Cette interview nous a été transmise par François Thibault, chercheur qui travaillait en vue d’une thèse sur les CDR. Elle se trouvait aux archives nationales du Burkina. Le titre est de notre équipe. Nous le remercions ici chaleureusement. La retranscription (elle nous est arrivée sous forme de photo) a été réalisée par Achille Zoungo membre de l’équipe du site.  Ci-dessous le texte qui introduisait l’interview : “Nous transmettons le texte de l’interview accordée à l’envoyé spécial TASS Boris CHABAEV par le capitaine Thomas SANKARA, Président du Conseil National de la Révolution, Président et chef du gouvernement du Burkina Faso. Le texte sera publié par l’hebdomadaire “les nouvelles de Moscou”.”

Le sommet de Reykjavik, s’est tenu les 11 et 12 octobre 1986 en Islande. Il rassemblait Ronald Reagan et Mikhail Gorbatchev. Il a permis de jeter les bases du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire conclu en 1987.

La rédaction du site.


Question : comment appréciez-vous, camarade président, la situation internationale après Reykjavik, quel est votre avis concernant la position soviétique pendant les pourparlers et la ligne de conduite après cette rencontre au sommet ?

Photocopie Interview Thomas Sankara à l'agence Tass du 13 janvier 1987
Photocopie Interview Thomas Sankara à l’agence Tass du 13 janvier 1987

Réponse : vous savez que nous, nous avons apprécié cette initiative de la rencontre de Reykjavik, nous avons apprécié cette initiative de moratoire unilatéral. Nous l’avons salué, nous l’avons dit et j’ai eu moi-même la chance d’être à Moscou juste au moment où le camarade Gorbatchev devait s’y rendre et j’ai pu lui dire au nom du peuple du Burkina Faso, au nom de la révolution du Burkina Faso « bonne chance pour la rencontre de Reykjavik ». Nous avons suivi les résultats, les résultats qui ne nous surprennent pas du tout, mais qui ne devront pas être des motifs de découragement, parce que je crois que d’une manière générale chacun a compris à qui appartient l’initiative de paix et qui marque un retrait, un recul par rapport à l’initiative de paix. La communauté internationale a compris une fois de plus ou passe la ligne de démarcation. Donc je crois que le camarade Gorbatchev a marqué un point qui est important et qu’il faut le maintenir.

Je suis en train de chercher à quel camp nous appartenons… Nous sommes dans un camp, oui, c’est vrai. Le camp du Burkina Faso. Peut-être venons-nous  déranger le catalogue, élémentaire et connu, des camps. Dans le bottin dans des camps politiques, quels sont ceux qui existent ? Eh bien, si vous ne répondez pas, c’est que, premièrement, vous reconnaissez qu’il est plus facile d’être journaliste que de répondre aux questions. Et puis ensuite, peut-être parce que les camps, pour nous, cela n’a point d’importance.

Nous nous considérons comme concernés, parce que la guerre aujourd’hui avec les moyens de communication, avec les perfectionnements technologiques, la guerre ne peut pas être limitée. Elle aura directement ou non des conséquences sur d’autres régions, ça peut être le Burkina Faso, ça peut être nous qui serons touchés directement, ça peut être des perturbations écologiques qui peuvent rejaillir sur le Burkina Faso.  Ça peut être les perturbations économiques. Ça sera surtout la perturbation politique avec parfois le renforcement de l’agression impérialiste. Donc les questions de paix, nous insistons, ne sont pas des questions réservées aux grands. Nous aussi, nous sommes concernés, nous aussi nous avons le droit d’être présent dans ces négociations.

Question : Vous avez anticipé ma deuxième question. Intervenant au parlement indien, pendant sa visite en Inde, le camarade Gorbatchev a souligné l’importance de la communauté mondiale, des organisations mondiales dans la lutte pour la paix, pour le désarmement. Il a cité entre autres l’OUA, à votre avis quel rôle l’OUA peut-elle jouer dans cette lutte puisque, comme vous le dites, nous sommes tous concernés ?

Réponse. : l’Afrique reste l’objet de convoitise sur les plans militaires et économiques.  L’Afrique étant l’objet de convoitise, ce n’est que dans la prise de conscience de tous ceux qui peuvent concourir réellement pour notre unité, notre développement, notre bonheur et notre libération, que nous pouvons éviter d’être de simples pions manipulables de l’impérialisme. A ce sujet donc, nous pensons que l’OUA a une grande responsabilité et que le camarade Gorbatchev a eu raison d’avoir salué en deuxième position le rôle et l’intérêt que représente l’OUA à l’heure actuelle, et nous croyons qu’il faut que les africains se mobilisent davantage, en tous cas, en ce qui concerne le Burkina Faso, pour dénoncer toutes les tentatives de manipulation, d’utilisation, d’exploitation des africains. Il faut dénoncer cela, bien sûr, vous me dites, comment cela sera-t-il possible puisque l’OUA est un regroupement de plusieurs états membres qui ont des régimes politiques différents et qui sont parfois inféodés ouvertement à l’impérialisme, au colonialisme même. Nous disons que c’est la lutte, la lutte permanente même à ce niveau, même dans un forum comme l’OUA, nous devons avoir le courage de dénoncer l’impérialisme et de montrer de la façon la plus claire, la plus simple, la plus acceptable pour tout le monde que, l’impérialisme existe, qu’il essaie de nous exploiter, de nous manipuler, de nous utiliser. Notre paix, la paix dans le monde aussi, tout cela dépend aussi et de la paix en Afrique.

Tout cela dépend de notre capacité à résister contre l’exploitation que l’on veut imposer à nous, aux africains, contre les guerres que l’on provoque chez nous, les conflits que l’on provoque entre africains, contre les appuis militaires, les bandits que l’on lance, les groupes d’oppositions que l’on arme pour déstabiliser les régimes progressistes, révolutionnaires. Aujourd’hui sur le continent africain il y a dans beaucoup des centres d’écoute, de détection, de suivi etc. qui ne profitent pas aux africains mais à ceux qui exploitent les africains. Il y a beaucoup de ports africains qui sont occupés qui sont de véritables enclaves impérialistes, c’est tout ça qu’il faut chasser d’Afrique.

Question : les soviétiques suivent avec un vif intérêt la lutte difficile qui vous menez sur tous les fronts : économique, social, politique. Votre visite en Union Soviétique les publications de la presse soviétique ont enrichi nos connaissances sur la vie de votre peuple. Quelles tâches importantes le peuple révolutionnaire du Burkina doit accomplir, sur quels secteurs d’activité vous orientez, vous sensibilisez surtout votre peuple ?

Réponse : Le plus important dans la lutte que nous menons à l’heure actuelle au Burkina s’est faire prendre conscience à chaque burkinabè, homme ou femme, jeune ou vieux, des villes comme des campagnes que l’impérialisme existe. Ce n’est pas un mot seulement que l’impérialisme nous guette et veut nous détruire. Que c’est lui qui est le principal responsable de notre retard, et que notre bonheur ne peut se construire que si nous acceptons de lutter contre lui. C’est très important de commencer ainsi parce que autrement, si nous ne situons pas clairement la notion idéologique de notre lutte nous allons parler en l’air de notre travail, de courage, de détermination, mais en réalité nous continuerons de servir les causes dits impérialistes. Le but donc de la révolution est de transformer qualitativement la situation qui était jusque-là exploitée par les ennemis du peuple et permettre au peuple de prendre son destin en main.

Question : et ma dernière question, camarade le président, concerne vos impressions sur le voyage en URSS.

Réponse : les pourparlers que j’ai eu en URSS ont été très riches. Que ce soit avec le camarade Gorbatchev, que ce soit avec le camarade Gromyko. Nous avons hautement apprécié la compréhension de la part de l’Union Soviétique et de ses dirigeants et nous pensons que les différents aspects de nos négociations seront bientôt concrétisés. Il y a eu un deuxième aspect qui est plus important, c’est la connaissance, la rencontre entre deux peuples. Vous savez que pendant longtemps l’idéologie dominante, bourgeoise, réactionnaire en Afrique voulait que tout ce qui vient de l’Union Soviétique soit assimilé au totalitarisme, à l’absence de la liberté, aux malheurs et aux souffrances pour les peuples, nous avons combattu cette idée, nous avons démontré que les soviétiques sont des hommes comme les autres qui aspirent à vivre heureux. C’est cela leur objectif, et pour ce bonheur ils sont prêts à travailler,  ils sont même prêts à mourir pour défendre leur patrie comme nous l’avons vu à Leningrad et partout.

Le Burkina Faso est un petit pays africain, pauvre avec une économie qui est très faible, arriéré, mais qui à un courage révolutionnaire pour défendre sa liberté et la paix. Cette paix, elle ne peut pas être seulement défendue par l’Union Soviétique, mais par tout le monde. D’ailleurs je disais que c’est nous tous qui devons accompagner Gorbatchev à Reykjavik, c’est nous tous, ce n’est pas lui seul qui devait partir parler pour nous tous.

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