Par Kakiswendépoulmdé Anselme Lalsaga
En ce qui concerne le rapport de la Révolution à la religion, d’une manière générale, le moins que l’on puisse dire est qu’il y avait des tensions. Certes, jusqu’alors, les recherches n’ont pas prouvé l’existence d’une politique officielle établie par le CNR en vue d’une liquidation en règle des religions pendant la Révolution. Thomas SANKARA avait d’ailleurs déclaré à ce sujet : « Des informations nous reviennent selon lesquelles le Capitaine SANKARA et la Révolution sont contre les religions ; n’en croyez rien ! Quand on dirige un peuple de croyants, il est impossible d’être contre les religions. Ce serait insensé ! Rassurez-vous ; la Révolution n’est contre aucune religion ! » (Alfred Yambangba SAWADOGO, 2001, Le président Thomas SANKARA, chef de la révolution burkinabè : 1983-1987, portrait, Paris, L’Harmattan, page 113).
Mais, c’est plutôt au niveau des sources idéologiques de la Révolution, l’utilisation d’une phraséologie foncièrement empreinte du marxisme-léninisme, la transposition de ce discours naturellement athée sur la pratique gestionnaire et enfin la volonté de contrôle total de toutes les organisations fussent-elles religieuses par les CDR que les tensions s’étaient nourries.
L’on peut dire que l’empreinte marxiste s’est manifestement répercutée sur les rapports entre le CNR et les institutions religieuses, rapports qui s’étaient inscrits dans une certaine conflictualité. Dans le contexte de la RDP, les institutions religieuses n’avaient pas été toujours vues comme des forces concourant à la quête de l’idéal politique poursuivi. La fidélité que les révolutionnaires proclamaient à l’endroit de leurs inspirateurs marxistes n’était donc pas de nature à garantir des relations saines entre eux et le monde religieux. De ce fait, on avait pu constater que sur le plan discursif ou pratique, des partisans du CNR avaient nourri une certaine hostilité envers les institutions religieuses, qu’ils accusaient de prendre part à la réaction contre le régime.
La création des CDR était une stratégie du pouvoir révolutionnaire pour arriver à s’introduire dans toutes les organisations sociales et faire de ces dernières des bases de soutien. Cette démarche ne trouva pas l’assentiment des institutions religieuses dont le mutisme remarqué constituait une sorte de résistance à la visée dominatrice du CNR sur elles. Sur cette question, Édouard OUÉDRAOGO déclare : « Un système révolutionnaire ne peut pas s’accommoder de bonnes grâces avec tout ce qui est force organisée qu’il ne contrôle pas. Or cette Révolution a éclaté dans un pays [Burkina Faso] où il existait quand même des forces organisées [les religieux] qui n’ont pas été faciles à pénétrer » (Édouard OUÉDRAOGO : entretien du 09 août 2005 au siège de L’Observateur).
À l’approche même du 04 août 1983, Babou Paulin BAMOUNI avait écrit : « On ne peut pas parler d’évolution politique en Haute-Volta sans tenir compte des forces féodales et religieuses … qui jouent un rôle dans la vie politique voltaïque. … Les forces religieuses regroupent la communauté chrétienne et la communauté musulmane. Ces forces contribuent à l’orientation politique des différents régimes. Pour ce faire, la communauté chrétienne influence par ses messages les organisations syndicales et politiques. Le haut clergé, par le cardinal Paul ZOUNGRANA interposé, prend chaque fois une position quant à l’orientation de la vie politique. Cette communauté contrôle la jeunesse voltaïque. Des organisations de jeunes ont été implantées partout : JAC (Jeunesse d’Action Catholique), JEC (Jeunesse Etudiante Catholique), JOC (Jeunesse Ouvrière Catholique), JTC (Jeunes Témoins du Christ), plus d’autres mouvements parareligieux : les Guides, les Eclaireurs, les Cœurs vaillants et Ames vaillantes, etc. Tous ces jeunes, hommes politiques potentiels, étant entre les mains du fatalisme et de la réaction rétrograde, il y aura pour longtemps encore des esprits prêts à défendre le système qui nous exploite. Du côté de la communauté musulmane, la canalisation de la jeunesse est faite par le biais de l’école coranique où l’obscurantisme enveloppe un esprit conservateur. En 1973, l’on comptait selon les statistiques 1 538 750 musulmans dans le pays. La communauté musulmane d’une façon générale agit avec l’occultisme, c’est-à-dire le maraboutage qui influence énormément les Voltaïques et plus particulièrement les petit-bourgeois qui luttent par tous les moyens pour conserver leurs postes ou leurs privilèges politico-bureaucratiques » (Babou Paulin BAMOUNI, « L’évolution politique de la Haute-Volta » in Peuples noirs, peuples africains n°34 de juillet – août 1983, p.p. 53 – 74, dans les sites : http://mongobeti.arts.uwa.edu.au / et http://www.thomassankara.net ). Certes, on peut considérer ces affirmations comme personnelles et n’engageant pas forcément ou totalement tous les leaders révolutionnaires. Toujours est-il que ces procès des institutions religieuses ont influencé de nombreux révolutionnaires et justifié leur méfiance et leur agressivité vis-à-vis des responsables religieux. Rappelons qu’après le 04 août 1983, Babou Paulin BAMOUNI a été promu à un poste politique important, celui de directeur de la presse écrite. Aussi était-il considéré comme un idéologue de la Révolution à travers ses écrits dans l’hebdomadaire Carrefour africain où il animait principalement la rubrique Idéologie.
Les tentatives du CNR de mettre les institutions religieuses sous son contrôle exprimaient clairement sa crainte de voir ces dernières, dont les théories étaient à l’antipode du marxisme, œuvrer contre lui. Ces opérations allaient nourrir des relations orageuses que nous voulons exposer dans cette partie de notre réflexion. Certes, ainsi que dit plus haut, il n’y a pas eu véritablement une politique concertée de l’instance suprême du CNR pour opprimer les institutions religieuses. Mais, comme le souligne Édouard OUÉDRAOGO, à travers même la stratégie d’action des CDR, leurs déclarations, leurs veillées-débats, on savait que les forces religieuses étaient dans le collimateur du pouvoir révolutionnaire (Édouard OUÉDRAOGO : entretien du 09 août 2005 au siège de L’Observateur paalga). D’après Achille TAPSOBA, au-delà du discours, l’opposition entre la Révolution et les religions n’était pas systématique, mais le message vulgarisé par celles-ci n’était pas toujours de nature à rassurer les révolutionnaires. Cela étant, il y a eu des moments de tension entre certains religieux et les acteurs de la Révolution, notamment les CDR (Achille TAPSOBA : entretien du 27 juillet 2005 à l’Assemblée nationale). Nous abordons la problématique du rapport de la Révolution aux religions en trois temps : les références marxistes-léninistes de la Révolution, les confessions chrétiennes à l’épreuve de la Révolution et la communauté musulmane face aux ingérences des CDR.
Docteur Kakiswendépoulmdé Marcel Marie Anselme LALSAGA (KAMMANL), État, Révolution et transition démocratique au Burkina Faso: le rôle des structures populaires révolutionnaires de l’avènement de la Révolution Démocratique et Populaire (RDP) à la restauration de la République, thèse de doctorat en Histoire politique et sociale, p.p. 282-284.