Tout se passe comme s’«ils» avaient une pierre à la place du cœur. Ils ont d’abord commencé par nier l’évidence. Non, il n’y a pas eu de coup d’Etat ! Thomas Sankara n’a pas été assassiné ! Le médecin-commandant Diébré Alidou a même établi, le 17 janvier 1988, un certificat de décès dans lequel il affirme que «Sankara est décédé le 15 octobre 1987, à 16h30, de mort naturelle». L’a-t-il fait sous la contrainte, le bout d’une kalachnikov ou d’un pistolet sous la tempe ? Question à multiples inconnues. Mais il n’y a pas que ça: ils ont aussi tenté, par tous les moyens, d’étouffer la plainte déposée par Mariam Sankara et ses enfants contre l’assassinat de «Thom Sank». Et ce n’est pas tout: n’ayant pas vu le corps de leur père après l’assassinat et n’ayant pas été à l’enterrement précipité qui s’en est suivi, les orphelins et leur mère veulent avoir la certitude que c’est vraiment Sankara qui est dans la tombe érigée par le gouvernement. Ils ont adressé, dans cette optique, une requête au président du Tribunal de grande instance de Ouagadougou, le 14 octobre 2009. Mais là aussi, le dossier est bloqué…

Les deux enfants (Philippe, 29 ans et Auguste, 27 ans) veulent une expertise par la méthode des empreintes génétiques. Ils veulent que les empreintes du corps se trouvant dans la tombe indiquée par le gouvernement au Comité des droits de l’Homme des Nations unies soient comparées à leurs empreintes. Ils tiennent tellement à la vérité dans cette affaire qu’en 2009, au moment du dépôt de leur requête en Justice, ils avaient déjà satisfait aux prélèvements biologiques nécessaires à la comparaison. Mais pour éviter toute contestation, ils ont demandé au président du Tribunal, deux choses: «Que l’expertise soit confiée à un expert ou à un laboratoire internationalement reconnu, habilité à procéder à des missions d’identification par empreintes génétiques, et que les prélèvements soient réalisés de manière contradictoire». Et comme le gouvernement burkinabè s’est dit disposé à prendre toutes les mesures nécessaires pour donner suite aux recommandations du Comité des droits de l’Homme, «il est de bonne justice de mettre à la charge de l’Etat burkinabè, les frais relatifs à cette mesure d’expertise», affirment la veuve et les deux orphelins dans leur requête. Mais depuis que la Justice a été saisie, l’affaire semble avoir été classée. «Il n’y a eu aucune suite judiciaire», confie une source proche du dossier. Et on se demande bien s’il y aura un déclic de la part du président du Tribunal. Pourtant, en avril 2006, le Comité des droits de l’Homme des Nations unies avait été clair: le Burkina «est tenu d’assurer un recours utile et effectif à madame Sankara et ses fils, consistant notamment en une reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara». Le gouvernement burkinabè avait alors affirmé qu’il «est prêt à indiquer officiellement à Mariam Sankara et à ses enfants la tombe de Thomas Sankara». D’ailleurs, il a fait un mémorandum relatif à la mise en œuvre des recommandations du Comité. Et il a même donné l’adresse de la tombe: cimetière de Dagnoën, secteur 29 de Ouagadougou.

Mais qu’est-ce qui prouve que c’est bien la tombe de Thomas Sankara ? Jusqu’à présent, personne n’a pu attester que c’est bien le corps du Président assassiné qui se trouvait dans cette tombe. Aucun de ceux qui l’ont enterré ne s’est aventuré dans cette démarche. Faisant ainsi planer le doute autour du corps qui s’y trouve. La veuve et ses enfants, en demandant l’expertise, ont voulu avoir le cœur net. Afin de s’incliner, avec assurance, sur la tombe de leur cher disparu, s’il s’avérait que c’était effectivement son corps. Mais pour le moment, leur espoir semble avoir été «pris en otage» par la Justice burkinabè.

Déjà, en novembre 2008, n’en pouvant plus, Mariam Sankara avait crié son ras-le-bol à l’occasion d’une visite de Blaise Compaoré en France. Elle avait écrit une lettre salée au Président Sarkozy. Morceau choisi: «Thomas Sankara oeuvrait pour le développement du Burkina Faso et le bien-être de son peuple. Mais méritait-il ce triste sort (son assassinat était un acte inédit au Burkina Faso) qui ne m’a pas permis , ainsi qu’à sa famille, de voir son corps, de veiller sa dépouille et de lui donner une sépulture digne. Et pour achever cet acte d’une cruauté sans nom, il m’avait été remis un certificat de décès précisant que mon mari – le Président Thomas Sankara – était mort de mort naturelle. Thomas_SankaraAvec ce qui me restait de courage, j’ai entrepris, à la limite de la prescription, une action judiciaire pour la justice et la vérité. Monsieur Blaise Compaoré, ayant une justice aux ordres, a étouffé toutes les voies de droit que j’explorais. Interdisant même à son ministre de la Défense d’ordonner l’ordre de poursuite devant les tribunaux militaires (…) Je suis une veuve qui ne pourra faire son deuil que si justice est rendue à Thomas Sankara (…)». Certes, l’acte de décès a été corrigé, mais la procédure judiciaire au plan national est au point mort. Le Comité des droits de l’Homme des Nations unies a tenu cependant à préciser ceci: «Contrairement aux arguments de l’Etat partie, aucune prescription ne saurait rendre caduque l’action devant le juge militaire». Dans tous les cas, le Comité international justice pour Thomas Sankara suit de près le dossier. Et tient Blaise Compaoré à l’œil. Ce dernier, médiateur dans le processus de résolution de la crise guinéenne, avait affirmé sur RFI, cette phrase digne d’intérêt: «Nous ne devons pas tolérer en Guinée qu’il y ait encore des discussions sur des personnes disparues dont on ne retrouve pas les corps». Le Comité justice pour Thomas Sankara avait alors rétorqué qu’au Burkina, le corps de Sankara n’avait «jamais été retrouvé». Les avocats de la famille avaient même déposé, à ce sujet, une plainte pour «séquestration». Mais le dossier est resté sans suite…

Par Hervé D’AFRICK

Source : Le reporter N° 51 du 1 au 15 aout 2010 http://www.reporterbf.net/

N’oubliez pas de signer la pétition “JUSTICE POUR SANKARA JUSTICE POUR L’AFRIQUE” à l’adresse http://thomassankara.net/?p=866

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