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La lutte du Nicaragua est aussi la nôtre – 8 Novembre 1986

Le 8 novembre, 1986, à Managua, dans un meeting commémorant le vingt-cinquième anniversaire de la fondation du Front sandiniste de libération nationale du Nicaragua et le dixième anniversaire de la mort au combat de son fondateur Carlos Fonseca, Sankara prend la parole au nom des 180 délégations étrangères présentes, devant une foule de plus de 200 000 personnes. Son discours a été publié à New York dans The Militant du 28 novembre de la même année.

La rédaction


 

Je voudrais tout d’abord vous remercier pour l’accueil chaleureux qui nous a été réservé ici, à Managua. Je voudrais aussi dire toute la fierté que nous éprouvons de prendre la parole au nom de toutes les délégations étrangères.

Nous sommes venus de loin, de très loin parfois de plusieurs milliers de kilomètres. On peut se demander ce qui nous unit aux Nicaraguayens qui sont si loin de nous. Ce n’est pas la distance géographique. On peut se demander ce qui nous unit aux Nicaraguayens qui sont si différents de nous par la couleur de la peau.

Et bien, nous sommes unis par la lutte pour la liberté et le bonheur des peuples. Nous sommes unis par le même désir de justice pour les peuples. Nous sommes déterminés ensemble contre l’impérialisme et les ennemis des peuples.

Toutes les délégations ici présentes mesurent la valeur de la lutte du peuple nicaraguayen. A travers le monde nous saluons votre lutte. A travers le monde entier nous appuyons votre lutte. Votre lutte est juste. Elle est juste parce qu’elle est anti-impérialiste ; elle est juste parce qu’elle est contre les oppresseurs et les ennemis des peuples. Votre lutte est juste parce qu’elle est contre les bandits. Votre lutte est juste parce qu’elle rejoint les luttes de tous les peuples du monde entier.

Le peuple palestinien lutte pour la liberté et pour son bonheur. Le peuple namibien lutte pour son indépendance. Beaucoup d’autres peuples sont en train de lutter dans le monde pour leur liberté. En Afrique nous sommes confrontés directement au colonialisme, au néo-colonialisme et à l’impérialisme. Les fascistes, les nazis existent en Afrique du sud où ils ont créé l’apartheid contre les noirs. La lutte contre l’apartheid n’est pas seulement la lutte des noirs mais une lutte de tous les peuples qui veulent vivre libres et unis. Cette lutte est une lutte de tous les peuples du monde entier ; et, nous les Africains, nous réclamons la participation de tous [à cette lutte].

Et les peuples et les dirigeants qui ne participent pas à la lutte contre l’apartheid sont des dirigeants ingrats et traîtres. Ils sont traîtres et ingrats parce qu’ils ont oublié qu’hier les Africains ont versé leur sang pour lutter contre le nazisme au profit des peuples d’Europe et d’ailleurs. Aujourd’hui il s’agit de verser le sang contre l’apartheid et pour le bonheur d’autres peuples.

Camarades, je voudrais vous demander d’observer une minute de silence à la mémoire de Samora Machel, ce grand combattant de la liberté africaine…

Je vous remercie.

Nous disons que la lutte du peuple nicaraguayen doit être soutenue par chacun de nous à travers le monde. Nous devons soutenir le Nicaragua parce que si le Nicaragua était écrasé, ça serait une brèche créée dans le bateau des autres peuples.

C’est pourquoi nous devons lutter politiquement et diplomatiquement pour soutenir le Nicaragua. Nous devons aussi soutenir économiquement le Nicaragua. Nous devons populariser la lutte du Nicaragua à travers le monde.

Nous voulons rendre hommage ici à tous ceux qui dans le monde entier apportent leur soutien au Nicaragua. Qu’il s’agisse des pays du Groupe de Contadora ou des pays du Groupe d’appui, qu’il s’agisse des partis et des organisations, qu’il s’agisse des organisations internationales qui ont accepté de reconnaître la cause juste du Nicaragua, tous méritent d’être félicités parce que les manoeuvres de l’impérialisme pour les empêcher de soutenir les Nicaraguayens sont nombreuses et multiformes

Camarades nicaraguayens, aujourd’hui nous célébrons ensemble le vingt-cinquième anniversaire du Front sandiniste. Aujourd’hui nous saluons également la mémoire de Carlos Fonseca. La seule façon, la meilleure façon pour chacun de nous d’honorer sa mémoire, c’est de faire en sorte que chaque centimètre carré devienne un centimètre carré de la liberté et de la dignité.

C’est pourquoi il faut écraser les Contras. Les Contras sont des charognards qu’il faut écraser. Les Contras sont des chacals qui ne méritent pas le respect. Les Contras sont des gens qui ont vendu leur coeur pour recevoir l’argent impérialiste. Mais vous, vous devez résister contre les bombardiers, contre le minage de vos ports et contre le blocus économique. C’est un devoir pour chaque Nicaraguayen de repousser loin ces fantoches et marionnettes de l’impérialisme que sont les Contras.

Nous voulons vous remercier au nom du Burkina Faso révolutionnaire. Nous voulons vous remercier au nom de tous les pays progressistes et révolutionnaires qui sont présents ici. Nous voulons vous remercier, également, au nom de tous les partis frères qui sont ici.

Et nous disons avec vous :

A bas l’impérialisme !

A bas le :colonialisme !

A bas le néo-colonialisme !

A bas les exploiteurs des )peuples !

A bas les ennemis des Nicaraguayens !

Vive le Front sandiniste !

Gloire immortelle à Carlos Fonseca !

Gloire immortelle à l’amitié révolutionnaire entre les peuples !

No pasaràn !

No pasardn !

No pasarn

Muchas gracias.

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Hommage à Samora Machel – 19 octobre 1986

Hommage à Samora Machel

19 octobre 1986

Le 19 octobre 1986, l’avion qui ramène le président du Mozambique Samora Machel de Lusaka (Zambie) à sa capitale Maputo, est mystérieusement détourné de sa route et s’écrase sur le territoire de l’Afrique du Sud. Le discours de Sankara, ci-après, sur la mort de Samora Machel a été publié par l’hebdomadaire Carrefour africain du 31 octobre 1986.

Camarades militantes et militants, il ne s’agit pas aujourd’hui pour nous de pleurer mais d’avoir une attitude révolutionnaire face à cette situation tragique que provoque en nous la disparition de Samora Machel’. Nous ne devons pas pleurer pour e pas tomber dans le sentimentalisme. Le sentimentalisme ne sait pas interpréter la mort. Il se confond avec la vision messianique du monde, qui, attendant d’un seul homme la transformation de l’univers, provoque lamentation, découragement et abattement dès lors que cet homme vient à disparaître.

Il ne s’agit pas pour nous de pleurer non plus, pour ne pas nous confondre avec tous ces hypocrites, ces crocodiles et ces chiens qui ici et ailleurs font croire que la mort de Samora Machel provoque en eux la tristesse. Nous savons très bien qui est triste et qui se réjouit de la disparition de ce combattant. Nous ne voulons pas tomber dans cette compétition de cyniques qui décrètent par-ci par-là tant et tant de jours de deuil ; chacun essayant d’affirmer et d’afficher son abattement par des larmes que nous révolutionnaires devons interpréter à leur juste valeur.

Samora Machel est mort. En tant que révolutionnaires, cette mort doit nous édifier, nous fortifier en ce sens que les ennemis de notre révolution, les ennemis des peuples nous ont dévoilés une fois de plus une de leurs tactiques, un de leurs pièges. Nous avons découvert que l’ennemi sait abattre les combattants même quand ils sont dans les airs. Nous savons que l’ennemi peut profiter d’un moment d’inattention de notre part pour commettre ses odieux crimes.

De cette agression directe et barbare qui n’a pour seul but que de désorganiser la direction politique du Frelimo et de compromettre définitivement la lutte du peuple mozambicain mettant fin ainsi à l’espoir de tout un peuple, de plus d’un peuple, de tous les peuples tirons-en les leçons avec les frères mozambicains.

sankara-samora

Nous disons à l’impérialisme et à tous nos ennemis que chaque fois qu’ils commettront de tels actes, ce sera autant d’enseignements qu’ils nous auront donnés, certes, pas gratuitement, mais d’une façon qui sera à la hauteur de ce que nous méritons. Hier les ennemis des peuples, les ennemis de la liberté des peuples avaient cru bien faire, avaient cru réussir [leur coup] en abattant lâchement, de façon barbare et par traîtrise,

Eduardo Mondlane’. Ils espéraient qu’ainsi, le drapeau de la lutte de libération tomberait dans la boue et que définitivement le peuple prendrait peur et renoncerait à la lutte.

Mais c’était compter sans cette détermination, sans cette volonté populaire de se libérer. C’était compter sans cette force spéciale qui existe chez les hommes et leur fait dire non malgré les balles et les pièges. C’était compter sans les combattants intrépides du Frelimo.

C’est dans ces conditions que Samora Machel a osé reprendre le drapeau que tenait Eduardo Mondlane dont nous gardons la mémoire. Immédiatement, Machel s’est imposé comme un leader, une force, une étoile qui guide et éclaire. Il a su faire profiter les autres de son internationalisme : il n’a pas combattu seulement au Mozambique ; mais aussi ailleurs et pour les autres.

Posons-nous la question aujourd’hui : qui a tué Samora Machel ? On nous parle d’enquêtes qui se mènent, d’experts qui se réuniront pour déterminer la cause de la mort de Machel. Déjà, l’Afrique du Sud, aidée par les radios impérialistes, essaie de faire passer la thèse de l’accident. On nous fait croire que des éclairs se seraient abattus sur l’avion. On nous fait croire qu’une erreur de pilotage aurait conduit l’avion là où il ne fallait pas.

Sans être pilotes ou experts en aéronautique, il y a une question que nous pouvons nous poser en toute logique : « Comment un avion volant à une si haute altitude a pu brusquement raser les arbres et se renverser, c’est-à-dire venir à moins de 200 mètres du sol ?»

On nous dit que le nombre de survivants est une preuve qu’il s’agit d’un accident et non d’un attentat. Mais, camarades, comment des passagers d’un avion, brutalement réveillés par le choc, peuvent-ils dire comment et pourquoi leur avion s’est renversé et s’est écrasé ?

Pour nous il s’agit purement et simplement de la continuation de la politique raciste des Blancs d’Afrique du Sud ; il s’agit d’une autre manifestation de l’impérialisme. Pour savoir qui a tué Samora Machel, demandons-nous qui se réjouit et qui a intérêt à ce que Machel ait été tué ? Nous trouvons côte à côte, main dans la main, d’abord les Blancs racistes d’Afrique du Sud que nous n’avons cessé de dénoncer. Nous trouvons à leurs côtés ces marionnettes, ces bandits armés du MNR, dit Mouvement national de résistance (Renamo). Résistance à quoi ? A la libération du peuple mozambicain, à la marche pour la liberté du peuple mozambicain et d’ailleurs, et à l’aide internationaliste que le Mozambique à travers le Frelimo apportait aux autres peuples.

Nous trouvons également les Jonas Savimbi’. Il doit se rendre en Europe. Nous avons protesté contre cela. Nous avons dit aux Européens, en particulier à la France que si elle a établi un visa d’entrée pour lutter contre le terrorisme, si elle recherche les terroristes, elle en a trouvé un : Jonas Savimbi. A leurs côtés nous trouvons les traîtres africains qui font transiter par chez eux des armes contre les peuples africains’. Enfin nous trouvons ces éléments qui crient ça et là paix mais déploient chaque jour leur intelligence, leurs énergies pour aider et soutenir les traîtres à la cause africaine.

Ce sont eux qui ont assassiné Samora Machel. Hélas, pour n’avoir pas apporté le soutien nécessaire à Samora Machel,nous autres Africains l’avons aussi livré à ses ennemis. En effet, lorsque, répondant à l’appel de l’Organisation de l’unité africaine, le Mozambique a rompu définitivement ses relations avec l’Afrique du Sud, qui au niveau de l’OUA l’a soutenu ? Pourtant le Mozambique, lié économiquement à l’Afrique du Sud connaissait d’énormes difficultés. Les Mozambicains ont lutté et résisté seuls contre l’Afrique du Sud. C’est pourquoi nous Africains au sein de l’OUA portons une lourde responsabilité dans la disparition de Samora Machel.

Les discours d’aujourd’hui ne seront jamais rien tant que nous n’essaierons pas dans le futur d’être plus conséquents dans nos résolutions. A Harare [au huitième Sommet du Mouvem t des pays non-alignés], le Burkina Faso a soutenu la même position. Il ne s’agit pas d’applaudir Robert Mugabe, de le présenter comme un ‘gne fils du Non-alignement si quelques heures après notre départ, Afrique du Sud se mettant à bombarder le Zimbabwe, chacun de nous resterait douillettement dans sa capitale, se contentant d’envoyer des messages de soutien. Certains États nous avaient applaudi, d’autres avaient trouvé que nous allions trop loin. Aujourd’hui l’histoire nous donne raison : Quelque temps après le sommet des Non-alignés, l’Afrique du Sud a fait son sale boulot ; et nous voilà seulement dans des condamnations verbales.

C’est l’impérialisme qui organise, qui orchestre tous ces malheurs ; c’est lui qui a équipé et formé les racistes ; c’est lui qui leur a vendu des radars et des avions de chasse pour surveiller et abattre l’avion de Samora Machel. C’est également lui qui a mis des fantoches en Afrique pour lui communiquer des informations sur l’heure du décollage de l’avion et l’heure de son passage dans la zone. Et c’est encore lui qui essaie de tirer profit de la situation et qui déjà cherche à savoir qui va succéder à Samora Machel. C’est enfin lui qu’essaie de diviser les combattants mozambicains en les classant en modérés et en extrémistes.

Samora Machel était un grand ami de notre révolution, un grand soutien de notre révolution. Il le disait partout et le montrait dans ses attitudes vis-à-vis des délégations burkinabè. Nous avons été en contact avec lui pour la première fois à travers ses écrits sur la révolution. Nous avons lu et étudié les ouvrages de Machel et nous avons communié intellectuellement avec lui. La deuxième fois que nous l’avons connu, c’était à New-Delhi au sommet des Non-alignés. Il disait qu’il suivait la situation dans notre pays, mais était inquiet à cause de la volonté de domination de l’impérialisme.

Par la suite nous l’avons rencontré à Addis-Abeba deux fois. Nous avons discuté. Nous avons admiré cet homme qui n’a jamais baissé la tête, même après les accords de Nkomati dont il comprenait la portée tactique et que certains éléments opportunistes ont essayé d’exploiter contre lui en le faisant passer pour un lâche. La délégation burkinabè avait alors pris la parole pour dire que ceux qui attaquaient le Mozambique n’avaient pas droit à la parole tant qu’ils n’avaient pas pris les armes pour aller combattre en Afrique du Sud.

Nous l’avions beaucoup soutenu, mais il nous soutenait également. Au dernier sommet de l’OUA, lorsque la position burkinabè avait été attaquée par certains États, Machel avait pris la parole et dit que  « s’ils n’avaient pas la reconnaissance et le courage d’applaudir le Burkina Faso, ils devaient au moins avoir honte et se taire ».

Nous nous sommes encore retrouvés chez lui à Maputo. Il nous a beaucoup aidé à comprendre la situation intérieure et extérieure extrêmement difficile dans laquelle il se trouvait. Tout le monde sait le rôle joué par Samora Machel au sein des pays de la Ligne de front.

Enfin nous l’avons retrouvé à Harare au dernier sommet des Non-alignés où nous avons eu de nombreuses conversations. Samora Machel se savait une cible de l’impérialisme. Il avait par ailleurs pris l’engagement de venir au Burkina Faso en 1987. Nous avions convenu d’échanger des délégations au niveau de nos CDR, de l’armée, de nos ministres, etc.

Tout cela doit nous servir de leçons. Nous devons nous tenir solidement, main dans la main avec les autres révolutionnaires parce que d’autres complots nous guettent, d’autres crimes sont en train d’être préparés.

Camarades, je voudrais vous inviter tous à accompagner de vos voeux la médaille, la distinction honorifique que nous conduirons au Mozambique pour décorer Samora Machel. Nous lui enverrons la plus haute distinction du Burkina Faso, de notre révolution ; parce que nous estimons que son oeuvre a contribué et contribue à l’avancée de notre révolution. Il mérite donc que nous lui décernions l’Étoile d’or du Nahouri.

En même temps je vous invite sur toute l’étendue de notre territoire à baptiser des carrefours, des immeubles, etc., du nom de Samora Machel parce qu’il l’aura mérité. Il faut que la postérité se souvienne de cet homme, de tout ce qu’il a fait pour son peuple et pour les autres peuples. Ainsi nous aurons matérialisé chez nous cette mémoire pour que d’autres hommes s’en souviennent éternellement.

Camarades, nous nous sommes réunis aujourd’hui pour réfléchir sur la disparition de Samora Machel ; demain il faudra avancer, il faudra vaincre.

La patrie ou la mort, nous vaincrons !

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Le français doit accepter les autres langues – 17 Février 1986

A l’occasion du premier sommet de la francophonie tenue à Paris en février 1986, Thomas Sankara a émis la déclaration suivante. Le texte cl-dessous est tiré du Sidwaya.

Nous voilà francophones par le fait colonial, même si chez nous seuls 10 pour cent de Burkinabè parlent français. En nous proclamant de la francophonie, nous annonçons et intériorisons deux préalables : La langue française n’est qu’un moyen d’expression de nos réalités et comme toute langue, le français doit s’ouvrir pour vivre le fait sociologique et historique de son devenir.

La langue française a été pour nous d’abord la langue du colonisateur, le véhicule culturel et idéologique par excellence de la domination étrangère et impérialiste.

Mais c’est avec cette langue par la suite que nous avons pu accéder à la maîtrise de la méthode d’analyse dialectique du phénomène impérialiste et être à même de nous organiser politiquement pour lutter et vaincre.

Aujourd’hui le peuple burkinabè et sa direction politique, le Conseil national de la révolution, utilisent la langue française au Burkina non plus comme le vecteur d’une quelconque aliénation culturelle, mais comme moyen de communication avec les autres peuples.

Notre présence à cette conférence se justifie par le fait que du point de vue du Conseil national de la révolution, il existe deux langues françaises : la langue française parlée par les Français de l’hexagone et la langue française parlée dans les cinq continents.

C’est pour contribuer à l’enrichissement de ce français universalisé que nous entendons apporter notre participation et apprécier en quoi la langue française nous rapproche davantage des autres. Et c’est pour cette raison que je voudrais remercier très sincèrement les autorités françaises de cette heureuse initiative.

C’est par l’intermédiaire de la langue française qu’avec d’autres frères africains nous analysons nos situations respectives et cherchons à conjuguer nos efforts pour des luttes communes.

C’est par l’intermédiaire de la langue française que nous avons communié avec la lutte du peuple vietnamien et parvenons à mieux comprendre le cri du peuple calédonien.

C’est par la langue française que nous découvrons les richesses de la culture européenne, et défendons les droits de nos travailleurs émigrés.

C’est par l’intermédiaire de la langue française que nous lisons les grands éducateurs du prolétariat et tous ceux qui, de façon utopique ou scientifique, ont mis leur plume au service de la lutte des classes.

C’est enfin en français que nous chantons l’Internationale, hymne des opprimés, des  « damnés de la terre ».

De cette universalité de la langue française, nous retenons pour notre part que nous devons utiliser cette langue en conformité avec notre internationalisme militant. Car nous croyons fermement à une unité entre les peuples. Celle-ci naîtra de leur conviction partagée, parce qu’ils souffrent tous de la même exploitation et de la même oppression quelles que soient les formes sociales et les habillages dans le temps.

C’est pourquoi selon nous, la langue française, si elle veut plus servir les idéaux de 1789′ que ceux des expéditions coloniales, doit accepter les autres langues comme expressions de la sensibilité des autres peuples.

En acceptant les autres peuples, la langue française doit accepter les idiomes et les concepts que les réalités de l’espace de la France n’ont pas permis aux Français de connaître.

Qui pourrait par vanité et mauvaise fierté s’encombrer de tournures alambiquées pour dire en français par exemple les mots Islam, Baraka, quand la langue arabe exprime mieux que nulle autre ces réalités ?

Ou bien le mot pianissimo, doucereuse expression musicale d’au-delà du Piémont ? Ou encore le mot apartheid que la richesse shakespearienne exporte d’Albion sans perfidie vers la France ?

Refuser d’intégrer au français les langues des autres, c’est ériger des barrières de chauvinisme culturel. N’oublions pas que d’autres langues ont accepté du français des mots intraduisibles chez eux.

Par exemple l’Anglais, fair play, a adopté du français l’aristocratique et bourgeois mot champagne. L’Allemand, dans sa, realpolitik admet carrément sans esprit jongleur le mot français arrangement.

Enfin, le peulh, le mooré, le bantou, le wolof et bien d’autres langues africaines ont assimilé, toute colère contenue, les termes oppressants et exploiteurs : impôts, corvées, prison.

Cette diversité nous rassemble dans la famille francophone. Nous la faisons rimer avec les mots amitié et fraternité.

Refuser d’intégrer les autres langues c’est ignorer l’origine et l’histoire de sa propre langue. Toute langue est la résultante de plusieurs autres aujourd’hui plus encore qu’hier, en raison de la perméabilité culturelle que créent, en ces temps modernes, les puissants moyens de communication.

Refuser les autres langues c’est avoir une attitude figée contraire au progrès et cela relève d’une idéologie d’inspiration réactionnaire.

Le Burkina Faso s’ouvre aux autres peuples et attend beaucoup de la culture des autres pour s’enrichir davantage, convaincu que nous tendons vers une civilisation universelle qui nous conduira vers une langue universelle. Notre utilisation du français se situe dans ce sens.

Pour le progrès véritable de l’humanité !

En avant !

La patrie ou la mort, nous vaincrons !

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La joute verbale Sankara Mitterrand (texte intégral) – 17 novembre 1986

Cet échange dont un extrait filmé très fort est repris dans le film “L’Homme Intègre” de Robin Shuffield est assez célèbre pour la sincérité et la vérité avec laquelle Sankara s’adresse à Mitterrand qui a du improviser une réponse. Cette joute se déroule à Ouagadougou à l’occasion d’un diner durant la première visite officielle de Mitterrand au Burkina Faso. Quelques temps auparavant, la France avait accueilli Pieter Botha, ancien président d’Afrique du sud, une visite qu’évoque Thomas Sankara pour la critiquer de façon particulièrement virulente.

Cet échange a aussi inspiré la pièce de théatre Mitterrand et Sankara de Jacques Jouet (voir la présentation à l’adresse et le texte à l’adresse.)

La rédaction du site


 Discours de Thomas Sankara lors de la visite de François Mitterrand à Ouagadougou

Permettez-moi de m’adresser à notre illustre hôte, M. François Mitterrand, et à son épouse Madame Danielle Mitterrand.

Monsieur le président, lorsqu’il y a de cela quelques années, vous passiez par ici, ce pays s’appelait la Haute-Volta. Depuis, bien des choses ont changé et nous nous sommes proclamés Burkina Fa . C’est là tout un programme dans lequel est inscrit le code de l’honneur t de l’hospitalité. Et c’est pour cette raison que nous sommes sortis r vous souhaiter la bienvenue ici, au Burkina Faso, à l’occasion de votre brève escale à Ouagadougou.

C’est la malédiction pour celui chez qui jamais l’on ne frappe, celui chez qui jamais ne passe et ne s’arrête le voyageur assoiffé et affamé. Au contraire, et c’est notre cas, le voyageur s’est arrêté chez nous et, lorsque après la gorgée d’eau rafraîchissante, des forces sont venues, il a engagé le discours avec nous pour mieux nous connaître, pour mieux nous comprendre et emporter avec lui, chez lui, des souvenirs de chez nous.

Monsieur le président, il est difficile de dissocier l’homme d’État que vous êtes de l’homme tout court. Mais je voudrais dire avec insistance que nous accueillons ici François Mitterrand. Et c’est bien pour cette raison que chacun ici vous a témoigné, à sa manière, sa satisfaction, sa joie de saluer celui qui est venu pour voir et témoigner de sa bonne foi, de son objectivité, que quelque chose se fait quelque part sous le soleil d’Afrique, au Burkina Faso.

Le Burkina Faso est un chantier, un vaste chantier. Le temps ne nous a pas permis d’aller rendre visite et hommage à ces nombreux travailleurs ici et là, qui, chaque jour, s’entêtent à transformer le monde, à transformer un univers aride, difficile. Les victoires qu’ils viennent de remporter déjà nous permettent de dire que nous sommes loin du mythe du travail de Sisyphe. En effet, il faut mettre une pierre sur une autre, recommencer et encore recommencer. C’est dans ces conditions qu’aujourd’hui le Burkina Faso est fier d’avoir fait passer le taux de scolarisation de 10 pour cent à près de 22 pour cent, grâce à ces nombreuses écoles, à ces nombreuses classes que nous avons construites de nos mains, ici et maintenant. Nous avons pu réaliser de nombreux barrages, de nombreuses petites retenues d’eau qui, si elles ne sont pas de la taille de ces grands ouvrages dont on parle tant dans le monde, ont leurs mérites, et nous inspirent des motifs légitimes, je crois, de fierté.

C’est encore avec le courage de nos bras et la foi de nos coeurs que nous avons construit dans chaque village du Burkina Faso un poste de santé primaire. C’est avec détermination que nous avons vacciné des millions et des millions d’enfants de ce pays et des pays voisins. La liste serait longue, mais, hélas, elle ne suffirait pas à représenter un pas, un seul pas de notre programme vaste et ambitieux. C’est donc dire que la route est longue et très longue.

Monsieur François Mitterrand, venant au Burkina Faso, ce sont ces réalités que nous souhaitons que vous puissiez connaître. C’est cela que nous souhaitons que vous puissiez rapporter en France, et ailleurs. Dans le tumulte des luttes, dans la cacophonie des agressions, il est utile que des témoignages justes, sains et appropriés disent ce qui est. Et en vous choisissant comme interprète et porte-parole, nous voulons également souligner les combats constants qui ont animé votre carrière politique, votre vie tout court. Ces combats-là, nous les connaissons et ils nous inspirent également nous autres du Burkina Faso.

Vous aimez à parler, avec parfois entêtement dans certains milieux réfractaires, du droit des peuples. Vous aimez à parler, avec une lucidité que nous avons appréciée, de la dette. Vous aimez à parler également de la coopération, du Tiers Monde. C’est bien. Lorsque nous avons appris que Monsieur François Mitterrand allait fouler le sol du Burkina Faso, nous nous sommes dit que si le raisonnement nous écartait de l’élégance des propos, le sens du noble combat je veux parler des joutes oratoires saurait nous rapprocher, tant nous apprécions ceux chez qui le discours s’éloigne du négoce, des tractations, des combines et des magouilles.

Au Berri (province française), je crois, votre nom Mitterrand signifie terrain moyen ou peut-être mesureur de grains ? Dans tous les cas : homme de bon sens. Bon sens proche de ces hommes qui sont liés à la terre, la terre qui ne ment jamais. Qu’il s’agisse du grain, qu’il s’agisse du terrain, nous pensons que la constante est que vous resterez vous-même lié au terroir. C’est pourquoi, parlant du droit des peuples, thème qui vous est cher, nous disons que nous avons écouté, apprécié les appels que vous avez lancés et que vous avez répétés après mai 81.

Nous suivons et apprécions aussi chaque jour, les actes comme ils sont posés. La France est engagée avec les autres peuples du monde dans la lutte pour la paix et c’est pourquoi, à l’heure où nous nous rencontrons aujourd’hui, il convient de rappeler que d’autres, ailleurs, ignorent, et pour combien de temps, cette paix.

Il s’agit d’abord des Palestiniens. Les Palestiniens, des hommes et des femmes qui errent de part en part, bohémiens du sionisme. Ces hommes et ces femmes qui sont contraints de chercher refuge, ces hommes et ces femmes pour qui la nuit est une succession de cauchemars et le jour, une avalanche d’obus.

La paix c’est aussi le Nicaragua. Vous-même, dans un de vos discours, disiez avec force le soutien que vous apportiez au Nicaragua contre les minages de son port, contre toutes les actions qui sont dirigées, de l’extérieur, contre les Nicaraguayens. Vous-même, dans vos nombreux entretiens avec le commandant Ortega, avez eu à plaindre ce peuple qui n’en finit pas de souffrir et qui n’en finit pas de subir des actions de barbares qui ne sont pas venus de très loin, parce qu’ils sont Nicaraguayens, mais qui sont fortement appuyés par d’autres.

La paix, c’est aussi l’Iran et l’Irak. Combats fratricides complexes, incompréhensibles ; où l’on ne sait plus qui est dans quel camp, tant les imbrications sont nombreuses. Mais où l’on peut retenir simplement que ces armes dont les cliquetis signifient la mort chantent aussi la tristesse pour les femmes, les enfants, les vieillards, ces armes-là, sont fournies chaque jour par ceux qui se nourrissent du sang des autres, par ceux qui jubilent lorsque le fer tue et que le feu brûle.

La paix dans le monde, c’est également cette région tourmentée du Sud de l’Afrique. Comme si par un sort quelconque on y avait concentré des éléments incompatibles dans un cafouillage et dans des affrontements qui chaque jour se multiplient et s’agrandissent. Il n’y a pas longtemps, nous avons été consternés par la mort de Samora Machel. En même temps, nous y avons vu un message, une indication : la nécessité de lutter contre un ordre barbare, inique, rétrograde ; de lutter contre un ordre que les peuples civilisés et nous comptons la France parmi ces peuples-là ont le devoir de combattre pied à pied, qu’il s’agisse de sanctions économiques, qu’il s’agisse de mesures politiques et diplomatiques, qu’il s’agisse également de combats militaires directs et ouverts contre le racisme, l’apartheid en Afrique du Sud.

C’est dans ce contexte, Monsieur François Mitterrand, que nous n’avons pas compris comment des bandits, comme Jonas Savimbi, des tueurs comme Pieter Botha, ont eu le droit de parcourir la France si belle et si propre. Ils l’ont tachée de leurs mains et de leurs pieds couverts de sang. Et tous ceux qui leur ont permis de poser ces actes en porteront l’entière responsabilité ici et ailleurs, aujourd’hui et toujours.

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Nous savons que de nombreux débats ont été engagés autour de cette question, et nous connaissons les positions des uns et des autres. Mais enfin, pour nous la tristesse est immense. Ces hommes-là n’ont pas le droit de parler de compatriotes morts pour la paix parce qu’ils ne connaissent pas la paix. Ceux qui sont morts pour la paix sont en train de reposer en paix et ensemble chaque jour nous faisons en sorte que leur mémoire se perpétue grâce aux actes que nous essayons chacun de poser dans ce sens-là.

La paix dans le monde c’est aussi la République arabe sahraouie démocratique, où et nous ne comprenons pas un peuple, le peuple ahraoui, n’a toujours pas pu, n’a toujours pas trouvé comment s’autodéterminer, parce que des oppositions fortement soutenues, appuyées, s’intercalent, s’interposent. la paix c’est, également dans cette région, la Libye bombardée, des maisons détruites mais surtout un carnage inutile qui n’aura même pas permis à leurs auteurs d’aboutir, d’arriver à leurs fins, tout en privant ceux-là de leurs plus proches parents, de leurs amis, et de leurs réalisations.

La paix c’est aussi le Tchad. Le Tchad, pour lequel les constructions et les destructions se succèdent. Le Tchad pour lequel les opérations, les expéditions aussi se succèdent. Le Tchad ne trouvera jamais la paix, le bonheur et le développement par conséquent, tant que les Tchadiens eux-mêmes n’auront pas eu le loisir de se choisir une voie, et un chemin de construction nationale.

Pour toutes ces  « zones de tempêtes », et pour bien d’autres, je crois, Monsieur le président, que vos efforts ne peuvent qu’être d’un puissant secours, en raison de l’importance de votre pays ; en raison aussi de l’implication directe ou indirecte, de votre pays dans ces zones-là. Je voudrais vous assurer que pour notre part, au Burkina Faso, nous sommes tout à fait disposés à tendre la main, à prêter notre concours à qui nous le demandera, pour peu que le combat que nous devons mener soit un combat qui nous rappelle la France de 1789. C’est pour cette raison que je voudrais vous dire que le Burkina Faso est prêt à signer avec la France un accord de défense, pour permettre à toutes ces armes que vous possédez de venir stationner ici, afin de continuer là-bas à Prétoria où la paix nous réclame.

Monsieur le président, je voudrais continuer à m’adresser à l’homme. Vous parlez beaucoup, souvent, de la dette, du développement de nos pays, des difficultés que nous rencontrons dans des forums internationaux comme la rencontre des Grands (les “7 pays industrialisés”) à Tokyo. Vous y auriez défendu notre cause, nous vous en savons gré. Nous vous demandons de continuer à le faire, parce que, aujourd’hui, nous sommes victimes des erreurs, des inconséquences des autres.

L’on veut nous faire payer doublement des actes pour lesquels nous n’avons pas été engagés. Notre responsabilité n’a été nullement engagée dans ces prêts, ces endettements d’hier. Ils nous ont été conseillés et octroyés dans des conditions que nous ne connaissons plus. Sauf qu’aujourd’hui, nous devons subir et subir. Mais pour nous, ces questions ne se résoudront jamais par des incantations, des jérémiades, des supplications et des discours.

Au contraire, ces détours risquent d’avoir la lourde conséquence d’endormir la conscience des peuples qui doivent lutter pour s’affranchir de cette domination, de ces formes de domination. Vous-même avez écrit quelque part dans les nombreuses pages que vous avez offertes à la littérature française que tout prisonnier aspire à la liberté, que seul le combat libère.

Ensemble, organisons-nous et barrons la route à l’exploitation, ensemble organisons-nous, vous de là-bas et nous d’ici, contre ces temples de l’argent. Aucun autel, aucune croyance, aucun livre saint ni le Coran ni la Bible ni les autres, n’ont jamais pu réconcilier le riche et le pauvre, l’exploiteur et l’exploité. Et si Jésus lui-même a dû prendre le fouet pour les chasser de son temple, c’est bien parce qu’ils n’entendent que ce langage.

Monsieur le président, parlant de la coopération entre la France et le Tiers Monde, mais principalement entre la France et le Burkina Faso, je voudrais vous dire que nous accueillons à bras ouverts tous ceux qui, passant par ici, acceptent de venir contribuer avec nous à la réussite de ce vaste chantier qu’est le Burkina Faso.

En ce sens, la France sera toujours la bienvenue chez nous. Elle sera toujours la bienvenue dans des formes qu’il nous convient d’imaginer plus souples et qui rapprocheront davantage Français et Burkinabè. Nous ne demandons pas une aide qui éloignerait les Burkinabè des Français, ci serait une condamnation face à l’Histoire. Nous ne demandons pas, comme cela a été le cas déjà, que des autorités françaises viennent s’acoquiner avec des autorités burkinabè, africaines, et que seulement quelques années plus tard, l’opinion française, à travers sa presse se répande en condamnations de ce qui s’appelait aide, mais qui n’était que calvaire, supplice pour les peuples

Il y a quelque temps, une certaine idée était née en France, que l’on nommait le cartiérisme. Le cartiérisme, hélas, a pu s’imposer à cause aussi de l’incapacité d’Africains qui n’ont pas su valoriser la coopération entre la France et les pays africains.

C’est donc dire que les torts sont partagés. Dans notre  « Chant de la victoire » notre hymne national ceux-là, qui portent l’entière responsabilité ici, en Afrique, nous les appelons les valets locaux. Parce que soumis à un maître, ils exécutaient ici sans comprendre des actes, des ordres qui allaient contre leur peuple.

Monsieur le président, vous avez écrit quelque part qu’à l’heure actuelle, l’aide de la France baisse. Et que, hélas, ajoutiez-vous, cette aide évolue au gré des ambitions politiques de la France et comble de malheur  « pour le comble », pardon, avez-vous dit et souligné ce sont les capitalistes qui en profitent. Eh bien, nous croyons que cela est également juste. Vous l’auriez écrit, je crois, dans cet ouvrage ma part de vérité. Cette parcelle de vérité est une vérité. Ce sont effectivement les capitalistes qui en profitent, et nous sommes prêts pour qu’ensemble nous luttions contre eux.

Monsieur le président, nous avons hâte de vous entendre, de vous entendre nous dire ce que vous retenez de ces quelques heures passées au Burkina Faso. De vous entendre aussi nous dire ce que signifie ce périple qui finit ici au Burkina Faso. En six jours vous aurez parcouru une bonne partie de l’Afrique ; le septième jour, vous vous reposerez.

Nous voulons avoir une pensée pour tous ceux qui, en France, œuvrent sincèrement pour rapprocher des peuples lointains comme ces peuples d’Afrique, comme ce peuple du Burkina Faso, avec ce peuple français, courageux et aux grandes valeurs. Nous voulons penser, nous voulons adresser nos pensées à tous ceux qui, là-bas, sont chaque jour meurtris dans leur chair, dans leur âme, parce que çà et là un Noir, un Étranger, en France, aura été victime d’une action barbare sans égard pour sa dignité d’homme.

Nous savons qu’en France beaucoup de Français souffrent de voir cela. Vous avez, vous-même dit clairement ce que vous pensiez de certaines décisions récentes, comme ces expulsions de nos frères maliens’. Nous sommes blessés qu’ils aient été expulsés et nous vous sommes reconnaissants de n’avoir pas cautionné de telles décisions, de tels actes révolus.

Les immigrés en France, s’ils y sont pour leur bonheur, comme tout homme en quête d’horizons, de rivages meilleurs, ils aident et construisent également la France pour les Français. Une France qui, comme toujours, a accueilli sur son sol les combattants de la liberté de tous les pays.

Ici, au Burkina Faso, des Français luttent de façon sérieuse aux côtés des Burkinabè, bien souvent dans des Organisations non gouvernementales. Bien que toutes ces Organisations non gouvernementales, il faut le dire, ne représentent pas pour nous des institutions fréquentables certaines sont purement et simplement des officines condamnables il y en a de grand mérite. Et celles-là nous permettent de mieux connaître la France, de mieux connaître les Français. Nous pensons également à ceux-là. Nous pensons aussi à tous ceux qui comptent sur une action conjuguée, pour un monde meilleur.

Chaque année, de façon rituelle, et avec la précision d’un métronome, vous allez à Solutré. Vous y allez de façon constante, et l’observation de ces actes répétitifs nous enseigne qu’il faut prendre  « le grand vent de l’effort, la halte de l’amitié et l’unité de l’esprit ». Cela aussi, c’est vous qui l’avez écrit. Je vous l’emprunte. Nous espérons que vous emporterez avec vous, en France, ce sentiment de l’amitié et que votre halte à Ouagadougou aura été une halte de l’amitié.

C’est pour cela que je voudrais vous demander, Monsieur le président, Madame, Messieurs, de lever nos verres pour boire à l’amitié entre le peuple français et le peuple du Burkina Faso. Boire à l’amitié et à l’union de luttes contre ceux qui, ici, en France et ailleurs, nous exploitent et nous oppriment. Pour le triomphe de causes justes, pour le triomphe d’une liberté plus grande, pour le triomphe d’un plus grand bonheur.

La patrie ou la mort, nous vaincrons ! Merci.


La réponse de François Mitterrand

Monsieur le Président, Madame, Mesdames et Messieurs

Je saisirai au vol les derniers propos du Président SANKARA qui me demandait la raison principale de mon voyage en BURKINA FASO. Je répondrai d’emblée : nous sommes venus ici par amitié pour ce peuple ; nous sommes venus ici par fidélité à l’histoire ; nous sommes venus ici par intérêt pour ce qui s’y déroule.

Rien ne peut remplacer cette observation directe et personnelle ; et je serai loin de regretter notre passage sinon pour estimer qu’il était trop rapide. Ce que nous aurons vu et entendu fera partie des choses fortes que nous retirerons de ce voyage dans quatre pays d’Afrique, Guinée, Togo, Mali, Burkina Faso.

Je vais d’abord, Monsieur le Président, Madame, vous remercier des conditions dans lesquelles, depuis ce matin, vous nous avez reçus, vous, les habitants de OUAGADOUGOU, d’autres encore qui se pressaient le long des avenues pour célébrer, non pas tant le Président de la République Française, que la France et son peuple.

Vous avez posé ce soir un certain nombre d’interrogations ou d’affirmations qui touchent à la politique internationale. Je me permettrai de faire connaître mon point de vue, méthodiquement : politique internationale directement autour du problème de la paix, politique internationale autour de cet autre problème fondamental, qui n’est pas indépendant de la paix, et qui s’appelle le développement.

Les problèmes de la paix ! … il est difficile d’échapper aux passions, aux entraînements des passions et parfois même aux excès de sa propre logique : je m’en méfie en tout cas pour moi-même. Mais il est quelques principes simples auxquels on peut toujours se reporter. Et parmi ceux qui commandent les décisions de la France dans ses choix internationaux, l’un se distingue tout aussitôt et qui s’appelle, vous l’avez dit vous-même, “le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes”. C’est par rapport à cette règle, à cet instrument, de mesure, que nous distinguons ce qu’il convient de faire de ce qu’il convient d’éviter.

Ce n’est pas toujours aisé. Il est parfois très difficile de se placer dans l’esprit de ceux qui s’engagent dans des guerres, de ceux qui veulent dominer ou de ceux qui veulent se défendre. Les situations historiques sont rarement aussi claires, et l’on se trouve souvent devant un mélange fondé par des conflits séculaires, ce qui fait que parfois, on ne sait plus où se trouve le droit.

Alors, allons vers des choses simples : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Vous avez cité un certain nombre de ces conflits. Il en est d’autres, mais ceux que vous avez cités s’imposent à l’esprit.

Quand nous voulons défendre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et que nous parlons de l’Asie, en Asie, qu’est-ce que nous recherchons ? Vous avez parlé des Palestiniens : le problème est très complexe, souvent plus complexe qu’ailleurs puisque deux peuples réclament la même terre, au nom de deux histoires, au nom de croyances dans un Dieu et dans un autre, au nom de revendications historiques qui se contredisent et se complètent.

Mais puisque j’ai parlé de choses simples, observons que ce droit a été bâti au travers de ce dernier demi-siècle par des institutions internationales que nous reconnaissons et auxquelles nous appartenons. Le droit d’Israël à exister derrière des frontières sûres et reconnues – c’est l’expression retenue par les Nations Unies – a été tranché au lendemain de la deuxième guerre mondiale. La plupart des pays du monde l’ont aussitôt accepté. La France n’a pas été la première puisque le premier arrivé pour cette reconnaissance, cela a été, vous le savez,  l’Union Soviétique. On peut donc estimer qu’il y a eu consentement général, sauf, bien entendu, de la part des pays directement intéressés dans le Proche Orient et le Moyen Orient, un consentement général pour garantir l’existence d’Israël.

Tout aussitôt. en raison du conflit sans cesse renaissant dans cette région du monde, d’autres règles ont été définies qui ont reconnu au peuple palestinien les droits à une patrie et le droit de s’organiser sur une terre selon leurs propres lois.

J’ai dit la difficulté que supposait ce raisonnement. La France a cependant toujours voté, aux Nations Unies, les résolutions qui ont reconnu aux Palestiniens la terre, le droit à la patrie, le droit des décisions souveraines sur la terre de leur patrie.

Des guerres se sont déroulées. La France a maintenu sa position et a constamment refusé que le seul droit de conquête puisse être le fondement définitif du droit. Je répète, il ne faut pas dissimuler la difficulté : l’histoire n’est faite que de passions brûlantes, et sans vouloir faire la

leçon à personne, ce que je vous dis là, M. le Président et vous, Mesdames et Messieurs, je l’ai dit à la tribune de la KNESSET, devant les députés du peuple d’Israël. J’ai dit à la fois que les Palestiniens avaient le droit à leur patrie et qu’ils avaient le droit de fonder des structures étatiques – j’ai ajouté que si l’O.L.P. ne s’identifiait pas a l’ensemble des forces, elle s’identifiait à la force combattante puisqu’elle avait rassemblé en son sein la plupart des fractions disposée à combattre.

Je n’ai aucune peine à le répéter, parce que c’est le fond de ma pensée. Elle n’a pas changé. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes doit conduire, dans cette région, à une ligne de partage très difficile à dessiner sur la carte, dès lors que l’on reconnaît à Israël le droit d’exister et aux Palestiniens le droit de fonder leur propre patrie.

C’est vrai que ce peuple, chassé de partout, représente aujourd’hui une errance proprement intolérable. La France, en diverses occasions – fameuses je crois, notamment au Liban – est le pays du monde qui s’est préoccupé le plus du sort de ces éternels émigrants : à Beyrouth, une première fois, 4000 Palestiniens ont été épargnés de la mort par nos soins ; une deuxième fois à Tripoli (Tripoli du Liban) , nous avons sauvé, en compagnie de la Grèce, 4000 Palestiniens victimes de combats fratricides. Et nous avons des relations avec l’O.L.P. qui dispose d’une permanence à Paris depuis déjà de longues années, avant même que je ne fusse moi-même Président de la République.

Voilà un problème compliqué, mais que l’on peut résoudre dans son esprit, avec droiture, de façon simple : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Mais ce raisonnement s’applique à toute terre disputée. Pour l’Irak et l’Iran, ne nous faisons pas historien : on peut, en effet, disputer du point de savoir qui véritablement a déclenché cette guerre. Mais, nous savons bien que nous nous trouvons à l’une des frontières du monde, que déjà dans l’histoire d’avant l’histoire se trouvaient là des peuples qui avaient exactement fixé leurs limites sur le Chott El Aram. Entre ces deux mondes si puissants, si vivants, qui ont occupé, qui occupent encore une telle place dans l’histoire, l’affrontement guerrier s’est substitué à l’affrontement pacifique qui avait souvent prévalu.

Il serait très important que l’ensemble des pays du monde se concerte, pour donner conseil – conseils amicaux – aux deux pays belligérants pour qu’ils acceptent, au moins, de vivre de chaque côté de cette frontière historique, millénaire, sans prétendre exercer je ne sais quel droit sur la possession d’autrui. Si cela était consenti, nous serions déjà en grand progrès : chacun de ces peuples disposerait de lui-même, sur sa terre.

On pourrait appliquer exactement le même raisonnement – mais cela nous mènerait très loin dans les explications historiques – au Cambodge et à l’Afghanistan. Ce sont des peuples qui ont le droit, comme les autres, de disposer d’eux-mêmes: Si nous n’avons jamais accepté le génocide qui s’est produit au Cambodge et qui a été à l’origine des désastres qu’il connaît aujourd’hui, il n’en reste pas moins qu’aucun autre pays n’est en droit de se charger lui-même de régler les comptes et de déterminer que sa présence, étrangère, sera le seul garant de l’ordre.

De la même façon, on sait bien qu’au cours de ces dernières décennies l’influence de l’Union Soviétique s’exerçait en Afghanistan. On s’est même étonné que cette influence s’exerçant, elle ait été contrainte, finalement, à intervenir militairement alors que s’étaient successivement affrontés les responsables politiques qui s’étaient inscrits dans le cadre de l’influence soviétique. Mais la limite est atteinte. C’est à ce peuple de se prononcer et je fais confiance au Secrétaire Général des Nations Unies, à M. PEREZ DE CUELLAR qui fut naguère comme Secrétaire Général Adjoint, chargé d’un rapport sur le problème de l’Afghanistan, de proposer les mesures qui devraient permettre à un peuple libéré de toute occupation, de décider lui-même par le suffrage universel, de ce qu’il entend faire de lui-même.

Ce n’est qu’un conseil que je lui donne : lui seul peut décider d’aller vers la neutralité qui lui permettrait d’échapper à la politique des blocs.

Je prendrai le même raisonnement pour l’Amérique Centrale. Vous avez raison de rappeler que l’ai toujours protesté contre les interventions étrangères. Dès ma première rencontre avec le Président REAGAN – au sommet d’OTTAWA – j’avais développé une thèse selon laquelle il ne me paraissait pas acceptable que, dans le cadre de l’Alliance Atlantique, d’autres pussent se substituer aux peuples d’Amérique Latine pour décider de leur destin. J’ai donc reçu à diverses reprises – et j’agirai de même à l’avenir – le Président ORTEGA qui représentait et qui représente encore ce peuple.

Cela est dit, cela est clair. Les pays d’Amérique Latine se sont organisés dans deux groupes qui se sont rejoints : le groupe de CONTADORA et le groupe de LIMA. L’un et l’autre estiment que les pays d’Amérique Latine doivent cesser d’être là pour des ambitions et des intrigues extérieures : nous approuvons les définitions de ces deux groupes. Nous avons considéré que la ligne au-dessous de laquelle nous ne pourrions agir c’est celle définie par les peuples d’Amérique Latine eux-mêmes. Notre position reste donc logique avec elle-même.

Le même raisonnement s’appliquerait pour l’Afrique. Vous avez cité le cas le plus typique, le plus évident et le plus dramatique, celui de l’Afrique Australe. Avant d’aborder le problème de l’Apartheid, examinons le cas de la Namibie. La Namibie a le droit d’être, le droit d’exister en tant qu’Etat ; et le peuple namibien a tout autant que ses voisins, le droit de s’affirmer. La France a fait partie du Groupe des Cinq, chargé de rechercher les moyens d’équilibrer les chances, de donner en tout cas ses chances à ce peuple. Le Gouvernement de la France ne s’est jamais départi de cette attitude, et il s’est même éloigné de ce Groupe des Cinq, dès qu’il s’est aperçu que ses partenaires n’étaient pas désireux d’aboutir.

Nous considérons que les populations de Namibie doivent être mises en mesure, par leur propre force et par la compréhension des Etats étrangers, de se gérer elles-mêmes en cessant d’être simplement un jouet dans les mains de plus forts qu’eux aujourd’hui : je veux dire de leurs voisins d’Afrique du Sud.

Quant à l’Afrique du Sud elle-même, elle a un grand peuple. Ce peuple est composé d’une forte majorité de noirs et d’une minorité active et vaillante, mais souvent intolérante, de blancs. Il faut que ce pays s’organise lui-même, pour que le droit de chacun soit reconnu. Il faut que ce droit ne puisse être confondu à aucun moment avec le droit, soit de la majorité ethnique, soit de la minorité. C’est en ce sens que la France refuse l’apartheid et le condamne absolument, sans avoir besoin de hausser la voix, sans excès de langage, mais avec une fermeté de pensée qui entraîne la fermeté d’action : au sommet européen de La Haye, la France a maintenu le cap, et douze pays sur douze ont finalement voté des sanctions, en dépit des réticences de quelques grands pays, réticences que vous connaissez et que je n’ai pas à analyser ici.

L’Afrique du Sud a un comportement humainement intolérable, politiquement insupportable et finalement fort imprudent pour la population minoritaire qui exerce l’essentiel du pouvoir. L’apartheid doit être condamné, et il n’y a pas besoin de toute une série d’épithètes pour prononcer cette condamnation : l’apartheid est inacceptable et doit être combattu. Dans toutes les assemblées, la France devra continuer à refuser ce manquement catégorique, non seulement aux droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais simplement aux droits de l’homme.

Là où il semble que nous nous séparions, c’est lorsque vous condamnez le passage en France de M. BOTHA et celui de M. SAWIMBI. Mais, M. le Président, je tiens à vous le dire : la France est un pays ouvert ! Qui que ce soit au monde, sauf s’il est coupable de crimes de droit commun, en dehors de toute appréciation politique, s’il veut venir en France, il peut y venir !

Le problème essentiel ne se situe pas là. Le problème essentiel se pose lorsque les personnalités étrangères qui viennent sur le sol de France demandent qu’il leur soit réservé un accueil officiel, un accueil reconnaissant ce qu’ils sont et la politique qu’ils font. Nous nous sommes toujours refusés à cela.

M. BOTHA était déjà venu en France en 1983 ; le problème s’était déjà posé. Je n’ai pas jugé utile de refuser à M. BOTHA d’aller s’incliner dans un cimetière où reposent des soldats sud-africains tombés au côté de nos propres combattants, pour la liberté de notre propre pays. Je ne me suis pas senti le droit de refuser à un homme de s’incliner devant le souvenir des siens. Mais, la reconnaissance de ces faits s’adresse aux morts sud-africains, pas à M. BOTHA. Je n’aurais pas compris qu’on lui fermât la frontière : si on s’engageait sur ce terrain M. le  Président, – croyez-moi – si l’on se mettait à interpréter les sentiments et les politiques des uns et des autres, à élaborer des critères sélectifs, on tomberait très rapidement dans des définitions a priori qui ne seraient pas heureuses pour les relations internationales.

Il faut donc distinguer les démarches privées – celle de M. BOTHA – des démarches publiques – précisément celles que le Gouvernement français a refusées à M. BOTHA. Soyons justes, tout simplement.

Le problème de M. SAWIMBI est d’une nature différente. Il est angolais, il lutte en Angola contre le Gouvernement légitime, reconnu par l’ensemble des Nations. Et là se trouve la jonction avec les problèmes de l’Afrique du Sud : il s’appuie sur la force de l’Afrique du Sud pour soutenir sa révolte.

Voilà je crois, posée en termes honnêtes, la position de M. SAWIMBI. Mais ce n’est pas avec M. SAWIMBI que nous avons reconnu l’Etat d’Angola : c’est avec le Gouvernement angolais ! Le Président DOS SANTOS est d’ailleurs convié à se rendre en France : il m’a fait dire, il y a 48 heures, qu’il s’y rendrait au début de l’année prochaine et qu’il s’y serait déjà rendu s’il n’était pas allé s’incliner, comme beaucoup d’autres, devant le cercueil de SAMORA MACHEL, à MAPUTO. Ce n’est donc pas M. SAWIMBI qui a été invité à venir à Paris, c’est M. DOS SANTOS, le représentant du pouvoir régulier. Il ne faut pas confondre ! Il est venu en France ? Oui ; invité par une institution internationale.

Et c’est là qu’intervient une autre analyse. Si un pays qui dispose sur son sol de la présence d’institutions internationales – et il y en a beaucoup sur le sol de la France, en particulier le Parlement Européen à Strasbourg et l’UNESCO à Paris – se met dans la situation d’avoir à contrôler les invitations de ces institutions, ou à organiser un tri parmi les personnalités qui s’y rendent, invitées ou pas, vous voyez le danger : il ne va plus y avoir aucune institution internationale, nulle part. Ou alors, il faudrait être en mesure de décréter que seul un pays neutre, totalement neutre, et qui serait par définition un petit pays, serait le seul à voir s’édifier sur son sol les immeubles des sociétés internationales. Prenez le cas, par exemple de l’O.N.U. qui se trouve à NEW YORK : si les Américains – ils ont dû essayer de le faire quelquefois – se mettaient désormais en mesure de dire “celui-ci viendra, celui-là ne viendra pas”, que resterait-il de l’Organisation des Nations Unies ? des lambeaux, des décombres… Il y a  longtemps que le système aurait sauté !

Ou alors, les Nations Unies auraient dit : “changeons de place, retournons à Genève ! ou allons à HELSINKI ! ou “partons encore un peu plus loin !”… Que sais-je encore ?… Je ne suis pas ici en train de choisir le lieu où il faudrait se rendre… Je dis simplement que l’Organisation des Nations Unies se serait déjà brisée sur cette prétention des Etats-Unis d’Amérique à décider qui pourrait se rendre à l’O.N.U. et qui ne pourrait pas s’y rendre.

C’est exactement la même chose pour nous : nous n’avons strictement rien à voir dans le choix des invitations ou des invitations supposées, d’ailleurs, puisque finalement l’invitation a été repoussée par la majorité des parlementaires européens. Et Strasbourg, c’est en France ; et quand on est en France, à Strasbourg, on peut prendre le train, ou l’avion, et aller ailleurs. La France n’a pas du tout l’intention d’exercer, à l’égard de quiconque, une sorte de droit de regard sur ses occupations, sur ses voyages, sur ces déplacements.

Là où je suis intervenu – vous avez bien voulu rappeler mes propos – c’est qu’à un moment donné, M. SAWIMBI a eu un contact avec des personnalités qui remplissent des fonctions officielles. Il y avait deux cas : soit les personnalités qui remplissent des fonctions officielles n’appartenaient pas à l’exécutif, et il n’y a pas de ma part, à avoir de droit de regard sur leurs actes ; soit elles appartiennent à l’exécutif, et elles n’étaient pas spécialement qualifiées pour accepter cette visite.

Voilà ; mon observation s’arrête là.

Mais elle ne revient pas sur le droit accordé à tous visiteurs “à titre privé” d’exercer les activités de son choix. La France a été digne en refusant toute estampille officielle au voyage de M. BOTHA, et l’exécutif, dans son ensemble, a agi. de même avec M. SAWIMBI. Et dans la mesure où, de temps à autre, il y a manquement, je suis le premier à le déplorer. Je me trouve donc très à l’aise, ce soir à OUAGADOUGOU, pour répondre à vos questions pressantes.

Continuons : les conflits en Afrique sont malheureusement nombreux. Vous avez parlé de la R.A.S.D., c’est-à-dire de la lutte du Polisario pour le droit du Sahara Occidental à  l’autodétermination, pour le droit de ce peuple -, comme les autres peuples d’Afrique, à disposer de lui-même. Notre position, reconnue, est celle-ci : il appartient aux populations du Sahara Occidental de se déterminer elles-mêmes ; c’est-à-dire de voter, par le moyen d’un référendum, pour savoir quel est le statut de leur préférence. Bien entendu, cela doit s’exercer sous contrôle international. Nous avons proposé l’Organisation de l’Unité Africaine à laquelle vous appartenez, ou bien l’Organisation des Nations Unies à laquelle vous appartenez aussi.  Que les deux antagonistes choisissent ! Nous n’avons pas à leur imposer d’organisation internationale. Aujourd’hui, il semble que la préférence soit donnée à l’Organisation des Nations Unies. Celle-ci arbitrera, où plutôt, elle aura à veiller au contrôle de la régularité de ce choix. Car les chiffres cités de part et d’autre sont assez fantaisistes et il est donc normal qu’un contrôle se fasse comme dans chacun de nos pays : lorsqu’il y a élection, on vérifie l’identité des électeurs. C’est tout simple.

Cette ligne de conduite que je viens de définir s’applique à chacun des cas, avec une complexité évidente dans le Proche-Orient, et avec une clarté limpide partout ailleurs, dans tous les autres cas que j’ai cités.

Au Tchad, le problème se pose de la même façon : les Tchadiens se font battre et il y a des étrangers. Quels étrangers ? Des Français et des Libyens.

Les Libyens et les Français se sont entendus, il y a quelques années, pour se retirer, l’un et l’autre, et laisser les Tchadiens disposer de leur terre. L’un de ces deux pays a respecté sa parole, et s’est retiré ; l’autre ne l’a pas fait et il est resté : c’est la Libye. Cela aurait pu conduire à un conflit. Sagement je crois, la France a estimé, à la demande du Gouvernement légitime reconnu par les institutions internationales, qu’il fallait donner un coup d’arrêt et s’organiser pour qu’il soit impossible aux pays étrangers de s’emparer et de conquérir le  Tchad.

Aujourd’hui, il semble que l’évolution de ce conflit conduise la plupart des forces reconnues et antagonistes du Tchad à se réconcilier. Ce qui avait un aspect réel de guerre civile (les deux camps se faisaient soutenir par des pays étrangers) tend à devenir une guerre des Tchadiens contre une occupation étrangère. A partir de là, le droit est simple. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes exigerait le départ de toute armée étrangère et d’abord de l’armée qui ne s’est pas inclinée devant le contrat qui engage sa propre parole : c’est-à-dire l’armée libyenne.

Je puis vous garantir que l’armée française n’attend que l’occasion de rentrer chez elle, d’autant plus qu’elle n’a aucune intention, aucune ambition et qu’elle considère que le Tchad, c’est le Tchad. La France n’a d’ailleurs pas d’accord de défense, pas de traité d’alliance avec le Tchad.

C’est dire à quel point sa décision est libre. Que l’on m’entende bien ! La France ne demande qu’à retirer ses forces, mais à la condition que les Tchadiens puissent déterminer eux-mêmes leur sort et administrer leur territoire pour aboutir, le plus vite possible, à une détermination par le peuple lui-même.

Le Président SANKARA m’a conduit à vous parler de sujets sérieux qui dépassent les simples réponses de politesse, de courtoisie ou d’amitié ; il a posé des problèmes politiques très sérieux, très réels et je l’en remercie ; après tout, le fait qu’il ait procédé ainsi me permet de le faire moi-même sans risquer d’être désobligeant en quoi que ce soit.

Le principe qui nous anime peut apporter une solution à chacun de ces conflits :

. Au Tchad, que la Libye s’en aille.

. En Afrique Australe, que la Namibie devienne indépendante.

.En Afrique du Sud, que le droit des personnes permette à ce peuple d’exercer, dans sa globalité, ses droits à se déterminer lui-même.

. Au Sahara Occidental, que la population, vérifiée par les Nations Unies, vote, se détermine et dise ce qu’elle veut être.

Que le Gouvernement de Phnom Penh se retire et qu’il laisse l’ensemble des forces cambodgiennes débattre entre elles de ce qui leur convient.

Que les populations afghanes soient consultées.

Qu’Israël se soumette à des voies internationales pour reconnaître aux Palestiniens le droit d’exister sur une terre qui soit la leur.

Que le droit d’Israël soit reconnu et garanti.

Que le Nicaragua s’administre, et qu’il ne soit pas obligé d’acquérir des armes, de chercher des soutiens extérieurs, de s’engager dans le dommageable conflit Est/Ouest.

Vous le savez bien, monsieur le Président, partout où un conflit régional dure et se perpétue, la décision finale échappe à ceux qui combattent dans les deux camps et finit par appartenir aux plus puissants, c’est-à-dire aux deux camps qui se partagent l’Est et l’ouest. Personnellement, je trouve que c’est dommageable ; et je ne souhaite pas que, pour survivre, l’Afrique soit prise dans ce dilemme : être obligée de choisir le camp américain ou le camp soviétique. Elle choisira, je pense, le camp africain.

Je vous donne très franchement et très librement la ligne de conduite qui m’anime. Mais il est un point qu’il faudrait ajouter. Vous avez parlé de la paix – et vous avec eu raison – et donc vous avez parlé de guerre : la dialectique l’imposait. Mais il est une autre guerre, c’est celle du terrorisme… Le terrorisme vise des innocents ; il doit être mis hors la loi ; il exige une discipline internationale parce qu’il cherche – c’est le mot même, c’est sa définition – à inspirer la terreur. Pas simplement la terreur à ceux qu’il veut combattre directement, mais la terreur à tout un peuple qui, vivant dans l’angoisse pense-t-on – s’inclinera. Un peuple qui pourrait se soumettre à cette poignée d’illuminés fanatiques, de criminels, cela n’est pas pensable.

Je dis “cela n’arrive pas, cela n’arrivera pas” ; mais, pendant ce temps-là, le crime continu. Ce soir encore, au moment où je descendais pour vous rencontrer, Monsieur le Président, j’apprenais que le terrorisme venait, de nouveau d’exercer son crime à Paris, en frappant une personnalité qui n’est aucunement mêlée à la politique et dont les remarquables qualités humaines et professionnelles en faisaient l’un des Français situé, selon moi, au premier rang de ceux qui méritaient estime et affection.

Quiconque soutient le terrorisme – organisation ou Etat – doit être frappé du désaveu universel, doit être considéré avec mépris, doit être sanctionné et doit être puni.

Vous savez bien que le terrorisme est contagieux, que si l’on marque, ici, une faiblesse, il se sentira fort ailleurs; et que la maladie mortelle s’étendra au reste de l’humanité.

Mais revenons-en au principe d’autodétermination des peuples. C’est lui qui m’a inspiré lorsque, jeune responsable comme vous l’êtes aujourd’hui, j’ai abordé les problèmes de l’Afrique. Je devais avoir à peu près l’âge que vous avez et les hasards de la vie m’avaient permis de m’occuper du destin d’une partie de l’Afrique de l’époque coloniale. Je crois avoir compris – je n’ai pas été le seul – qu’il fallait que ces peuples puissent se déterminer eux-mêmes si l’on voulait assurer l’harmonie future et répondre aux principes du droit que je viens d’évoquer. C’est alors qu’a commencé la grande aventure… Elle a commencé avec la Côte-d’Ivoire, vous le savez ; elle a commencé également avec l’ancienne Haute-Volta et avec le Mali que l’on appelait, à l’époque, le Soudan. Avec des hommes au nom fameux : Houphouet-Boigny, Ouezzin Coulibaly, Mamadou Konate, avec Lamine Gueye, avec Senghor ; avec d’autres encore, mais je ne vais pas m’étendre plus qu’il ne le faut. C’était un combat du même ordre, exactement du même ordre. C’était des peuples qui voulaient vivre, des peuples qui voulaient affirmer leur dignité. Et vous en avez trouvé un magnifique symbole, Monsieur le Président et vous Mesdames et Messieurs des équipes dirigeantes du Burkina-Faso, en choisissant pour votre patrie ce nom qui veut dire : le pays des hommes libres, des hommes dignes, le pays des hommes d’honneur.

On ne peut pas affirmer sa dignité si l’on ne vit pas dans l’honneur, dans le respect des autres et dans le respect de soi-même. Je voulais dire la même chose lorsque j’ai dit à mes amis du Rassemblement Démocratique Africain des années 1945 à 1950 : “mais allez-y. Vous êtes Africains, vous êtes dans vos pays, à l’intérieur de limites que vous désirez maintenir – les anciennes limites coloniales – pour éviter les luttes ethniques; allez-y, vous êtes maîtres de votre destin”. Et c’est ce qui s’est produit.

Et ce qui nous permet de débattre amicalement de choses sérieuses, sans sortir des limites, en essayant de bâtir une oeuvre pacifique.

Le même raisonnement, voyez-vous, doit s’appliquer au développement. L’aide de la France, M. le Président, ne baisse pas, elle augmente. Il ne faut pas qu’il y ait de contresens. Vous savez que les institutions internationales avaient recommandé aux grands pays industriels d’aider au développement par une contribution de 0,7 % de leur revenu national brut. La France est le seul grand pays industriel qui ait aligné ses actes sur ses engagements. Partant de très bas, elle est passée de 0,3 % à 0,7 % en l’espace de quelques budgets. C’est très difficile, cela représente des milliards ; mais nous avons décidé d’y parvenir en l’espace de quelques années. Nous avons maintenant dépassé 0,5 et nous arriverons, en peu de temps, au fameux 0,7 % que nous avons promis.

Nous avons fait la même promesse à l’égard des Pays les Moins Avancés qui ont une organisation particulière, vous le savez, et qui ont droit à une contribution également particulière. Pour eux les Nations Unies avaient préconisé une contribution de 0,15 % du Produit National Brut. La France avait dit qu’elle atteindrait cela en 1985, mais c’était déjà fait en 1984.

Et nous continuons. Et seuls deux pays d’importance moyenne comme la Suède et les Pays-Bas ont observé un mouvement comparable au nôtre. Les autres grands pays ne l’ont pas fait, bien que la Communauté Européenne, contribue d’une façon très utile à un certain nombre d’actes internationaux dont le plus fameux est Lomé III qui apporte, je crois, à l’Afrique, au Pacifique, et aux Caraïbes des contributions utiles.

L’aide de la France ne baisse donc pas. Elle s’accroît ; le budget de cette année voit cette progression continuer. Je ne me fais pas spécialement l’avocat de la politique intérieure du gouvernement mais il faut être juste : trois budgets se sont accrus et, parmi eux, celui de la

Coopération et les crédits du Fonds d’Aide à la Coopération ont été augmentés de 50 %.

Quant au débat sur le capitalisme, vous me contraignez, mon cher Président, à reprendre une explication qui pourrait paraître un peu fastidieuse à cette heure-ci, et en ces lieux. Mais le problème est celui de la nature même du “pacte colonial” que je dénonce et que j’ai toujours dénoncé. Le “pacte colonial”, cela consiste à laisser des pays, comme ceux d’Afrique, se spécialiser dans la vente de leurs matières premières et de transformer ces matières premières dans d’autres pays. Vous savez très bien que la richesse se trouve dans la valeur ajoutée !… Votre valeur brute, c’était vos matières premières : le bois de vos forêts, l’or, le diamant, le charbon, le manganèse, le nickel de votre sous-sol; le cas échéant le pétrole ; c’était le cuir, la peau de vos bêtes, votre élevage. Et toutes ces matières premières étaient traitées, transformées ailleurs. Je ne m’esquive pas devant la responsabilité historique de mon pays : c’est à Marseille ou à Bordeaux que se trouvaient les grandes industries de transformation. Regardez, c’est à Marseille qu’était naguère traitée la bauxite de Guinée, et heureusement, c’est en Guinée même que sont installées, aujourd’hui, certaines usines de transformation.

Cette évolution s’est donc faite lentement, péniblement, au milieu de grandes injustices et de grands déchirements que j’ai toujours dénoncés et que je continuerai de dénoncer. Chaque fois que vous voyez le pacte colonial s’exercer, alors il faut protester. Ceux qui gagnent, ce sont les capitalistes. Pour employer un langage concret, ce sont les propriétaires des grandes industries qui profitent de la valeur ajoutée. Et la crise qui vous a tellement frappé, les spéculations sur les prix de vos matières premières, les coalitions d’intérêt capitalistes, ont fait que vous n’avez pas été en mesure de vous équiper.

Mais ce n’est pas la politique de la France ! La politique de la France est de respecter vos décisions : les équipements, les investissements que vous voulez faire au Burkina-Faso, cela dépend de vous ! C’est vous qui le décidez ! Nous n’avons pas à vous dire : “ne faites pas ceci”, ou “faites autre chose”. Nous avons simplement à vous dire : “nous pouvons vous donner un coup de main, si vous nous le demandez”. C’est un raisonnement complètement différent.

L’Afrique a été pillée. J’ai parlé des matières premières. J’aurais dû parler des hommes. Pendant des siècles, on vous a exploités humainement : on a volé vos hommes, vos femmes, vos enfants. On s’est servi de vous.

Je comprends votre refus, votre révolte et j’épouse votre combat. Vous avez raison de refuser d’être un continent sacrifié. Le moment est venu où vous devez vous-mêmes développer vos économies à partir de ces biens et avec vos hommes. Et le devoir des pays qui ont profité abusivement du travail africain, c’est de restituer à l’Afrique une part de ce qui a été pris au travers des siècles derniers. C’est pourquoi les pays industriels dits avancés ont à l’égard des peuples africains le devoir d’apporter des “contributions volontaires”, capables de rendre quoi que ce soit, et qu’il s’essoufflerait lui-même. C’est aussi l’intérêt des pays riches, des pays industriels, d’aider au développement des pays qui le sont moins ; c’est dans leur intérêt parce qu’ils sont tous en train de se neutraliser au point de fabriquer les mêmes produits et d’essayer d’équilibrer leur commerce extérieur : finalement on ne pourra plus rien vendre, à personne, alors qu’il y a plus de 2 milliards de consommateurs qui pourraient être des producteurs et des transformateurs. C’est une folie ! C’est se retourner contre soi-même ! ou alors, c’est que le goût de la domination est imbécile ! ceux qui ont le goût de la domination immédiate ne

perçoivent pas qu’à travers du temps qui passera, cela se retournera contre eux qui se sont servi abusivement de leurs forces.

M. le Président, Mesdames et Messieurs, dites-vous bien que la France vient solennellement dire au Burkina-Faso – comme je l’ai dit dans les autres pays – qu’elle est là, qu’elle est prête, qu’il faut discuter avec elle.

J’ai employé une expression commune, mais elle exprime bien ce que je veux dire : “donner un coup de main”. Nous sommes tous des hommes, sur la même terre. Certains ont été avantagés par les conditions climatiques et par le déroulement de l’histoire. Mais finalement, nous sommes sur une petite planète, le développement des moyens de transport nous amène à nous fréquenter de plus en plus, les cultures se mêlent et s’assimilent : nous devons nous donner un coup de main. “vous avez besoin de cela ? moi je l’ai”. “Vous, vous ne l’avez pas ? eh bien ! faites le donc”.

Certes, la France a des moyens limités. Elle est elle-même soumise à l’inflation, elle a un commerce extérieur qui n’est pas aussi bénéficiaire qu’il le faudrait, elle a des industries parfois en retard par rapport à ses grandes concurrentes ; bref, elle est aussi obligée de défendre les  intérêts de son peuple.

Mais, tout ce que vous avez dit du développement, M. le Président, je l’épouse. C’est notre premier devoir. J’ai dit et je répète que l’humanité est menacée par le terrorisme contre elle-même, par des guerres à l’infini, par la bombe atomique ; mais elle est encore plus menacée par le fossé qui s’élargit entre les pays du nord et les pays du sud.

J’ai parlé de bombe atomique : ne serait-il pas raisonnable de consacrer une part de ces armements sophistiqués pour le développement ? C’est la proposition que j’ai faite à l’Organisation des Nations Unies en 1983 ; et mon prédécesseur, M. Giscard d’Estaing avait fait une proposition du même ordre, quelques années plus tôt. Cette proposition est reprise par d’autres hommes politiques, en France, aujourd’hui ; et elle est écoutée avec intérêt par quelques autres grandes puissances.

Voilà, je vous explique les choses simplement ; un peu longuement peut être, mais je ne pouvais pas, moi, écouter le Président Sankara, faire un petit compliment aimable, puis rentrer me coucher et dormir.

C’est un homme un peu dérangeant, le Président Sankara ! C’est vrai, il vous titille, il pose des questions… Avec lui, il n’est pas facile de dormir en paix : il ne vous laisse pas la conscience tranquille ! Moi, là-dessus, je suis comme lui. Il faut qu’il sache que je suis comme lui, avec 35 ans de plus. Il dit ce qu’il pense, je le dis aussi. Et je trouve que dans certains jugements, il a le tranchant d’une belle jeunesse et le mérite d’un Chef d’Etat totalement dévoué a son peuple. J’admire ses qualités qui sont grandes, mais il tranche trop ; à mon avis, il va plus loin qu’il ne faut. Qu’il me permette de lui parler au nom de mon expérience.

Cela dit, s’il n’était pas comme il est, chef d’un Etat jeune, entouré d’hommes jeunes, avec des idées neuves, s’il n’était pas comme cela à 37 ans, dans quel état serait-il à 70 ! … Je l’encourage, mais pas trop.

Ce que j’ai pu apercevoir du Burkina-Faso me montre des équipes désireuses de bien faire, qui ont l’amour de leur pays, qui ont l’amour de l’Histoire et qui veulent pétrir une nouvelle période de l’Afrique.

Ils ont eu de grands anciens qui ont fait les indépendances, il y a 30 ans. Mais 30 ans, c’est une génération qui s’en va… la nouvelle génération a d’autres besoins et doit répondre à d’autres besoins. Le devoir change de forme. Et je comprends très bien un pays comme celui-ci où l’on voit cette jeunesse s’affirmer et tout décider. Elle est parfois tentée de penser que les définitions idéologiques ou intellectuelles peuvent remplir les besoins de la réalité mais elle a beaucoup d’intelligence des choses et un tel désir de bien faire que je la respecte.

Je respecte tout à fait ce qui se passe ici. Non seulement je le respecte mais je souhaite l’aider. Si on me demande ce que je n’ai pas, je ne le donnerai pas !… Mais si je peux donner ou faire donner une partie de ce que nous avons, si c’est juste et raisonnable pour vous aider à réussir, je le ferai.

Et je n’ai pas à me mêler de votre politique intérieure : si j’étais ce soir devant un autre Chef d’Etat que le Président SANKARA, devant une autre équipe, s’il n’y avait pas eu de révolution, je n’aurai sans doute pas eu à répondre à toutes les questions qu’il m’a posées, mais la disposition de la France à l’aider serait la même ! Retenez bien ce que je vous dis : ce n’est pas parce qu’il y a une équipe jeune, dérangeante, quelquefois un peu insolente, au verbe libre, ce n’est pas parce qu’elle est là que nous devons faire moins et nous retirer sur la pointe des pieds. C’est parce qu’elle est là que nous devons nous parler les yeux dans les yeux, et dire

: “nous vous estimons, vous représentez une chance pour votre peuple. Qu’est-ce qu’on peut faire pour que cela marche ?”.

C’est le langage que je veux tenir pour conclure. Qu’est-ce que l’on peut faire pour que cela marche ? Vous avez besoin de nous, eh bien ! Vous nous le direz. Vous n’avez pas besoin de nous ? Eh bien ! dans ce cas là, on s’en passera.

Vous avez des étrangers sur votre sol, des Français et d’autres qui sont là pour vous aider. Parfois ils vous embarrassent un peu… ils n’ont pas forcément des objectifs qui vous plaisent toujours. Mais il y en a beaucoup d’autres, des hommes et des femmes de dévouement – j’en ai rencontré aujourd’hui à la Résidence de France – des jeunes gens d’une très grande netteté dans leur conviction, désireux de servir, qui aiment le peuple burkinabé et qui sont désintéressés. Ils ne demandent rien en échange. Peut-être se donnent-ils à eux-mêmes la récompense que l’on éprouve toujours quand on a apporté un peu d’amour et de dévouement aux autres.

Il ne faut pas décider de ce que moi je dis, mais, pour le reste, vous pouvez décider. C’est vous qui décidez chez vous ; et puis j’espère que vous viendrez un jour à Paris pour continuer à développer ce qui vous paraît bon pour votre pays. Bien entendu, a Paris, vous déciderez pour le Burkina Faso… Parce que pour Paris, c’est moi… enfin, je dis moi, mais il n’y a pas que moi : c’est l’ensemble de ceux que le peuple français a choisi.

Vous nous avez donné beaucoup ce soir. Vous nous avez apporté votre musique, vos danses, votre gaieté, votre culture, votre présence, votre amitié. J’ai trouvé beaucoup d’agrément à être avec vous, sous ce beau ciel, autour de cette table. Nous avons discuté comme vous devez le faire, j’imagine, Monsieur le Président, dans vos bureaux politiques… on discute, ici ! Quand vous parlez, les autres se taisent ? Non ? Quand les autres parlent, vous vous taisez, vous ? Non, hein… Eh bien, moi je fais comme vous ! … Si l’on peut, devant le peuple Burkinabé, faire clairement, honnêtement et amicalement des remarques, des compliments et des reproches, c’est déjà la preuve d’une bonne entente. Moi, je ne me froisse jamais des propos qui pourraient me heurter dès lors qu’ils proviennent d’un esprit que je sens ouvert et bienveillant à mon égard. Si la discussion s’arrêtait avant d’avoir commencé, alors nous tomberions dans un système de pensée très dangereux.

Voilà, j’en ai fini avec ce discours qui n’en est pas un. J’en avais écrit un autre, il est là… il n’a rien à voir avec celui-là… D’ailleurs, celui que j’ai écrit était beaucoup plus ennuyeux mais il avait l’avantage d’être très court…

Soyons sérieux. Vous m’avez donné l’occasion de m’exprimer. En vous quittant, demain après-midi, je me dirai qu’il existe un peuple vaillant et très riche d’histoire ; ce peuple a été le siège de grands empires, il a fourni des hommes vaillants, courageux et forts ; il en a même fourni à la France : vous avez des frères, des pères qui sont morts dans les rangs de l’armée française ; un peuple qui ne connaît pas de limites à son propre dévouement, un peuple qui aime sa Patrie et qui, tout en étant un vieux peuple, se met, tout d’un coup, à avoir des idées neuves.

De quoi se plaindre ? Il faut que les idées neuves s’accordent à la force vitale de l’Histoire, il ne faut pas que l’Histoire se fige dans des concepts périmés. A vous de faire la synthèse. Et je sens que vous y êtes prêts, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je sens que vous êtes prêts à cette grande synthèse qui pourrait faire alors, de votre expérience historique, une expérience qui marquera pour longtemps une nouvelle forme d’existence pour le peuple Burkinabé. C’est ce que je vous souhaite en tout cas.

Je ne veux pas me mêler de politique intérieure; il doit y avoir des débats ici, comme il y en a ailleurs. Je n’interviens pas sinon pour dire que je suis heureux de pouvoir reconnaître la volonté, le désir de servir, le désir d’être utile qui habite votre Président. Il a la force de la jeunesse et il aura, un jour ou l’autre, toute la sagesse de l’âge mûr.

Mais c’est bien commencé, c’est très bien commencé. C’est le seul jugement personnel que je me permettrai de faire en tant qu’ancien.

Je sais qu’en Afrique on respecte beaucoup les anciens ; alors, en tant qu’ancien, je luis dis : votre chance est grande, celle de votre pays ne l’est pas moins. Vous avez à lutter contre des forces énormes, les forces de la nature souvent hostiles, les forces d’un sol qui résiste à son

épanouissement. Vous avez à faire que l’intelligence des hommes se rende maîtresse de la matière ; vous avez à vous défendre contre les ambitions, les pressions et les détournements. Votre tâche est très lourde, et je m’en voudrais de la compliquer aussi peu que ce fût.

C’est donc sur des paroles d’espoir et d’encouragement pour ce peuple dont vous êtes les interprètes que je terminerai mon propos en disant :

Vive le Burkina Faso ! Vive la France !

Je lève mon verre – c’est une tradition qui nous est commune – je lève mon verre à la santé des personnes, à la santé du Président SANKARA et de Madame SANKARA, à la santé des êtres qui leur sont chers, à la santé des enfants, à la santé de celles et de ceux qui participent à ce dîner. Mais je lève aussi mon verre à la santé du peuple tout entier qui, au delà de cette enceinte, représente tout ce qui mobilise vos efforts et vos volontés : à la santé du peuple Burkinabé.

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Notre Maison blanche se trouve dans le Harlem noir – (2) 3 octobre 1984

Notre Maison blanche se trouve dans le Harlem noir

3 octobre 1984

Le 3 octobre 1984, toujours à Harlem, c’est devant 500 personnes réunies d l’école Harriet Tubman, que Sankara prend la parole. Le texte ci-dessous est la retranscription d’un enregistrement du meeting, organisé par la Coalition Patrice Lumumba’.

L’impérialisme ! [Cris de  « À bas !»] L’impérialisme ! [Cris de  « À bas !»] Le néo-colonialisme ! [Cris de  « À bas !»] Le racisme !

[Cris de  « À bas !»] Le fantochisme ! [Cris de  « À bas !»] Gloire !

[Cris de  « Au peuple !»] Dignité !

[Cris de  « Au peuple !»] Pouvoir !

[Cris de  « Au peuple !»]

La patrie ou la mort, nous vaincrons !

La patrie ou la mort, nous vaincrons !

Merci camarades. [Applaudissements]

Je ne serai pas long parce que ceux qui m’ont précédé ici ont dit ce que doit être la révolution. La camarade membre du Comité central (du All African People’s Revolutionary Party) toujours dit et je le répète, que notre Maison blanche se trouve dans le Harlem noir. [Applaudissements prolongés]

Ils sont nombreux ceux qui considèrent que Harlem est un dépotoir. Ils sont nombreux ceux qui considèrent que Harlem est fait pour étouffer. Mais nous sommes aussi nombreux, nous qui pensons que Harlem donnera à l’âme africaine toute sa dimension. [Applaudissements] En tant qu’Africains nous sommes nombreux et très nombreux nous devons comprendre que notre existence doit être vouée à lutter pour la réhabilitation de l’homme africain. Nous devons mener le combat qui nous soustraira à la domination des autres hommes et à leur oppression.

Certains Noirs ont peur et ils préfèrent s’inféoder aux Blancs. Il faut les dénoncer, il faut les combattre. Nous devons être fiers d’être Noirs. [Applaudissements prolongés] Souvenez-vous, il y a beaucoup de ces hommes politiques qui ne pensent aux Noirs qu’à la veille des élections. [Applaudissements prolongés] Nous devons être Noirs avec les Noirs, le jour comme la nuit.

Mais nous comprenons que notre lutte est un appel à la construction. Nous ne demandons pas que le monde soit construit uniquement pour les Noirs et contre les autres hommes. Nous voulons en tant que Noirs apprendre aux autres hommes à s’aimer entre eux. Malgré leur méchanceté contre nous, nous saurons résister et ensuite leur enseigner ce que c’est que la solidarité. Nous savons également qu’il nous faut être organisés et déterminés. [Applaudissements] Nos frères sont en Afrique du Sud, ils doivent être libérés. [Applaudissements prolongés]

L’année dernière j’ai rencontré Maurice Bishop [le Premier ministre de Grenade]. Nous avons discuté longuement. Nous nous sommes donnés mutuellement des conseils. Quand je suis rentré dans mon pays j’ai été arrêté par l’impérialisme. J’ai pensé à Maurice Bishop. Quelque temps après j’ai pu être délivré de prison grâce à la mobilisation de la population. J’ai pensé encore à Maurice Bishop. J’ai préparé une lettre pour lui. Je n’ai pas eu l’occasion de la lui envoyer. Là encore à cause de l’impérialisme. Alors nous avons compris qu’il faut désormais lutter contre l’impérialisme sans relâche. Si nous ne voulons pas que demain on assassine encore des Maurice Bishop, il faut que nous nous mobilisions dès aujourd’hui. [Applaudissements]

Et c’est pourquoi je veux vous montrer que je suis prêt contre l’impérialisme. [Il tient sa mitraillette dans les airs. Applaudissements prolongés et cris] Et je vous prie de croire que ce n’est pas un jouet. Ce sont des balles réelles. Et lorsque nous tirerons ces balles, ce sera contre l’impérialisme. Ce sera en faveur de tous les hommes noirs. Ce sera en faveur de tous ceux qui souffrent de la domination. Ce sera également en faveur des hommes blancs qui sont de véritables frères pour les Noirs. Et ce sera également en faveur du Ghana parce que le Ghana est un pays-frère.

Vous savez pourquoi avons-nous organisé avec le Ghana les manoeuvres Bold Union ? C’était pour montrer à l’impérialisme de quoi nous sommes capables en Afrique. Beaucoup d’autres États africains préfèrent organiser leurs manoeuvres en accord avec les puissances extérieures. Lorsque nous aurons les prochaines manoeuvres, il faudra qu’il y vienne, qu’il y ait de Harlem des combattants pour participer avec nous. [Cris, applaudissements prolongés]

Notre révolution est symbolisée dans notre drapeau. C’est le nouveau drapeau de notre pays. Notre pays a également changé de nom. Et ce drapeau, vous constaterez qu’il ressemble au drapeau de votre parti. C’est parce que nous aussi nous sommes dans ce parti. C’est parce que nous oeuvrons pour la même cause que ce parti. C’est pourquoi tout naturellement les couleurs de ces deux drapeaux se ressemblent. Et ces couleurs ont la même signification. Nous n’avons pas mis la couleur noire parce que nous sommes en Afrique déjà. [Applaudissements, cris de  « L’impérialisme A bas ! »] Mais vous pouvez considérer que ces deux drapeaux sont égaux.

Vous savez, il est important que chaque jour chacun de vous se souvienne d’une chose. Pendant que nous sommes là en train de discuter, pendant que nous sommes là en train de nous parler entre Africains, il y a des espions qui sont là pour rendre compte demain matin. Nous leur disons qu’ils n’ont pas besoin d’apporter des micros secrets, puisque même si la télévision venait ici nous allions répéter exactement la même chose. [Applaudissements]

Alors, il faut vous dire que nous avons en nous la force et la capacité de combattre l’impérialisme et la seule chose dont vous devez vous souvenir c’est que quand le peuple se met debout, l’impérialisme tremble. [Applaudissements]

J’ai admiré beaucoup les ballets qui ont été exécutés. C’est pourquoi je voudrais vous inviter à la prochaine semaine nationale de la culture qui se déroulera au Burkina Faso au mois de décembre. Vous devez envoyer ne serait-ce qu’un représentant. Je vous invite également au prochain Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou au mois de février. Tous les États africains seront représentés. L’Afrique du sud sera représentée par le mouvement de libération africain. Harlem doit être représenté. [Applaudissements]

Nous ferons tout notre possible pour vous envoyer ici à Harlem des troupes du Burkina Faso pour des exhibitions en faveur de nos frères et de nos soeurs africains qui sont ici. Je vous demande de les encourager, de les soutenir et de leur permettre d’aller dans d’autres villes américaines pour rencontrer d’autres Africains qui sont dans ces villes américaines.

J’ai constaté que vous avez beaucoup d’estime et de respect pour le camarade Jerry John Rawlings, alors nous vous enverrons des pagnes africains qui portent sa photo. Et sur ces pagnes nous avons écrit : “Ghana et Burkina Faso : même combat.” Il faudra porter ces vêtements partout, au bureau, dans la rue, au marché, n’importe où. Soyez fiers de cela, montrez que vous êtes Africains. N’ayez jamais honte d’être des Africains. [Applaudissements]

J’avais dit que je ne serais pas long et avant de terminer je vous demanderai de vous mettre debout parce que demain, lorsque je ferai mon discours aux Nations unies, je parlerai des ghettos, je parlerai de Nelson Mandela qui doit être libéré. [Applaudissements] Je parlerai de l’injustice, je parlerai du racisme, et je parlerai de l’hypocrisie des dirigeants à travers le monde. Je leur dirai que vous et nous, nous tous, nous menons nos combats et qu’ils ont intérêt à faire attention. Parce que vous représentez le peuple, partout où vous êtes debout, l’impérialisme tremble. Et c’est pourquoi je vous invite a répéter «Lorsque le peuple se met debout, l’impérialisme tremble».

[Cris de  « Lorsque le peuple se met debout, l’impérialisme tremble !»] Encore !

[Cris de  « Lorsque le peuple se met debout, l’impérialisme tremble !»] Encore !

[Cris de  « Lorsque le peuple se met debout, l’impérialisme tremble !»] L’impérialisme !

[Cris de  « À bas !»]
L’impérialisme !

[Cris de  « À bas !»]
Le fantochisme !

[Cris de  « À bas !»]
Le racisme !

[Cris de  « À bas !»]
Le sionisme !

[Cris de  « A bas !»]
Le néo-colonialisme !

[Cris de  « A bas !»]
Gloire !

[Cris de  « Au peuple !»]
Dignité !

[Cris de  « Au peuple !»]
Musique !

[Cris de  « Au peuple !»]
Santé !

[Cris de  « Au peuple !»]
Education !

[Cris de  « Au peuple !»]
Pouvoir !

[Cris de  « Au peuple !»]
Tout le pouvoir !

[Cris de  « À bas !»]

La patrie ou la mort, nous vaincrons !
La patrie ou la mort, nous vaincrons !

Merci camarades.

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“Notre maison blanche se trouve dans notre Harlem noir” (1) Discours à Harlem le 2 Octobre 1984

Affirmer notre identité.

“Faisons en sorte, chers frères et camarades que les générations à venir ne nous accusent pas d’avoir bradé, d’avoir étouffé l’homme noir.”

Venu à New York pour s’adresser à l’Assemblée générale des Nations unies, Sankara profite de ce séjour pour se rendre le 2 octobre 1984 à Harlem. Le texte ci-dessous est la retranscription d’un enregistrement du discours que Sankara a fait l’occasion de l’inauguration d’une exposition d’art burkinabé au Centre de commerce du Tiers Monde de Harlem.


Haute Volta ou Burkina Faso

… Notre Maison blanche se trouve dans le Harlem noir…

Un centre de recherche pour l’homme noir

Faisons en sorte, chers frères et camarades que les générations à venir ne nous accusent pas d’avoir bradé, d’avoir étouffé l’homme noir.


Haute Volta ou Burkina Faso?

Chers amis, je vous dis merci. Je vous dis merci parce que vous nous avez donné l’occasion de présenter le Burkina Faso. Comme vient de le dire si brillamment notre frère, nous avons décidé de changer de nom. Cela correspond à un moment où nous sommes en train de renaître. Nous avons voulu tuer la Haute-Volta pour faire renaître le Burkina Faso. Pour nous, le nom de Haute-Volta, symbolise la colonisation. Et nous estimons que pas plus que nous n’avons d’intérêt pour la Haute-Volta nous n’en avons pour la Basse Volta, l’Ouest Volta, l’Est Volta. Cette exposition nous permet ici de donner à la face du monde entier le véritable nom que nous avons choisi : Burkina Faso. Cela est une très grande opportunité pour nous.

… Notre Maison blanche se trouve dans le Harlem noir…

On peut se poser la question de savoir pourquoi nous avons préféré commencer notre exposition par Harlem. Parce que nous estimons que le combat que nous menons en Afrique et principalement au Burkina Faso est le même combat que vous menez à Harlem. Nous estimons que nous en Afrique, nous devons apporter à nos frères de Harlem tout le soutien nécessaire pour que leur combat soit connu également. Quand à travers le monde entier l’on saura que Harlem est devenu un coeur vivant qui bat au rythme de l’Afrique, alors tout le monde respectera Harlem. Tout chef d’État africain qui vient à New York devrait d’abord passer par Harlem : parce que nous considérons que notre Maison blanche se trouve dans le Harlem noir.
Cette exposition que vous êtes venus voir ce soir, a pour nous une grande signification. Elle traduit tout notre passé, elle traduit également notre présent. En même temps, cette exposition ouvre la porte sur notre avenir. Elle constitue un lien vivant entre nous et nos ancêtres, nous et nos enfants. Chaque objet que vous verrez ici exprime la douleur de l’Africain. Chaque objet exprime également la lutte que nous menons contre les fléaux naturels mais aussi contre les ennemis qui sont venus nous dominer.
Chaque objet ici exprime les sources d’énergie auxquelles nous faisons confiance pour le combat que nous menons. Que ce soit d’une façon ancestrale ou d’une façon moderne, nous pensons que notre avenir se dessine aussi, s’inscrit dans ces objets d’art.

Un Centre de recherche pour l’homme noir

La magie qui se cache dans ces objets, dans ces masques, est peut-être cette même magie qui a permis à d’autres d’avoir confiance en l’avenir, d’explorer le ciel et d’envoyer des fusées sur la lune. Nous voulons qu’on nous laisse libre de donner toute sa signification à notre culture et à notre magie. C’est quand même un phénomène magique que d’appuyer simplement sur un bouton et de voir la lumière surgir. Si l’on avait voulu barrer la route à Jules Vernes certainement qu’il n’y aurait pas eu aujourd’hui tout ce développement astronomique.
Nos ancêtres en Afrique avaient engagé une certaine forme de développement. Nous ne voulons pas qu’on assassine ces grands savants africains. C’est pourquoi au Burkina Faso nous avons décidé de créer un centre de recherche pour l’homme noir. Dans ce centre nous étudions les origines de l’homme noir. Nous étudions également l’évolution de sa culture, la musique africaine à travers le monde entier, l’art vestimentaire à travers le monde entier, l’art culinaire africain à travers le monde entier, les langues africaines à travers le monde entier. Bref, tout ce qui nous permet d’affirmer notre identité sera étudié dans ce centre.
Ce centre ne sera pas un centre fermé. Nous appelons tous les Africains à venir étudier dans ce centre. Nous appelons les Africains d’Afrique, nous appelons les Africains hors d’Afrique, nous appelons les Africains de Harlem : que chacun vienne participer à son niveau pour le développement et l’épanouissement de l’homme africain. Nous souhaitons que cette exposition constitue une espèce de prélude à ce gigantesque travail qui nous attend.

Faisons en sorte, chers frères et camarades que les générations à venir ne nous accusent pas d’avoir bradé, d’avoir étouffé l’homme noir.

Faisons en sorte, chers frères et camarades que les générations à venir ne nous accusent pas d’avoir bradé, d’avoir étouffé l’homme noir.
Je ne voudrais pas être plus long que cela. D’autres objets d’art sont attendus pour compléter cette exposition notamment, je crois, des objets en bronze et j’espère aussi que j’aurai l’occasion, peut-être demain, ou après-demain de repasser par ici, à Harlem et de discuter avec vous de cette exposition.
Tout en vous remerciant d’avoir permis à un pays d’Afrique, le Burkina Faso, de se manifester, je voudrais au nom du peuple du Burkina Faso, et au nom de nos frères qui sont ici à Harlem je voudrais déclarer cette exposition ouverte.
Je vous remercie.

Source : Sidwaya

Version PDF: Notre Maison blanche se trouve dans le Harlem noir

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Les Tribunaux populaires de la révolution – 3 Janvier 1984

Les Tribunaux populaires de la révolution.

3 Janvier 1984.

Camarades présidents des institutions,

Camarades membres du Conseil national de la révolution,

Camarades membres du gouvernement révolutionnaire,

Camarades militants de la Révolution démocratique et populaire, Excellences, Mesdames, Messieurs :

Cela fait exactement 17 ans, jour pour jour que le peuple voltaïque dans un élan révolutionnaire est sorti dans les rues pour crier à la face de ceux qui l’ont toujours bâillonné, exploité et opprimé des mots d’ordre tels que : « À bas les détourneurs des deniers publics !» , «À bas les affameurs du peuple !». Dix-sept ans aujourd’hui, que le peuple voltaïque est sorti dans les rues pour réclamer : « Du pain, de l’eau et de la démocratie ».

Le 3 janvier 1966, le peuple voltaïque dans un sursaut collectif a mis au banc des accusés, la bourgeoisie réactionnaire et corrompue de notre pays, qui, après s’être servie de lui comme d’un tremplin pour accéder au pouvoir, lui avait tourné le dos, dans une course effrénée à l’accumulation de richesses mal acquises.

Aujourd’hui encore, le peuple voltaïque accuse.

Le peuple voltaïque accuse et exige la mise en application du verdict populaire. Aujourd’hui pour la réalisation de ses aspirations profondes exprimées depuis toujours, le peuple voltaïque s’est forgé un instrument adéquat : les Tribunaux populaires révolutionnaires. Nous avons fait un choix et désormais rien ne pourra empêcher le peuple de rendre son verdict. Rien désormais ne pourra empêcher le peuple de donner un châtiment exemplaire à toute cette racaille politique qui s’est nourrie de la famine, à toutes ces crapules qui l’ont toujours bafoué, humilié par mille et une vexations.

Le peuple voltaïque accuse, et le monde tremble.

Le monde des exploiteurs, des spoliateurs, de tous ceux qui tirent avantage du système néocolonial, tremble parce que le peuple voltaïque devenu désormais maître de sa destinée veut rendre sa justice.

Camarades membres des Tribunaux populaires de la révolution, en choisissant la date du 3 janvier 1984 pour l’ouverture solennelle de vos assises, vous ne faites donc que renouer avec un passé récent qui a constitué un moment décisif dans la prise de conscience de notre peuple contre la domination et l’exploitation des couches et classes sociales, réactionnaires, véritables appuis locaux de l’impérialisme.

La création des Tribunaux populaires révolutionnaires se justifie par le fait, qu’en lieu et place des tribunaux traditionnels, le peuple voltaïque entend désormais matérialiser dans tous les domaines, dans tous les secteurs de la société, le principe de la participation effective des classes laborieuses et exploitées à l’administration et à la gestion des affaires de l’Etat.

Les juges des Tribunaux populaires révolutionnaires ont été choisis au sein des travailleurs et par les seuls travailleurs avec la mission d’accomplir la volonté du peuple. Pour ce faire, nul besoin pour eux, de connaître les vieilles lois. Etant issus du peuple, il suffit qu’ils se laissent guider par le sentiment de la justice populaire.

En l’absence de textes codifiés, il leur suffit de s’appuyer sur le droit 1 révolutionnaire, en rejetant les lois de la société néo-coloniale.

Notre révolution, la révolution d’août en se fixant comme objectif la destruction de l’appareil d’Etat bureaucratique et en donnant une représentation beaucoup plus accessible au peuple, fait la preuve si besoin en était encore que le régime mis en place est plus démocratique que la plus démocratique des républiques bourgeoises.

Toutefois, il faut s’attendre à ce que l’instauration des TPR fasse l’objet d’attaques de la part de nos ennemis à l’extérieur comme à l’intérieur du pays.

On y verra à ne point en douter, un instrument de répression sinon d’inquisition politique. On criera certainement au bafouement des droits de l’homme. Mais qu’à cela ne tienne ! Notre justice populaire se distingue de la justice dans une société où les exploiteurs et les oppresseurs détiennent l’appareil d’État en ce qu’elle s’attachera à mettre à jour, à dévoiler publiquement tous les dessous politiques et sociaux des crimes perpétrés contre le peuple, à amener celui-ci à saisir leur portée afin d’en tirer les leçons de morale sociale et de politique pratique. Les jugements des TPR permettront de révéler aux yeux du monde les plaies du régime néo-colonial en livrant les matériaux de la critique et en dégageant les éléments d’édification d’une société nouvelle.

Aussi à travers la condamnation des forfaits socio-économiques et moraux, il s’agit là d’un procès politique, d’une remise en cause du système politique de la société néo-coloniale.

A travers l’homme, c’est la société qui est ici en cause. C’est pourquoi les débats au cours de ces procès devront revêtir un caractère éducatif par les explications qui seront données aux masses populaires à l’audience et dans la presse. Les verdicts qui en sortiront devront donner suffisamment à réfléchir. L’hypocrisie de la morale bourgeoise et réactionnaire réside dans des sursauts d’indignation vis-à-vis de la condamnation de quelques Individus et dans un silence complice face au génocide collectif d’un peuple qui se meurt dans la misère, la famine et l’obscurantisme.

Nous jugeons un homme pour rétablir des millions d’hommes dans leurs droits. Nous sommes par conséquent de fervents défenseurs des droits de l’homme et non des droits d’un homme. À  la  « morale» immorale de la minorité exploiteuse et corrompue, nous opposons la morale révolutionnaire de tout un peuple pour la justice sociale.

—–

Fort de cette légitimité révolutionnaire, le Conseil national de la révolution (CNR) vous invite, camarades juges des TPR, à faire preuve de sang-froid et de conscience révolutionnaire, sans excès mais avec fermeté, sans passion mais avec lucidité, avec discernement, mais sans complaisance, pour que les acquis de notre révolution soient sauvegardés.

Nous avons fait le choix entre deux formes de droit : d’un côté, le droit révolutionnaire du peuple, de l’autre l’ancien droit réactionnaire de la minorité bourgeoise. La justice que vous êtes appelés à rendre, s’inspire des principes démocratiques de notre révolution. Une démocratie pour le peuple et contre les exploiteurs et les oppresseurs, tel est le fondement de l’activité des TPR.

Vous devez êtres fiers. Fiers d’avoir été choisis et d’avoir été appelés à être les artisans d’une oeuvre novatrice à tous les points de vue.

Laissez les tenants de la démocratie dite pure à leurs pleurnicheries et à leurs atermoiements. Laissez s’indigner et se scandaliser les juristes et autres érudits, tous formalistes obnubilés par des procédures et des protocoles dont ils n’ont pas encore saisi les intentions mystificatrices pour le peuple et faisant du magistrat drapé dans sa toge et affublé de son épitoge, parfois même en perruque, un guignol qui suscite chez nous révolutionnaires, de la compassion, surtout lorsque nous le sentons proche du peuple au point de vouloir déserter sa corporation.

En effet, à régime réactionnaire, justice réactionnaire. Et nous comprenons la douleur d’un magistrat progressiste, voire révolutionnaire, lorsqu’il est contraint d’appliquer les textes d’un droit qui bafoue ses convictions politiques intimes. D’autres corporations comme l’armée pour ne citer qu’elle, nous ont donnés à observer de tels dilemmes.

Mais heureusement, la révolution du 4 août, la Révolution démocratique et populaire est venue libérer et mobiliser les consciences de tous ceux qui ont consciemment choisi le camp du peuple.

Les masses populaires de Haute-Volta ont cessé d’être les dupes des politiciens réactionnaires le jour où elles ont compris que dans une société où il existe des exploiteurs exerçant leur domination sur la majorité du peuple, que dans une telle société, la justice est incontestablement une justice faite pour les exploiteurs. Un des objectifs de notre révolution populaire étant d’instituer un État démocratique, cet État devra être foncièrement distinct de l’Etat des exploiteurs.

La justice de l’Etat démocratique est par conséquent distincte de la justice des exploiteurs. Si les régimes politiques réactionnaires enterrés chez nous et leurs semblables en voie de fossilisation ailleurs, n’ont jamais osé et n’osent pas organiser les procès de cette pègre politique, c’est justement parce qu’ils ont compris qu’ils ne peuvent pas dans leur système réactionnaire, instituer des TPR où le peuple s’exprimera sans qu’ils ne soient eux-mêmes balayés. Tout comme ils ne peuvent pas s’en remettre aux tribunaux classiques dont le verdict ne pourra que provoquer le courroux légitime des sans-voix, de la voix du peuple. D’où les cotes mal taillées consistant par exemple en des internements administratifs, qu’appliquaient les philistins du Comité militaire pour le redressement et le progrès national (CMRPN) sous la docte houlette de l’inventeurhistorien-inquisiteur réactionnaire Joseph Ki-Zerbo.

Ailleurs, ce sont les emprisonnements à vie, les résidences surveillées à perpétuité, comptant sur l’action du temps pour faire oublier que des problèmes politiques étaient posés aux dirigeants et que les dirigeants devaient les résoudre : à savoir le peuple et son droit à la justice.

En instituant les TPR, le CNR, le gouvernement révolutionnaire et le peuple militant de la Révolution démocratique et populaire, savent que jusque dans leurs propres rangs, s’il se trouvait des éléments dégénérés, la justice populaire devra sévir dans toute sa rigueur. En même temps, chaque militant sait que son action politique, sa conduite de tous les jours et sa pratique sociale seront d’une transparence qui lui imposeront de n’accepter de faire la nuit ou dans l’ombre que ce qu’il pourra étaler le jour, la conscience tranquille. En vérité, il n’existe point d’autre vertu que celle qu’imposent et contrôlent réellement la société et le peuple.

Dans une société comme la nôtre, où la population est à 95 pour cent analphabète, maintenue dans l’obscurantisme et l’ignorance par les classes dominantes, le droit bourgeois en dépit de tout bon sens ose affirmer que : «Nul n’est censé ignorer la loi». C’est à l’aide de tels artifices que les classes possédantes et oisives oppressent les larges masses populaires, paysans de nos campagnes et ouvriers de nos villes.

Il en est de même lorsque, au nom de ce même droit, on affirme que : «Force doit rester à la loi». La loi étant édictée pour défendre et sauvegarder les intérêts des classes dominantes, c’est dire que l’argument de la force est exhumée chaque fois que les intérêts de la minorité sont menacés. «Force doit rester à la loi» est une expression consacrée par les expropriateurs pour rejeter toute idée de justice populaire.

Ainsi, tout est permis sauf de manquer d’argent pour s’acheter un avocat et des magistrats qui sont seuls chargés d’interpréter dans un langage ésotérique réservé, des textes volontairement confus.

Au bout du compte effectivement, force reste à la loi, c’est-à-dire que

M loi du plus riche, les textes du plus offrant, les talents oratoires vendus au plus offrant, l’emportent à tous les coups sur le «bon droit» populaire de ceux qui restent toujours coupables d’être pauvres, incapables d’acheter les services d’avocats célèbres ou se montrent simplement ignorants et analphabètes.

Tous les jours, sous nos yeux, nous voyons des voleurs poursuivis par la foule, chercher refuge au commissariat de police, convaincus que la «force restera à la loi» et que leur protection sera assurée. Par contre, le paysan de passage à Ouagadougou, poursuivi pour la moindre peccadille devra éviter à la fois ses poursuivants et le commissariat, car pour lui, nulle part dans l’univers de la grande ville, il n’y a d’espoir de voir une justice en sa faveur. Il croit que le commissariat est un lieu où effectivement, il sera sanctionné au nom de la loi. Et il croit naïvement à l’égalité de tous les citoyens devant la loi, une loi implacable et incontournable.

La Révolution démocratique et populaire se doit de briser cette justice anti-démocratique et anti-populaire. Exactement comme notre peuple a brisé le verdict des élections truquées de décembre 1965 à travers lesquelles le réactionnaire mégalomane Maurice Yaméogo prétendait avoir obtenu  « démocratiquement » 99,99 pour cent des suffrages ! Quelques jours plus tard, le 3 janvier 1966, notre peuple en dehors des urnes et contre les bulletins de vote imposait son implacable verdict révolutionnaire, en destituant l’imposteur. Aucun exégète des textes du droit romain, aucun magistrat, aucun avocat, aucun tribunal n’a osé se mettre au travers de cette puissante et implacable démocratie véritablement populaire. Et pour cause !

Plus récemment, après le coup d’État contre-révolutionnaire du 17 mai 1983, lorsque le camarade Blaise Compaoré a rejoint ses troupes et le peuple révolutionnaire de la ville de Pô pour préparer la réplique révolutionnaire aux usurpateurs, personne n’a osé remettre en cause la légitimité d’une telle attitude. À l’évidence, la légalité, les textes et les lois militaires de l’armée néo-coloniale étaient là totalement remis en cause. Le camarade Compaoré savait que les commandos et le peuple de Pô incarnaient effectivement les plus profonds sentiments de justice, d’honneur et de dignité de l’ensemble de notre peuple. De ce point de vue, son acte était mille fois démocratique et légal. Aucun texte militaire, aucune loi de la justice néo-coloniale voltaïque ne pouvaient être en faveur d’une telle attitude. Et pourtant, cette attitude était juste et légitime aux yeux de la grande majorité de notre peuple révolutionnaire, humilié et bafoué à travers la trahison réactionnaire du 17 mai 1983.

L’expression de notre peuple à travers ces deux exemples nous enseigne qu’il ne sert à rien d’être en conformité avec la légalité bourgeoise de la minorité, si on n’est pas en accord total avec la morale non codifiée de son peuple.

Le peuple voltaïque offre son expérience en partage aux autres peuples du monde. Aucun arsenal de combinaisons juridico-politiques,’ aucune prestidigitation corruptrice de féodalité financière, aucun viol des consciences, aucun carnaval électoraliste, ne pourront empêcher le triomphe de la justice des peuples.

Camarades ! tant qu’il y aura l’oppression et l’exploitation, il y aura toujours deux justices et deux démocraties : celle des oppresseurs et celle des opprimés, celle des exploiteurs et celle des exploités. La justice sous la Révolution démocratique et populaire sera toujours celle des opprimés et des exploités, contre la justice néo-coloniale d’hier qui était celle des oppresseurs et des exploiteurs. Camarades ! le peuple doit exercer lui-même la justice, sa justice.

Les jérémiades et les larmes de crocodiles ne devront point vous influencer lorsqu’il s’agira d’asséner de pesants coups à ceux-là qui auront montré leur incapacité à éprouver d’autre sentiment que le mépris le plus féodal pour le peuple et ses intérêts. Par contre, s’il s’en trouvait pour vous convaincre de leur gratitude à l’égard du peuple, qui en les châtiant sévèrement leur offre l’occasion de mesurer leurs forfaits, tendez-leur une main secourable.

Faites-les nous connaître. Après leur avoir fait payer jusqu’au dernier centime ce que le peuple leur réclame légitimement, nous leur créerons les conditions pour qu’ils comprennent que, dépouillés des immenses richesses mal acquises, ils pourront trouver le vrai bonheur. Ce bonheur ne sera rien d’autre dans notre société révolutionnaire que le travail honnête qui procure un gain honnête. Ce gain honnête procure une dignité et une liberté qui ne se calculent ni en termes de comptes bancaires apatrides en Suisse ou ailleurs, ni en valeurs spéculatives des places boursières au-dessus de tout soupçon, ni en étalage d’un luxe agressif et traumatique face à un peuple qui se meurt de faim, de maladie et d’ignorance. Ce bonheur auquel nous convions les éventuels repentis sera dans la satisfaction d’avoir prouvé leur utilité sociale et de jouir du droit de participer à la définition et à la réalisation effective des aspirations du peuple qui vous accepte et vous intègre.

Camarades ! les TPR sonnent le glas pour le vieux droit romain : C’est le chant du cygne pour le droit social étranger, napoléonien, qui a produit chez nous tant et tant de déclassés et qui avait consacré les privilèges illégitimes et iniques d’une classe minoritaire. Puissent les toutes prochaines assises de Ouagadougou tracer la voie lumineuse au bout de laquelle, dans le firmament de la révolution universelle, brillera le grand soleil de la justice qui dardera de ses puissants rayons les coeurs de tous ceux qui espèrent mais n’osent pas, de tous ceux qui osent mais ne comprennent pas, et de tous ceux qui comprennent mais n’osent pas.

La patrie ou la mort, nous vaincrons !

Source : Sidwaya 1983

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La Déclaration du 4 août 1983

La Déclaration du 4 août 1983
Rendre à notre pays son indépendance et sa liberté et à notre peuple sa dignité.

 Le 17 mai 1983, Sankara, Jean-Baptiste Lingani et d’autres sont arrêtés dans un coup d’état organisé par le président Ouédraogo et d’autres officiers militaires du CSP. Des milliers de gens descendent alors dans les rues pour réclamer la libération de Sankara. Sankara et Lingani sont libérés de prison mais mis en résidence surveillée le 30 mai. Le 4 août 1983, le capitaine Blaise Compaoré et 250 hommes marchent sur Ouagadougou, et renversent le régime de Ouédraogo, avec l’aide d’autres militaires et de civils sur place. Le soir même, Thomas Sankara, désormais président du CNR et chef de l’État, s’adresse au pays dans un discours radiodiffusé. Le texte ci-dessus a été retranscrit d’un enregistrement radiophonique.

Les raisons du coup d’état

Les soldats patriotes ont lavés l’honneur de notre peuple…

Le peuple doit soutenir de CNR

Notre objectif la défense des intérêts du peuple voltaïque…

Les raisons du coup d’état

Peuple de Haute-Volta !
Aujourd’hui encore, les soldats, sous-officiers et officiers de l’Armée nationale et des forces para-militaires se sont vus obligés d’intervenir dans la conduite des affaires de l’Etat pour rendre à notre pays son indépendance et sa liberté et à notre peuple sa dignité.
En effet, ces objectifs patriotiques et progressistes qui ont justifié l’avènement du Conseil du salut du peuple (CSP) le 7 novembre 1982, ont été trahis le 17 mai 1983, soit seulement six mois après, par des individus farouchement hostiles aux intérêts du peuple voltaïque et à ses aspirations à la démocratie et à la liberté.
Ces individus, vous les connaissez, car ils se sont frauduleusement introduits dans l’Histoire de notre peuple ; ils s’y sont tristement illustrés, d’abord par leur politique à double face, ensuite, par leur alliance ouverte avec toutes les forces conservatrices réactionnaires qui ne savent rien faire d’autre que de servir les intérêts des ennemis du peuple, les intérêts de la domination étrangère, et du néo-colonialisme.
Aujourd’hui, 4 août 1983, les soldats, sous-officiers et officiers de toutes les armes et de toutes les unités, dans un élan patriotique, ont décidé de balayer le régime impopulaire, le régime de soumission et d’aplatissement, mis en place depuis le 17 mai 1983 par le médecin commandant Jean-Baptiste Ouédraogo sous la houlette du colonel Gabriel Somé Yoryan et de ses hommes de main.

“Les soldats patriotes ont lavés l’honneur de notre peuple”

Aujourd’hui, 4 août 1983, des soldats, sous-officiers et officiers patriotes et progressistes ont ainsi lavé l’honneur de notre peuple et de son armée et leur ont rendu leur dignité, leur permettant de retrouver le respect et la considération que chacun, en Haute-Volta comme à l’étranger leur portait du 7 novembre 1982 au 17 mai 1983.
Pour réaliser ces objectifs d’honneur, de dignité, d’indépendance véritable et de progrès pour la Haute-Volta et pour son peuple, le mouvement actuel des Forces armées voltaïques tirant les leçons des amères expériences du CSP, a constitué ce jour, 4 août 1983, le Conseil national de la révolution (CNR) qui assume désormais le pouvoir d’État, en même temps qu’il mette fin au fantomatique régime du CSP du médecin commandant Jean-Baptiste Ouédraogo qui l’avait du reste arbitrairement dissous.

Le peuple doit soutenir de CNR

Peuple de Haute-Volta, le Conseil national de la révolution appelle chaque Voltaïque, homme ou femme, jeune ou vieux à se mobiliser dans la vigilance pour lui apporter son soutien actif. Le Conseil national de la révolution invite le peuple voltaïque à constituer partout des Comités de défense de la révolution (CDR) pour participer à la grande lutte patriotique du CNR et pour empêcher les ennemis intérieurs et extérieurs de nuire à notre peuple. Il va sans dire que les partis politiques sont dissous’.
Conserver les relations et les accords internationaux…
Sur le plan international, le Conseil national de la révolution proclame son engagement à respecter les accords qui lient notre pays aux autres États. Il maintient également l’adhésion de notre pays aux organisations régionales, continentales et internationales.
Le Conseil national de la révolution n’est dirigé contre aucun pays, aucun État ou peuple. Il proclame sa solidarité avec tous les peuples, sa volonté de vivre en paix, et en bonne amitié avec tous les pays et notamment avec tous les pays voisins de la Haute-Volta.*

Notre objectif la défense des intérêts du peuple voltaïque…

La raison fondamentale et l’objectif du Conseil national de la révolution, c’est la défense des intérêts du peuple voltaïque, la réalisation de ses profondes aspirations à la liberté, à l’indépendance véritable et au progrès économique et social.
Peuple de Haute-Volta ! Tous en avant avec le Conseil national de la révolution pour le grand combat patriotique, pour l’avenir radieux de notre pays.
La patrie ou la mort, nous vaincrons !
Vive le peuple voltaïque !
Vive le Conseil national de la révolution !

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Qui sont les ennemis du peuple?- 26 Mars 1983

QUI SONT LES ENNEMIS DU PEUPLE ?

Les ennemis du peuple, ce sont encore les hommes politiques qui ne parcourent la campagne que lorsqu’il y a des élections

C’est en sa qualité de Premier ministre du Conseil du salut du peuple (CSP) que, le 26 mars 1983, Sankara prononce ce discours lors d’un meeting à Ouagadougou. Le CSP dirigé par Jean-Baptiste Ouédraogo avait vu le Jour à la suite du coup d’État militaire du 7 novembre. Le texte ci-après est tiré de l’ hebdomadaire burkinabé Carrefour africain du 1er avril 1983.


Lorsque le peuple se met debout, l’impérialisme tremble

les ennemis, qui sont-ils

En avant pour le combat

…L’impérialisme est un mauvais élève…

…Ouagadougou sera la bolibana de l’impérialisme…

…Si vous avez volé, tremblez ! …

Sur les relations internationales du CSP

…Celui qui aime son peuple aime les autres peuples…

…On nous traite de communistes …

Vive la démocratie !


Lorsque le peuple se met debout, l’impérialisme tremble

Je vous remercie d’avoir bien voulu vous rassembler ici, sur cette place du 3 janvier. Je vous salue d’avoir accepté de répondre à l’appel du Conseil du salut du peuple : vous démontrez ainsi que le peuple de Haute-Volta est un peuple majeur.
Lorsque le peuple se met debout, l’impérialisme tremble. L’impérialisme qui nous regarde est inquiet : il tremble. L’impérialisme se demande comment il pourra rompre le lien qui existe entre le CSP et le peuple. L’impérialisme tremble. Il tremble parce qu’il a peur, il tremble parce qu’ici à Ouagadougou même, nous allons l’enterrer.
Je vous salue également d’être venu démontrer que tous nos détracteurs qui sont à l’intérieur comme à l’extérieur ont tort. Ils se sont trompés sur notre compte. Ils ont cru que par leurs manoeuvres d’intoxication et d’intimidation, ils pourraient arrêter la marche du CSP vers le peuple. Vous êtes venus, vous avez démontré le contraire. L’impérialisme tremble et il tremblera encore. Peuple de Haute-Volta, ici représenté par les habitants de la ville de Ouagadougou, merci. Je vous remercie parce que vous nous donnez l’occasion de vous donner une information saine, une information qui vient de la base.

les ennemis, qui sont-ils?

De quoi s’agit-il ? Il s’agit de vous dire exactement ce que veulent nos ennemis, ce que veut le CSP et ce à quoi le peuple a droit. Le peuple aime la liberté, le peuple aime la démocratie. Par conséquent, le peuple s’attaquera à tous les ennemis de la liberté et de la démocratie.
Mais qui sont les ennemis du peuple ? Les ennemis du peuple sont à l’intérieur comme à l’extérieur. Ils tremblent actuellement, mais il faut que vous les démasquiez. Il faut que vous les combattiez jusque dans leurs trous. Les ennemis du peuple à l’intérieur, ce sont tous ceux qui se sont enrichis de manière illicite, profitant de leur situation sociale, profitant de leur situation bureaucratique. Ainsi donc, par des manoeuvres, par la magouille, par les faux documents, ils se retrouvent actionnaires dans les sociétés, ils se retrouvent en train de financer n’importe quelle entreprise ; ils se retrouvent en train de solliciter l’agrément pour telle ou telle entreprise. Ils prétendent servir la Haute-Volta. Ce sont des ennemis du peuple. Il faut les démasquer, il faut les combattre. Nous les combattrons avec vous.
Qui sont les ennemis du peuple ? Les ennemis du peuple, c’est encore cette fraction de la bourgeoisie qui s’enrichit malhonnêtement par la fraude, par la corruption, par le pourrissement des agents de l’État, pour arriver à introduire en Haute-Volta toutes sortes de produits dont les prix sont multipliés par dix. Ce sont les ennemis du peuple. Cette fraction de la bourgeoisie, il faut la combattre et nous la combattrons.
Qui sont les ennemis du peuple ? Les ennemis du peuple, ce sont encore les hommes politiques qui ne parcourent la campagne que lorsqu’il y a des élections. Ce sont encore ces hommes politiques qui sont convaincus qu’eux seuls, peuvent faire marcher la Haute-Volta. Or nous, CSP, nous sommes convaincus que les sept millions de Voltaïques représentent sept millions d’hommes politiques capables de conduire ce pays. Voilà les ennemis du peuple; il faut les démasquer et les combattre, et nous les combattrons avec vous.
Les ennemis du peuple, ce sont également ces forces de l’obscurité, ces forces qui, sous des couverts spirituels, sous des couverts coutumiers, au lieu de servir réellement les intérêts moraux du peuple, au lieu de servir réellement les intérêts sociaux du peuple, sont en train de l’exploiter. Il faut les combattre, et nous les combattrons.

En avant pour le combat

Je voudrais vous poser une question : est-ce que vous aimez ces ennemis du peuple, oui ou non ? [Cris de « Non ! »]
Est-ce que vous les aimez ? [Cris de « Non ! »]
Alors, il faut les combattre.
À l’intérieur du pays, est-ce que vous les combattrez ? [Cris de « Oui ! »] En avant pour le combat !
Les ennemis du peuple sont également hors de nos frontières. Ils s’appuient sur des apatrides qui sont ici, parmi nous, à tous les échelons de la société : chez les civils comme chez les militaires ; chez les hommes comme chez les femmes ; chez les jeunes comme chez les vieux ; en ville comme à la campagne. Ils sont là, les ennemis du peuple. Ils sont là, les ennemis extérieurs. C’est le néo-colonialisme, c’est l’impérialisme.
S’appuyant donc sur ces apatrides, sur ceux qui ont renié la patrie, ceux qui ont renié la Haute-Volta, en fait ceux qui ont renié le peuple de Haute-Volta, l’ennemi extérieur développe une série d’attaques. Des attaques en deux phases : la phase non violente et la phase violente.
Nous sommes actuellement dans la phase non violente. Et l’ennemi extérieur, c’est-à-dire l’impérialisme, c’est-à-dire le néo-colonialisme, tente de semer la confusion au sein du peuple voltaïque. Ainsi donc, à travers leurs journaux, leurs radios, leurs télévisions, ils font croire que la Haute-Volta est à feu et à sang.

“…L’impérialisme est un mauvais élève…”

Or, vous êtes là, peuple de Haute-Volta, et votre présence démontre que l’impérialisme a tort, et que ses mensonges ne passeront pas. Vous êtes présents, vous êtes debout et c’est lui qui tremble aujourd’hui.
Un journaliste étranger, dans un pays lointain, assis dans son bureau climatisé, dans son fauteuil roulant, a osé dire qu’actuellement, le CSP connaît un échec dans ses tournées d’information. Est-ce un échec ? Vous êtes là, répondez-moi ! [Cris de « Non !»]
Est-ce que c’est un échec ? [Cris de « Non »]
Je souhaiterais que l’impérialisme soit là, qu’il vous entende dire non. Répétez : est-ce que c’est un échec ? [Cris de « Non ! »]
Voyez-vous, l’impérialisme a tort. Mais l’impérialisme est un mauvais élève. Quand il est battu, quand il est renvoyé de la classe, il revient encore. C’est un mauvais élève. Il n’a jamais appris la leçon de son échec, il n’a jamais tiré la leçon de son échec. Il est là-bas en Afrique du Sud en train d’égorger les Africains, simplement parce que ces Africains pensent à la liberté comme vous aujourd’hui. L’impérialisme est là-bas au Moyen-Orient en train d’écraser les peuples arabes : c’est le sionisme. L’impérialisme est partout. Et à travers sa culture qu’il répand, à travers ses fausses informations, il nous amène à penser comme lui, il nous amène à nous soumettre à lui, à le suivre dans toutes ses manoeuvres. De grâce, il faut que nous barrions la route à cet impérialisme.

“…Ouagadougou sera la bolibana de l’impérialisme…”

Comme je vous l’ai déjà dit, il passera à une phase violente. Cet impérialisme, c’est lui qui a organisé des débarquements dans certains pays que nous connaissons. Cet impérialisme, c’est encore lui qui a armé ceux qui en Afrique du Sud tuent nos frères. Cet impérialisme, c’est encore lui qui a assassiné les Lumumba, Cabral, Kwamé Nkrumah.
Mais je vous dis et je vous promets que, parce que j’ai confiance en vous et que vous avez confiance dans le CSP, parce que nous formons le peuple, quand l’impérialisme viendra ici, nous l’enterrerons. Nous enterrerons l’impérialisme ici. Ouagadougou sera la bolibana de l’impérialisme, c’est-à-dire la fin de sa route. L’impérialisme a essayé par des méthodes qui sont très raffinées, de faire en sorte qu’au sein même du CSP, il y ait la division. Il a fait en sorte qu’au sein même du peuple voltaïque, il y ait l’inquiétude et la psychose. Mais nous n’avons pas peur.
Pour la première fois, il se passe en Haute-Volta quelque chose de fondamental, quelque chose de tout à fait nouveau. Le peuple n’a jamais eu le pouvoir d’instaurer ici une démocratie politique. L’armée a toujours eu la possibilité de prendre le pouvoir, mais elle n’a jamais voulu la démocratie. Pour la première fois, nous voyons l’armée qui veut le pouvoir, qui veut la démocratie et qui veut se lier réellement au peuple. Pour la première fois aussi, nous voyons le peuple qui vient massivement pour tendre la main à l’armée. C’est pourquoi nous considérons que cette armée qui est en train de prendre les destinées de la Haute-Volta, c’est l’armée du peuple. C’est pourquoi je salue aussi ces pancartes qui parlent de l’armée du peuple.

“…Si vous avez volé, tremblez ! …”

Nos ennemis de l’intérieur comme ceux de l’extérieur s’appuient sur un certain nombre d’éléments pour nous nuire. J’en citerai quelques-uns et je vous laisserai le soin de compléter la liste. Ils essaient de faire croire que le CSP va arrêter la marche normale de l’appareil de l’État, parce que le CSP a pris des décisions contre des cadres civils. Si nous prenons ces décisions c’est simplement parce que nous estimons qu’à cette phase de notre lutte, il y a des hommes qui ne peuvent pas suivre notre rythme. Il y a des fonctionnaires qui ne viennent au bureau qu’à 9 heures et qui ressortent à 10 heures 30 pour aller dans leurs vergers et surveiller leurs villas. Est-ce que c’est normal ? Quand nous voulons chasser ce genre de fonctionnaires, nos ennemis disent que le CSP veut bloquer l’appareil de l’État. Mais qui a peur de qui ?
Nous, nous sommes avec le peuple. Eux, ils sont contre le peuple. Alors nous prendrons des décisions qui seront contre les ennemis du peuple, parce que ces décisions iront en faveur du peuple, le peuple militant de Haute-Volta. Est-ce que vous êtes d’accord que nous maintenions dans notre administration des fonctionnaires pourris ? [Cris de « Non ! »]
Alors il faut les chasser. Nous les chasserons.
Est-ce que vous êtes d’accord que nous maintenions dans notre armée des militaires pourris ? [Cris de « Non ! »]
Alors, il faut les chasser. Nous les chasserons.
Cela va nous coûter la vie peut-être, mais nous sommes là pour prendre les risques. Nous sommes là pour oser et vous êtes là pour continuer la lutte coûte que coûte.
Nos ennemis disent que le CSP se prépare à nationaliser, que le CSP se prépare à confisquer leurs biens. Qui a peur de qui ?
Lorsque vous faites un tour à Ouagadougou et que vous faites le compte de toutes les villas qu’il y a, vous verrez que ces villas n’appartiennent qu’à une minorité. Combien d’entre vous, affectés à Ouagadougou à partir des coins les plus reculés de Haute-Volta, ont dû tourner chaque nuit parce qu’on les avait chassés de la villa qu’ils avaient louée ? Et chaque jour le propriétaire qui fait monter un peu plus les prix. Pour ceux qui ont acquis normalement leurs maisons, il n’y a pas de problèmes, il n’y a pas d’inquiétude à avoir. Par contre, ceux qui ont acquis leurs terrains, leurs maisons grâce à la magouille, nous leur disons : commencez à trembler. Si vous avez volé, tremblez ! Parce que nous allons vous poursuivre. Non seulement le CSP va vous poursuivre, mais le peuple se chargera de vous. Oui ou non ? [Cris de « Oui ! »]
Citoyens honnêtes, même si vous avez mille villas, n’ayez crainte ! Par contre, citoyens malhonnêtes, même si vous n’avez qu’un demi-carré en zone non lotie, « entrée coucher », commencez à trembler, le CSP arrive ! Nous n’avons pas commencé pour nous arrêter en si bon chemin. Nous ne sommes pas là pour collaborer, nous ne sommes pas là pour trahir le peuple.
On nous dit que nous voulons nationaliser. Le CSP ne comprend pas et ne comprendra jamais, comme vous également vous ne comprendrez jamais, que l’on vienne s’installer en Haute-Volta, qu’on crée en Haute-Volta une entreprise, que l’on réussisse à obtenir des faveurs exonérations de taxes diverses sous prétexte qu’on veut créer des emplois, qu’on veut contribuer au développement économique et puis, qu’après un certain nombre d’années d’exploitation éhontée, on déclare : compression de personnel. À quelle condition vous avait-on donné ces faveurs ? À la condition que vous créiez des emplois pour les Voltaïques. Aujourd’hui que vous avez pressé le citron, vous voulez le rejeter. Non ! C’est à cela que nous disons non !
Nos ennemis disent que le CSP a proclamé la liberté d’expression et de presse mais que le CSP commence à mettre un frein à cette liberté. Le camarade Jean-Baptiste Lingani l’a dit tout à l’heure et le camarade Jean-Baptiste Ouédraogo le dira mieux que moi tout à l’heure. Nous ne voulons pas meure fin à la liberté. Seulement nous disons que la liberté de critiquer déclenche la liberté également de protester. Et la liberté pour les hommes sincères ne doit pas être la liberté pour les hommes malhonnêtes.
Ceux qui utilisent la liberté que le CSP a créée pour s’attaquer au CSP, pour en fait s’attaquer au peuple voltaïque, à ceux-là nous allons retirer la liberté. Nous leur retirons la liberté de nuire et nous leur donnons la liberté de servir le peuple. Nous ne pouvons pas donner la liberté de mentir, d’intoxiquer collectivement les consciences voltaïques. Ce serait travailler contre les masses populaires de Haute-Volta.

Sur les relations internationales du CSP

On dit également du CSP que certains de ses éléments, comme le capitaine Thomas Sankara, sont allés en Libye et en Corée (du Nord) et que cela est dangereux pour la Haute-Volta. Peuple de Haute-Volta, une question : la Libye ne nous a jamais rien fait; la Corée n’a jamais exploité la Haute-Volta; la Libye n’a jamais attaqué la Haute-Volta. Pourtant nous connaissons des pays qui ont attaqué la Haute-Volta, qui ont mis nos parents en prison. Nos grands-parents sont morts sur des champs de bataille pour ces pays. Nous coopérons avec eux et l’on ne se plaint pas.
Sangoulé Lamizana est parti en Libye. Saye Zerbo a été en Libye et en Corée. Pourquoi ne s’est-on pas plaint ? Il y a de la malhonnêteté quelque part. Hier, on a préparé le voyage de Saye Zerbo chez Khadafi avec l’avion de Khadafi et on en a fait une publicité. Aujourd’hui que nous partons en Libye, on se plaint.
Mais nous sommes partis en Libye de manière responsable et intelligente ! Nous sommes partis en Libye après que le colonel Khadafi nous eut envoyés par trois fois des émissaires. Nous avons dit aux dirigeants libyens que nous n’avons rien contre la Libye, mais que nous avons nos positions. Sur le plan idéologique, nous ne sommes pas vierges. Nous sommes prêts à collaborer avec la Libye, mais nous sommes prêts à lui dire aussi ce que nous lui reprochons, de manière responsable. C’est après trois démarches que nous avons décidé d’y aller, et nous avons posé des conditions concrètes, conformes aux intérêts du peuple voltaïque.
Lorsque le ciment va venir de Tripoli et que nous en vendrons à bon prix, est-ce que le peuple sera content, oui ou non ? [Cris de « Oui ! »]
Pourquoi voudrait-on le ciment de Khadafi et ne voudrait-on pas que nous allions négocier avec Khadafi ? Lorsque nous allons négocier avec certains pays deux millions, trois millions de francs CFA’, on en parle à la radio. Avec Khadafi, nous avons négocié 3,5 milliards [de francs CFA]. Et alors ? Le peuple est-il content, oui ou non ? [Cris de « Oui ! »]
Le peuple aime la coopération entre les États qui respectent leurs peuples. Le peuple de Haute-Volta ne veut pas qu’on lui indique sa voie. Nous disons non à la domestication de la diplomatie voltaïque ! Nous disons non au despotisme de la diplomatie voltaïque ! Nous sommes libres d’aller où nous voulons.
Et je vais vous dire une chose, un secret. Ne le répétez pas aux impérialistes. Ceux qui nous reprochent d’avoir été en Libye ont pris les dollars de Khadafi pour développer leurs pays. Se croient-ils plus malins que nous ? Ils vont traiter avec Khadafi. Pourquoi ? Qui est plus malin que qui ?
Nous irons partout où se trouve l’intérêt des masses voltaïques. Nous avons vu des réalisations sociales en Libye : des hôpitaux, des écoles, des maisons et tout cela, accessible gratuitement. Comment la Libye a-t-elle pu réaliser ces investissements sociaux ? Grâce au pétrole. Ce pétrole existait sous l’ancien régime du roi Idriss, mais ce pétrole était exploité par les impérialistes et au profit du roi. Le peuple ne bénéficiait absolument de rien. Aujourd’hui, les Libyens ont des maisons gratuitement, des routes bitumées. Si demain, nous pouvions transformer la Haute-Volta comme Khadafi a transformé la Libye, seriez-vous contents, oui ou non ? [Cris de « Oui ! »]
Donc, lorsque dans nos rapports avec les autres États, nous prenons ce qu’il y a de bon chez eux, nous ne faisons qu’appliquer une politique d’indépendance diplomatique, appliquer une règle du CSP : travailler pour le peuple. Il n’y a pas de honte à se mettre à genoux lorsqu’il s’agit des intérêts du peuple.
Nous sommes en train de vous parler et nous savons que dans cette foule, il y a des gens qui voudraient bien nous fusiller actuellement. Ce sont des risques que nous prenons, convaincus que c’est pour l’intérêt du peuple. Nous leur disons : tirez ! Lorsque vous allez tirer, vos balles feront demi-tour et vous atteindront. C’est ce qui s’appelle la victoire du peuple sur les ennemis du peuple. Aujourd’hui nous parlons avec la force du peuple et non avec notre propre force.

“…Celui qui aime son peuple aime les autres peuples…”

Les ennemis du CSP disent que certaines fractions du CSP sont favorables à tels pays, à tels camps, au camp pro-occidental, etc… Nous, nous disons que nous ne sommes contre aucun camp, nous sommes pour tous les camps. Nous l’avons répété à New Delhi, au sommet du Mouvement des pays non alignés : nous sommes pour tous les camps.
Nous disons également que celui qui aime son peuple aime les autres peuples. Nous aimons le peuple voltaïque et nous aimons le peuple du Nicaragua, d’Algérie, de Libye, du Ghana, du Mali, tous les autres peuples.
Ceux qui n’aiment pas leur peuple n’aiment pas le peuple voltaïque. Ceux qui sont inquiets actuellement à cause des transformations qui se font en Haute-Volta, ceux-là n’aiment pas leur peuple. Ils s’imposent par la dictature et par des manoeuvres policières contre leur peuple. Nous ne sommes pas de ceux-là.
On nous dit que le CSP a une certaine admiration pour le capitaine Jerry Rawlings. Rawlings est un homme ! Tout homme doit avoir des amis et des ennemis. Si Rawlings a des admirateurs en Haute-Volta, à qui la faute ? C’est la faute à l’impérialisme. C’est parce qu’on a créé au Ghana une situation telle que les nouvelles autorités étaient obligées de lutter pour les intérêts du peuple ghanéen. Lorsque le Ghana était prospère, nous, Voltaïques, nous en profitions bel et bien ! Aujourd’hui que le Ghana se trouve dans des difficultés, pourquoi voudrait-on que nous oubliions le Ghana ?
Non, nous sommes sincères. Le peuple garde ses attachements. Peut-être des hommes peuvent se trahir, mais les peuples ne se trahissent pas. Le peuple ghanéen a besoin du peuple voltaïque comme le peuple voltaïque a besoin du peuple ghanéen.
Lorsque le capitaine Rawlings a fermé ses frontières’, on a protesté. Vous n’aimez pas Rawlings, il ferme ses frontières pour rester chez lui et vous protestez ?
Le Ghana ne peut rien nous imposer. Nous non plus, nous ne pouvons rien imposer au Ghana. Rawlings ne peut pas nous donner des leçons. Mais nous non plus, nous ne pouvons pas donner des leçons à Rawlings. Cependant lorsque Rawlings dit : « No way for kalabule I », c’est-à-dire halte à la magouille, il dit cela pour l’intérêt du peuple ghanéen. Mais c’est en fait pour l’intérêt de tous les peuples, parce que le peuple voltaïque est aussi contre la magouille,
Les ennemis du CSP disent aussi que nous sommes des « rouges », des communistes. Cela nous fait plaisir ! Parce que cela prouve que nos ennemis sont en désarroi. Ils sont perdus. Ils ne savent plus ce qu’il faut faire, ce qu’il faut dire. Nous n’avons rien fait de communiste ici, nous avons simplement dit : assainissement, justice sociale, liberté, démocratie. Lorsque nous avons pris la décision de supprimer le décret du CMRPN [Comité militaire de redressement pour le progrès national], qui défendait l’ouverture des bars à certaines heures, nous avons entendu des gens du peuple dire : Ces gens du CSP, qu’ils soient des rouges ou des verts, des communistes ou non, nous, nous avons nos intérêts et nous préférons cela. C’est ce qui s’appelle être près des masses populaires. Ce ne sont pas les étiquettes qui comptent.

“…On nous traite de communistes …”

On nous traite de communistes pour effrayer le peuple. On nous taxe de communistes et on dit au peuple que le communisme est mauvais. Nous n’avons pas l’intention de vous dire que le communisme est bien, non plus de vous dire le contraire. Nous avons l’intention de vous dire seulement que nous poserons des actes avec vous et pour vous. Peu importe l’étiquette qui sera collée sur ces actes.
Les ennemis du peuple disent également que nous nous attaquons aux étrangers. Non. Nous aimons tous les étrangers : ceux qui sont ici ou qui y viendront. Nous les aimons parce que nous supposons qu’ils aiment le peuple voltaïque. Nous ne considérons pas qu’ils sont des étrangers qui veulent nous exploiter.
Le CSP entend créer avec vous les conditions de mobilisation, de travail. Nous voulons que le peuple s’organise pour le travail, pour le combat qu’on va mener. Par exemple, nous savons que dans certaines régions de Haute-Volta comme à Orodara, il y a des cultures de fruits et de légumes qui sont très réussies. Mais nous savons aussi que dans ces régions, les fruits et les légumes pourrissent par manque de moyens d’évacuation. Alors, nous disons que le peuple mobilisé à Orodara construira des pistes d’atterrissage et des avions se poseront là-bas. Les mangues viendront à Ouaga, iront à Dori et ce sera bon pour le peuple de Haute-Volta.
Il s’agit de ce genre de travail. Nous voulons que chaque jour maintenant car nous allions commencer les grands chantiers, vous sortiez massivement pour construire. Nous allons construire un monument et un théâtre populaire à Ouagadougou. Nous construirons les mêmes choses dans tous les départements et cela se fera avec la jeunesse. Vous allez construire pour démontrer que vous êtes capables de transformer votre existence et de transformer vos conditions réelles de vie. Vous n’avez pas besoin qu’on aille chercher des bailleurs de fonds étrangers, vous avez seulement besoin qu’on donne la liberté et le droit au peuple. Cela se fera.
Le CSP entend également mettre fin à certaines pratiques. Lorsque vous allez à l’hôpital pour une hémorragie ou une fracture, même si vous êtes sur le point de tomber en syncope, on préfère vous laisser sans soins et s’occuper du rhume d’un président, d’un Premier ministre ou d’un ministre, simplement parce que vous êtes homme du peuple, ouvrier. Il faut dénoncer tout cela chaque jour. Nous y mettrons fin. Ayez confiance. Nous allons mettre fin à la spéculation, au détournement, à l’enrichissement illicite. Et c’est pourquoi nous internons et nous internerons tous ceux qui vont voler l’argent du peuple.

“Vive la démocratie !”

Nous disons au peuple d’être prêt à se battre, d’être prêt à prendre les armes, à résister chaque fois qu’il sera nécessaire. N’ayez crainte, il ne se passera rien. L’ennemi sait que le peuple voltaïque est désormais mûr. C’est pourquoi lorsqu’on nous dit que deux ans c’est peu pour le retour à une vie constitutionnelle normale, nous disons que c’est bien suffisant. Parce que lorsque vous donnez la parole en toute liberté et en toute démocratie au peuple, en 30 minutes, le peuple vous dira ce qu’il veut. Donc nous n’avons pas besoin de deux ans.
Le CSP vous remercie parce que vous êtes mobilisés. Il a eu raison de vous donner sa confiance, il a eu raison de s’engager à vos côtés pour le combat contre les ennemis du peuple : l’impérialisme.
C’est pourquoi nous devons crier ensemble :
À bas l’impérialisme,
À bas l’impérialisme,
À bas l’impérialisme !
À bas les ennemis du peuple !
À bas les détourneurs des fonds publics !
À bas les « faux-types » en Haute-Volta ! Fini le « faux-typisme » !
À bas les hiboux au regard gluant !
À bas les caméléons équilibristes !
À bas les renards terrorisés !
À bas les lépreux qui ne peuvent que renverser les calebasses !
À bas ceux qui se cachent derrière les diplômes du peuple, et qui à cause de leurs diplômes se permettent de parler au nom du peuple, mais sont incapables de servir au nom du peuple !
À bas ceux qui sont contre les liens entre l’armée et le peuple !
À bas ceux qui sont contre les liens entre le peuple et l’armée !
À bas ceux qui se cachent sous des habits divers blancs ou noirs contre le peuple !
L’impérialisme sera enterré en Haute-Volta ! Ses valets seront enterrés en Haute-Volta !
Vive la Haute-Volta !
Vive la démocratie !
Vive la liberté !
Je vous remercie et à très bientôt !

Source : Carrefour africain du 1 er avril 1983

 

Les fichiers joints

Diverses interventions de Thomas Sankara (audio)

 

Sur cette page nous essayons de regrouper les discours, interviews et émissions sur le Capitaine Thomas Sankara

 

Si toute fois vous avez des documents audios , vous pouvez nous les faire parvenir via le lien de contact : Contact

 


Thomas Sankara, nous parle de son Burkina, pays pauvre et enclavé, situé en Afrique occidental….

 


Discours de Thomas Sankara en Octobre 1987

 


Discours du Capitaine Thomas Sankara lors d’une visite avec la population locale.

 


Extrait d’interview réalisé par J.P Rapp – Consideré comme l’homme de Kadafi, l’homme de la lybie…
Sankara réponds…

 


A propos de la culture et du développement, Thomas Sankara réponds en ces termes ..

 


En ce qui concerne la coopération avec l’Occident, nous devons avoir le courage de dire … de leur tendre la main…

 


La conférence de Berlin (1884-1885) a montré , comment un groupe d’homme peut décider pour un groupe d’homme de cultures différentes …

 


A propos de l’émancipation de la femme burkinabé, Thomas Sankara réponds avec ferveur … que – « La vraie émancipation des femmes , c’est celle qui responsabilise la femme ,qui l’associe aux activités productives , aux différants combats auxquels est confronté le peuple . L ‘émancipation, tout comme la liberté , ne s’octroie pas , elle se conquiert . »

 


Lorsque le Capitaine fait fermer les discothèques oaugalaises, en faveur des bals populaires, il livre le pourqauoi de cette fermeture à traveur cet interview réalisé par JP-Rapp

 


Pour le développement économique du Burkina Faso, Thom Sank nous donne les possibilités…

 


Notre révolution vise à donner au peuple burkinabé sa dignité. Nous pouvons nous aussi avoir nos normes de développement…

 


Pourquoi le service national au Burkina Faso? Quelles sont les modifications apportées à ce service sous la révolution? Thomas Sankara nous réponds …