Par Inoussa Ouedraogo
Les Sankaristes emmenés par le BSB, le PDSU, GAD et le MTP décident de commémorer le 4è anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara et de ses 12 disciples. Et ce, pour la toute première fois. Profitant de l’élargissement de quelque espace de liberté du fait de l’adoption de la constitution de IVè république. On s’affaire pour l’organisation. Les réunions se succèdent. Les leaders discutent beaucoup entre eux. Les militants également. On arrête un scénario. La cérémonie est prévue pour 16 heures 30. Heure à laquelle l’ignominie est supposée avoir été commise. On convient tous que les leaders (Ernest Nongma Ouedraogo, Nayabtigungu Kabore, Blaise Sanou, Hamidou Diao, etc.) se retrouveraient au tour de 15 heures à Zogona, au domicile de Ernest Nongma pour faire mouvement ensemble vers le cimetière de Dagnöen.
16 heures ! Tout le monde est là, sauf un. Nayabtigungu. « Il est où? Il ne changera jamais celui-là.» On appelle chez lui (il n’y avait pas encore de téléphones cellulaires). Pas de Nayabtigungu. On s’interroge. Où est-il ? Pendant que les uns pensent que le camarade président du MTP a eu peur de s’afficher au cimetière (les dents du sorcier étaient toujours acérées), d’autres se disaient que le barbu nous préparait un coup fourré.
Les supputations allaient bon train lorsque le téléphone retenti : « camarade SG (du BSB) vous êtes où ? Nayab est là et a commencé à s’adresser à la foule. Venez vite ! » On se dépêche donc de filer vers le cimetière de Dagnoen. Inutile de vous dire qu’on a failli en venir aux mains. Des camarades fulminent de colère, de rage. Notre affaire de « commémoration de l’assassinat de Thomas Sankara » fut ainsi proprement sabotée, mais des gerbes de fleurs furent déposées sur les tombes. Un discours parlant de « leurs excellences » de la toute nouvelle IVè république fut délivré à l’auditoire. Ce fut la première fois qu’officiellement, une telle cérémonie se tient en ces lieux. Des pleurs, des larmes… je m’en souviens encore avec émission et je revois ces dames, ces braves dames criant leur colère et leur tristesse, penchées sur la tombe du grand Homme. Malgré le cafouillage, on a pu quand-même se retrouver au tour des tombes des 13 suppliciés du 15 octobre 1987. Et pour nous ce fut malgré tout, un succès, car, une première qui en appellera certainement d’autres.
On prend l’engagement de commémorer l’an V de cet événement douloureux, comme il se doit. On se concerte. Les « moi je ne m’assois plus avec Nayab » fusent. Entre temps d’autres acteurs arrivent sur la scène : ATS, MJS, etc. et donc redistribution des cartes. Quelques mois avant octobre, un comité d’organisation est mis en place. On s’affaire tant bien que mal. T-shirt, banderoles, communiqués radios, etc. J’étais chargé, avec d’autres camarades, de prendre attache avec les radios pour négocier les prix des communiqués. En fait de radios, il n’y avait que la RTB et Horizon FM de Labli Thiombiano. Je vais donc voir le Labli national. Qui me reçoit immédiatement. Je lui annonce l’objet de ma visite. Tout de suite il fut d’accord pour nous aider. On parle de choses et d’autres. Il évoque l’histoire de sa radio. « Ce que les gens ne savent pas, c’est que cette radio remonte à la révolution. » Et il m’explique comment il a été reçu par Thomas Sankara à ce sujet en présence d’un de ses conseillers, avant d’aller voir le ministre de l’information. Pour me convaincre, il pose sous mes yeux une autorisation d’ouvrir la radio Horizon FM signé du ministre de l’information de l’époque, Basile Guissou.
Il accepte pour presque rien, de diffuser nos communiqués.
Des t-shirt portant photo de Sankara avec les écrits suivants : « 5è anniversaire de l’assassinat du président Thomas Sankara », « Thom Sank vit en moi », etc. sont portés par de jeunes Sankaristes. Il faut reconnaitre que nous faisions dans la provoc aussi.
Grosse mobilisation. Les dirigeants bombent le torse. Fièrement. Et à raison. Mais une fois encore, un couac. Un certain Nana Tibo (oui oui oui ! le même-là) arrive sur les lieux et déballe son matos. Baffles, amplis, micro, posters, etc. Les discours du grand Homme fusent ; la musique aussi. Une partie de la foule se détourne vers le nouvel arrivant. Des esprits s’échauffent, mais trèsvite calmés par de plus sages. Tant bien que mal (encore), nous arrivons à la fin de notre cérémonial sans trop d’embuches.
C’est ce jour-là, 15 octobre 1992, que le cimetière de Dagnoen fut baptisé un peu à l’improviste, « cimetière des martyrs »
Voilà ! C’est ma manière de rendre hommage au grand Homme et à ses compagnons tombés sous les balles assassine de la soldatesque.
De rendre hommage à tous ceux qui ont souffert moralement et physique de ces événements malheureux de ce jeudi noir du 15 octobre et des jours sombres qui ont suivis.
De rendre hommage à ces femmes (héroïques) et à ces hommes (braves), jeunes (téméraires), qui nous permettent aujourd’hui encore de suivre le sentier, gardé lumineux par eux.
Un chemin qui traverse la brousse, lorsqu’il n’est pas emprunté, fini par disparaitre. Des femmes et des hommes ont risqué leur vie, risqué l’avenir de leur famille, pour que le chemin ne disparaisse point, pour nous permettre d’en arriver là aujourd’hui.
Ça n’a pas été facile ! Ce n’est toujours pas facile, même s’il y a un léger mieux.
Hommage à ELLES !
Hommage à EUX !
La lutte continue !
La patrie ou la mort ; nous vaincrons !
Inoussa Ouederaogo