Marco Bello 1 août 2021 https://www.rivistamissioniconsolata.it

Librement traduit de l’original par Patrizia Donadello

Il était avant tout un ami d’enfance de Sankara. Il nous parle du pays réel, du défi du terrorisme et des comptes encore ouverts avec un passé qui doivent être réglé. Et il nous rappelle la pertinence et l’universalité du message du président visionnaire.

Fidèle Toé, né en 1949, a été le ministre du Travail, de la Sécurité sociale et de la Fonction publique de Thomas Sankara (1983-87). Il était un ami d’enfance du président visionnaire du Burkina Faso. Ils avaient en effet fréquenté ensemble le lycée Ouezzin Coulibaly de Bobo Dioulasso.

J’ai rencontré Sankara en 1962“, nous dit-il. “Nous avions de bonnes relations, nous nous disputions aussi, parfois nous n’étions pas d’accord.”

L’ancien ministre est aujourd’hui à la retraite, après une vie dans la fonction publique, un mandat de député (2002-2007) et des années d’engagement dans la lutte contre le VIH dans son pays, en tant que coordinateur de la cellule ministérielle VIH/sida du ministère du travail et de la sécurité sociale.

Toé s’est exilé après l’assassinat de Sankara le 15 octobre 1987. Il a passé sept ans entre le Ghana et le Congo Brazzaville (1987-1994).

C’est un monsieur sympathique et accueillant, et lorsqu’il parle, on comprend tout de suite qu’il porte en lui un grand pan de l’histoire du Burkina Faso. ” Je vais écrire des mémoires “, confie-t-il, ” j’ai beaucoup de choses à raconter “.

Nous l’avons joint par téléphone dans sa maison à Ouagadougou. Nous lui avons posé quelques questions sur la situation difficile que connaît aujourd’hui le pays sahélien.

Le terrorisme islamiste

Comment lisez-vous les dernières attaques terroristes sanglantes au Burkina Faso ?

“Les attaques ont commencé en 2015, dans le nord du pays. Elles en ont surpris plus d’un, mais d’autres s’y attendaient. Avec l’installation du premier gouvernement du Président Roch Marc Christian Kaboré sont venues des attaques spécifiques contre les étrangers dans leurs hôtels, puis contre les militaires. Le président en exercice a révélé que certaines personnes suspectes avaient officieusement réclamé au gouvernement des véhicules promis par le précédent président, Blaise Compaoré. A mon avis, l’ancien régime est complice des attaques. Des appels téléphoniques ont été interceptés disant que le pays devait être déstabilisé.

Aujourd’hui, si on ne connaît pas le visage des assaillants, on sait qu’il y a parmi eux de jeunes Burkinabè, recrutés par les djihadistes. Je dois admettre qu’à certains égards, nous sommes nous aussi complices en ne dénonçant pas nos enfants. Si un garçon qui n’a rien et ne travaille pas revient au village plein d’argent, il ne l’a pas gagné à la loterie. Il l’a obtenu par les armes, la drogue ou la fraude.

Ce sont ces éléments endogènes qui permettent au terrorisme d’attaquer, de s’installer et de se développer. Comme lors de la dernière attaque à Solhan, un village près duquel l’or est extrait de manière traditionnelle. Les autorités doivent comprendre que si nous avons de l’or, nous ne devons pas le mettre à disposition de n’importe qui. Aujourd’hui, la recherche artisanale de ce métal est une source d’insécurité, car des personnes du monde entier, y compris de l’étranger, s’installent à proximité des sites, et il n’y a plus de contrôle sur les personnes présentes dans la zone. De plus, nos frontières sont très perméables. Fondamentalement, je pense qu’il y a un manque des services d’information ainsi qu’une faiblesse organisationnelle.

Pendant la révolution (Sankariste 1983-1987 ndlr), toute personne arrivant dans un village devait se présenter aux autorités et au CDR (Comité de défense de la révolution) local pour être enregistrée. Un autre problème est que nous n’avons pas appris à la population à se défendre, alors les gens ont fui devant l’ennemi.

© Marco Bello

Comment lisez-vous les dernières attaques terroristes sanglantes au Burkina Faso ?

“Les attaques ont commencé en 2015, dans le nord du pays. Elles en ont surpris plus d’un, mais d’autres s’y attendaient. Avec l’installation du premier gouvernement du Président Roch Marc Christian Kaboré sont venues des attaques spécifiques contre les étrangers dans leurs hôtels, puis contre les militaires. Le président en exercice a révélé que certaines personnes suspectes avaient officieusement réclamé au gouvernement des véhicules promis par le précédent président, Blaise Compaoré. A mon avis, l’ancien régime est complice des attaques. Des appels téléphoniques ont été interceptés disant que le pays devait être déstabilisé.

Aujourd’hui, si on ne connaît pas le visage des assaillants, on sait qu’il y a parmi eux de jeunes Burkinabè, recrutés par les djihadistes. Je dois admettre qu’à certains égards, nous sommes nous aussi complices en ne dénonçant pas nos enfants. Si un garçon qui n’a rien et ne travaille pas revient au village plein d’argent, il ne l’a pas gagné à la loterie. Il l’a obtenu par les armes, la drogue ou la fraude.

Ce sont ces éléments endogènes qui permettent au terrorisme d’attaquer, de s’installer et de se développer. Comme lors de la dernière attaque à Solhan, un village près duquel l’or est extrait de manière traditionnelle. Les autorités doivent comprendre que si nous avons de l’or, nous ne devons pas le mettre à disposition de n’importe qui. Aujourd’hui, la recherche artisanale de ce métal est une source d’insécurité, car des personnes du monde entier, y compris de l’étranger, s’installent à proximité des sites, et il n’y a plus de contrôle sur les personnes présentes dans la zone. De plus, nos frontières sont très perméables. Fondamentalement, je pense qu’il y a un manque des services d’information ainsi qu’une faiblesse organisationnelle.

Pendant la révolution (Sankariste 1983-1987 ndlr), toute personne arrivant dans un village devait se présenter aux autorités et au CDR (Comité de défense de la révolution) local pour être enregistrée. Un autre problème est que nous n’avons pas appris à la population à se défendre, alors les gens ont fui devant l’ennemi.

Mais n’est-ce pas l’armée et la police qui devraient garantir la sécurité des citoyens ?

“Mais dans ces situations, lorsque le problème est trop important pour l’armée, je pense que la population doit savoir comment se défendre. C’est de l’autodéfense pour suppléer les insuffisances des forces de sécurité. Dans plusieurs cas d’attaques, l’armée se trouvait à des dizaines de kilomètres et n’a pas pu intervenir à temps. Nos frontières sont difficiles à contrôler avec l’armée que nous avons. Il y a aussi des soldats qui refusent d’aller dans les zones reculées. Peut-être y a-t-il un problème au niveau de la hiérarchie militaire.

Ensuite, il y a la question des sites aurifères. Si une population s’organise pour exploiter l’or, elle doit également être prête à dépenser de l’argent pour la sécurité, afin de protéger le minerai extrait. C’est ce qui se passe dans d’autres pays.

Plus généralement, comment évaluez-vous la lutte de ce gouvernement contre le terrorisme ?

“Je dois dire qu’il n’y a pas eu de résultats, donc il y a un échec de ce point de vue. Les services ne fonctionnent pas, on ne sait pas quand l’ennemi arrive. Ils disent que des négociations ont été engagées, mais en vérité rien n’a changé. Aucune solution n’a encore été trouvée.

De plus, le terrorisme au niveau international semble être une excuse pour une présence étrangère dans le pays.

“L’utilisation de forces étrangères montre l’impuissance de notre nation à faire face à l’ennemi. Je pense que l’importance de ce combat n’a pas été suffisamment expliquée à nos jeunes, car on voit des Burkinabè critiquer les interventions étrangères, mais eux-mêmes ne font rien. Nous n’avons pas la conscience que nous devons nous battre et que ceux qui le peuvent doivent aller au front. Nombreux sont ceux, même dans la société civile, qui sont contre les interventions militaires, qu’ils trouvent trop violentes, mais ils ne se salissent jamais les mains. Il n’y a pas de guerre avec des mains propres. Il y aura d’autres situations difficiles, ces gens sont très violents. Dans les événements de Solhan, vous voyez la barbarie. Et ça vous rend barbare, et ça vous fait exiger une justice punitive immédiate.”

L’insurrection

En parlant de l’insurrection de 2014 puis de 2015 contre le coup d’État, que reste-t-il du mouvement populaire ?

“En 2014, il y a eu une insurrection saine, qui a vu la fuite d’un homme qui ne voulait plus quitter le pouvoir, alors que notre Constitution prévoit que le chef de l’État peut rester cinq ans, renouvelable une fois. Mais Blaise Compaoré voulait un renouvellement perpétuel.

Les forces à l’origine de l’insurrection étaient de vieux amis du parti de Compaoré qui avaient démissionné (quelques mois plus tôt, ndlr) et rejoint l’opposition historique. Ce mouvement a été renforcé par des jeunes de Ouagadougou et de tout le pays qui se sont levés pour apporter un renouveau.

Mais quand il y a une insurrection, et qu’il n’y a pas de leadership  pour dire, en cas de succès, ce qu’il faut faire, alors d’autres, plus organisés, peuvent prendre le relais. C’est ce qui s’est passé ici avec les militaires, qui ont “récupéré” les résultats de la révolte. L’armée est organisée, elle pouvait immédiatement s’emparer du pouvoir, mettre en place un système de sécurité (pour éviter les dérives, ndlr). Ils ont présenté un seul visage, tandis que les partis politiques, qui avaient renvoyé Compaoré, n’ont pas réussi à présenter une structure et une vision uniques de l’après-soulèvement. Les militaires eux-mêmes ont sauvé le président déchu, en le faisant sortir clandestinement du pays.

En même temps, ils ont utilisé le langage des insurgés et ont pris les rênes. Les contradictions sont ensuite apparues au grand jour avec le coup d’État du général Diendéré (déjoué par une insurrection ultérieure, ndlr).

Aujourd’hui, j’assiste à un phénomène qui me fait sourire, à savoir les anciens membres du système CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès, le parti de Compaoré (qui a gouverné pendant 27 ans, ndlr) qui menacent de préparer une insurrection contre ce gouvernement, qui a lui-même été repris après un soulèvement populaire.

Nous attendons de voir ce qu’ils vont faire. Ils disent que le régime actuel a échoué. Le gouvernement a créé des forces spéciales, et ils disent qu’ils sont contre, que le RSP (Régiment de sécurité présidentielle, le corps militaire choisi qui protégeait le président et était à l’origine du coup d’État de 2015, ndlr) existait déjà. Mais le RSP servait à protéger un homme et sa famille et non la population. Les anciens membres du CDP disent que le gouvernement doit démissionner, sinon ils l’expulseront par la force. Ils demandent ensuite que, dans le cadre d’une réconciliation nationale, Blaise Compaoré, qui a maintenant changé son nom en Kouassi Kodjo et vit en Côte d’Ivoire, soit ramené.

© Marco Bello

Vérité et justice sur le passé

En prenant un peu de recul, on parle beaucoup ces jours-ci du procès contre les responsables de l’assassinat de Thomas Sankara et de ses douze compagnons le 15 octobre 1987. Comment êtes-vous impliqué ?

“Tous les éléments de l’enquête sont réunis pour que le procès puisse commencer. Le juge d’instruction, très compétent, a appelé de nombreux témoins. J’ai moi-même été appelé à témoigner et j’ai dit ce que je savais. Je dois dire que personne ne m’a jamais appelé sur ce sujet auparavant. Ils nous ont accusés de beaucoup de choses, Sankara et moi, mais personne ne m’avait jamais interrogé.

Par ailleurs, le juge d’instruction a finalement eu accès aux dossiers français de l’affaire, qui étaient secrets. Tout le monde ici (les avocats, la famille, moi-même) pense que le procès aura lieu.

C’est pourquoi nous demandons que le terme “Réconciliation nationale” ne soit pas utilisé pour dire de nous taire, mais, au contraire, pour dire la vérité sur ce qui s’est passé. Un pays qui ne connait pas son passé, se ment à lui-même et ne peut pas aller de l’avant. Il ne pourra pas dire qu’il veut juger les voleurs si il n’a pas fait la lumière sur ses dirigeants.

Je pense qu’il y aura un procès, et que le président Sankara ( et ses compagnons assassinés avec lui ndlr) pourra être enterré, car sa dépouille attend toujours un adieu digne. J’espère que cela sera fait rapidement, car le temps que nous en parlions, certains témoins sont déjà morts. Nous vieillissons”.

le vrai pays, une femme avec son vélo et son bébé, dans un village du nord du Burkina Faso ©Marco Bello

L’actualité de Sankara

Quelle est l’actualité du message du Président Thomas Sankara à la jeunesse du Burkina Faso ?

“C’est un message pour la jeunesse d’Afrique et du monde, qui a dépassé la dimension géographique du Burkina Faso. Les jeunes doivent s’organiser sérieusement. Ils ne doivent pas s’attendre à ce que tout soit facile, mais ils doivent se rendre responsables de la prise en main de leur destin. Ils doivent porter un regard neuf sur la façon dont ils s’organisent, dans tous les domaines d’activité. Sankara voulait révolutionner les différents secteurs. Il a été le premier à s’exprimer contre la déforestation, pour la protection de la nature, pour une économie endogène. Sinon, nous consommons des produits de l’étranger et ne développons pas notre économie. Comme, par exemple, l’élevage de petits animaux, dans lequel nous sommes forts.

L’avenir du Burkina Faso n’est pas dans les mines d’or. Vous ne pouvez pas venir les exploiter pendant dix ans, en leur prenant tout, en donnant à l’État quelques broutilles et en disant que vous contribuez au pays.

Sankara a toujours dit que même si nous trouvons du pétrole au Burkina, ce n’est pas ce qui nous sauvera. Il suffit de regarder aujourd’hui l’état de l’économie de tous ces pays qui ont trouvé du pétrole, avec leurs dirigeants qui volent l’argent qui en provient. Il en va de même pour l’or.

Province du Loroum, Nord Burkina ©Marco Bello
L’insurrection a en quelque sorte “dédouané” la figure de Thomas Sankara, dont on parlait autrefois en secret et dont tout le monde est désormais sankariste.

“C’est vrai, Thomas Sankara suscite beaucoup d’intérêt. Il y a des écrits qui peuvent être utiles, d’autres moins. Par exemple, il existe un livre écrit par un Italien que je ne connais pas (Toé désigne un roman publié en Italie, ndlr), qui se serait inspiré de la biographie écrite par mon ami Bruno Jaffré (biographe de Thomas Sankara, ndlr). Des amis m’ont envoyé quelques pages de ce livre, dans lequel l’auteur parle de moi en des termes que j’ai trouvés offensants et irritants. Tout d’abord, je ne comprends pas pourquoi mon nom a été utilisé dans un roman (une fiction), même s’il s’agit de Thomas Sankara. Pourquoi mes parents ont été mentionnés en écrivant Jérôme Toé, qui n’est pas le nom de mon père. Si une fiction a été faite, elle doit être faite avec des noms inventés.

La relation entre moi et Sankara est présentée de manière fallacieuse. Nous avons toujours fait preuve d’une saine émulation, pour atteindre l’excellence, nous ne nous copions pas les uns les autres, mais nous pouvions nous compléter. Sankara était pour moi un ami et un compagnon. Et il avait l’habitude de dire que j’étais un frère pour lui.

Quand il avait besoin de quelqu’un en qui il pouvait avoir confiance, il m’appelait, et j’étais toujours à ses côtés. D’abord comme directeur du cabinet de communication lorsqu’il était secrétaire d’État, puis comme ministre. Je lui ai parlé au téléphone 30 minutes avant qu’il ne soit tué. Je vais écrire un livre de mémoires, avec ma vérité”.

Marco Bello

Archivio MC

Per approfondire

  • �Bruno Jaffré, Burkina Faso. Les années Sankara, L’Harmattan, 1989.
  • �Bruno Jaffré, L’insurrection inachevée Burkina 2014, Syllepse, 2019. (NDLR)
  • �Lila Chouli, Sur l’insurrection populaire et ses suites au Burkina Faso, L’Harmattan-Sénégal, 2018.
  • �Marco Bello, Enrico Casale, Burkina Faso. Lotte, rivolte e resistenza del popolo degli uomini integri, Infinito edizioni, 2016.

Source : https://www.rivistamissioniconsolata.it/2021/08/01/giovani-costruite-il-vostro-destino/

 

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