Réinhumation de Thomas Sankara et ses douze compagnons : une cérémonie sur fond de divisions

Guibien Cleophas Zerbo, Ingénieur forestier environnementaliste, participe à l’équipe du site depuis plusieurs années et nous apporte des compétences techniques et la rapidité pour les retranscriptions. Il avait intégré l’équipe après avoir répondu à une annonce où nous demandions des collaborateurs. Comme beaucoup d’entre nous, il a été touché voire révolté par la façon dont l’on a procédé à la réinhumation du Président Sankara et de ses compagnons en l’absence de certaines familles. C’est lui-même qui a souhaité écrire là-dessus.

La rédaction du site


Par Guibien Cleophas Zerbo

En Mai 2015, les dépouilles du Président Thomas Sankara et de douze de ses compagnons avaient été exhumées afin de vérifier leur identité à partir de tests ADN et également rechercher la cause de leur mort dans le cadre de l’instruction qui avait été ouverte. Le procès ayant rendu son verdict le 05 avril 2022, c’est finalement le jeudi 23 février 2023 que leur réinhumation a eu lieu  sur le site du Mémorial International Thomas Sankara à Ouagadougou, qui s’est installé sur les lieux du Conseil de l’Entente.

Un communiqué du gouvernement datant du 17 février 2023 annonçait que le choix du site du Mémorial Thomas Sankara était « fondé sur des impératifs socio-culturels et sécuritaires d’intérêt national » et que la cérémonie se ferait selon les rites funéraires coutumiers et religieux dans la stricte intimité des familles des défunts. La cérémonie d’hommage solennelle est prévue pour le 15 octobre 2023.

Cette cérémonie, sensée se dérouler dans la stricte intimité des défunts des familles a été placée sous la présidence du Premier Ministre Me Apollinaire Kyelèm de Tambela. Et, en plus des membres des familles, certains membres du gouvernement, de la hiérarchie militaire, des corps constitués, des membres d’associations et de mouvements «sankaristes» y ont participé.

Les polémiques autour de la cérémonie

Dans un premier communiqué de presse datant du 5 février 2023, la famille Sankara dénonçait l’imposition qui leur était faite du lieu d’inhumation des restes de Thomas Sankara et de ses douze compagnons sans autre forme de discussion consensuelle et annonçait sa non-participation à l’organisation des cérémonies et aux inhumations. Elle reviendra à la charge le 16 février 2023 par un APPEL SOLENNEL de la Famille Sankara pour une Demande de Grâce Présidentielle afin que les restes du Président Thomas Sankara ne soient pas ré-inhumés au Conseil de l’Entente. N’ayant pas eu de retour, elle reviendra le 21 février avec une déclaration dans laquelle elle tient l’opinion nationale et internationale à témoin qu’elle ne sera pas présente ni représentée à l’inhumation des restes de feu Thomas Sankara précisant que « quiconque se rendrait à ces cérémonies et qui prétendrait agir au nom de la famille, n’aura pas été mandaté par elle ». Alors que la cérémonie avait débuté et que certaines presses avaient annoncé la présence de la famille Sankara, Blandine Sankara, sœur de Thomas Sankara précisera sur Omega média que « Celui qui se trouve là-bas est présent de sa propre initiative » et d’ajouter que « la famille, c’est la femme, les orphelins et la majorité des frères et sœurs ». En effet, Lydie et Valentin Sankara étaient présents.

La famille de Feu Frédéric Kiemdè à travers sa fille Aïda et sa maman, fustige également le forcing quant au lieu de ré-inhumation. Elle avait souhaité un délai de 3 mois pour se préparer afin de pouvoir participer aux obsèques. Elle trouve que le gouvernement a été inhumain face aux requêtes des familles. « ….Comme on avait beau leur envoyer des lettres, on avait beau expliquer, on avait beau essayer de trouver des solutions, on a toujours eu derrière un gouvernement qui a été bah… inhumain, voilà j’ai envie de dire inhumain c’est vraiment le mot… ».

Dans une déclaration datant du 21 février, Céline Bamouni, fille de Feu Babou Paulin BAMOUNI annonçait que la famille ne participerait pas à la réinhumation « “si les choses restent en l’état ». En effet, elle dénonçait le fait que le droit d’accompagner dignement leur cher père leur est refusé et plus précisément le refus qui leur a été notifié d’apporter le cercueil qu’ils ont choisi pour leur père pour les réinhumations du 23 février 2023. Le Bureau de garnison de Ouagadougou, le chef d’orchestre de la cérémonie de réinhumation, aurait finalement accédé in extremis à la requête de la famille Bamouni même si la réinhumation n’a pas pu se faire dans le cercueil qui a été fourni par la famille.

Ces différentes déclarations des familles des victimes du 15 octobre 1987 montrent qu’il y a des dissensions aussi bien au sein des familles elles-mêmes qu’entre les familles sur cette question de la réinhumation. Ces dissensions ont été ressenties aussi au niveau de la « galaxie sankariste ». Nous préférons l’expression « galaxie sankariste » à celle « famille idéologique » car l’idéologie de ceux qui se réclament de Sankara est diverse et floue quand elle n’est pas souvent en contradiction avec ce qu’il prônait. Avec le vocable « galaxie », cela prend bien en compte l’étendue des divergences voire des antagonismes. Le Comité Thomas Sankara Montpellier (CTSM) a lancé une pétition à l’endroit des autorités du Burkina Faso où il lance un appel à trouver une solution consensuelle pour l’inhumation du Président Thomas SANKARA et de ses Compagnons.

Le Docteur Ra-Sablga Seydou OUÉDRAOGO, Directeur exécutif de l’Institut FREE Afrik dont la passion pour Sankara [1]n’est plus à démontrer a dans une déclaration datant du 22 février 2023 fustigé l’incapacité du pays à « organiser l’inhumation des restes de nos martyrs dans la dignité, le recueillement et le consensus ».

Il déplore le fait que le gouvernement n’ait pas profiter de ce moment de victoire partagée qu’est la tenue effective du procès des évènements du 15 octobre et la condamnation des commanditaires et auteurs.

Par contre pour Serge Bambara alias Smokey, membre fondateur du Balai citoyen, la réinhumation du Président Sankara au siège du mémorial devrait permettre de réunir la « famille idéologique ». Voici ce qu’il cite sur sa page Facebook : « De la même façon que Sankara faisait passer les intérêts de sa famille après ceux de la nation, de la même façon nous, nous réclamant ou se sentant proches de son idéal, devons faire passer les intérêts de nos familles ainsi que de celle de Sankara, après le sankarisme. Nous ne devons point déroger à sa propre règle. Le sankarisme a besoin du mémorial, et le mémorial a besoin des sépultures, si nous voulons réussir un jour à Réunir sa grande famille idéologique ».

Faudrait-il lier le Sankarisme ou l’appartenance à la famille idéologique de Sankara à un mémorial d’autant plus que ce monument fait l’objet de critiques dans la galaxie sankariste ?

Quant à Serges Bayala, membre Comité international Mémorial Thomas Sankara (CIM TS), son intervention au niveau de Deutsche Welle met à nu la dissension entre la « famille idéologique » et celle biologique : « Dans les décisions qui se présentent, tel le lieu pour inhumer les restes, on a quand même vu passer des lettres officielles. Des ayant droits qui choisissent le lieu sans tenir compte de l’effort bénévole que des hommes et des femmes font pour maintenir la mémoire vivace. C’est poser un acte d’ingratitude morale ».

Autant il déplore il déplore le choix des ayant droits sans tenir compte de l’effort bénévole que des hommes et de femmes font pour maintenir la mémoire vivace, autant ces dernier devraient prendre en compte les préoccupations des familles pour aller à une solution consensuelle.

Sur le plateau télé de Burkina Info TV, dans la soirée du 23 février où se trouvaient Maître Guy Hervé Kam, avocat de la famille Kiemdé et Maître Bénéwendé Stanislas Sankara, avocat de la famille Sankara, la divergence d’appréciation de la cérémonie de réinhumation apparait clairement entre ces deux avocats qui ont défendu le dossier Sankara et ses 12 compagnons. Quand Maître Bénéwendé Stanislas Sankara participe à la réinhumation de Président Sankara au siège du mémorial l’on a le droit de se poser la question à quel titre : Avocat de la famille Sankara ? Politicien Sankariste ? A titre personnel ou membre du Mémorial ?

Il est important de noter que Maître Bénéwendé Stanislas Sankara et Maître Guy Hervé Kam sont respectivement conseiller et membre du comité lutte contre l’impunité du Comité international Mémorial Thomas Sankara.

Même si les partisans de l’enterrement au siège du mémorial se disent satisfaits, le malaise reste difficile à dissimuler surtout lorsqu’ils brandissent la représentation de la famille Sankara sachant bien que la veuve et les orphelins de Sankara n’ont pas assisté à la cérémonie. La déclaration à la fin de la cérémonie de Valentin Sankara met à nu ce malaise : « Je suis venu assister aux obsèques de mon grand frère. Je suis venu en tant que petit frère de Thomas Sankara ».

Le 15 octobre 2017, lors de la commémoration du trentième anniversaire de l’assassinat du Président SANKARA, la veuve Mariam Sankara saluait initiative visant à ériger un mémorial à la mémoire de Thomas Sankara souhaitait qu’il « ne soit pas construit dans l’enceinte du Conseil de l’Entente qui rappelle de douloureux souvenirs en raison des assassinats et des tortures qui ont marqué ce lieu ». Elle était loin de s’imaginer que c’est en ces lieux que seraient réinhumés Sankara et ses compagnons.

La réinhumation de Thomas Sankara, un arrière-goût amer

Peut-on parler de sépulture digne aux martyrs quand on sait que pendant qu’on les enterrait certains membres de leur famille étaient en pleurs ? En pleurs parce qu’écartés de cette cérémonie ! En pleurs parce que le gouvernement a été sourd à leur cris de cœur ! Cette cérémonie de réinhumation de Thomas Sankara et de ses compagnons laisse paraître un arrière-goût amer. L’on se demande pourquoi cette précipitation sans avoir régler certaines questions essentielles ? A écouter les familles plaignantes, elles ont fait face à un gouvernement inhumain qui a fait valoir sa force militaire. La non-participation des veuves et orphelins à l’enterrement de leur époux/père pour désaccord nous amène à nous poser la question de savoir si nos héros reposerons réellement en paix ? Le gouvernement avait pourtant présenté la réinhumation des martyrs comme un évènement fédérateur pour faciliter une « grosse opération ». Le Président Thomas Sankara est certes un patrimoine national, africain et même universel mais procéder à son inhumation sans avoir pris le soin d’essuyer les larmes de sa veuve et de ses enfants quand on sait ce qu’ils ont subi comme violence suite à son assassinat, cela est très difficile à admettre. Les familles des victimes du 15 octobre 1987 ne peuvent pas avoir le même regard sur le site du mémorial que certains orphelins idéologiques. Ignorer cette donne, c’est faire preuve de violence envers ces familles qui ont souffert pendant près d’une trentaine d’années avant d’avoir justice pour leurs parents. Cette décision du Gouvernement Burkinabè de procéder à la réinhumation  Président Sankara et de ses compagnons n’a fait au contraire qu’augmenter la méfiance, au Burkina et aux yeux du monde. Le gouvernement aurait dû tout faire pour résoudre cette équation avant de procéder aux réinhumations. Il est du devoir du gouvernement d’essuyer les larmes des veuves et de l’orphelin et non de les faire pleurer. Le gouvernement aurait dû faire sienne cette citation de Sankara qu’il a écrit et n’a malheureusement pas pu la dire car c’était prévu pour la réunion de 20h du 15 octobre 1987 : « Quelles que puissent être les contradictions qui ont pu exister ou qui existent entre nous, elles doivent trouver et trouveront leurs solutions du fait de la confiance que nous saurons établir entre nous. Aussi, travaillons-nous à instaurer et à préserver cette confiance…» in Thomas Sankara, l’Espoir Assassiné  de Valère Somé. Et en l’occurrence, dans le cas précis, il apparait clairement qu’une solution consensuelle semblait possible comme l’a demandé la pétition. Il suffisait de décaler un peu les inhumations. Mais il semblerait que la volonté de le faire avant le FESPACO pour attirer les festivaliers a pris le dessus sur une solution consensuelle. En dehors des pressions, plusieurs réunions des familles, s’étaient terminées dans la période récente par des décisions consensuelles entre elles

Ce énième incident vient en ajouter aux polémiques, pire il fragilise la galaxie Sankariste qui souffrait déjà de dissensions à un moment où elle a besoin d’union pour affronter le volet international de l’instruction du dossier Sankara et de ses compagnons.

Guibien Cléophas Zerbo

[1] https://www.thomassankara.net/30-ans-apres-sankara-partout-sankara-nulle-part/

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