Après le communiqué du comité des droits de l’homme de l’ONU, Maitre Dieudonné N’Kounkou réagit au traitement de l’affaire Thomas Sankara dans la presse
Ce qui m’attriste, ce n’est pas ce qui vient de se passer à propos de l’ONU, non ! Ce qui m’attriste c’est ce que tous les chroniqueurs disent : la dernière décision de l’Onu ! Mais l’Onu ne vient pas de rendre une décision ?! L’ONU dans le cadre de l’affaire Sankara, a rendu deux décisions.
La première est celle rendue sur la recevabilité de la communication de la famille Sankara. Elle a été prise lors de sa session tenue du 15 mars au 2 avril 2004. Dans cette décision l’ONU donnait tort au Burkina Faso qui soutenait l’irrecevabilité de la communication de la famille Sankara. La deuxième décision, est la conséquence de la première. C’est-à-dire après avoir déclaré recevable la communication (la plainte) de la famille Sankara, il convenait de statuer sur ses mérites : savoir qui avait raison et qui avait tort au regard des articles du protocole facultatif et du pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’affaire sur le fond a été évacuée lors de la session en date des 13 et 31 mars 2006. Cette décision retient au bénéfice de la famille Sankara, la violation par le Burkina Faso des articles 7 et 14 du pacte. Et souvenez-vous de ce qu’écrivaient certains de vos confrères à l’époque contre ces décisions de l’ONU (et lisez ce qu’ils écrivent aujourd’hui sur cette même ONU !). Passons.
Après que s’est-il passé ? L’ONU devait suivre l’application de ces décisions, mais surtout celle sur le fond, par l’Etat partie. Le Burkina a répondu en disant qu’il avait rectifié l’acte de décès, qu’il avait liquidé les droits de Thomas Sankara, qu’une indemnisation était décidée pour la famille, que le lieu de sépulture était déjà connu. Où est alors le problème ? Eh bien il a été fait observer au comité de ce que le Burkina Faso n’avait pas satisfait aux recommandations de l’ONU. Pourquoi ? Parce que d’une part le jugement supplétif ne résolvait pas le problème du décès de Thomas Sankara, car d’une “ mort naturelle “ il passait à “ décédé “ sans précision ; d’autre part le lieu de sépulture n’a jamais été montré à qui que ce soit. Depuis le 15 octobre 1987, une rumeur indique le cimetière de Dagnöen comme lieu où seraient enterrés les victimes du Conseil de l’Entente ; et enfin le Burkina ne dit rien sur les recommandations concernant la justice à rendre. Mais est ce qu’il y avait des recommandations en ce sens ? C’est-à-dire dans le sens d’un procès devant une juridiction. Il convient de lire simplement les deux décisions de l’ONU pour conclure par l’affirmative. D’abord l’ONU dit dans la phrase que d’aucuns pensaient être “la” décision :” Etant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, un Etat partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et effectif lorsqu’une violation a été établie”. Un recours utile et effectif, qu’est-ce à dire ? Lisons la décision sur la recevabilité pour connaître la définition que l’ONU en donne : “Concernant l’épuisement des voies de recours internes, eu égard à l’argument d’irrecevabilité de l’Etat partie tiré du défaut d’utilisation des recours non-contentieux, le comité rappelle que les recours internes doivent être non seulement disponibles, mais également utiles et que l’expression “ recours internes “ doit être entendue comme visant au premier chef les recours judiciaires “ ( paragraphe 6.5 de la décision d’avril 2004).
Quant à l’affaire Sankara, le comité a dit clairement dans son examen au fond qu’il “considère que le refus de mener une enquête sur la mort de Thomas Sankara, la non-reconnaissance officielle du lieu de sa dépouille, et la non-rectification de l’acte de décès constituent un traitement inhumain à l’égard de Mme Sankara et ses fils, contraire à l’article 7 du Pacte “. Le comité observe en outre que depuis que la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel de Ouagadougou s’était déclarée incompétente : “ les autorités pertinentes ont refusé ou omis de renvoyer la cause au Ministre de la Défense, afin que des poursuites judiciaires soient engagées devant les Tribunaux Militaires, tel que prévu à l’article 71(1) et (3) du Code de la justice militaire “. Et comme pour bien clarifier ses observations suite à la décision d’incompétence des juridictions du Burkina Faso, le comité note que depuis cette déclaration d’incompétence : “ près de cinq ans ont passé, sans que des poursuites judiciaires aient été engagées par le Ministre de la Défense. L’Etat partie n’a pu expliquer les retards en question sur ce point”. Voilà le noeud du problème : l’ONU attendait comme nous tous, que le Ministre de la Défense donne l’ordre de poursuite, et l’Etat partie n’explique pas (jusqu’à ce jour) pourquoi il y a ce retard.
Ainsi, les décisions de l’ONU sont d’une clarté indiscutable. Comment alors expliquer la note évoquée dans votre article ? Il faut savoir qu’après le rendu des décisions du comité, il y a un suivi des recommandations. C’est pour voir si la partie “ condamnée” s’exécute. A la suite de quoi, on dit par une note (ou communiqué) ce que l’on compte faire : soit on en reste là, soit on continue. Mais cette note n’est pas une décision, elle n’a pas la même force juridique que les deux décisions sus citées. Maintenant pourquoi avoir dit d’en rester là ? Personne n’est dans le secret des dieux. On ne peut que comme vous, procéder par raisonnement qui peut ou ne pas être partisan. Mais il y a au moins un raisonnement qui précède de la logique : le haut fonctionnaire chargé de ce suivi, connaissait-il l’affaire Sankara ou le Burkina Faso ? Tout de même ! Ce Monsieur dit (dans une note interne) que Thomas Sankara avait été condamné à mort et exécuté ; que le Burkina Faso a proposé 434…millions à titre d’indemnités à sa famille. Alors que tout cela est inexact. Une telle personne qui traite un dossier où on dit qu’on a indemnisé la famille, rectifié l’acte de décès, montrer le lieu de sépulture…à tendance à se dire que l’Etat partie a fait les efforts qui lui ont été demandés. Sans rien vérifier de plus. Si c’est ce qui s’est passé, c’est grave. Par contre si c’est l’environnement politique qui a vicié l’air autour de ce dossier, cela ne changera pas les recommandations de l’ONU qui a précisé que :” contrairement aux arguments de l’Etat partie, aucune prescription ne saurait rendre caduque l’action devant le juge militaire, et dès lors la non-dénonciation de l’affaire auprès du Ministre de la Défense revient au Procureur, seul habilité à la faire. Le comité considère que cette inaction depuis 2001, et ce, en dépit des divers recours introduits depuis par les auteurs, constitue une violation de l’obligation de respecter la garantie d’égalité de tous devant les tribunaux, reconnues au paragraphe I de l’article 14 du Pacte, et des principes d’impartialité, d’équité et d’égalité implicites dans cette garantie” (paragraphe 12.6 in fine de la décision sur le fond). Pour le reste, il ne s’agit que des rêves des gens qui dormaient dans le même lit que Thomas Sankara, mais qui ne faisaient pas les mêmes rêves que lui. Car la justice passera. Tôt ou tard…
Par Me Dieudonné N’Kounkou, Avocat à la Cour d’Appel de Montpellier (Juin 2008)
Article 2
1. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. …
2. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à prendre, en accord avec leurs procédures constitutionnelles et avec les dispositions du présent Pacte, les arrangements devant permettre l’adoption de telles mesures d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le présent Pacte qui ne seraient pas déjà en vigueur.
Article 7
Interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique.
Article 14 Égalité devant les tribunaux et les cours de justice
1. Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. Le huis clos peut être prononcé pendant la totalité ou une partie du procès soit dans l’intérêt des bonnes moeurs, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, soit lorsque l’intérêt de la vie privée des parties en cause l’exige, soit encore dans la mesure où le tribunal l’estimera absolument nécessaire lorsqu’en raison des circonstances particulières de l’affaire la publicité nuirait aux intérêts de la justice ; cependant, tout jugement rendu en matière pénale ou civile sera public, sauf si l’intérêt de mineurs exige qu’il en soit autrement ou si le procès porte sur des différends matrimoniaux ou sur la tutelle des enfants.
Source : http://www.journalbendre.net/spip.php?article2187&lang=fr