Thomas Sankara à la veille de sa mort : “Sortir de l’impasse”

L’article que nous vous proposons ci-dessous est d’une importance toute particulière. Il est peu connu, il s’agit du compte rendu d’une des dernières interview (si ce n’est la dernière) qu’il a accordées à un journaliste. Les propos qu’il tient viennent battre en brèche un certain nombre de critiques que continuent à lui affubler ses détracteurs. Il a été publié dans le numéro 12 daté de décembre 1987 du mensuel Arabies (pages 28 et 29). On y voit confirmer en effet que c’est bien un homme qui souhaitait l’ouverture que l’on a voulu assassiner. Que son auteur, Dominique Lacroix soit remerciée de l’avoir conservé précieusement et de nous permettre ainsi de vous le restituer. Nous nous permettons à cette occasion de lancer un appel pour que vous nous fassiez parvenir les articles anciens que vous pourriez retrouver.

Quelques semaines avant son assassinat, le chef de l’Etat se livrait à un bilan critique de “sa” Révolution. Des révélations…


“La révolution doit franchir un nouveau pas” : quelques semaines avant le coup d’Etat du 15 octobre dernier, Thomas Sankara me confiait son intention de donner un nouveau cours à sa politique. Une “rectification” avant l’heure, puisque les nouveaux maitres du Burkina, après la disparition tragique de l’ancien président, prônent aujourd’hui le retour à “la ligne juste”.

Cette volonté de Thomas Sankara de trouver des remèdes aux difficultés qui, selon lui, paralysaient le “processus révolutionnaire” n’était pas nouvelle. Déjà le 4 août dernier, lors des festivités du 4ème anniversaire de la révolution, il avait défini les priorités pour l’année à venir, soulignant l’urgence de gagner le soutien des paysans, et de remédier à la démobilisation des militants. Les remèdes ; procéder à un bilan, mettre fin aux luttes intestines en créant une organisation pluraliste. Le tout dans un climat de tolérance : “Peuple de convaincus et nous de vaincus”, soulignait-il. L’équipe aujourd’hui, au pouvoir, dirigée par Blaise Compaoré, malgré la rupture affichée avec l’ancien président, semble adopter les orientations qu’il envisageait.

Le nouveau pouvoir vient de lancer une large consultation pour établir, dans un climat de “totale liberté critique”, le bilan du Burkina depuis 1983. Seconde étape : le bilan servira à l’élaboration d’un programme auquel seront appelés à adhérer les mouvements les plus divers, même religieux, dans le cadre du Front Populaire. Bref, l’Option Sankara, même si on ne l’avoue pas. L’entourage proche de Sankara, dont une fraction l’a éliminé, n’ignorait pas que ces thèmes étaient au centre des préoccupations du président. Des thèmes qui ont été abordés lors de notre entretien.

Ainsi le fonctionnement secret de l’instance dirigeante, le Conseil Nationale de la Révolution (CNR), et les oppositions en son sein entre les tendances étaient, selon lui, appelées à disparaître. Thomas Sankara se montrait peu favorable à la création d’un parti unique dont il craignait les “effets pervers : bureaucratie et étouffement des sensibilités”. En revanche il souhaitait gagner ses amis à l’idée “d’inventer un modèle plus original”, un Front par exemple. Ce Front aurait rassemblé, autour d’un programme qui devrait être rédigé pour l’automne, les composantes du CNR et éventuellement d’autres groupes politiques qui militaient, à l’époque dans l’opposition. A terme, Thomas Sankara n’hésitait pas à imaginer une constitution pour son pays. Sa préoccupation essentielle : créer un espace de liberté où se serait exprimée l’opposition, sans pour autant lui permettre d’accéder au pouvoir, bien sur. Second objectif : remplacer les plus souvent possible la nomination des responsables par leur élection. La création d’un poste de premier ministre était envisagée sérieusement. Par ailleurs, le président défunt souhaitait une “pause”. Pas question de “renoncer aux changements, car la lutte pour le développement du Burkina est une course contre la montre”, disait-il. Mais plus de souplesse, des campagnes d’explication et même la réintégration de fonctionnaires révoqués pour “conduite contre-révolutionnaire”. Il avait déjà donné des instructions à ses ministres vers la mi-août pour procéder aux premières réembauches. Malgré la mauvaise réputation des Comités de Défenses de la révolution (CDR), unités chargées d’encadrer la population, dans l’opinion publique et même aux yeux de Thomas Sankara, celui-ci n’était pas prêt à  les désarmer.

Mais c’est surtout d'”armes politiques” qu’il comptait les équiper, par une meilleure formation destinée à gommer leur “aspect milice”. Il m’a invitée néanmoins à convenir des progrès déjà accomplis : “les exactions et les bavures se font de plus en plus rares”. Sur la plan économique, Thomas Sankara m’a fait part de ses conceptions pragmatiques. Il voulait utiliser “tous les stimulants”  pour développer son pays et donner aux burkinabé un esprit d’initiative : “Je ne suis pas hostile à la concurrence. Au contraire. Je suis pour la récompense des succès et la sanction des échecs. Il ne faut pas hésiter à éliminer les canards boiteux”. A l’objection : “Pensez-vous que les CDR d’entreprise vous laisseraient fermer un établissement de 400 salariés”?”, il répond “Oui, avec des explications accompagnées d’un plan de reconversion”.

Pour lui la bonne marche de l’économie nécessitait un “peuple en bonne santé”. D’où son attachement à une pratique de masse du sport “à la japonaise”. C’est d’ailleurs en se référant au Japon qu’il fondait ses espoirs de développement du Burkina, malgré sa pauvreté en ressources naturelles. Mais Sankara le visionnaire avouait son impuissance à résoudre d’épineux problèmes. Il n’a pas caché au cours de l’entretien son embarras au sujet des prisonniers politiques. Son souhait aurait été de les libérer, mais il n’avait pas les coudées franches. A la question “Qui a ordonné les arrestations? Vous ou d’autres”, il rétorque :” Permettez-moi de ne pas répondre.” Une façon, peut-être de ne pas raviser un conflit qui avait amené les CDR à voter la mise à mort du plus célèbre d’entre eux, Soumane Touré.

Aux critiques sur l’orientation personnel qui prenait la pouvoir, Thomas Sankara répondait qu’il y était contrait : “l’administration souffre de tares néocoloniales” et il ajoutait : “des prétendus révolutionnaires freinent notre action, y compris dans mon entourage le plus proche”. Enfin, le début d’organisation politique de la paysannerie au sein de l’Union Nationale des Paysans du Burkina (UNPB) ne lui donnait pas toute satisfaction. Le pouvoir s’était de toute évidence coupé de deux soutiens naturels : les fonctionnaires et les autorités traditionnelles. Les paysans au centre de la stratégie politique et économique, étaient eux, loin d’être acquis à la révolution. Restait l’armée. Aux rumeurs de dissensions entre lui et Blaise Compaoré, Thomas Sankara, avec un sourire triste, affirmait : “cela s’arrangera”.

Interview réalisée par Dominique Lacroix.

Cet article  a été publié dans le numéro 12 daté de décembre 1987 du mensuel Arabies (pages 28 et 29).

3 COMMENTAIRES

    • > Thomas Sankara à la veille de sa mort : “Sortir de l’impasse”
      Effectivement… J’ai questionné l’auteure de l’article mais elle a égaré l’interview originale qui n’a d’ailleurs pas été publiée en son temps.

    • > Thomas Sankara à la veille de sa mort : “Sortir de l’impasse”
      L’Afrique a vraiment perdu un grand homme le 15 Octobre 1987. Mais celui qui l’a elimine n’a pas reussi A effacer son image rayonnante. Il n’en reste pas moins qu’un TRAITRE plein de jalousie et qui a servi A torpiller la revolution burkinabe

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