Nous publions ci-dessous un article de Odile Tobner qui réagit au propos de Pouria Amirshahi rapporté par un article de Mediapart (voir http://www.mediapart.fr/journal/international/180213/fdg-et-eelv-veulent-une-commission-d-enquete-sur-l-assassinat-de-thomas-sankara) .

Vous trouverez après l’article d’Odile Tobner, un extrait de cet article. Nous avons aussi reçu après, un mail de Pouria Amirshahi daté du 22 mars 2013 que nous publions aussi après l’article.

La rédaction

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Mortelle stabilité

publié sur survie.org->survie.org] le 13 mars 2013

par Odile Tobner

Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara, président du Burkina Faso depuis le 4 août 1984, était assassiné à Ouagadougou. Les circonstances du complot qui aboutit à son élimination au profit de Blaise Compaoré, toujours au pouvoir à la tête du Burkina, n’ont jamais été élucidées. Étant donné la personnalité de Sankara, son rayonnement international, ses positions révolutionnaires, il est évident que ce complot débordait les frontières du Burkina. Houphouët Boigny, qui redoutait la contagion des idées sankaristes dans sa population, très liée à celle du Burkina – les deux pays n’ont longtemps formé qu’un seul territoire au sein de l’Afrique Occidentale Française – était intéressé au premier chef à la disparition de Sankara.

La France, puissance tutélaire, alors sous la présidence de François Mitterrand, était offensée par les paroles et les actes d’un président qui avait toutes les audaces. Le Burkina venait de voter à l’ONU pour l’inscription de la Nouvelle Calédonie dans la liste des territoires à décoloniser. Le pacte néocolonial était bafoué.

La famille, les amis et les partisans de Thomas Sankara, soutenus par Survie, n’ont pas renoncé à faire la lumière sur cet assassinat. Pour la deuxième fois une demande de commission d’enquête sur l’implication de la France vient d’être déposée à l’Assemblée Nationale, signée de députés du Front de Gauche et de Europe Écologie-Les Verts. Elle ne peut guère aboutir sans l’accord du Parti socialiste majoritaire.

Interrogé à ce sujet par Médiapart, Pouria Amirshahi, apparatchik socialiste, député et secrétaire de la commission des affaires étrangères, a eu des propos curieux : « la création d’une commission d’enquête parlementaire implique l’existence préalable d’éléments probants car il s’agit de l’engagement d’une institution républicaine qui ne se fait pas à la légère ». Si on comprend bien, on enquêtera sur l’implication de la France si celle-ci est d’abord démontrée, ce qui rendrait cette enquête inutile. Tout en prétendant ne pas vouloir « s’immiscer dans les affaires du Burkina Faso », l’apparatchik socialiste n’hésite pas à affirmer que « Thomas Sankara est un personnage à double face [ …] qui a aussi été tenté par la violence », sans apporter aucun élément susceptible d’étayer ce procès d’intention. Ces propos sonnent comme un aveu : quel besoin de tenter de dégrader ainsi l’image de Sankara, sinon pour justifier sa liquidation ?

L’aveu est confirmé par l’éloge de Compaoré : « il ne faut pas être binaire, il a aussi été stabilisateur dans la région ». Étrange façon de « stabiliser » cette région que de soutenir la rébellion de Charles Taylor au Liberia, celle de Sierra Leone, celle des milices du nord en Côte d’Ivoire, celle du MNLA au Mali. On ne saurait mieux reconnaître que le remplacement de Sankara par Compaoré a été une bénédiction pour les intérêts français, qui sont bien les seuls à avoir été « stabilisés dans la région ».

En dépit des habituelles promesses de rupture, rien n’a changé. La France de 2013 s’oppose à ce qu’on dévoile les agissements de celle de 1987. L’apparatchik socialiste répète les arguments des apparatchiks gaullistes pour justifier les exactions françafricaines : les grands leaders africains admirés par les grandes âmes n’auraient pas manqué de révéler le monstre sanguinaire qu’ils portaient en eux si nous n’y avions pas mis le holà en les remplaçant par nos garde-chiourme.

En 2001, à l’issue des travaux de la commission d’enquête parlementaire sur la mort de Patrice Lumumba, les députés belges avaient conclu à la « responsabilité morale » de l’État belge, arguant notamment du fait que des fonds secrets avaient financé l’opposition à Lumumba. Ils avaient également recommandé la conservation et l’ouverture de toutes les archives et l’approfondissement des recherches historiques, pour « exorciser le passé ». Rien de tel en France, où tout ce travail de mémoire est stigmatisé du nom de « repentance ». C’est précisément la raison pour laquelle le fantôme de Sankara y restera vivant.

Odile Tobner

Source : Billets d’Afrique N°222 de mars 2013 http://survie.org/billets-d-afrique/2013/222-mars-2013/

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L’extrait de l’article de médiapart (voir http://www.mediapart.fr/journal/international/180213/fdg-et-eelv-veulent-une-commission-d-enquete-sur-l-assassinat-de-thomas-sankara) auquel fait référence Odile Tobner.

Interrogé sur l’opportunité de la mise en place d’une commission d’enquête sur la mort de Thomas Sankara, Pouria Amirshahi, député socialiste et secrétaire de la commission des affaires étrangères, précise que « l’implication des parlementaires dans les affaires étrangères est une nécessité démocratique. Toutefois, la création d’une commission d’enquête parlementaire implique l’existence préalable d’éléments probants car il s’agit de l’engagement d’une institution républicaine qui ne se fait pas à la légère ». Les socialistes semblent donc conditionner leur soutien à la démonstration préalable de l’implication française dans l’assassinat de Thomas Sankara. Selon eux, la mise en place d’une commission d’enquête non fondée sur des éléments de preuve impliquant la France pourrait même poser problème. « Si aucun élément à ce stade ne prouve la participation de la France, pourquoi et au nom de quoi enquêterait-elle au Burkina Faso ? Il ne faut pas donner l’impression que la France vient s’immiscer dans les affaires du Burkina Faso. »

Cette prudence politique se double d’un sens certain de la nuance. « Thomas Sankara est un personnage à double face, qui a incarné l’émancipation et l’indépendance véritable, mais qui a aussi été tenté par la violence », précise Pouria Amirshahi. Quant à Blaise Compaoré, dont les agissements à la tête du Burkina Faso sont dénoncés par l’opposition burkinabé et l’association Survie, « il ne faut pas être binaire, il a aussi été stabilisateur dans la région », déclare Pouria Amirshahi. Plus d’un quart de siècle après la mort, la légende de Thomas Sankara est donc bien toujours celle du combat pour l’intégrité.

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Le mail reçu le 22 mars de Pouria Amirshahi

Subject: À propos de l’assassinat de Thomas Sankara

Date: Fri, 22 Mar 2013 08:46:36 +0000

From: “pamirshahi at assemblee-nationale.fr”

To: bruno.jaffre at thomassankara.net

Monsieur,

Suite à un article publié sur Mediapart à propos de l’éventuelle création d’une commission d’enquête parlementaire consacrée à l’assassinat de Thomas Sankara, je tenais à clarifier ma position. Mes propos tels que repris dans l’article sont exacts et je ne les conteste pas. Cependant, la manière dont cet entretien oral a été rapporté ne permet pas de saisir l’ensemble de mon argumentaire. Je vous propose de le reprendre succinctement ici.

Les mérites de Thomas Sankara lors de son passage à la tête de l’État burkinabé sont connus : alphabétisation, vaccination, autosuffisance alimentaire, etc. Lorsque j’évoque une tentation pour la violence, je ne parle pas de lutte politique qui, quelquefois, peut y avoir recours face à des dictatures ou à l’oppression. Je me référais simplement aux groupes se réclamant de Sankara et qui, selon certains témoignages, se comportaient parfois comme des milices ou des bandes vivant du racket des populations civiles.

Concernant plus précisément la commission d’enquête parlementaire, je ne suis pas opposé à son principe, d’autant plus que les circonstances de l’assassinat de Thomas Sankara sont loin d’être élucidées. Je désire simplement que soient portés à notre connaissance des éléments préalables avant de prendre la décision, lourde, de nous ingérer dans les affaires burkinabè.

Enfin, je veux profiter de ce message pour réaffirmer mon soutien aux exigences légitimes de la société civile et de l’opposition démocratique burkinabè, jusque-là trop peu entendues.

Pouria Amirshahi, Député des Français de l’étranger (Maghreb/Afrique de l’Ouest)

— Envoi via le site [Thomas Sankara webSite] (http://thomassankara.net/) —

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