Par Maxime SAWADOGO et Toussaint Sawadogo
1. La naissance des politiques urbaines affirmées.
Du 4 août 1983 au 4 août, voilà 37 ans que le régime de Jean-Baptiste Ouédraogo a été renversé et remplacé par un régime révolutionnaire avec à sa tête, le capitaine Isidore Thomas Sankara. L’arrivée au pouvoir du régime révolutionnaire de Thomas Sankara a marqué Ouagadougou par une rupture profonde avec le passé et une ambition de briser les notabilités coutumières, politiciens, les riches commerçants, la bourgeoisie foncière. Ce qui va accélérer les mutations de la ville. Il s’agit de mettre en œuvre « un projet moderniste d’inspiration révolutionnaire » (Osmont, 1995). Ce projet passe par la conception de l’espace, la réforme foncière, les grands travaux, l’amélioration de l’habitat, la démocratisation des services de base. Il se produit alors une accélération du processus de transformation du paysage urbain.
Le gouvernement veut recourir au lotissement et à la restructuration rapide de tous les quartiers pour permettre à toute la population d’accéder à un logement selon le principe « un ménage, une parcelle, un toit ».
Le premier acte fort de la révolution a été la nationalisation des sols adoptée par l’ordonnance de 84-0580 du 4 août 1984 qui annonce la Réforme agraire et foncière (RAF) (NDLR : le terme exact est Réorganisation agraire et foncière) . Tout l’espace urbain devient donc de plein droit la propriété de l’État. La RAF définit trois types d’instruments de planification : le schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme qui définit la destination générale des terres, les plans d’urbanisme de détails fixant les types d’opération d’urbanisme à mener et le lotissement.
Le second acte fort a été l’adoption d’un nouveau découpage de la ville en secteurs. De soixante-six quartiers, Ouagadougou est redécoupée en trente secteurs. En effaçant les limites des quartiers traditionnels, le nouveau découpage a pour effet d’effacer les représentations spatiales préexistantes et de bouleverser l’ordre traditionnel. Des inégalités spatiales apparaissent dans les superficies des secteurs. Chaque secteur est doté de nouveaux acteurs administratifs : les CDR (comité de défense de la révolution). Ces nouveaux acteurs du pouvoir politique dirigent la gestion participative, le développement communautaire et la participation populaire. Ils ont pour rôle d’être à l’écoute des besoins de la population. Des tribunaux populaires (TPR) sont chargés de juger les litiges dans ces secteurs. Ce qui efface donc l’influence des chefs coutumiers qui jouaient un rôle considérable dans les précédents projets. En 1985, afin de lutter contre la spéculation foncière et de renforcer la maîtrise foncière, la révolution prend la décision d’annuler les loyers.
Désorganisation du pouvoir traditionnel carte de Ouagadougou
La coopération avec la Hollande permet l’élaboration du SDAU de Ouagadougou en 1984, par le cabinet Haskoning et ratifié par le CNR en 1986. Les objectifs de ce schéma étaient : l’amélioration des conditions de vie dans les zones spontanées, la maîtrise de leur extension, la création de trames d’accueil pour les ménages déplacés, l’arrêt de la spéculation et la modernisation de l’armature commerciale du centre-ville (Aunis, 1999).
En 1986, un plan d’adressage est mis en place, avec pour objectif de servir de meilleurs repères urbains et de faciliter le fonctionnement des services publics. Dans une volonté manifeste d’en finir avec la bancoville, trois projets d’envergure sont mis à étude avec l’Etat comme acteur principal :
• Le projet d’aménagement d’un nouveau quartier au sud-est de la ville, Ouaga 2000.
• La rénovation intégrale du marché central Rodwoko
• La création d’une Zone d’activités commerciales et administratives (ZACA) à la place du quartier de Zangouettin.
2. Les lotissements commandos et la construction des cités : promouvoir la politique « un ménage, une parcelle, un toit ».
Nous évoquons le mot « lotissement commando » pour signifier l’autoritarisme et la rapidité avec laquelle les lotissements ont été effectués. Ces opérations ont été réalisées par le régime révolutionnaire dans les secteurs 15 à 30 de la ville de Ouagadougou. Elles ont permis de produire 64 231 lots. Cependant, dans le souci de satisfaire le plus de ménages possible, les superficies étaient de petite taille, entre 250 et 300 m². Conformément à l’égalité territoriale proclamée, les secteurs se voient équipés d’infrastructures primaires (écoles, bornes-fontaines, établissements sanitaires).
La révolution met en œuvre une politique de construction de logements sociaux pour les classes moyennes sous forme de location-vente. Elle va permettre l’édification des cités centrale (An III) et péricentrale (An IV B, 1 200 logements) en lieu et place des quartiers déguerpis. Il faut noter que les quartiers qui ont surtout fait l’objet de déguerpissement étaient sous moindre influence de la chefferie traditionnelle mossie, qui voyait d’ailleurs d’un mauvais regard, la perte de leur pouvoir foncier. Nous remarquons que le régime révolutionnaire est donc resté prudent cis à vis des pouvoirs locaux, évitant ainsi des conflits directs avec ces derniers.
Cependant, malgré la production massive de lotissements, le régime révolutionnaire est resté dans l’incapacité à viabiliser les nouveaux espaces lotis : électricité, eau, assainissement, voirie etc. Ce régime a donc opté pour la continuité du système précédemment mis en place dans les MAP en priorisant l’espace privé. Par contre, les lotissements multiples produisent alors des effets inattendus et pervers. De plus, les CDR, organes intermédiaires du pouvoir central, avaient assurément introduit de nouvelles inégalités urbaines en matière d’attribution des parcelles, d’accès aux services et de vie quotidienne dans les centres et les périphéries. C’est alors que plusieurs politiques de redressement des stratégies urbaines ont été envisagées. Elles n’auront pas le temps d’être mises en œuvre que le 15 octobre 1987, un coup d’État met fin au régime politique révolutionnaire. Le Front Populaire avec à sa tête le capitaine Blaise Compaoré prend le pouvoir et va marquer le début d’un régime urbain libéral qui va durer de 1991 à 2006.
Maxime SAWADOGO, Toussaint Sawadogo
Source cartographique : la désorganisation du pouvoir traditionnel, Elaboration : P. Meyer, 2013.
Source bibliographique : Florence Fournet, Aude Meunier-Nikiema. Gérard Salem. Ouagadougou (1850-2004) . Une urbanisation différenciée. IRD, 2008. 146 p.

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