Cet article reprend un témoignage de Philippe Ouedraogo qui a été ministre la première année de la révolution. L’article a été publié dans l’hebdomadaire bendré N° 663 du 15 octobre 2011 sous le titre : ” Le tronçon Ouaga-Kaya n’a pas été abandonné”, Philippe Ouédraogo


La révolution démocratique et populaire conduite par le capitaine Thomas Sankara a pris fin il y a 24 ans de cela. Loin des yeux, certains chantiers entamés à cette époque suscitent toujours de l’engouement au sein de la population. Dans le cadre du 24ème anniversaire marquant l’assassinat du capitaine Thomas Sankara, nous avons rencontré certaines personnes qui ont occupé un poste de responsabilité à l’époque. L’homme que nous avons rencontré a été ministre des infrastructures et de la communication d’août 1983 à août 1984. Il s’appelle Philippe Ouédraogo, l’actuel secrétaire général du Parti Africain de l’Indépendance.

Il y a 24 ans de cela que le Front Populaire, conduit par le capitaine Blaise Compaoré a mis fin à la Révolution Démocratique et Populaire inspirée par le capitaine Thomas Sankara. Pouvez-vous nous rappeler quelques grands chantiers de cette époque ?

En tant que ministre de l’équipement et de la communication, je dirigeais de grands départements. Il y avait les travaux publics, l’urbanisme, l’habitat, les télécommunications, les transports. Mais je suis resté à ce poste pendant seulement un an. Mon éviction a été due aux divergences qui ont fait que je n’ai plus assumé une responsabilité. Ce qui ne m’a quand même pas empêché de suivre ce qui se passait au sein du gouvernement.

La révolution est venue effectivement pour opérer de grands bouleversements dans tous les domaines et aussi dans les mentalités. Si on s’intéresse aux différents domaines de développement, l’une des premières actions a été le bitumage de quelques grands axes à l’intérieur de Ouagadougou, notamment la route qui longe vers la CARFO en allant vers l’hôpital et la sortie sur Kaya. Dès les premiers jours de prise de pouvoir du CNR, cette route a fait l’objet de travaux de réfection. Ensuite et de manière générale, tous les chefs de départements ministériels ont été invités à proposer de grands aménagements. Dans le domaine des infrastructures, on avait des projets de grands axes routiers. Il fallait construire les grandes lignes pour accélérer la liaison entre les différentes villes du pays. Il y avait aussi de grands projets d’aménagement urbain tels les lotissements, l’électrification de quelques grands centres et l’établissement du réseau d’eau courante dans les localités qui en étaient dépourvues. J’ai inauguré des projets de ce type à Gaoua, Fada et dans bien d’autres villes. Plusieurs grands chantiers ont été lancés et touchaient à la fois les routes et l’habitat. Le projet de construction de cités a été lancé. Cela consistait à créer un certain nombre de commodités aux fonctionnaires affectés dans ses localités. Les matériaux locaux ont été utilisés. Nous avons recouru aux briques avec 4 ou 6% de ciment pour les stabiliser et en même temps avoir des maisons en bon état.

En même temps de grands chantiers pour rapprocher l’administration des administrés ont été lancés. C’est ainsi que le territoire a été découpé en 30 provinces avant fin 1984. Chaque province était divisée en départements. Au niveau des transports, il a été décidé de la mise en place d’une société de transport urbain à Ouagadougou et des sociétés de transport interurbain au niveau national pour permettre la circulation des personnes entre les différents centres pour faciliter l’encadrement administratif du pays. On a lancé un programme d’aménagement des transports. Il y avait beaucoup d’aéroports secondaires qui n’étaient pas utilisés et qui se dégradaient à l’intérieur du pays. Sous le CNR, ces aéroports ont été réhabilités et certains même ont été étendus. Un système de transport aérien a été mis en place pour faciliter le déplacement. De grands chantiers culturels ont été lancés. Les grandes places de Ouagadougou, Bobo Dioulasso et d’autres villes ont bénéficié de monuments. Beaucoup de monuments tels ceux du 2 octobre, de la place de la nation et de la bataille du rail datent de cette époque.

Avant même la fin de l’année, le président Sankara a décidé de bâtir un nouveau programme de développement plus cohérent pour le pays. Le CNR a estimé que tous ces chantiers devaient être réalisés avec la participation de la population. Cette participation devait être un peu à l’origine des propositions. Les populations devaient aussi participé à l’écriture des chantiers du développement. Cela a donné un certain caractère populaire aux réalisations. La population a été appelée à la réalisation de ces projets. Pourquoi le projet « la batail du rail » ?

Le projet du chemin de fer devait lier Ouaga à Tambao en passant par Kaya, Dori et permettre l’exploitation du manganèse. Aussi, elle devait permettre l’extraction du calcaire de Tin-Hrassan. De manière classique, nous avons présenté les projets correspondants aux bailleurs de fonds et en particulier à la Banque Mondiale. Dans les années 70, la BM était favorable au projet mais elle a rapidement changé son opinion. Elle nous a alors fait savoir dans les années 1970 qu’elle était contre le fait qu’on emprunte de l’argent pour aménager le chemin de fer. J’ai quitté pendant que cette situation prévalait. Mais nous avons tenté de convaincre la BM car sa compréhension du projet n’était pas bonne. Le projet avait une grande importance économique mais nous n’avons pas réussi à la convaincre. Après mon départ de ce département, le président Sankara a conçu le projet de réaliser le chemin de fer sur fonds propres. Il a abordé la question des entrées financières et la limitation des dépenses sur le chantier. Ce qui fait que dans le premier gouvernement, nous nous sommes penchés sur l’élaboration du budget de l’Etat. Nous avons aussi réfléchi sur les différentes manières de réduire les dépenses de l’Etat. Le Président lui-même a renoncé aux grands déplacements coûteux à l’extérieur. Même si ces déplacements honoraient notre pays, ils coûtaient un peu cher aux contribuables.

Il avait établi un plan et un contre plan. Les financements du contre plan devaient aider à la réalisation de projets pour lesquels y avait les plus grandes réticences de la part des bailleurs étrangers. C’est ainsi que la construction du chemin de fer a été prévu et l’aménagement de la plate forme jusqu’au delà de Kaya. Il a continué de tracer, a fait les déblais et a commencé à remblayer. C’était difficile de garder secret l’information. Et après la BM a commencé à contester très vigoureusement. Ce qui a conduit à arrêter ces travaux. Les travaux ont continué sous l’ère de Blaise Compaoré pour aboutir en 1989 par les rails de chemin de fer et les traverses jusqu’à Kaya. Pour des raisons économiques, le trafic entre Ouagadougou et Kaya a été arrêté. A partir de 1990, la route Ouaga-Kaya a été construite. Ce qui pouvait aider au transport de voyageurs et de marchandises. Mais le manque de trafic a conduit à son arrêt. Quelle a été la contribution de la population à sa mise en œuvre ?

En ce qui me concerne, j’ai assisté au terrassement et à la pose des traverses et des rails à partir de Ouagadougou jusqu’à Kaya. En tout cas, le gouvernement qui était en place que ce soit celui du CNR ou finalement celui du Front Populaire, a essayé de mobiliser les populations. Même les fonctionnaires n’ont pas été épargnés. Ils ont participé aussi. Cela a amené à fermer les classes et les bureaux. Les fonctionnaires étaient donc invités à consacrer une journée de travail pour poser les traverses et les rails. On les invitait aussi à faire des travaux de plantation sur la route de Koupèla. La contribution des populations est réelle mais il faut quand même dire que ce qui a été décisif c’est l’implication de la RAN. Les équipements acquis par l’Etat et aussi le fait qu’on a professionnalisé c’est-à-dire retenu en permanence et payé en conséquence. Le seul travail c’était de faire avancer la partie ouvrière étant attendu que politiquement la population aussi venait leur apporter son soutien. Après la révolution, le tronçon Ouaga-Kaya a été abandonné. Quelles appréciations faites-vous de cela ?

Le tronçon Ouaga-Kaya n’a pas été abandonné après la révolution. Le tronçon a été achevé en 1989. C’était déjà sous le Front Populaire. Le front populaire avait déjà officiellement abandonné la révolution. Je pense que c’est le réseau des chemins de fer qui a dû convaincre le gouvernement d’accepter la fermeture de cette ligne. Je pense très probablement que c’est parce que le trafic était insuffisant. On avait prévu au départ d’avoir une circulation de train deux ou trois fois par semaine. C’est sûr que cela est insuffisant pour rentabiliser la ligne. Mais si le trafic du train a été fixé à deux ou trois fois par semaine, c’est parce qu’il n’y avait pas suffisamment de trafic. Il y a eu aussi le fait que la voie ne soit pas disponible tous les jours. Cela a amené les gens à chercher d’autres modes de transport. C’est ce qui fait que le chemin de fer manque d’intérêt. Je pense que fermer la ligne était une solution mais ce n’était pas la bonne. On aurait pu voir comment justement faire en sorte que cette ligne ait aussi du trafic comme la ligne Ouaga-Koudougou. Mais la décision a été prise de fermer la ligne et on l’a laissée comme elle est, et par conséquent elle se dégrade. Quelque fois on a laissé sur les tronçons des gens pour surveiller afin qu’il n’y ait pas de vandalisme. Mais ces gens là sont oubliés et ne sont pas payés. Ils ont certainement quitté leur poste. Je pense que c’est malheureux parce que ça correspondait à de grands efforts financiers qui ont été faits, des décisions qui ont été validées.

Par Ladji Traoré

Source : Bendré www.journalbendre.net

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