Nous publions ici une série d’articles publiés dans le bimensuel  Courrier Confidentiel, signé par le journaliste Hervé d’Afrik. Ces articles reprennent en détail les faits tels qu’ils se sont déroulés le 15 octobre 1987, le jour où Thomas Sankara,  certains de ses compagnons et des soldats et gendarmes ont été assassinés.

Mais aussi il produit de nombreuses révélations sur le complot international, et donnent quelques indications sur ce que la France a fourni comme documents “déclassifiés”. Les plus perspicaces peuvent aussi en déduire, les documents qui n’ont pas été fournis. Car beaucoup des révélations ne semblent pas issus de ces documents mais plutôt d’audition ou de témoignages de Burkinabè. Ces articles contiennent de nombreuses révélations, très probablement issues du dossier judiciaire.

Rappelons que le procès devrait se dérouler d’ici la fin 2021. Et que si , le dossier d’instruction concernant les faits qui se sont déroulés au Burkina Faso, le juge Yaméogo qui a dirigé l’enquête a procédé à une disjonction afin que l’instruction sur le complot international et les implications extérieures se poursuivent. D’ailleurs au moment où nous publions ces articles, certains journaux de la presse burkinabè ont annoncé, le 25 février 2021, la livraison d’un troisième lot de documents déclassifiés provenant des archives françaises. Ces livraisons résultent d’une promesse faite par Emmanuel Macron lors de sa visite au Burkina Faso le 27 novembre 2017. 

C’est un travail de qualité que nous offre ce journaliste à l’image des meilleurs journalistes d’investigation, à travers le monde. Non seulement il lui a fallu recueillir toutes ces informations, mais il a totalement reconstitué les faits, à sa manière, rendant la lecture de ces articles particulièrement passionnantes.

Ci-dessous la liste de ces articles, avec les liens qui permettent d’en prendre connaissance. La retranscription de cet article a été réalisée par Karim Traoré de la Bola.

Assassinat de Thomas Sankara. Comment le complot a été organisé et exécuté

Assassinat de Thomas Sankara. Comment le complot a été organisé et exécuté, Acte 2

Assassinat de Thomas Sankara. Comment le complot a été organisé et exécuté, Acte 3

Assassinat de Thomas Sankara. Comment le complot a été organisé et exécuté, Acte 4

Assassinat de Thomas Sankara. Comment le complot a été organisé et exécuté, Acte 5

Assassinat de Thomas Sankara. “On a eu votre type, envoyez la musique militaire”, Acte 6

Assassinat de Thomas Sankara. « Si vous apercevez votre chef de corps, abattez-le !» , Acte 7

Assassinat de Thomas Sankara. «Je l’ai fait pour aider la veuve Sankara dans ses démarches administratives» (Alidou Diébré, médecin-militaire), Acte 8

Assassinat de Thomas Sankara. Quand Diendéré fait les yeux doux à un proche de Sankara, Acte 9

Assassinat de Thomas Sankara. Comment ils ont tenté d’étouffer le dossier judiciaire, Acte 10

La rédaction du site thomassankara.net


Assassiant de Thomas Sankara, Comment le complot a été organisé et exécuté

 

Par Hervé d’Afrik

Cette affaire brûlante, qui tient en haleine la République depuis plus de 33 ans, livre de plus en plus ses secrets. L’instruction du dossier est pratiquement terminée. Des témoins, tapis dans l’ombre depuis le coup d’Etat du 15 octobre 1987, ont parlé.

Et tout porte à croire que le complot a été articulé à plusieurs niveaux : Secrétariat du Conseil national de la révolution, gendar­merie nationale, Force d’intervention du ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité (FIMATS). Mais également à l’Escadron de transport et d’intervention rapide (ETIR). Nous avons eu accès à plusieurs témoignages.

Le climat était pourri au som­met de l’État. Et le coup était prévisible. Quelques jours avant le 15 octobre, «l’un de mes cousins, un civil, (…) a de­mandé, de façon insistante, à me voir», ra­conte un haut responsable de la Sécurité, alors proche de Thomas Sankara. «Il m’a dit d’inventer un alibi pour ne plus aller au travail à la Présidence». La raison ? «L’exécution de Sankara était imminente».

Il a même précisé que cette exécution au­rait lieu au « bureau» du Président. Autre détail : «Le commando a déjà été désigné ; et en tant que mon cousin, il tenait à m’en avertir vu que Thomas Sankara ne voulait prendre aucune disposition» face aux graves menaces qui pesaient sur lui.

Le danger était donc imminent. Et à ce sujet, un ancien militaire apporte des préci­sions : «Le 14 ou le 15 octobre 1987, le Lieutenant Gilbert Diendéré a convoqué une réunion des gradés sans ceux de la sé­curité rapprochée du Président Sankara. (…). Il a dit, au cours de cette rencontre, qu’il y avait une réunion du CNR le 15 oc­tobre à 19 h au Conseil. Que selon les in­formations, le Capitaine Sankara devait venir introduire la réunion et repartir (…) Il nous a dit que Sankara préparait un coup contre Blaise Compaoré au cours de la réunion du CNR de 19 h qui devait être exécuté par Sigué Vincent et ses hommes. Il a ajouté qu’il fallait tout faire pour éviter ce bain de sang en procédant à l’arresta­tion du Capitaine Thomas Sankara à son arrivée à 15 h (…)».

Selon ce témoin, San­kara devait être ensuite «amené en rési­dence surveillée à Pô». Mais selon des témoignages concordant, cela n’était qu’un alibi pour facilement exécuter le coup d’État. «Dans la journée du 15 octo­bre, le Lieutenant Diendéré a consigné le quartier pour pouvoir mettre à exécution son plan (…)», explique l’un des mili­taires. Et un autre d’ajouter ceci : «Il n’y avait pas d’entente entre Yacinthe et son groupe, et les éléments de Sankara. Moi j’étais isolé, j’étais aussi le beau-frère du Commandant Lingani. Ils pouvaient aussi penser que si j’étais au courant de quelque chose, je l’aurais dénoncé. Ils ont même pris des mesures contre moi au moment de l’action et j’ai été arrêté et emprisonné ».

Autre témoignage : «J’ai rencontré plu­sieurs fois Thomas Sankara (…)», confie une personnalité française au moment des faits. Ses dernières rencontres avec le Pré­sident, c’était fin septembre-début octobre 1987. «A cette date-là, dit-il, nous avons acquis la conviction que Biaise Compaoré a obtenu un feu vert d’Abidjan, voire Paris, pour assassiner Thomas Sankara.  Lorsque le Président du Faso me pose la question habituelle : «Que dit la rue ? », je lui réponds très directement : «La rue dit que Biaise va te tuer ». De mémoire, Tho­mas s’insurge. Il nous dit que Biaise n’a pas besoin de le tuer car il lui a confié sa propre sécurité. Et qu’il a même proposé de se retirer pour qu’il puisse devenir le numéro 1. Comme j’insiste en lui fournis­sant plusieurs détails qui traduisent l’ef­fervescence de l’entourage de Biaise Compaoré, il me répond, en substance, que nous voyons le mal partout et que tout se passera bien, nous n’avons rien à craindre. Mais en même temps, il nous ex­pose en une longue tirade son choix et sa volonté de ne pas faire couler le sang. Il précise : «Le jour où la Révolution fera couler le sang, nous aurons perdu (…) Mais le sang ne coulera jamais de ma main. Mon inquiétude s’aiguise lorsque Thomas me parle de son épouse Mariam et surtout de ses deux fils Philippe et Au­guste. Ceci est étonnant car le Président du Faso ne parlait jamais de sa vie privée et des siens».

A présent, c’est un journaliste français qui parle : «Le 14 octobre 1987, à la mi-jour­née, alors que je déjeunais avec des invités à mon domicile à Abidjan, le Président “Thomas Sankara m’a appelé au téléphone, sans intermédiaire ; ce qui n’était pas ha­bituel. C’était la première fois. Lorsque je prends le téléphone, je suis donc surpris, stupéfait. Je ne peux pas vous répéter au­jourd’hui exactement les paroles du Pré­sident, sauf deux mots qui sont restés gravés dans ma mémoire parce qu’ils re­venaient fréquemment : il disait sans cesse « Très mal».

Il exprimait la plus vive in­quiétude mais « à la Sankara », avec un peu de plaisanterie malgré tout. Visible­ment il ne voulait pas que je le prenne pour un appel de détresse, mais c’en était un. Il me dit en gros « Tu devrais venir très rapidement, ça va vraiment très mal ; j’ai alors décidé de me rendre à Oua­gadougou, mais sans vraiment saisir l’ur­gence extrême.

Le lendemain, en fin d’après-midi, j’apprends la mort du Prési­dent Thomas Sankara, probablement par ma Rédaction à Paris ou par les collègues de Reuters qui étaient dans le même bâti­ment que moi. J’envoie alors un message télex à la Présidence et reçois, en retour, une réponse du Capitaine Blaise Compaoré me disant de venir en dépit de la fermeture des frontières terrestres et aé­riennes.

J’arrive à Ouagadougou, le 16 ou le 17 octobre 1987 au soir, mais je penche plutôt pour le 16 octobre, à bord d’un véhicule avec trois confrères journalistes an­glophones. A la frontière, on nous laisse entrer. Le soir même, je rencontre, seul, Blaise Compaoré au Conseil de l’Entente. Je n’ai même pas eu le temps de me chan­ger. Il me parait très abattu, les traits creu­sés. Il me dit, en substance, qu’une tragé­die s’est produite, que Thomas est mort. Il ne me dit rien sur son rôle dans cette tra­gédie.”

Tout indique pourtant que le commando qui a exécuté Sankara et ses compagnons est parti du domicile de Blaise Compaoré. Un témoin clé du coup d’État en parle : ce jour-là, «vers 16h, on était au domicile de Biaise Compaoré derrière l’Assem­blée nationale. Blaise lui-même était à l’inté­rieur, dans sa maison. On jouait aux boules et au damier de­vant la porte. Kafando Yacinthe, Nabié N’Soni, Ouédraogo Arzouma dit Otis et Maiga Hamidou sont sortis de la maisonnette dans la­quelle on dormait quand on est de service et où on gardait nos affaires et qui est col­lée à la cour de Blaise Compaoré». L’opé­ration sanglante du 15-Octobre se met alors en marche.

Yacinthe Kafando or­donne à des militaires d’embarquer dans un véhicule. «Nabonsséouindé, Nacoulma Wampasba, Sawadogo Idrissa» ont immé­diatement «embarqué». Pas de temps à perdre. Il faut faire vite, très vite pour ne pas éveiller de gros soupçons. «On part au Conseil», nous a-t-il lancé. Les ordres se succèdent. «J’étais chauffeur; Yacinthe m’a dit de démarrer. Il était mon chef de bord avec Idrissa et Nabonsséouindé derrière». Et voici un deuxième véhicule qui dé­marre pratiquement au même moment. «C’est la 504 blanche de Biaise Compaoré». A bord, «Maiga Hamidou au volant (…) avec Nabié N’Soni et Ouédraogo Otis plus d’autres personnes». Les deux véhicules entrent par la grande porte du Conseil.

Le premier, avec Yacinthe aux côtés du chauf­feur, accélère et prend les de­vants. Un peu plus tard, les vé­hicules station­nent. «Les gens sont descendus», raconte le témoin. Et «pendant que je manœuvrais pour aller garer le véhicule, Yacinthe a dit «On part !».

Les voici donc qui redémarrent. «Au moment de passer devant le bâtiment où le Président Sankara était en réunion, juste après le mât du drapeau à notre droite, Maïga a virgulé avec son véhicule et est allé s’arrêter après le couloir du Se­crétariat.  Je voulais le suivre et m’arrêter derrière lui. Yacinthe Kafando m’a de­mandé “Tu pars où ?». En même temps, il a tiré sur le volant et on est allé cogner la porte du couloir du Secrétariat. Et puis du coup, les événements vont s’accélérer: Comme dans un film d’action ! Sauf que là, c’est du réel. Et dans quelques minutes le Président Thomas Sankara et douze de ses compagnons seront mortellement: fau­chés par les balles. Les assaillants étaient fortement équipés : «Nous avions tous chacun, un fusil kalachnikov avec trois chargeurs plus un pistolet automatique(PA)». Certains avaient même quatre chargeurs de kalachnikov précise le té­moin.

Et ce n’est pas tout «  il y avait d’autres armes dans le véhicule des RPG7 et des fusils mitrailleurs».

Par Hervé d’AFRIK

Source : Courrier confidentiel N° 222 du 05 janvier 2021 voir https://www.courrierconfidentiel.net/index.php/toutes-nos-editions-2/278-tous-les-numeros-de-l-annee-2021/cc-n-222-du-05-janvier-2021/2192-assassinat-de-thomas-sankara-comment-le-complot-a-ete-organise-et-execute

 

 

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