C’est une initiative tout à fait original qu’a organisée la Fédération francophone des débats (FFD) à Paris le 6 juillet 2022 à Paris, en collaboration avec HEAD Agora, une association d’étudiants de l’école des Hautes études appliquées au droit, membre de la FFD, dont  l’objet social est “la participation au championnat de débat organisé par la Fédération francophone de débat et l’organisation de débats sur les sujets de société“.

J’ai été associé à l’initiative, et bien évidemment, la première fois qu’on m’en a parlé, je fus quelque peu perplexe. Mais j’en ai rapidement compris les enjeux. Le premier, permettre à des étudiants en droit de s’entrainer aux plaidoiries, dans le cadre de ce qui était officiellement un concours d’étudiant. Le deuxième pour lequel j’ai été convié, faire connaitre Thomas Sankara, ce que j’ai fait avec grand plaisir.

Une opportunité, on ne peut plus efficace. Non seulement les étudiants, quand ils connaissaient Thomas Sankara, ce qui n’était pas le cas de tous, n’en avaient souvent qu’une connaissance très superficielle. J’en ai donc accompagné quelques uns, leur donnant des éléments et surtout des liens ou des références pour connaitre les personnages qu’ils auront à jouer, notamment dans le site thomassankara.net qui regorge de très nombreux documents.

Et, en peu de temps, ils ont appris très vite. La plupart, de gros bosseurs, se sont appropriés rapidement leurs propres personnages et ont pu, grâce à leur travail, parfaire leur connaissance de Thomas Sankara, sa pensée, ses réalisations et son histoire, et découvrir d’autres protagonistes de cette période.

De plus, les réseaux étendus des organisateurs, leur ont permis de remplir une salle avec près de 150 personnes, voire 200 dont beaucoup découvrait Thomas Sankara et la Révolution burkinabè. Bravo à eux et merci de m’avoir associé à cette initiative dont nous rendons compte ci-dessous, avec de nombreux matériaux.

Le déroulement des évènements, en dehors des discours de présentation, s’est déroulé comme un procés, à savoir, présentation des jurés, témoignage sur l’arrestation de Thomas Sankara, citations des témoins, acte d’accusation, plaidoirie de la défense, et verdict. Thomas Sankara a été acquitté.

De façon générale, les garçons avaient privilégié la gestuelle et la présence. Et vous pourrez donc voir leur prestation dans la vidéo. Tandis que les filles ont plutôt choisi la qualité de leur texte dont. Deux ont retenu notre attention que nous publions  un peu plus loin sur la page.

Bruno Jaffré


Affiche du procès Sankara à Paris

 

LA TABLE DES MATIÈRES DE LA PAGE

La présentation officielle de l’initiative

Les personnages appelés à la barre

La vidéo complète du procès

Le texte de la plaidoirie de Rachel Maffon qui interprète Mariam Sankara

Le texte de la plaidoirie d’Amina Malki qui interprète Germaine Nassouri Pitroipa


La présentation officielle de l’initiative

“On peut tuer un homme mais pas des idées” disait le capitaine Sankara, celui que l’on surnommait le « Che Guevara africain ». Arrivé au pouvoir en août 1983, Sankara mène à bien un processus révolutionnaire d’une grande ampleur en Haute-Volta, nation qu’il renomma « le pays des hommes intègres » : Burkina Faso. Alphabétisation massive de la population, redistribution des terres agricoles, socialisation des richesses, cette révolution est à la fois féministe, écologiste et d’inspiration marxiste. Mais la révolution a aussi ses travers, la justice populaire ses excès et la personnalité de Sankara dérange. Aussi, est-il victime d’un coup d’État dans lequel il est assassiné. Et si « Tom Sank » n’était pas mort ? Et si le 15 octobre 1987, au lieu de tomber sous les balles de ses assaillants, le fondateur du Burkina Faso avait finalement été arrêté et traduit devant un tribunal ? C’est ce qu’ont proposé d’imaginer la Fédération Francophone de Débat et son association membre, Agora HEAD, le 6 juillet 2022, à 19h.

Les différents personnages appelés à la barre ont été dans l’ordre, Jean-Baptiste OUEDRAOGO — médecin militaire burkinabé, chef d’État de la République de Haute-Volta, Mariam SÉRÉMÉ SANKARA — veuve de Thomas (Rachel), Jacques FOCCART — homme d’affaires français surnommé Monsieur Afrique (Simon), Germaine NASSOURI PITROIPA — collaboratrice du président Thomas Sankara (Amina), Félix HOUPHOUËT-BOIGNY — homme politique français puis homme d’État ivoirien, premier président de la république de Côte d’Ivoire, Jerry RAWLINGS — Chef d’État ghanéen en 1979 puis de 1981 à 2001 · (Memet), Mouammar KADHAFI — militaire et homme d’État libyen, dirigeant de fait de 1969 à 2011, Fidel CASTRO — révolutionnaire cubain, dirigeant de la république de Cuba pendant 49 ans, Blaise COMPAORÉ — militaire et homme d’État burkinabé, président de 1987 à 2014, Thomas Isidore Noël SANKARA


La vidéo intégrale du procès réalisée par les organisateurs.

En cliquant sur youtube ci-dessus, vous tomberez sur le minutage des différents, intervenants, ce qui vous permet de vous déplacer à l’intérieur de la vidéo afin de choisir la prestation qui vous intéresse.


Le texte de la plaidoirie de Rachel Maffon qui interprète Mariam Sankara

En Haute Volta quand le peuple crie, c’est la voix qu’on arrache et une vie qu’on prend. Mais au Burkina Faso c’est l’oreille qu’on tend et c’est la liberté qu’on rend.
Quand mon peuple a enfin été délivré de ses chaînes, ce n’est pas le tyran qu’on a accusé mais bien cette pauvre patrie fière et condamnée d’office pour avoir dignement refusé d’engraisser l’impérialisme vorace.

Ce même impérialisme qui pour se donner bonne conscience nous a inondé d’aides en tout genre pour œuvrer pour le « développement ».

Des fonds bien évidemment qui n’ont fait que garnir l’assiette des puissants en étouffant à grand coup de misère les petites gens.

Car la vérité est devant nos yeux et a deux noms : désorganisation et corruption .

Monsieur Ouédraogo, voilà votre misérable bilan :
7 millions d’habitants, une espérance de vie de moins de 45 ans, taux d’analphabétisation de plus de 98% et un taux de scolarisation de 16 %.
Alors allez donc dire à ces braves paysannes et paysans que les bourses de leur état sont plaines,
que son président est rassasié mais que eux ont le droit de dormir le ventre vide.
Mon mari, que je connais mieux que personne, cet homme bon et brave porte avec toutes ses qualités des convictions aussi grande que la dignité de notre peuple.

Mais l’ occident jaloux, trop orgueilleux pour saluer son œuvre à préféré nier la vérité plutôt que de l’embrasser.

Un courage qui est inconnu à monsieur Ouedraogo trop occupé à se servir plutôt qu’à servir son peuple.

Cette accusation aujourd’hui a une odeur que seuls les petits, les traitres ou encore les lâches
hument à chaque fois qu’ils sentent qu’ils sont sur le point de tout perdre. C’est l’odeur de la peur. La peur que le capitalisme soit passé de mode, la peur du renversement de l’ordre établi ou encore la peur que cette main mise impériale ne se transforme en
une main tranchée.

On accuse ce soir Thomas sankara d’avoir insufflé ce bon vent salvateur et nécessaire que celui de la révolution dans tous les cœurs car pour lui elle n’est pas la chose de quelqu’un. Car, quand elle est faite par des pays qui se sont par vanité, qualifiés de développer, il s’agit de la vérité, mais quand il
s’agit des pays astucieusement qualifiés de tiers monde, il s’agit d’un danger à éliminer.
Alors, oui, mon peuple a entendu l’appel, l’appel d’un capitaine enflammé, non pas animé par le vice de la luxure mais bien par la lumière de l’espoir.

L’espoir non pas d’un peuple amnésique oubliant les manquements du passé mais l’espoir d’un peuple qui veut avancer, tenter la liberté pour embrasser le risque.

Condamner mon mari ce soir c’est condamner tout un peuple qui a décidé de vivre, car il a refusé de continuer à survivre. C’est accepter comme le dit Thomas à ce que le grain du pauvre nourrisse encore la vache du riche. C’est continuer à croire que la femme n’a aucune valeur, qu’elle n’a pas sa place dans la société en oubliant seulement qu’elle a le pouvoir de mettre au monde et qu’elle a la capacité de le diriger si seulement on lui rendait les clefs .

Et c’est dire aux générations futures que la révolution est veine et qu’il suffit de servir pour
avoir la paix.

Mais à quoi bon avoir la paix quand la chaîne au coup devient la chaîne de la Corruption!

Ce soir, Monsieur le président mesdames et messieurs du tribunal, la décision sera historique.
Vous aurez le choix entre sauver le capitaine d’un pays qui vogue vers la réussite ou bien de couler cette barque fragile remplie d’hommes intègres ou dans le regard réside encore l’espoir.

Et souvenez vous la patrie ou la mort nous vaincrons.


Le texte de la plaidoirie d’Amina Malki qui interprète Germaine Nassouri Pitroipa

La dignité est morte et le Burkina pleure.

Mesdames et Messieurs, ils veulent tuer celui qui a fait volte-face à la Haute Volta, à l’époque deuxième pays le plus pauvre du monde.

Ils veulent assassiner, celui qui luttait pour que l’Afrique ne regarde ni à gauche ni à droite mais tout droit et la tête bien haute, vers son avenir.

Ils n’ont rien compris. Ils n’ont peut-être pas compris, que le 4 août 1983, ce n’est pas par soif de gloire, mais par faim de changement, pour la dalle de vaincre, que cet homme, révolutionna.

Mais comme j’ai pu l’entendre aujourd’hui, Sankara n’a jamais eu les yeux plus gros que le ventre.

Il ne veut juste plus envier l’assiette du voisin.

Il ne veut plus mendier l’aide alimentaire. Et donc il metta sa population au travail pour l’autosuffisance. Est-ce un crime ?

Non, car le travail libère pendant que la dépendance aliène.

Vous savez quel était le réel problème ?

C’est un président qui dérange ! Avouez-le ! Président des opprimés, de la nature, des jeunes, des pauvres, des femmes…

On en oublie presque qu’en précurseur, qu’il lutte triplement pour la défense de l’environnement, vaccine des milliers d’enfants, construit des hôpitaux et des écoles au lieu d’importer l’impérialisme.

Il rêve d’un nouveau monde ! Hélas, on le jette derrière les barreaux avant qu’il n’ait le temps de l’admirer.

Et bien, vous savez quoi?

Il est mon ami. Mais moi, avant de le connaître je n’étais qu’une femme.

Bizarrement, il ne m’a pas considéré comme un ventre mais pour mon cerveau. Il ne m’a pas perçu comme une potentielle compagne mais comme son futur compagnon de lutte.

Il ne veut pas que le Burkina cueille les fleurs épineuses de ces mâles qui veulent que nos sœurs soient excisées, que nos pères aient six femmes, que nos maris nous dominent et que nos fils dominent à leur tour.

Il veut que la patrie des hommes intègres deviennent celle des femmes intégrées. Des femmes respectées.

N’emmêlons donc pas la vie d’un homme, ne tricotons pas sa pensée, lui qui a toujours tissé sa politique grâce au fil blanc du progrès et de la vérité.

Cher Monsieur Foccart, vous avez peur. Oui oui vous avez peur que notre président éternel, le président du Faso façonne un nouveau monde dans lequel l’ancien n’imposera plus ses sales façons de faire.

Sachez cher monsieur que comme beaucoup d’autres, vous tenez indirectement le couteau qui se trouve aujourd’hui sous sa gorge.

En voulant tuer Sankara, vous espérez tuez le Burkina, vous aspirez à tuer l’Afrique, tout ça pour faire vivre, survivre, vos intérêts qui eux  sont morts depuis le 11 décembre 1958, jour de notre résurrection.

Il y a un proverbe de chez nous qui dit : “Même si tu n’aimes pas le lièvre, reconnais au moins qu’il court vite”.

Mesdames et messieurs, cet homme court sans cesse. Toujours très vite. Peut être parfois même trop vite. C’est sa qualité comme son plus beau défaut. Mais personne ne peut nier sa révolution de longue haleine. Personne ne contredira le fait que son âme ne respire que pour autre chose que lui-même.

Cet homme n’est pas une girouette. Il ne va pas où la brise le mène mais où ses idées le mènent.

Il ne veut pas être dans l’œil du cyclone, peut être que s’il ne l’avait pas été il ne serait pas sur le banc des accusés au moment où je vous parle.

Mais soyez en sûr, il n’a pas peur de la mort. Cet homme veut la vaincre pour sa patrie.

Rappelez-vous que dans un tourbillon de courage, cet homme veut donner son dernier souffle pour que notre patrimoine, pour que notre pays, pour que son peuple, ne retiennent plus jamais sa respiration.

Qu’il ne s’étouffe plus jamais sous le joug asphyxiant de l’oppression.

Et qu’un jour, un jour, il inspire pleinement le vent pur de liberté qui n’avait encore jamais pleinement aéré l’Afrique.

Vous avez devant vous le plus beau drapeau d’espoir qui puisse flotter dans le ciel.

J’espère qu’aujourd’hui,  la justice soufflera.

Bon vent Sankara ! Vive Sankara !

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