L’article ci-dessous a été publié dans e numéro 517 de l’Indépendant (voir http://www.independant.bf/) du 5 au 12 août  2003 à l’occasion du 20 ème anniversaire de la Révolution.


COMPAORÉ ET SANKARA 20 ANS APRÈS

Points communs et différences de deux révolutionnaires

 

Liermé Somé

 

Il y a 20 ans, deux amis : Blaise Compaoré et Thomas Sankara qu’accompagnaient d’autres amis, en l’occurrence le Capitaine Henri Zongo et le Commandant Boukari Jean Baptiste Lingani, s’étaient emparés du pouvoir et avaient proclamé la Révolution. Ensemble, avec des groupuscules communistes et communisants (PAI, Union des luttes communistes, etc.) ils ont géré le pouvoir jusqu’à un certain 15 Octobre 1987. Les contradictions qui s’étaient exacerbées tout au long des quatre ans ont fini par emporter la Révolution en même temps qu’elles créaient une autre classe d’hommes politiques issue d’une pâle mutation de la classe dirigeante de la période révolutionnaire qui sont aux affaires depuis 1983. Comment ont vécu les géniteurs de la Révolution pendant les quatre ans qu’a duré le régime ? Comment vivent les mêmes personnes depuis la Rectification sanglante du jeudi 15 octobre et les autres actes de rectification non moins sanglants qui ont suivi avant et pendant le processus de démocratisation du pays ? Il apparaît très clairement, à travers le nouveau comportement des anciens révolutionnaires que ceux qui ont pris le pouvoir il y a 20 ans avaient des objectifs diamétralement opposés qui faisaient d’eux des ennemis jurés dès le lendemain de la proclamation de la Révolution. Les quatre ans au cours desquels ils ont cheminé ensemble ont même trop duré ; et si le 15 octobre n’avait pas existé, il aurait été créé tôt ou tard.

Thomas Sankara, Boukari Jean Baptiste Lingani, Henri Zongo, Babou Paulin Bamouni, Ganouaga Kiemdé, etc. ont tous un point commun : ils sont tous morts et ils sont morts pauvres. Pour prendre le cas précis de Thomas Sankara que nous connaissons tous, il n’a même pas laissé une bonne maison pour sa famille. Celle-ci aime rappeler que pendant qu’il était au pouvoir, un jour de passage chez ses parents, il fut incapable de trouver une solution à un problème de 20000Fcfa qui se posait à eux. La Révolution rimait avec austérité, auto-ajustement, rigueur dans la gestion de la chose publique, lutte contre la mal gouvernance et amour du travail bien fait. Les hommes au pouvoir à cette époque avaient conscience que notre pays, le Burkina Faso, n’est pas particulièrement gâté en ressources naturelles et qu’il assure un pénible développement grâce aux maigres ressources et à la magnanimité de certains partenaires au développement. Donc il fallait faire attention ; un comportement qui était accepté jusqu’au sommet de l’Etat où les ministres, avaient comme véhicules de fonction des Peugeot 205.

Cela a eu comme avantage que notre pays, au moment où tous les autres Etats de la sous région entraient en rampant dans le cycle infernal des ajustements structurels, respirait encore une bonne santé économique. Il avait la possibilité de décider réellement de son sort économique. Ce n’est qu’en 1991 sous la Rectification que le pays fut contraint de rejoindre la horde des Etats sous perfusion de l’ajustement structurel. Et même à l’époque, selon les autorités, notre pays n’y était pas allé dans une contrainte absolue. Cela fut encore possible grâce aux retombées économiques positives de la période révolutionnaire.

Démission du régime Compaoré

En faisant des projections sur 20 ans, à quoi devait-on s’attendre si le pays était toujours géré de la même manière ? Sur le plan sanitaire, il y avait certes des actions d’éclats à fort effet d’annonces comme la construction des nombreux PSP dont la plupart a été abandonnée ou n’a pas résisté aux premières intempéries. Toutefois, il faut reconnaître que c’est pendant cette période que notre pays s’est doté du plus grand nombre d’infrastructures sanitaires, même si, il faut le reconnaître, la formation du personnel soignant n’a pas suivi ce développement spontané. Il est évident que si cet élan avait été poursuivi, en accélérant l’autre volet qu’est la formation du personnel soignant, on aurait atteint un taux appréciable de couverture sanitaire, un indicateur de développement qui compte dans le classement du PNUD sur le développement humain durable. Qu’en est-il de ce secteur actuellement ? Il faut avoir le courage de reconnaître que les autorités actuelles brillent par une démission dans le domaine de la santé.

Comme l’heure est à la course vers l’enrichissement, tous les secteurs qui reçoivent des subventions importantes sont pris d’assaut par les hommes au pouvoir et pour 100Fcfa que les partenaires au développement envoient ; c’est peut-être 10 F qui sont utilisés à bon escient. Le reste va dans les surfacturations, les pourboires, les pots de vin et autres bakchichs. Le secteur de la santé qui reçoit beaucoup d’argent à cause du Sida qui écume les populations fait partie des secteurs très convoités. Il est clair que si le Capitaine Thomas Sankara était toujours vivant, sûr qu’il aurait déjà tenté de mettre un terme à la grande pagaille qui règne dans le secteur et dont l’objectif inavoué est beaucoup plus de se faire du fric que de réellement s’occuper de la santé des populations. Depuis que le Conseil national de lutte contre le sida est rattaché à la Présidence du Faso, les critiques fusent de partout pour dénoncer ce fait. D’aucuns voient dans la manœuvre, une façon de faire main basse sur les milliards annoncés pour la lutte contre le sida.

Gaspillage de l’aide au développement

Dans le domaine de l’éducation, il y avait également des actions d’éclats pendant les premières heures de la Révolution. Il y avait surtout des erreurs, comme ce licenciement massif des 1400 instituteurs pour fait de grève. Les responsables de cette bavure politique ont sans doute tiré toutes les conséquences de leur forfait. On se souviendra cependant de l’appel de Gaoua qui a fait des propositions dans le sens d’un développement accéléré du secteur que les révolutionnaires du 4 août n’ont malheureusement pas eu le temps de mettre en application. Mais la volonté y était cependant de faire reculer et de façon accélérée, les frontières de l’analphabétisme dans notre pays.

Cela aurait eu l’avantage, avec une bonne couverture sanitaire, de nous faire avancer dans le développement humain durable. Sur ce plan, il faut le reconnaître les gouvernements successifs du régime de Blaise Compaoré n’ont rien fait d’extraordinaire malgré le soutien extérieur important dans le domaine. Comme grand soutien, il y a l’initiative PPTE (Pays pauvres très endettés) qui nous a fait bénéficié de remises de dettes qui devaient être réinvesties dans des secteurs sociaux comme l’éducation. Si on était au temps du régime du Capitaine Sankara, cet argent aurait certainement été utilisé pour plus de la moitié dans ce secteur auquel il est affecté. Malheureusement, à ce que l’on dit, ce ne serait pas la grande rigueur dans l’utilisation de ces fonds. C’est à cœur joie que des gens se sucrent au détriment des écoles qui doivent être construites pour accélérer le processus d’éducation. le PDDEB (Plan décennal de développement de l’enseignement de base au Burkina) qui vise à augmenter considérablement le taux de scolarisation d’ici 2010 risque fort de ne pas atteindre les objectifs visés à cause de la mal gouvernance qui a cours dans tout le pays. La Révolution, dans ce domaine précis, aurait sans doute mieux fait puisqu’à l’époque, la chose publique était sacrée. Pour un sou détourné, le petit fonctionnaire comme le grand courait le même risque, celui de se retrouver sans emploi.

Deux luttes, deux soutiens

Le développement, comme on peut le constater, était à notre porte. Un développement avec les moyens de bord. Les champs collectifs des fonctionnaires avaient ceci d’éducatif qu’ils galvanisaient les paysans à produire davantage. Sur le plan international, l’image de notre pays n’a jamais été aussi polie que sous le règne du président Thomas Sankara. Du Sahara Occidental en passant par Soweto en Afrique du Sud jusqu’en Namibie ou encore à Harlem aux Etats-Unis, on savait que le peuple du Burkina était en lutte aux côtés des peuples frères pour un mieux-être. Le soutien aux luttes de libération ou bien aux luttes pour la démocratie étaient sans faille et entièrement gratuit et volontaire. Sankara était sur tous les fronts. Il a combattu la dette des pays pauvres. Si celle-ci n’a pas été annulée, certains pays, pauvres parmi les plus pauvres comme le nôtre, bénéficient d’importantes remises.

De nos jours, le régime Compaoré a détruit toute la bonne image que notre pays avait à l’extérieur du Burkina. Cette destruction a été amorcée avec l’assassinat de la Révolution en 1987. Depuis, le pays connaît une profonde descente aux enfers sur le plan international. Il ne se passe plus de conflits dans un pays de la sous région sans qu’on ne soit cité comme l’instigateur. L’esprit des soutiens aux peuples en lutte n’est plus le même. On ne vole plus à leur secours pour les défendre comme ce soutien symbolique qu’ont bénéficié les Sud Africains qui combattaient l’Apartheid ; mais plutôt parce qu’il y a des diamants à extraire dans les zones en guerre ou des armes à revendre.

Révolution sanglante, démocratie sanglante

Sankara a amené la Révolution et Compaoré a apporté la démocratie. Mais en matière de violation des droits de l’homme, on ne sait pas très exactement lequel des régimes vaut mieux. La Révolution est venue avec son lot de familles endeuillées. La démocratie qui devait mettre fin aux exactions commises par ce régime, n’a pas fait mieux. On pourrait même dire que l’horreur du régime de Blaise Compaoré n’a pas d’égal dans notre pays. Car on n’a jamais vu des assassinats comme ceux de Sapouy où après les meurtres on s’est acharné sur les corps des infortunés. La liste est longue aussi bien pendant le régime de Sankara que pendant la démocratie de Compaoré.

Voici quelques noms. D’abord sous la Révolution : Colonel Didier Tiendrébéogo, Colonel Yorien Gabriel Somé, Commandant Fidèle Guiébré, commandant Amadou Sawadogo, etc. Ensuite sous le régime de Blaise Compaoré : Guillaume Sessouma, Boukari Dabo, Oumarou Clément Ouédraogo, David Ouédraogo, Norbert Zongo et ses trois compagnons de route… Pis, le régime démocratique a cultivé l’impunité dans le pays. Tous les crimes dans lesquels on soupçonne la main du pouvoir ont généré des dossiers qui sont restés pendants et personne ne peut dire quand exactement ils connaîtront des suites judiciaires. Il faudra peut-être attendre la fin du pouvoir des néo-démocrates pour espérer juger l’affaire Norbert Zongo et certainement d’autres affaires pendantes. Le pouvoir de Blaise a produit une classe de nouveaux riches qui se cachent derrière des fortunes colossales. Le pays s’enfonce certes dans la pauvreté pendant que certains individus s’enrichissent de façon éhontée. C’est la plus grande différence entre les deux régimes.

Liermè Somé

3 COMMENTAIRES

  1. > Compaoré et Sankara 20 ans après : Points communs et différences de deux révolutionnaires
    Je suis étudiant gabonais au Nicaragua. Et à chaque fois que l’on parle de l’Afrique, je me sens concerné au plus haut point. J’ai parcouru un peu l’Occident, et donc en raison de notre histoire moderne et la misère matérielle actuelle de l’Afrique, les Noirs sont les Hommes les plus négligés de la planète. On ne nous considère meme pas comme des etres humains ou des semblables. En fait, Thomas Sankara qui, pour moi, n’est pas un Burkinabé seulement, mais un Homme qui a lutté pour la dignité de toute une race. Et d’ailleurs, il n’a passé que 4 ans au pouvoir, mais il est plus connu que Bongo, qui dirige le Gabon depuis quarante ans, par exemple. En fait, Compaoré a porté un coup dur à l’Afrique et à sa diaspora qui ne s’intègre pas jusqu’aujourd’hui. Meme la mort de Compaoré ne peut pas rectifier l’acte qu’il a posé. Sankara est venu en éclaireur, il doit etre une lumière pour nous, jeunes africains et panafricanistes. Tout étudiant africain doit avoir la photo de Sankara à son chevet. Tous ceux qui ont tué Thom Sank ne fairont jamais mieux. Laissons le temps au temps!!!
    La patrie ou la Mort, nous vaincront.

    • > Compaoré et Sankara 20 ans après : Points communs et différences de deux révolutionnaires
      mon frère tu as raison. blaise n’est qu’un sanguinaire abus de matériels et de nom. sa femme l’a poussé a trahir un de ces meilleurs amis. même le père de thomas sankara (paix à son âme décédé le 04-08-2006) qui est une date très important dans l’histoire d’un pays et tout un continent, la montée de sankara au pouvoir (04-08-1984), ne croiyait pas que blaise pouvait tuer son enfant. mais c’est le .

  2. > Compaoré et Sankara 20 ans après : Points communs et différences de deux révolutionnaires
    juste pour vous dire qu’il n’y a pas de crimes de la revolution sankara sans blaise. ils sont tous co-responsables des crimes de la periode de la revolution. blaise et tous les autres révolutionnaires sont comptables des crimes des années de la révolution;mais surtout je constate que vous ne citez que vos morts ceux des petits bourgeois militaires aigris qui se sont livré à des règlement de compte sanglants pour le controle du pouvoir soit disant au nom du peuple.de tous seul sankara était vraiment pour son peuple mais sans avoir la bonne manière d’agir. que faites vous de nos morts à nous. toutes ces victimes civiles innocentes tombées sous les balles des révolutionnaires et de leurs CDR mal recrutés et formés dans la précipitation totale.si une vie n’est pas supérieure à une autre pourquoi réclamer fort justice pour vos morts militaires et journalistes et non pour les autres morts dont vous ne parlez jamais ?

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