ni de révolution nationale ni de libération nationale. Si toute la population peut être mobilisée pour la libération du territoire – et encore ! – tel ne peut plus être le cas dès lors que le territoire a un gouvernement autonome qui gouverne selon une politique qu’il a définie et qui ne peut faire l’unanimité. La révolution ne peut alors être que de classe, c’est-à-dire, au départ, au profit d’une partie de la population.

31- Ce n’est pas parce que ce parti a joué un rôle important dans l’avènement de la Révolution qu’il faut s’interdire de relever ses insuffisances. Ce ne serait plus faire preuve d’objectivité mais de parti pris. Rosa Luxembourg reprochait d’ailleurs à certains de ses camarades de fermer les yeux sur les erreurs de Lénine et de ses compagnons au prétexte qu’il ne fallait pas affaiblir la Révolution bolchevik. Simone Weil soutenait aussi que ce n’est pas parce qu’on prend parti pour les opprimés qu’il faut s’interdire la critique des armes et des méthodes.

En refusant parfois de reconnaître la réalité des faits pour « ne pas désespérer Billancourt » comme disait Jean-Paul Sartre, beaucoup de gens ont été induits en erreur et plus tard le désaveu n’en a été que plus cinglant.

On sait aujourd’hui, ce qui s’est vérifié plus tard que s’ils appliquaient la discipline collective, tout n’était pas simple à l’époque entre eux et notamment avec Touré Soumane, le leader de la CSV, qui a depuis eu un itinéraire pour le moins sinueux. Pourtant n’avait-elle pas alors émis des critiques que l’on reprend beaucoup aujourd’hui, une prépondérance des militaires au sein du CNR, un manque d’organisation de celui-ci, ce qui semblait se corriger à partir de 1987, des décisions improvisées ?

32- Soumane Touré me semble être l’exemple même de l’indiscipline caractérisée, fruit d’un ego surdimensionné. Il n’est donc pas surprenant qu’il ait eu maille à partir avec son propre parti qui, à un moment donné a eu marre de ses extravagances. Au fil du temps, beaucoup de ses anciens fidèles l’ont quitté pour rejoindre d’autres formations politiques ou pour créer leur propre parti. On ne le dira jamais assez, le détachement et l’humilité dans la conviction et la détermination sont les principaux traits du révolutionnaire. Autrement, c’est prendre le mot révolution en otage et comme échelle pour parvenir à des ambitions personnelles.

Je pense avoir suffisamment mis en lumière le surnombre et la prééminence des militaires au sein du C.N.R. et les conséquences qui en ont résulté. Non seulement le P.A.I. mais aussi l’U.L.C.-R. contestaient cela. Mais cette critique de leur part pouvait ne pas être désintéressée. N’était-elle pas aussi motivée par les luttes de positionnement ?

Vous qualifier aussi le GCB et l’UCB d’arrivistes, mais par contre aucune critique contre l’ULCR ?

33- L’U.L.C.-R. est le mouvement qui avait le mieux su adapter ses analyses aux réalités du terrain sans trop de prétentions. Contrairement aux autres groupes, il s’exprimait avec moins d’arrogance et plus de responsabilité.

Le D.O.P. s’est inspiré des analyses de Valère Somé qui, à l’époque, était le responsable de l’U.L.C.-R. La création des C.D.R. figurait dans les projets de société de l’U.L.C.-R. avant même qu’on ne pût imaginer qu’une révolution surviendrait au Burkina. Après la Révolution, certains de ses anciens membres ont poursuivi la réflexion et le renouvellement de leurs analyses.

34- J’ai néanmoins relevé le caractère élitiste de l’U.L.C.-R. et son manque d’ancrage populaire. J’ai aussi mentionné la scission intervenue en son sein le 3 février 1987 avec la création de l’U.L.C.-La Flamme qui avait rejoint l’aile militaire et militariste du C.N.R. pilotée par Blaise Compaoré. Il convient aussi de relever qu’après le 15 octobre 1987, la fraction opportuniste de l’U.L.C.-R a rejoint le Front populaire et depuis lors, elle jouit aux côtés de Blaise Compaoré des délices du pouvoir. Certains d’entre eux, se sentant maintenant de plus en plus marginalisés, sont à l’origine de la création du Mouvement du peuple pour le progrès (M.P.P.) qui prétend se joindre à l’opposition pour contester à Blaise Compaoré l’option de modifier la Constitution pour se représenter en 2015.

Vous soulignez avec juste raison, les limites de l’unicité de l’expression politique, convoquant même Marx et Rosa Luxembourg, mais aussi René Dumont dont vous citez la phrase suivante : « L’existence en beaucoup de pays d’Afrique, d’un parti unique dominant peut être un facteur positif, s’il ne se coupe pas de la base populaire. Il permet au moins d’éviter les surenchères démagogiques ». Vous précisez d’ailleurs que contrairement à ce qui s’est passé dans les pays de l’est, Sankara voulait construire un parti d’avant-garde mais où différentes sensibilités auraient pu s’exprimer. Un des collaborateurs a témoigné qu’à terme Sankara voulait rétablir les libertés politiques et le pluralisme mais après que le parti d’avant-garde se soit constitué.

Vous vous réclamez du mouvement des focolari pour qui « Dieu et la Bible servent de guide chaque jour », vous opposez « l’adhésion intellectuelle à l’adhésion de cœur à la révolution », et vous attribuez les « difficultés du marxisme au rejet de la spiritualité et de la liberté ». Sankara était certes chrétien, mais contrairement à de nombreux autres leaders, pas seulement en Afrique, il ne fait jamais publiquement référence à Dieu. Sa référence pour l’homme n’est-elle pas plutôt proche de celle de l’homme nouveau de Che Guevara que de cet « amour » propre au discours chrétien ?

35- Sankara avait une conception personnelle et authentique de la religion. Pour lui la religion doit libérer l’être des servitudes de l’ignorance et non l’enchaîner. Elle doit servir au progrès de l’humanité et à son harmonie. Elle doit être un soulagement pour les opprimés et non être de connivence avec les puissants et les pouvoirs constitués si ces derniers ne prennent pas le parti des opprimés.

36- Comme disait René Dumont, il y a des curés chocolat et des curés peuples. Sankara était de ceux qui croient qu’on ne peut pas aimer Dieu qu’on ne voit pas si on n’aime pas l’être humain qu’on voit. L’amour de Dieu doit passer, de façon concrète et non seulement théorique, par l’amour du prochain. Beaucoup de croyants, heureusement, ont aussi cette conception de la religion. Beaucoup de réalisations en faveur des déshérités ont été faites au Burkina, dans l’anonymat total, par le clergé et des chrétiens d’Europe et d’Amérique du Nord. Toutefois, sous le manteau de la religion, certains cherchent à régner en despotes.

A propos de la justice, vous évoquez l’opposition entre justice distributive et une égalité relative modulable selon ses moyens, et le droit français qui en théorie postule l’égalité devant la loi, ce qui reste une illusion, et ce qui justifie le système judiciaire mis en place par la révolution. Mais vous ne donnez pas franchement votre avis, en tant que juriste et avocat, sur par exemple la marginalisation de la profession d’avocat durant la révolution? Le système mis en place sous la révolution est-il très original ? D’où en vient l’inspiration ? Y-a-t-il eu des tentatives analogues dans d’autres pays ?

37- Le souci dans l’ouvrage n’était pas de donner mon avis sur quoi que ce soit, mais de confronter les faits à la réalité et aux théories fondamentales.

La Révolution avait créé les songda (songuedba) qui, à terme, semble-t-il, devaient remplacer les avocats ordinaires. Les avocats existants pouvaient se fondre dans la profession réformée. Il convient de rappeler que les songda étaient des magistrats de formation ayant déjà exercé. Ils avaient donc les bases requises. La création des songda avait pour objectif de faciliter l’accès à la défense car les services des avocats coûtent chers.

Je n’ai pas idée d’un tel exemple ailleurs. C’est un système original. On peut cependant se poser des questions sur son efficacité. Un défenseur qui n’est pas libéral et indépendant, et dont la carrière ne dépend pas de lui seul et des résultats, peut-il être aussi motivé et efficace que l’avocat ?

A propos de la planification, vous évoquez la planification socialiste et la planification capitaliste, mais n’assiste-ton pas en réalité aujourd’hui dans le monde libéral à une absence totale de planification ?

38- Il n’y a pas de politique économique ou de gestion sans planification. La planification peut être capitaliste – c’est la plus ancienne des Temps Modernes – ou socialiste. Elle peut être macroéconomique ou microéconomique. Elle peut être à court, moyen ou long terme. Elle peut être impérative ou indicative, rigide ou souple. Elle peut être respectée ou pas. Mais elle existe toujours, servant d’horizon et de ligne de conduite.

Un État ou une entreprise a toujours des objectifs. En Occident on voit souvent des dirigeants d’entreprise débarqués pour non atteinte des objectifs. Sans planification, une économie n’a pas de perspective – surtout face à la concurrence en économie libérale. Tout dépend de la nature et de l’objet de la planification.

On évoque en parlant du Burkina d’un auto développement, ou développement autocentré et le fameux mot d’ordre « compter sur ses propres forces » pourtant vous soulignez que « le financement du plan quinquennal était essentiellement basé sur des ressources externes soit 82% au début de son exécution en 1986 contre 75% à la fin en 1990 » ! Il y a bien un peu plus loin, l’évocation des différentes caisses de solidarité, mais en termes de volume, on est loin du compte. Est-ce l’illustration d’un discours en contradiction avec la pratique selon vous, ou bien une mise en évidence des contradictions que devait affronter la révolution ?

39- La Révolution avait hérité d’une économie embryonnaire et désarticulée, dans un pays sans ressources naturelles. Il était donc difficile, surtout à ses débuts, de ne pas faire avec les moyens du bord. C’était là l’une des grandes difficultés auxquelles Thomas Sankara devait faire face. Les habitudes de consommation et les façons d’être qui influaient sur les importations et la structure de l’économie ne pouvaient pas toutes être brutalement remises en cause. C’est d’ailleurs la remise en cause – quoique progressive – des comportements et des habitudes de consommation – surtout de la minorité citadine – qui a précipité la chute du C.N.R.

A propos de la réforme agraire, nombreux sont ceux ignorants des réalités de l’Afrique, évoquent les tentatives de réforme agraire en Amérique latine, qui consistaient à rendre la terre aux paysans. Mais ne s’agissait-il pas plutôt de pouvoir disposer des terres aux alentours des villes pour créer de nouvelles zones bâties et surtout de délimiter des zones dans les campagnes sur les territoires villageois : une zone pour les habitations, une zone pour l’élevage, une zone pour cultiver et une zone pour le bois ?

40- L’État conserve toujours le droit d’expropriation pour cause d’utilité publique. Le C.N.R. pouvait donc procéder aux expropriations nécessaires en fonction de ses objectifs sans passer par une mesure générale de réforme agraire qui, d’ailleurs n’a pas eu d’effet sur le terrain. La réforme agraire semble avoir obéi à des objectifs idéologiques. C’était sans doute du mimétisme. À l’époque, il était mal vu de se dire révolutionnaire sans procéder à une réforme agraire, comme si tous les pays vivaient les mêmes réalités. Beaucoup d’animateurs de la Révolution, par immaturité politique, étaient plus préoccupés de l’appréciation de leur révolution par les autres que du souci de coller à la réalité du terrain.

Vous avez retrouvé une citation de Senghor qui explique que le mot burkinabè est contraire aux règles de la grammaire française et qui explique que refuser de franciser les adjectifs « c’est faire un complexe d’infériorité ». Ça parait anachronique avec le recul du temps. D’ailleurs certains persistent à écrire burkinais qui sonne aujourd’hui très mal.

Vous vous livrez à un bilan de la révolution du point de vue des réformes engagées et de ce qui a effectivement été réalisé, et il parait très complet et bien plus détaillé que ce que les gens citent en général, mais parfois avec une certains distance critique. Vous citez aussi des mesures peu connues qui paraissent excessives aujourd’hui comme le refus de bourses à des étudiants qui ne sont pas d’accord avec la révolution.

Vous parlez de la révolution comme d’un « laboratoire à ciel ouvert ».
Un chapitre est particulièrement intéressant, c’est celui où vous reprenez toutes critiques couramment émises contre Thomas Sankara et introduisez le débat qui, malheureusement n’a pas encore eu lieu parmi les sankaristes et vous répondez souvent par des citations mêmes de Thomas Sankara. On note que les leaders étaient engagés dans la révolution. Ne faut-il pas plutôt passer la main à une nouvelle génération ? Le dynamisme de la révolution ne venait-il pas pour beaucoup de la jeunesse de ses dirigeants qui étaient en phase avec la jeunesse ?

41- Certes, la jeunesse a ses atouts, la vieillesse aussi. Comme aimait dire Macarthur, la jeunesse est un état d’esprit. On peut être vieux à dix-huit ans et jeune à quatre-vingt-dix ans. Mandela, jusqu’à ses dernières années est resté jeune et en phase avec la jeunesse. Peut-être qu’effectivement il faudrait passer la main à une nouvelle génération qui aura aussi à faire ses preuves et qui peut-être réussira un plus grand regroupement des sankaristes. Dans la situation actuelle cette hypothèse semble difficile dans la mesure où des problèmes personnels semblent avoir miné la confiance entre les différents leaders.

42- Sankara était ouvert au débat. Il cherchait à convaincre et non à vaincre, avec bien sûr ses défauts et ses qualités. Mais, ce n’est pas tout le monde qu’on peut convaincre. L’amour-propre, les ambitions, les intérêts particuliers sont autant d’éléments qui ferment les portent à la raison et à la bonne foi. Dans le débat, Sankara cherchait à être convaincu. Or, ceux qui complotaient contre lui évitaient le débat pour deux raisons :
– 1. Ils n’avaient pas de conviction idéologique et naviguaient à vue, ramassant au passage les formules et les citations qu’ils pouvaient trouver et qui pouvaient servir à leur œuvre de mystification. On voit d’ailleurs ce qu’ils sont devenus quand ils eurent l’occasion de se révéler après l’assassinat de Sankara le 15 octobre 1987.
– 2. Leur objectif n’était pas de débattre ou de chercher à convaincre. Ils n’avaient pas une claire vision d’un quelconque projet de société à proposer. Leur objectif était d’assurer leur carrière personnelle et d’assouvir leurs ambitions.

Dans les instances dirigeantes, leur tactique consistait donc à ne pas prendre la parole pour ne pas courir le risque de révéler leurs lacunes et leurs intentions cachées et aussi pour éviter de s’engager afin d’avoir la critique facile.

Votre livre est évidemment bienvenu dans la période actuelle. Que pensez-vous des démissionnaires du CDP, qui ont été associés au pouvoir depuis si longtemps.

43- C’est ce qui a amené Blaise Compaoré à prendre le pouvoir qui a guidé les démissionnaires du C.D.P. Certains d’entre eux ont comploté avec Blaise Compaoré pour l’élimination de Sankara. D’autres ont volé à son secours quand son régime était chancelant. D’autres encore ont contribué à son rayonnement. Tous ont concouru à la consolidation de son pouvoir et en ont profité largement. Ils ont les mêmes amis, les mêmes réseaux et les mêmes appuis. Ils ne peuvent donc pas prétendre avoir un projet de société différent si ce n’est comme simple stratégie de conquête du pouvoir.

44- Ils ont démissionné parce que dans la configuration qui se dessinait, leur marginalisation était programmée au profit des proches, des amis et de la famille de Blaise Compaoré et surtout au profit de François Compaoré, son petit frère, qui plaçait ses pions en attendant son heure, qui ne devait plus tarder, selon ce qu’ils prévoyaient.

45- Les démissionnaires se sont trop embourgeoisés pour prétendre encore connaître les réalités du peuple. Ils sont plutôt coutumiers des dépenses d’apparat et de démonstration. C’est eux qui ont contribué à la fragilisation des partis d’opposition, à noyer les dossiers Thomas Sankara, Norbert Zongo et plein d’autres dossiers pendants en justice. Il n’y a pas longtemps encore, ce sont les mêmes qui, contre vents et marées, raillant les partis d’opposition avec ostentation, s’époumonaient à défendre Blaise Compaoré et son régime. Comme l’être humain peut évoluer positivement, on peut espérer que leur nouvelle orientation relève d’une reconversion sincère. L’avenir le dira.

En tant que juriste, faut-il se contenter d’excuses des responsables d’exaction ou la justice doit-elle instruire les dossiers. Il y a l’assassinat de Thomas Sankara, sur lequel aucune enquête n’a jamais été faite. Mais il y a eu aussi des tortures notamment pendant la rectification. Je pense à Jean Pierre Palm, alors officier de gendarmerie, cité dans des témoignages, par Valère Somé et Mousbila Sankara notamment, affirmant qu’il assistait aux tortures ?

46- Tant que le régime de Blaise Compaoré sera en place, il serait illusoire de croire à une possibilité de justice pour ses propres victimes. C’est d’ailleurs, entre autres, la peur de la justice qui amène Blaise Compaoré et son frère François à s’accrocher au pouvoir. J’ose croire que lui-même est depuis longtemps conscient qu’il a fait fausse route. Mais il lui manque le courage et l’humilité pour le reconnaître publiquement. Il ne reste plus alors que la fuite en avant. En attendant le face-à-face inévitable de l’histoire.

Sur la tombe de Thomas Sankara le 19 avril 1997

47- Concernant l’amnistie des hommes politiques, je me suis déjà prononcé sur ce point dans l’interview que j’ai donnée au journal Mutations n°01 du 1er septembre 2011. Je suis contre l’amnistie accordée ou proposée aux chefs d’État comme garantie pour les amener à céder le pouvoir et ce, pour trois raisons : 1) Chacun doit assumer la responsabilité de ses actes. 2) Un peuple qui n’est pas capable de faire partir un dirigeant sans s’humilier lui-même par la voie des compromissions n’est pas un peuple majeur. Alors, tant pis pour lui ! Ou alors, c’est que ce peuple ne veut pas vraiment le faire partir. Autant alors qu’il reste au pouvoir. 3) Si on doit passer par l’amnistie, son successeur pourrait se dire : si je gouverne bien, je ne m’enrichirai pas et je n’aurai aucune garantie à la fin de mon mandat. Autant commettre des crimes aussi comme mon prédécesseur, m’accrocher au pouvoir et imposer des conditions pour le céder. C’est donc la porte ouverte à tous les possibles.

48- Il faut reconnaître cependant que les infractions ont des délais de prescription. Elles ne peuvent être poursuivies que pour autant qu’elles ne sont pas prescrites. Mais le Parlement peut rendre une infraction imprescriptible.

Les crimes commis en dehors du Burkina relèvent de la compétence des ayants droit des victimes et du droit international. La Cour pénale internationale ne peut être compétente que pour les crimes commis après l’entrée en vigueur du traité. Néanmoins, en cas de besoin, un tribunal spécial peut être créé s’il n’en existe pas encore dans le domaine des infractions poursuivies.

Votre ouvrage n’intègre pas des documents récents, comme le discours qu’il devait prononcer le 15 octobre 1987. Bientôt une nouvelle édition ?

49- Quand je bouclais l’ouvrage, je n’avais pas connaissance des éléments récents dont vous parlez. Si tout va bien, ces éléments, en fonction de leur opportunité, seront intégrés dans la troisième édition.

Votre livre est beaucoup trop cher pour le public burkinabè, pour le public français aussi d’ailleurs, avez-vous eu du mal à trouver un éditeur ? Le votre ne peut-il pas faire un effort sur le prix ?

50- Comme j’ai déjà eu à vous le dire précédemment, c’est l’éditeur qui a fixé le prix de l’ouvrage en fonction de critères qui lui sont propres. Quand je le contactais j’étais loin d’imaginer que l’ouvrage connaîtrait de tels problèmes de diffusion.

Quels sont vos travaux en cours ?

51 -1. Des articles dans des revues scientifiques.
– 2. Un recueil de poèmes à paraître incessamment à Harmattan Burkina.
– 3. Un ouvrage sur les sociétés humaines et leur évolution dans l’histoire, qui attend un éditeur.
– 4. Une troisième édition de Thomas Sankara et la Révolution au Burkina Faso.
– 5. Une nouvelle édition de L’éventuel et le possible, etc.

On ne vous entend ou lit pas beaucoup dans la presse, contrairement à d’autres intellectuels, burkinabè, juristes notamment ou universitaires, alors que vous montrez une maitrise de la chose politique, couplée à une culture importante? C’est un choix ou la responsabilité en incombe-t-elle aux journalistes ?

52- Entre 1998 et 2010 j’ai publié environ une trentaine d’articles d’analyse et de réflexion dans la presse, notamment dans les quotidiens Le Pays et L’Observateur Paalga. Certains d’entre eux ont fait la une des journaux. Ces articles abordent tous les aspects de la vie sociale : économie, politique, droit, intégration économique et politique, monnaie commune, justice, histoire, philosophie. L’ouvrage L’éventuel et le possible paru en 2002 reprend certains des articles publiés à cette époque. La plupart des sujets actuels de débat ont déjà été traités dans mes précédents écrits.

53- J’ai animé des émissions dans des radios (Savane FM, Horizon FM, Radio Liberté). Pendant longtemps j’ai animé à Savane FM une émission intitulée Culture démocratique. Je viens d’ailleurs d’enregistrer une série d’émissions sur la vie politique, le droit, la citoyenneté, la gestion des collectivités, qui sera diffusée – si ce n’est déjà fait – dans beaucoup de radios. Je viens de donner, pour la deuxième fois, une interview au journal Mutations (n° 49 du 15 mars 2014). J’ai d’ailleurs été le premier à être interviewé par ce journal à sa naissance en septembre 2011.
Toutefois, à ce jour, hormis Le Courrier confidentiel, aucun autre organe de presse, à ma connaissance, n’a vraiment fait cas de l’ouvrage.

54- Il faut dire aussi que je suis plutôt discret car, le bruit fait peu de bien et le bien peu de bruit. En outre, j’ai beaucoup de choses à faire avec des moyens très limités. À la fin de sa vie, Hugo Grotius, l’un des précurseurs du droit international public, a dit : « Pour avoir trop entrepris, j’ai réussi peu de choses. » Je préfère donc me limiter à là ou je pense pouvoir être plus utile, surtout pour les prochaines générations.

Des contacts et des sources

55- Pour la préparation de l’ouvrage, je n’ai eu besoin ni de contacts ni de documents particuliers. J’avais déjà avec moi les ouvrages et les documents fondamentaux. En outre, à mon retour au Burkina, quelques contacts informels m’avaient permis de savoir que beaucoup de prétendus détenteurs de la vérité des faits de cette époque n’en savaient pas beaucoup plus que moi. En dehors bien sûr de quelques anecdotes sans rapport parfois avec la ligne politique ou la philosophie du régime. Je n’ai pas voulu non plus être sous influence ou exposer le projet aux aléas de la situation nationale.

56- La seule personne que j’ai eu à contacter, si on peut ainsi le dire, c’est Abdoul Salam Kaboré. Je voulais savoir l’origine et la signification de Roc, nom sous lequel se retrouvaient de jeunes officiers sous la direction de Sankara. Un de mes cousins qui s’appelle Macaire Yougbaré et qui est professeur de français à Libreville m’avait dit que lui et Abdoul Salam étaient ensemble à Montpellier pour les études. Une fois qu’il était à Ouaga, je lui fis savoir que j’aimerais rencontrer son ami Abdoul. Il ne fit rien. Un ou deux ans après, alors qu’il était de nouveau à Ouaga, il me téléphona un soir pour me dire que si je tenais toujours à rencontrer Abdoul, de venir le chercher pour qu’on y aille. Je ne pouvais manquer une telle opportunité. C’est ainsi que le 24 août 2010, aux environs de 19 h 15 mn, sous une pluie fine, nous arrivâmes à la Pharmacie du Progrès de Abdoul Salam Kaboré. Heureusement, il y était car il n’avait pas été prévenu. Les deux amis étaient ravis de se revoir et parlaient de tout et de rien. Je guettais le moindre temps mort pour adresser mes questions à Abdoul Salam. C’est ainsi que j’ai eu sa version sur le Roc que j’ai mentionnée dans la première édition à la page 128 dans la note de bas de page n° 263 et dans la 2e édition à la page 130 dans la note de bas de page n° 266.

57 – Au hasard des rencontres, j’ai aussi eu une information avec une autre personne. Un matin, j’ai rencontré fortuitement un parent, Ignace Sanwidi, près de la cour de cassation, à l’angle du carrefour avenue Yenênga – avenue du Conseil de l’Ordre. Dans la discussion il m’apprit qu’il a été professeur de français au Prytanée militaire de Kadiogo (P.M.K.) au moment où la promotion de Sankara y était. C’est ainsi que j’ai eu quelques informations sur la scolarité de Sankara au P.M.K.

De la méthode de travail

58- Je n’ai pas eu une méthode de travail autre que celle qu’utilisent les chercheurs : constat, questionnement, collecte, confrontation, analyse, conclusion.

Propos recueillis par mail pour le site thomassankara.net en janvier 2014

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