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Sauver l’arbre, l’environnement et la vie tout court – 5 Février 1986

Sauver l’arbre, l’environnement et la vie tout court.

5 Février 1986

Ma patrie, le Burkina Faso, est incontestablement un des rares pays de cette planète qui est en droit de se dire et de se voir comme le concentré de tous les maux naturels que l’Humanité connaît encore en cette fin du vingtième siècle.

Et pourtant, cette réalité, les huit millions de Burkinabè l’ont intériorisée douloureusement pendant 23 années. Ils ont regardé mourir des mères, des pères, des filles et des fils que la faim, la famine, la maladie et l’ignorance,décimaient par centaines. Les larmes aux yeux, ils ont regardé les mares et les rivières se dessécher. Depuis 1973, ils ont vu l’environnement se dégrader, les arbres mourir et le désert les envahir à pas-de-géant. On estime à 7 km par an l’avancée du désert au Sahel.

Seules ces réalités permettent de comprendre et d’accepter la révolte légitime qui est née, qui a longuement mûri et qui a éclaté enfin, de manière organisée, dans la nuit du 4 août 1983, sous la forme d’une Révolution démocratique et populaire au Burkina Faso.

Je ne suis ici que l’humble porte-parole d’un peuple qui refuse de se regarder mourir pour avoir regardé passivement mourir son environnement naturel. Depuis le 4 août 1983, l’eau, l’arbre et la vie pour ne pas dire la survie sont des données fondamentales et sacrées de toute l’action du Conseil national de la révolution qui dirige le Burkina Faso.

C’est à ce titre aussi que je me dois de rendre hommage au peuple français, à son gouvernement et en particulier à son président Monsieur François Mitterrand, pour cette initiative, qui traduit le génie politique et la lucidité d’un peuple toujours ouvert au monde et toujours sensible à ses misères. Le Burkina Faso, situé au coeur du Sahel saura toujours apprécier à sa juste valeur les initiatives qui coïncident parfaitement avec les préoccupations vitales de son peuple. Il [le Burkina Faso] saura répondre présent chaque fois que de besoin et cela en opposition aux promenades inutiles.

Depuis bientôt trois ans, mon peuple, le peuple burkinabè, mène un combat contre la désertification. Il était donc de son devoir d’être présent à cette tribune pour parler de son expérience et bénéficier aussi de celle des autres peuples de par le monde. Depuis bientôt trois ans au Burkina Faso, chaque événement heureux mariages, baptêmes, décorations, visites de personnalités et autres se célèbre par une séance de plantation d’arbres.

Pour le nouvel an 1986, toutes les écolières, tous les écoliers et les élèves de notre capitale, Ouagadougou, ont confectionné de leurs propres mains plus de 3 500 foyers améliorés offerts à leurs mères, et venant s’ajouter aux 80 000 foyers confectionnés par les femmes elles-mêmes en deux ans. C’était leur contribution à l’effort national pour réduire la consommation du bois de chauffe et sauvegarder l’arbre et la vie.

L’accès à la propriété ou à la simple location des centaines de logements sociaux construits depuis le 4 août 1983 est strictement conditionné par l’engagement du bénéficiaire à planter un nombre minimum d’arbres et à les entretenir comme la prunelle de ses yeux. Des bénéficiaires irrespectueux de leur engagement ont déjà été expulsés grâce à la vigilance de nos Comités de défense de la révolution (CDR) que les langues fielleuses se plaisent à dénigrer systématiquement et sans aucune nuance.

Après avoir vacciné sur tout le territoire national en une quinzaine de jours, deux millions cinq cent mille enfants, âgés de 9 mois à 14 ans, du Burkina Faso et des pays voisins, contre la rougeole, la méningite et la fièvre jaune ; après avoir réalisé plus de 150 forages, garantissant l’approvisionnement en eau potable à la vingtaine de secteurs de notre capitale jusqu’ici privée de ce besoin essentiel ; après avoir porté en deux ans le taux d’alphabétisation de 12 pour cent à 22 pour cent ; le peuple burkinabè continue victorieusement sa lutte pour un Burkina vert.

Dix millions d’arbres ont été plantés dans le cadre d’un Programme populaire de développement (PPD) de 15 mois qui fut notre premier pari en attendant le Plan quinquennal. Dans les villages, les vallées aménagées de nos fleuves, les familles doivent planter chacune 100 arbres par an.

La coupe et la commercialisation du bois de chauffe ont été totalement réorganisées et vigoureusement disciplinées. Ces activités vont de l’obligation de détenir une carte de commerçant de bois, de respecter les zones affectées à la coupe du bois, jusqu’à l’obligation d’assurer le reboisement des espaces déboisés. Chaque ville et chaque village, burkinabè possède aujourd’hui un bosquet, réhabilitant ainsi une tradition ancestrale.

Grâce à l’effort de responsabilisation des masses populaires, nos centres urbains sont débarrassés du fléau de la divagation des animaux. Dans nos campagnes, nos efforts portent sur la sédentarisation du bétail afin de privilégier le caractère intensif de l’élevage pour lutter contre le nomadisme sauvage. Tous les actes criminels des pyromanes qui brûlent la forêt sont jugés et sanctionnés par les Tribunaux populaires de conciliation des villages. La plantation obligatoire d’un certain nombre d’arbres figure parmi les sanctions de ces tribunaux.

Du 10 février au 20 mars prochain, plus de 35 000 paysans, responsables des groupements et des coopératives villageoises suivront des cours intensifs d’alphabétisation en matière de gestion économique, d’organisation et d’entretien de l’environnement.

Depuis le 15 janvier, il se déroule au Burkina une vaste opération nommée  « Récolte populaire de semences forestières » en vue d’approvisionner les 7 000 pépinières villageoises. Nous résumons toutes ces actions dans le terme des  « Trois luttes ».

Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs :

Mon intention n’est pas d’encenser sans retenue et sans mesure la modeste expérience révolutionnaire de mon peuple en matière de défense de l’arbre et de la forêt. Mon intention est de vous parler de la façon la plus explicite qui soit, des profonds changements en cours au Burkina Faso, dans les relations entre l’homme et l’arbre. Mon intention est de témoigner de la façon la plus fidèle qui soit, de la naissance et du développement d’un amour sincère et profond entre l’homme burkinabé et l’arbre, dans ma patrie.

Ce faisant, nous croyons traduire sur le terrain notre conception théorique en rapport avec les voies et moyens spécifiques à nos réalités sahéliennes, dans la recherche de solutions aux dangers présents et futurs qui agressent l’arbre à l’échelle planétaire.

, Les efforts de toute la communauté ici réunie et les nôtres, vos expériences et nos expériences cumulées seront certainement à même de garantir des victoires constantes et soutenues pour sauver l’arbre, l’environnement et la vie tout court.

Excellences, Mesdames et Messieurs :

Je suis venu à vous parce que nous espérons que vous engagez un combat dont nous ne saurions être absents, nous qui sommes quotidiennement agressés et qui attendons que le miracle verdoyant surgisse du courage de dire ce qui doit être dit. Je suis venu me joindre à vous pour déplorer les rigueurs de la nature. Je suis venu à vous pour dénoncer l’homme dont l’égoïsme est cause du malheur de son prochain. Le pillage colonial a décimé nos forêts sans la moindre pensée réparatrice pour nos lendemains.

La perturbation impunie de la biosphère par des rallies sauvages et meurtriers, sur terre et dans les airs se poursuit. Et, l’on ne dira jamais assez, combien tous ces engins qui dégagent des gaz propagent des carnages. Ceux qui ont les moyens technologiques pour établir les culpabilités n’y ont pas intérêt et ceux qui y ont intérêt n’ont pas les moyens technologiques. Ils n’ont pour eux que leur intuition et leur intime conviction.

Nous ne sommes pas contre le progrès, mais nous souhaitons que le progrès ne soit pas anarchique et criminellement oublieux des droits des autres. Nous voulons donc affirmer que la lutte contre la désertification est une lutte pour l’équilibre entre l’homme, la nature et la société. A ce titre, elle est avant tout une lutte politique et non une fatalité.

La création d’un ministère de l’Eau qui vient compléter le ministère de l’Environnement et du Tourisme dans mon pays marque notre volonté de poser clairement les problèmes afin d’être à même de les résoudre. Nous devons lutter pour trouver les moyens financiers afin d’exploiter nos ressources hydrauliques forages, retenues d’eau et barrages qui existent. C’est le lieu de dénoncer les accords léonins et les conditions draconiennes des banques et organismes de financement qui condamnent nos projets en la matière. Ce sont ces conditions prohibitives qui provoquent l’endettement traumatisant de nos pays, interdisant toute marge de manoeuvre réelle.

Ni les arguments fallacieux du malthusianisme et j’affirme que l’Afrique reste un continent sous-peuplé ni les colonies de vacances pompeusement et démagogiquement baptisées  « Opérations de reboisement », ne constituent des réponses. Nous et notre misère, nous sommes refoulés comme des pelés et des galeux dont les jérémiades et les clameurs perturbent la quiétude feutrée des fabriquants et des marchands de misère.

C’est pourquoi le Burkina a proposé et propose toujours, qu’au moins un pour cent des sommes colossales sacrifiées dans la recherche de la cohabitation avec les autres astres servent à financer de façon compensatoire, des projets de lutte pour sauver l’arbre et la vie. Nous ne désespérons pas qu’un dialogue avec les martiens puisse déboucher sur la reconquête de l’Eden. Mais en attendant, les terriens que nous sommes avons aussi le droit de refuser un choix qui se limite à la simple alternative entre l’enfer et le purgatoire.

Ainsi formulée, notre lutte pour l’arbre et la forêt est d’abord une lutte populaire et démocratique. Car l’excitation stérile et dispendieuse de quelques ingénieurs et experts en sylviculture n’y fera jamais rien ! De même, les consciences émues, même sincères et louables, de multiples forums et institutions ne pourront reverdir le Sahel, lorsqu’on manque d’argent pour forer des puits d’eau potable à 100 mètres et que l’on en regorge pour forer des puits de pétrole à 3 000 mètres ! Kart Marx le disait, on ne pense ni aux mêmes choses, ni de la même façon selon que l’on vit dans une chaumière ou dans un palais. Cette lutte pour l’arbre et la forêt est surtout une lutte anti-impérialiste. Car l’impérialisme est le pyromane de nos forêts et de nos savanes.

Messieurs les présidents ; Messieurs les Premiers ministres ; Mesdames, Messieurs :

C’est pour que le vert de l’abondance, de la joie, du bonheur conquière son droit que nous nous sommes appuyés sur ces principes révolutionnaires de lutte. Nous croyons en la vertu de la révolution pour arrêter la mort de notre Faso et pour lui ouvrir un destin heureux.

Oui, la problématique de l’arbre et de la forêt est exclusivement celle de l’équilibre et de l’harmonie entre l’individu, la société et la nature. Ce combat est possible. Ne reculons pas devant l’immensité de la tâche, ne nous détournons pas de la souffrance des autres car la désertification n’a plus de frontières.

Ce combat, nous pouvons le gagner si nous choisissons d’être architectes et non pas simplement abeilles. Ce sera la victoire de la conscience sur l’instinct. L’abeille et l’architecte’, oui ! L’auteur me permettra de prolonger cette comparaison dualiste en un triptyque, c’est-à-dire : l’abeille, l’architecte et l’architecte révolutionnaire.

La patrie ou la mort, nous vaincrons ! Je vous remercie.

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    juin 17, 2016

Il faut annuler la dette – 29 juillet 1987, sommet de l’OUA Addis Abéba

On trouvera une traduction de ce discours en moore à l’adresse http://thomassankara.net et une vidéo du discours à http://thomassankara.net


Discours prononcé par Tom Sank sur la dette à Addis Abéba le 29 juillet 1987

Un front uni contre la dette

29 juillet 1987, Thomas Sankara assiste à Addis-Abeba aux travaux de la vingt-cinquième Conférence au sommet des pays membres de l’OUA. Il y délivre le discours ci-après. Il a été retranscrit à partir d’un enregistrement. Le président de séance était Kenneth Kaunda de Zambie. Ce texte est tiré du numéro de février de Coumbite, une revue trimestrielle publiée à Paris.

Nous l’avons repris en mars 2010 à partir du livre “Thomas Sankara Oser inventer l’avenir” qui contient de nombreux discours , après qu’un internaute nous ait signalé qu’il manquait quelques passages. Ce discours a été film intégralement et il est largement diffusé sur le net. Nous l’avons reproduit à l’adresse suivante


 

Monsieur le président,

Messieurs les chefs des délégations,

Je voudrais qu’à cet instant nous puissions parler de cette autre question qui nous tiraille : la question de la dette, la question de la situation économique de l’ Afrique. Autant que la paix, elle est une condition importante de notre survie. Et c’est pourquoi j’ai cru devoir vous imposer quelques minutes supplémentaires pour que nous en parlions.

Le Burkina Faso voudrait dire tout d’abord sa crainte. La crainte que nous avons c’est que les réunions de l’OUA se succèdent, se ressemblent mais qu’il y ait de moins en moins d’intéressement à ce que nous faisons.

Monsieur le président,

Combien sont-ils les chefs d’Etat qui sont ici présents alors qu’ils ont dument appelés à venir parler de l’Afrique en Afrique ?

 

Monsieur le président,

Combien de chefs d’Etats sont prêt à bondir à Paris, à Londres, à Washington lorsque là-bas on les appelle en réunion mais ne peuvent pas venir en réunion ici à Addis-Abeba en Afrique ? Ceci est très important.[Applaudissements]

Je sais que certains ont des raisons valables de ne pas venir. C’est pourquoi je voudrais proposer, Monsieur le président, que nous établissions un barème de sanctions pour les chefs d’Etats qui ne répondent pas présents à l’appel. Faisons en sorte que par un ensemble de points de bonne conduite, ceux qui viennent régulièrement, comme nous par exemple, [Rires] puissent être soutenus dans certains de leurs efforts. Exemple : les projets que nous soumettons à la Banque africaine de développement (BAD) doivent être affectés d’un coefficient d’africanité.[Applaudissements] Les moins africains seront pénalisés. Comme cela tout le monde viendra aux réunions.

Je voudrais vous dire, Monsieur le président, que la question de la dette est en question que nous ne saurions occulter. Vous-même vous en savez quelque chose dans votre pays où vous avez du prendre des décisions courageuses, téméraires même. Des décisions qui ne semblent pas du tout être en rapport avec votre age et vos cheveux blancs. [Rires] Son Excellence le président Habib Bourguiba qui n’a pas pu venir mais qui nous a fait délivrer un important message donné cet autre exemple à l’Afrique, lorsque en Tunisie, pour des raisons économiques, sociales et politiques, il a du lui aussi prendre des décisions courageuses.

Mais, Monsieur le président, allons-nous continuer à laisser les chefs d’Etats chercher individuellement des solutions au problème de la dette avec le risque de créer chez eux des conflits sociaux qui pourraient mettre en péril leurs stabilités et même la construction de l’unité africaine ? Ces exemples que j’ai cités, il y en a bien d’autres, méritent que les sommets de l’OUA apportent une réponse sécurisante à chacun de nous quant à la question de la dette.

Nous estimons que la dette s’analyse d’abord de par son origine. Les origines de la dette remontent aux origines du colonialisme. Ceux qui nous ont prêtés de l’argent, ce sont eux qui nous ont colonisés. Ce sont les mêmes qui géraient nos économies. Ce sont les colonisateurs qui endettaient l’Afrique auprès des bailleurs de fond, leurs frères et cousins. Nous sommes étrangers à la dette. Nous ne pouvons donc pas la payer.

La dette c’est encore le néo-colonialisme ou les colonialistes qui se sont transformés en ” assistants techniques “. En fait, nous devrions dire en assassins technique. Et ce sont eux qui nous ont proposé des sources de financement, des ” bailleurs de fonds “. Un terme que l’on emploie chaque jour comme s’il y avait des hommes dont le “bâillement” suffirait à créer le développement chez d’autres. Ces bailleurs de fonds nous ont été conseillés, recommandés. On nous a présenté des dossiers et des montages financiers alléchants. Nous nous sommes endettés pour cinquante ans, soixante ans et même plus. C’est-à-dire que l’on nous à amenés à compromettre nos peuples pendant cinquante ans et plus.

La dette sous sa forme actuelle, est une reconquête savamment organisée de l’Afrique, pour que sa croissance et son développement obéissent à des paliers, à des normes qui nous sont totalement étrangers. Faisant en sorte que chacun de nous devienne l’esclave financier, c’est-à-dire l’esclave tout court, de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la fourberie de placer des fonds chez nous avec l’obligation de rembourser. On nous dit de rembourser la dette. Ce n’est pas une question morale. Ce n’est point une question de ce prétendu honneur que de rembourser ou de ne pas rembourser.

 

Monsieur le président,

Nous avons écouté et applaudi le premier ministre de Norvège lorsqu’elle est intervenue ici même. Elle a dit, elle qui est européenne, que toute la dette ne peut pas être remboursée. Je voudrais simplement la compléter et dire que la dette ne peut pas être remboursée. La dette ne peut pas être remboursée parce que d’abord si nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas. Soyons-en surs. Par contre si nous payons, c’est nous qui allons mourir. Soyons-en surs également. Ceux qui nous ont conduits à l’endettement ont joué comme au casino. Tant qu’ils gagnaient, il n’y avait point de débat. Maintenant qu’ils perdent au jeu, ils nous exigent le remboursement. Et on parle de crise. Non, Monsieur le président, ils ont joué, ils ont perdu, c’est la règle du jeu. Et la vie continue.[Applaudissements]

Nous ne pouvons pas rembourser la dette parce que nous n’avons pas de quoi payer. Nous ne pouvons pas rembourser la dette parce que nous ne sommes pas responsables de la dette. Nous ne pouvons pas payer la dette parce qu’au contraire les autres nous doivent ce que les plus grandes richesses ne pourront jamais payer, c’est-à-dire la dette de sang. C’est notre sang qui a été versé.

On parle du Plan Marshall qui a refait l’Europe économique. Mais l’on ne parle pas du Plan africain qui a permis à l’Europe de faire face aux hordes hitlériennes lorsque leurs économies étaient menacés, leurs stabilités étaient menacées. Qui a sauvé l’Europe ? C’est l’Afrique. On en parle très peu. On parle si peu que nous ne pouvons, nous, être complices de ce silence ingrat. Si les autres ne peuvent pas chanter nos louanges, nous en avons au moins le devoir de dire que nos pères furent courageux et que nos anciens combattants ont sauvé l’Europe et finalement ont permis au monde de se débarrasser du nazisme.

La dette, c’est aussi la conséquence des affrontements. Lorsque on nous parle de crise économique, on oublie de nous dire que la crise n’est pas venue de façon subite. La crise existe de tout temps et elle ira en s’aggravant chaque fois que les masses populaires seront de plus en plus conscientes de leurs droits face aux exploiteurs.

Il y a crise aujourd’hui parce que les masses refusent que les richesses soient concentrées entre les mains de quelques individus. Il y a crise parce que quelques individus déposent dans des banques à l’étranger des sommes colossales qui suffiraient à développer l’Afrique. Il y a crise parce que face à ces richesses individuelles que l’on peut nommer, les masses populaires refusent de vivre dans les ghettos et les bas-quartiers. Il y a crise parce que les peuples partout refusent d’être dans Soweto face à Johannesburg. Il y a donc lutte et l’exacerbation de cette lutte amène les tenants du pouvoirs financier à s’inquiéter.

On nous demande aujourd’hui d’être complices de la recherche d’un équilibre. Equilibre en faveur des tenants du pouvoir financier. Equilibre au détriment de nos masses populaires. Non ! Nous ne pouvons pas être complices. Non ; nous ne pouvons pas accompagner ceux qui sucent le sang de nos peuples et qui vivent de la sueur de nos peuples. Nous ne pouvons pas les accompagner dans leurs démarches assassines.

Monsieur le président,

Nous entendons parler de clubs – club de Rome, club de Paris, club de Partout. Nous entendons parler du Groupe des Cinq, des Sept, du Groupe des Dix, peut être du Groupe des Cent. Que sais-je encore ? Il est normal que nous ayons aussi notre club et notre groupe. Faisons en sorte que dès aujourd’hui Addis-Abeba devienne également le siège, le centre d’ou partira le souffle nouveau du Club d’ Addis-Abeba contre la dette. Ce n’est que de cette façon que nous pourrons dire aujourd’hui, qu’en refusant de payer, nous ne venons pas dans une démarche belliqueuse mais au contraire dans une démarche fraternelle pour dire ce qui est.

Du reste les masses populaires en Europe ne sont pas opposées aux masses populaire en Afrique. Ceux qui veulent exploiter l’Afrique sont les mêmes qui exploitent l’Europe. Nous avons un ennemi commun. Donc notre club parti d’Addis-Abeba devra également dire aux uns et aux autres que la dette ne saura être payée. Quand nous disons que la dette ne saura payée ce n’est point que nous sommes contre la morale, la dignité, le respect de la parole. Nous estimons que nous n’avons pas la même morale que les autres. La Bible, le Coran, ne peuvent pas servir de la même manière celui qui exploite le peuple et celui qui est exploité. Il faudra qu’il y ait deux éditions de la Bible et deux éditions du Coran. [Applaudissements]

Nous ne pouvons pas accepter leur morale. Nous ne pouvons pas accepter que l’on nous parle de dignité. Nous ne pouvons pas accepter que l’on nous parle du mérite de ceux qui paient et de perte de confiance vis-à-vis de ceux qui ne paieraient pas. Nous devons au contraire dire que c’est normal aujourd’hui que l’on préfère reconnaître que les plus grands voleurs sont les plus riches. Un pauvre quand il vole ne commet qu’un larcin, une peccadille tout juste pour survivre et par nécessité. Les riches, ce sont eux qui volent le fisc, les douanes. Ce sont eux qui exploitent le peuple.

Monsieur la président,

Ma proposition ne vise pas simplement à provoquer ou  à faire du spectacle. Je voudrais dire ce que chacun de nous pense et souhaite. Qui, ici, ne souhaite pas que la dette ne soit purement et simplement effacée? Celui qui ne le souhaite pas peut sortir, prendre son avion et aller tout de suite à la Banque mondiale payer; Applaudissements.

Je ne voudrais pas que l’on prenne la proposition du Burkina Faso comme celle qui viendrait de la part de jeunes sans maturité, sans expérience. Je ne voudrais pas non plus que l’on pense qu’il n’y a que les révolutionnaires à parler de cette façon. Je voudrais que l’on admette que c’est simplement l’objectivité et l’obligation.

Je peux citer dans les exemples de ceux qui ont dit de ne pas payer la dette, des révolutionnaires comme des non-révolutionnaires, des jeunes comme des vieux. Je citerai par exemple : Fidel Castro. Il a déjà dit de ne pas payer. Il n’a pas mon âge même s’il est révolutionnaire. Egalement François Mitterrand a dit que les pays africains ne peuvent pas payer, que les pays pauvres ne peuvent pas payer. Je citerai Madame le premier ministre de Norvège. Je ne connais pas son âge et je m’en voudrais de le lui demander. Rires et applaudissements. Je voudrais citer également le président Félix Houphouët Boigny. Il n’a pas mon âge. Cependant il a déclaré officiellement et publiquement qu’au moins pour ce qui concerne son pays, la dette ne pourra être payée. Or la Côte d’Ivoire est classée parmi les pays les plus aisés d’Afrique. Au moins d’Afrique francophone. C’est pourquoi, d’ailleurs, il est normal qu’elle paie plus sa contribution ici. [Applaudissements]

Monsieur le président,

Ce n’est donc pas de la provocation. Je voudrais que très sagement vous nous offriez des solutions. Je voudrais que notre conférence adopte la nécessité de dire clairement que nous ne pouvons pas payer le dette. Non pas dans un esprit belliqueux, belliciste. Ceci, pour éviter que nous allions individuellement nous faire assassiner. Si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serai pas là à la prochaine conférence ! Par contre, avec le soutient de tous, donc j’ai grand besoin, [Applaudissements] avec le soutien de tous, nous pourrons éviter de payer. Et en évitant de payer nous pourrons consacrer nos maigres ressources à notre développement.

Et je voudrais terminer en disant que nous pouvons rassurer les pays auxquels nous disons que nous n’allons pas payer la dette, que ce qui sera économisé n’ira pas dans les dépenses de prestige. Nous n’en voulons plus. Ce qui sera économisé ira dans le développement. En particulier nous éviterons d’aller nous endetter pour nous armer car un pays africain qui achète des armes ne peut l’avoir fait que contre un Africain. Ce n’est pas contre un Européen, ce n’est pas contre un pays asiatique. Par conséquent nous devons également dans la lancée de la résolution de la question de la dette trouver une solution au problème de l’armement.

Je suis militaire et je porte une arme. Mais Monsieur le président, je voudrais que nous nous désarmions. Parce que moi je porte l’unique arme que je possède. D’autres ont camouflé les armes qu’ils ont.[Rires et applaudissements]
Alors, chers frères, avec le soutien de tous, nous pourrons faire la paix chez nous.

Nous pourrons également utiliser ses immenses potentialité pour développer l’Afrique parce que notre sol et notre sous-sol sont riches. Nous avons suffisamment de quoi faire et nous avons un marché immense, très vaste du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest. Nous avons suffisamment de capacité intellectuelle pour créer ou tout au moins prendre la technologie et la science partout où nous pouvons les trouver.

Monsieur le président,

Faisons en sorte que nous mettions au point ce Front uni d’Addis-Abeba contre la dette. Faisons en sorte que ce soit à partir d’Addis-Abeba que nous décidions de limiter la course aux armements entre pays faibles et pauvres. Les gourdins et les coutelas que nous achetons sont inutiles. Faisons en sorte également que le marché africain soit le marché des Africains. Produire en Afrique, transformer en Afrique et consommer en Afrique. Produisons ce dont nous avons besoin et consommons ce que nous produisons au lieu de l’importer.

Le Burkina Faso est venu vous exposer ici la cotonnade, produite au Burkina Faso, tissée au Burkina Faso, cousue au Burkina Faso pour habiller les Burkinabé. Ma délégation et moi-même, nous sommes habillés par nos tisserands, nos paysans. Il n’y a pas un seul fil qui vienne d’Europe ou d’Amérique.[Applaudissements] Je ne fais pas un défilé de mode mais je voudrais simplement dire que nous devons accepter de vivre africain. C’est la seule façon de vivre libre et de vivre digne.

Je vous remercie, Monsieur le président.

La patrie ou la mort, nous vaincrons ! [Longs applaudissements]

 

 

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    juin 17, 2016

Sa mort

 

Victime d’un coup d’état, son « lieutenant », Blaise  Compaoré, s’est installé au pouvoir.

 

Jeudi 15 octobre 1987. Il est 16 heures. Des armes crépitent au Conseil de l’entente, l’état-major du Conseil national de la révolution à Ouagadougou, tout près des ministères et de la présidence. Un groupe de soldats para-commando vient de débarquer avec, à l’évidence, pour mission de liquider tout le monde.
Dans la cour, tous les gardes sont abattus. Dans un bureau, le capitaine Thomas Sankara en réunion avec des conseillers lance à son entourage : «restez-là, c’est moi qu’ils veulent !» Le président, en tenue de sport, se précipite dehors les mains en l’air. Mais il est immédiatement fauché à l’arme automatique. Aucun de ses gardes ni conseillers ne sera épargné. En tout, une quinzaine de personnes sont abattues. Ils seront tous enterrés à la hâte, la même nuit, au cimetière de Dagnoen, un quartier de l’est de Ouagadougou.
Dans toute la zone de la présidence et du Conseil de l’entente, militaires et civils courent dans tous les sens.
Les Burkinabés qui sont au bureau ou à la maison se précipitent vers les postes transistors. Sur Radio Burkina, les programmes sont suspendus. On ne diffuse plus que de la musique militaire. Pour des Burkinabés déjà habitués aux coups d’État, c’est un signe qui ne trompe pas : le pouvoir a changé de main. La confirmation ne tarde pas. Un communiqué lu à la radio par un officier annonce notamment la démission du président du Faso, la dissolution du Conseil national de la révolution et proclame la création d’un Front populaire dirigé par le capitaine Blaise Compaoré, jusque-là numéro deux du régime révolutionnaire.

La confusion est totale. Le citoyen de base ne comprend pas pourquoi un règlement de comptes aussi sanglant entre deux leaders considérés comme «amis et frères».
Mais les observateurs, eux, ne sont pas surpris. Depuis quelques mois, la guerre des chefs avait commencé au sommet de l’État entre les deux capitaines, numéros un et deux du régime. L’entente entre ces deux hommes, qui partageaient même des repas familiaux ensemble, s’effritait alors que la révolution déclenchée le 4 août 1983 entamait tout juste sa cinquième année.
A Ouagadougou, les rumeurs de coup d’État se faisaient de plus en plus persistantes. «Le jour que vous entendrez que Blaise Compaoré prépare un coup d’État contre moi, ce n’est pas la peine de me prévenir. Car, ce serait trop tard », avait lancé avec prémonition Thomas Sankara à des journalistes.
Il faisait ainsi allusion à la forte amitié qui le liait à Compaoré. Par naïveté ou par impuissance, le charismatique chef de la révolution burkinabé n’échappera donc pas aux balles de son entourage.

L’effet d’une bombe sur le continent

Sa mort fit l’effet d’une bombe.
Au Burkina et partout sur le continent, tout le monde est sous le choc. La consternation est générale notamment au sein de la jeunesse africaine.
Le rêve placé dans ce jeune officier de 38 ans vient de se briser. Arrivé au pouvoir 4 ans plus tôt à la suite d’un coup d’Etat mené par un groupe de jeunes officiers, le capitaine Thomas Sankara avait engagé une révolution pour changer les mentalités dans son pays, la Haute-Volta, l’un des États les plus pauvres de la planète. Il encourage ses compatriotes à compter sur leurs propres forces. Son gouvernement engage alors de vastes chantiers dans les domaines de la production, de l’éducation, de la santé, du logement, des infrastructures, etc.

Un président à convictions

Ses successeurs dresseront un bilan positif de ces quatre années de révolution.
Thomas Sankara reprend à son compte les discours panafricanistes de Kwamé Nkrumah ou de Lumumba. Il pourfend l’impérialisme dans ses discours et appelle à de nouveaux rapports entre le Nord et le Sud.
Invité au sommet Franco-africain de Vittel quelques mois après son arrivée au pouvoir en 1983, il refuse de serrer la main à Guy Penne, le conseiller de François Mitterrand venu l’accueillir à l’aéroport à Paris pour protester ainsi contre le manque de considération à un chef d’État africain.

Thomas Sankara s’attaque avec force à l’apartheid. A la tribune de l’OUA, des Nations unies, son discours dérange. «Je dis que les Africains ne doivent pas payer la dette. Celui qui n’est pas d’accord peut sortir tout de suite, prendre son avion et aller à la Banque mondiale pour payer», avait lancé le président burkinabé dans un tonnerre d’applaudissements à la tribune d’un sommet de l’OUA à Addis-Abeba.

Un président rigoureux et modeste

L’homme tranchait des autres présidents par sa simplicité et la rigueur imposée aux membres de son gouvernement. Il avait mis au garage les Limousines du parc automobile de l’Etat, imposant des Renault 5 comme voitures de fonction pour lui et ses ministres.
Pour inciter la consommation locale, il imposait des tenues en cotonnade tissée à la place des costumes occidentaux. La corruption avait disparu dans ce pays qu’il avait rebaptisé en 1984 Burkina Faso : la patrie des hommes intègres en langue locale.

La révolution multiplie les victoires mais aussi les erreurs, comme la décision de rendre gratuit durant toute une année les loyers, ou les dérives des Comités de défense de la révolution (CDR) qui faisaient la loi dans les quartiers et les services ou encore les nombreux «dégagements» de fonctionnaires pour manque d’engagement dans la révolution, ou une diplomatie régionale très critique à l’égard de ses voisins, en dehors du Ghana de Jerry John Rawlings.

Quinze ans après sa disparition, les Burkinabés gardent de lui l’image d’un homme intègre, qui a changé les mentalités de ses concitoyens et donné une dignité à son pays. Une image et un idéal qui résistent encore au temps et dont se réclament une demi-douzaine de partis politiques, détenteurs de sept sièges à l’Assemblée nationale depuis les élections législatives de mai dernier.

 


 

Vous trouverez sur le même sujet un article récent sous le titre “Que sait-on de l’assassinat de Thomas Sankara” de Bruno Jaffré à l’adresse Suivante

Sa politique

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La politique de Sankara

  • S’affranchir de la tutelle de la France : “comment sortir d’une misère asservissante”.
  • Lutter contre la corruption des dirigeants.

Il devient (et reste) un véritable héros auprès de la population et surtout des jeunes.A l’arrivée au pouvoir de ce Président des pauvres, le pays connaît de nombreux changements :

  • Le changement de nom du pays, La Haute-Volta devient Burkina Faso (Pays des hommes intègres).
  • Une diminution du train de vie des dirigeants : Sankara roule en Renault 5.
  • Thomas Sankara mise sur l’éducation et la santé (espérance de vie alors de 40 ans),.
  • la population est enthousiaste et elle s’accommode des efforts demandés (sauf pour la diminution du nombre des fonctionnaires).
  • Il encourage la consommation des produits locaux.
  • La lutte contre la corruption par des procès retransmis à la radio. Aucune peine de mort n’est demandée.
  • La campagne massive de vaccination des Burkinabé qui fera chuter le taux de mortalité infantile alors le plus haut d’Afrique.
  • La construction considérable d’écoles et d’hôpitaux,
  • Campagne de reboisement : plantation de millions d’arbres pour faire reculer le Sahel.
  • Une grande réforme agraire de redistribution des terres aux paysans, augmentation des prix et suppression des impôts agricoles.
  • De grandes mesures de libération de la femme (interdiction de l’excision, réglementation de la polygamie, participation à la vie politique, etc.).
  • Mettre en place des aides au logement (baisse des loyers, grandes constructions de logement pour tous).
  • et tant d’autres…

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“Notes sur la révolution et le développement national et populaire dans le projet de société de Thomas Sankara” du GRILA (Groupe de Recherche et d’Initiative pour la libération de l’Afrique)

Portrait de Sankara fond rouge
Portrait de Sankara fond rouge

Les révolutionnaires du 4 août 83Notes sur la révolution et le développement national et populaire dans le projet de société de Thomas Sankara

Thomas Sankara a incarné dans la mémoire historique de millions d’africains et d’africaines l’espoir d’un changement basé sur la seule contribution de nos propres forces. A 37 ans comme Ernesto Che Guevara et pour la même cause il rejoignait l’immortel panthéon des humains intègres. Il a été l’instigateur d’un changement qui demeure un impératif incontournable pour la majorité des formations sociales africaines. Pour comprendre son projet de société, mais aussi son "volontarisme" si dérangeant qui contribua d’ailleurs le perdre. Ces quelques notes s’adressent toutes les bonnes volontés qui se préoccupent de la condition du continent africain, et qui chaque 15 octobre ont une pensée pour Thomas.

Pour appréhender la profondeur de l’oeuvre de Sankara, il faut cerner les conditions dramatiques de développement dans lesquelles est inséré le Burkina Faso. Pays enclavé, au développement extraverti et dépendant d’apports financiers internationaux; formation sociale en quête permanente d’une autosuffisance alimentaire que les opérations de péréquation régionales ne parviennent pas toujours à compenser; population active s’expatriant et confirmant la vocation historique de fournisseur régional de main d’oeuvre bon marché; bref le pays présente des caractéristiques prédisposant la poursuite classique de développement de type néo-colonial.

Thomas Sankara évoluant dans de telles conditions, mais ayant aussi une conviction claire de sa propre condition, c’est à dire son appartenance à la petite – bourgeoisie intellectualisée, fut animé sa vie durant par une obsédante vocation. Non pas qu’il était guidé par un messianisme narcissique comme ses bourreaux ont voulu le faire croire, mais parce qu’il avait une claire conscience de sa responsabilité historique. Thomas avait en effet l’intuition d’appartenir à la rare catégorie de l’intelligentsia révolutionnaire africaine. Ceci n’est pas une appartenance de classe. Cette particularité se caractérise par une praxis que l’on peut réduire à une propension à l’anti-capitalisme, à la faculté de pouvoir sauvegarder une symbiose avec les masses populaires dont il fit l’ardente promotion de la vitalité culturelle; et enfin ce trait commun aux grands progressistes de notre temps, cet internationalisme humaniste et universaliste qui lui permettait l’intelligence de saisir la nature du système mondial. Croupissant en prison pour son idéal, puis haranguant les foules durant son bouillonant intermède au pouvoir, il n’a cessé d’être convaincu de la pertinence de son projet de société. La seule animosité des grands intérêts de ce monde et des judas autour de lui aurait pu convaincre d’ailleurs n’importe qui de la justesse de la voie à suivre. On peut s’étonner de l’amnésie du peuple burkinabé et de l’anesthésie qui s’est emparée de lui, comme de la torpeur qui a saisi bien des patriotes africains aprés le sinistre évènement du 15 octobre 1987. Peur, immaturité, certainement. Mais tout cela s’explique aussi en partie par la réaction au "volontarisme" intrinséque au projet de société dit de la "transformation nationale et populaire".

En effet, ce mode de développement est une rupture radicale avec les désordres antérieurs, mais aussi bien des mentalités et autres rigidités culturelles. Il suppose une adhésion populaire, un engouement des masses, un sens du sacrifice des couches possédantes.bref un ensemble de conditions qui font de Thomas comme certains de ses illustres prédécesseurs panafricanistes, des visionnaires en avance sur leur peuple. Non pas que leur projet de société ne soit pas valable pour les années 90. Au contraire il l’était déjà avant ces années là. Il se trouve juste que l’indispensable alliance nationale et populaire, inhérente à toute rupture avec la compradorisation et la mondialisation capitaliste est un épisode vicieux, ou périssent bien des tentatives louables à travers le continent. L’erreur de Thomas fut de croire ce processus d’alliances bien enclenché. Cependant le choix de privilégier l’agriculture et les paysans pour le sursaut national; le choix de construire un marché intérieur de biens de consommation de masse accessible et variés; la volonté de satisfaire pour le plus grand nombre les besoins essentiels; celui de contribuer à l’emancipation de la femme; comme celui d’avoir une gestion patriotique des deniers publiques en refusant la subalternisation qu’impose le système mondial, sont toutes des initiatives prises par un élan radical et contraire à la norme en vigueur dans le système mondial. Dès lors toute intelligentsia progressiste qui opte pour cette voie s’expose sciemment à la trahision, à l’impatience de certains pans de la société, à l’incompréhension et à la fomentation de bien d’autres. Nous croyons pourtant que les grandes orientations du 4 Août sont pour l’essentiel encore correctes, et que toute initiative de ce type à travers l’Afrique doit être soutenue et entretenue. C’est à cela que le GRILA tente de contribuer depuis une dizaine d’années.

Les armoiries Du Burkina Faso (1984-1987)L’Afrique est condamnée d’essayer, pour l’avenir décent de ses enfants, ces choix que nos peuples parfois incrédules et apathique doivent dorénavant défendre contre tous les sombres intérêts qui s’y opposent. La vague de démocratisation en vogue à travers le continent n’est qu’un des nombreux signes du raz le bol généralisé, qui pour l’instant se canalise dans la poursuite du multipartisme et la démocratie bourgeoise. Cette étape est peut être incontournable. Mais la démocratie ne peut être véritablement atteinte et préservée que par la parralèle poursuite du développement autocentré et populaire, et lautonomie collective régionale. L’entètement légitime de Sankara et une certaine forme de volontarisme, qu’il essayait vainement d’éviter, sont plus qu’excusables. Ils sont des vertus essentielles à l’avènement d’un développement réel de notre continent. L’urgence catastrophique de la situation de certains pays est un prétexte commode.

Le volontarisme est certes une déviation qui peut être dangereuse pour toute révolution. L’avant – garde révolutionnaire – ici l’intelligentsia progressiste – a peut être péché par subjectivisme. En d’autres mots, une dogmatique s’installe oû la répétition aveugle des slogans et des leitmotives ne peut à elle seule faire l’économie des étapes incontournables vers la révolution. Idéologiquement une telle tendance a pour effet d’induire en erreur, puisque l’aspiration révolutionnaire sans borne fait confondre désir et réalité concrète. Au niveau de la décision politique, la nécéssité d’alliances tactiques, et même une prise en compte rigoureuse de l’état réel des rapports de forces et de classes doivent précèder toute initiative majeure.

Groupe de Recherche et d’Initiative pour la Libération de l’Afrique

Source: Grila.org

Les fichiers joints

    “Ce que je pense de lui…..” de Mamane SANI

    Ce que je pense de lui…..

    Si aujourd’hui encore l’Afrique déplore la mort de ses fils comme Patrice Lumumba, Kwamé Unkurma pour ne citer que ceux-là, Thomas Sankara demeure encore l’un de ses experts les plus charismatiques du siècle passé. Sa différence avec les autres provenait essentiellement de sa conviction non seulement à sortir son pays, le Burkina-Faso des misères mais aussi à déchaîner toute l’Afrique complexée, déséquilibrée sur le plan social et surtout soumise au joug interminable des puissances étrangères notamment celles euro-américaines. Toutes ces déterminations qu’il programmait pas à pas lui avaient certainement valu d’être le chef d’état qui aurait indubitablement le plus marqué son époque.

    A travers lui, l’avenir de la jeunesse africaine s’apercevait comme une lueur d’espoir. Mais malheureusement que la majorité de cette jeunesse ignorait et ignore aujourd’hui encore l’idéologie de celui qui fut leur leader le plus investi dans sa mission de combat contre la misère et contre l’inégalité des sexes qui constituait selon lui un grand handicap pour le développement de l’Afrique. En ce sens, Thom.sank. avait même osé bousculer l’un des dogmes les plus immuables de la civilisation noire qu’est «la soumission de la femme à l’homme.» En effet selon Sankara la femme doit être prise comme partie intégrante à part entière et surtout capable de réfléchir et de décider dans la société au même titre que les hommes. Ses actes posés dans le sens de l’émancipation de la femme burkinabè demeurent immortels, et sa politique de «rapprocher l’administration des administrés» montre que Sankara contrairement à d’autres chefs d’état africains s’était réellement investi d’une politique imaginée et mûrement réfléchie bien avant son accession au pouvoir. Cependant même si sa révolution avait échoué parce qu’écourtée par son assassinat, en trois ans seulement, Sankara avait réussi à réaliser ce que bon nombre des chefs d’état africains au pouvoir depuis l’indépendance n’ont encore réussi jusqu’à présent.

    Si aujourd’hui la disparition tragique de Thomas Sankara peut-être attribuée à son « Marxisme» trop poussé notamment sa détermination à vouloir s’attaquer à la classe bourgeoise et surtout à détrôner certains mythes les plus tabous de la civilisation noire comme le respect absolu aux chefs traditionnels, son extrême humanisme dû à sa culture religieuse et surtout son excès de confiance vis à vis de ses compagnons l’auraient certainement mis à la dérive causant inévitablement sa mort. En effet, on pouvait se demander pourquoi Sankara se comportait-il de manière si dure vis à vis de ces chefs traditionnels? Peut-être à cause du rôle ignoble qu’avaient joué certains d’entre eux au temps de la traite négrière? En effet ne dit-on pas que :«Nul n’est plus dur avec un noir qu’un autre noir et les négriers blancs n’auraient jamais pu s’enrichir sans les chefs des tribus nègres.»?
    Quoi qu’il en soit, Sankara aurait certainement réalisé plus de bien que de mal avant sa mort, et ceci , il l’avait voulu et prévu lorsque quelques mois avant sa mort au cours d’une visite de travail à Ouagadougou devant sa délégation, il déclara:«Je voudrais qu’on garde de moi l’image d’un homme qui a mené une vie utile pour tous!» Aujourd’hui l’une des questions que l’on pourrait se poser est: est-ce que Thomas Sankara avait réussi à atteindre les objectifs qu’il s’était assignés? La réponse serait certainement contraste puisque d’une part, elle est non et d’autre part, affirmative. En effet, d’une part Sankara n’avait pas réussi à sortir son peuple des misères, de l’injustice, mais aussi à le libérer du joug occidental que ce soit sur le plan économique que social et politique. Cependant, d’autre part Thom.Sank. avait réussi à jeter les bases fondamentales d’un renouveau socio-politico-écono mique dans son pays , le Burkina-Faso dont le peuple, grâce à ce qu’il lui avait inculqué dans la tête, ne peut plus aujourd’hui être dirigé comme avant. En effet aujourd’hui, les burkinabè à l’instar de plusieurs autres africains connaissent bien leurs droits et la femme burkinabè n’est plus traitée comme avant au sein de la société dont elle participe activement au développement.
    Ainsi, les burkinabè regroupés autour même d’un collectif contre l’impunité s’engagent à dénoncer non seulement toute forme de violation des droits humains dans leur pays mais aussi et surtout certains crimes crapuleux commis et souvent passés sous silence. La seule conclusion que l’on peut tirer aujourd’hui est que Thomas Sankara avait réussi à implanter un mythe qui pourrait encore servir d’exemple pour les autres chefs d’état africains actuellement au pouvoir mais aussi pour les générations futures. En effet il est aujourd’hui indéniable que celle une lutte sans merci contre le népotisme, la démagogie, l’ostracisme, l’ethnocentrisme, l’impérialisme, …..mais aussi et surtout contre ceux dont Thomas Sankara avait qualifié d’ennemis du peuple peut sortir l’Afrique du cachot de désespoir dans lequel elle continue de s’affaisser.

    Mais à quand ce grand rendez -vous?

    Il viendra certainement un jour lorsque tous les peuples seront unis pour un même combat et dans un même but pour conduire l’Afrique vers sa propre destinée.

    Mamane SANI

     

    “Thomas Sankara est mort comme il avait vécu, en combattant” de Lionel Akpabie

    “Thomas Sankara est mort comme il avait vécu, en combattant” de Lionel Akpabie

    Thomas Sankara est mort comme il avait vécu, en combattant. Il se dévoua de tout son être aux causes qu’il avait étroitement embrassées, que ce fut la défense de sa Patrie, la recherche de la justice, la lutte contre le néo-colonialisme, ou la construction d’une Afrique aux Africains.

    Aucune situation ne pouvait le détourner de son idéal d’Homme Intègre, ni l’empêcher de proclamer ce qu’il croyait dans la sincérité de sa conscience. La mort l’a frappé en pleine maturité, en pleine période d’activité créatrice, tout comme beaucoup d’autres Panafricanistes fauchés par les ennemis d’une Afrique libre, unie et prospère. Aussi pouvons-nous donc rêver si tristement aux oeuvres à naître dont sa fin prématurée nous prive à jamais.

    Pourtant cette mort n’est pas seulement une des nombreuses tragédies en Afrique; elle vient au contraire couronner le destin d’un homme comme un accomplissement. Aujourd’hui toute une jeunesse s’identifie à son combat et à son orientation politique. L’on peut donc dire avec conviction que la mort de Thomas Sankara, quoiqu’ayant amené un fourbe au pouvoir, est vraiment un échec. On croyait éteindre en Thomas Sankara le sursaut panafricaniste de tout un continent. La mort du Capitaine Peuple fut donc le signal de départ de la révolte de la jeunesse Panafricaine qui se reconnaissait en ce héros dont le courage et l’action suscitaient l’espoir de lendemain meilleurs. Il disait avec raison que &quot;le bonheur ce n’est pas celui que l’on voit chez les autres. Mais celui que l’on veut se définir.&quot;

    Il comprit très tôt le risque de sa témérité, longtemps pressenti et accepta son sort. Il était déjà prêt au sacrifice suprême dont il mesurait et le poids et le prix. A cet effet, il déclarait: &quot;Il n’est pas de plus grande preuve d’amour que de donner sa vie pour ceux q’on aime.&quot;

    Sa vie, sa mort et son oeuvre sont donc inséparables. Elles prennent leur sens l’un par rapport à l’autre et constituaient les aspects complémentaires d’un seul et même homme.

    Presqu’ignoré de son vivant ou méconnu, et parfois détesté car il était ferme et terrible dans sa recherche d’un bonheur original pour l’Afrique, &quot;La Grande Patrie des Hommes Intègres,&quot; Thomas Sankara était devenu trop gênant à la fois pour beaucoup de milieux en Afrique et outre-méditérrannéen . Ils ne pouvaient acheter ni son silence ni sa participation aux bradages des intérêts africains. La décision fut donc prise &quot;au haut niveau des réseaux&quot; de s’en débarrasser.

    Véritable mythe vivant, accessible et populaire, autant qu’inspiré, à la fois simple et intègre, quinze ans après son assassinat dans un violent coup d’Etat, l’ombre de Thomas Sankara donne des nuits noires au pouvoir en place. Les avocats de la famille Sankara ont engagé plusieurs requêtes devant les tribunaux du Faso pour assassinat et faux en écriture publique.

    Lionel Akpabie