En photo le colonel Gabriel Somé Yorian

Par Merneptah Noufou Zougmoré

On a revisité l’histoire de la crise née entre deux camps qui ont partagé le pouvoir sous le Conseil de salut du peuple (CSP). Quatre ouvrages à savoir Burkina Faso : processus de la Révolution, Voyage de la Haute-Volta au Burkina Faso, Légende et Histoire des Peuples du Burkina Faso et Ma Part de Vérité ont traité la question. Retour sur les péripéties de cette crise avec les interprétations des uns et des autres dans ce qu’ils ont consigné dans les livres pour la postérité.  

Une aile dite de Droite et une autre aile dite de Gauche de l’Armée voltaïque ont cheminé ensemble dans un projet de changement politique violent. Elles parviennent à leur dessein le 7 novembre 1982 mais le compagnonnage ne durera que quelques mois. Au sommet de l’État, il y avait une divergence fondamentale. Le camp des conservateurs représentés par Jean-Baptiste Ouédraogo, Gabriel Yoryan Somé et Jean Claude Kambouelé après la réussite du coup d’État travaillaient au retour d’une démocratie dite pluraliste et à celui des anciens politiciens balayés par le Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN) dans le paysage politique voltaïque.

Le groupe amené par Thomas Sankara avait pour ambition l’instauration d’un changement radical pour ne pas dire une Révolution dans la gestion de l’État. Une sorte de bicéphalisme est né avec à la tête de l’exécutif le président de la République dont le rôle est incarné par le médecin commandant Jean Baptiste Ouédraogo jusque-là inconnu du peuple de la Haute-Volta et le capitaine Thomas Sankara que les hauts faits de guerre pendant le conflit malo-voltaïque avait rendu populaire.

Quatre ouvrages dont les auteurs sont connus des lecteurs Burkinabè rendent compte de cette crise politique majeure qui a rythmé la vie du pays au début de la décennie de 1980. Il s’agit du Burkina Faso : processus de la Révolution de Babou Paulin Bamouni, du Voyage de la Haute-Volta au Burkina Faso d’Edouard Ouédraogo, de Légendes et Histoire des Peuples du Burkina Faso de Salfo-Albert Balima et du livre polémique Ma part de vérité de Jean Baptiste Ouédraogo. Les auteurs des deux premiers livres cités sont de la presse écrite burkinabè. Babou Paulin Bamouni qui n’est plus de ce monde a été rédacteur à l’Hebdomadaire Carrefour Africain et au quotidien d’État Sidwaya avant de se voir confier la responsabilité du Directeur général de la presse écrite du Burkina. Edouard Ouédraogo quant à lui est le fondateur du premier quotidien voltaïque vers le milieu des années 1970. Il est connu par son nom de plume Nakibeogo. Le regretté Albert-Salfo Balima a été un grand commis de l’État, fonctionnaire international. Il a par-ailleurs été Directeur de l’Ecole internationale de Bordeaux. Et le dernier sur la liste des auteurs, Jean Baptiste Ouédraogo est un des anciens présidents de la Haute-Volta et médecin-militaire de son état.

Babou Paulin Bamoni qui a été un acteur de la Révolution situe la ligne de fracture politique entre les deux fractions de l’Armée au début de la prise du pouvoir par le Conseil de salut du peuple (CSP). Mais pour lui la crise a atteint son paroxysme pendant les deux meetings. L’un a été tenu à Ouagadougou le 23 mars 1983 et le deuxième le 14 mai de la même année. Pour l’auteur de Burkina Faso : processus de la Révolution, l’instigateur principal du coup d’État du 17 mai 1983 était le chef d’État- major général de l’Armée, le colonel Yoryan Gabriel aidé à la tâche par la France. Jean Baptiste Ouédraogo alors chef de l’État n’était qu’un homme de paille. Il établit la chronologie des événements : « Après le meeting de Bobo-Dioulasso (14-15 mai 1983) auquel toutes les instances du CSP avaient assisté, les choses évoluèrent très vite au retour à Ouagadougou. Ce meeting avait nettement séparé le Chef de l’État de son Premier Ministre. Il fallait comme l’avait dit ce jour-là le Premier Ministre : « appeler un chat un chat ! » et le CSP de droite tira rapidement la leçon au détriment du CSP de la gauche. »

Toujours dans la continuité de la narration des faits, Bamouni situe l’arrivé de Guy Penne, Conseiller spécial aux Affaires Africaine de François Mitterrand le 16 mai dans la nuit à 23H50. La presse ce jour selon lui n’a pas été autorisée à l’aéroport comme cela se faisait d’habitude. « Sans rejoindre la résidence réservée aux personnalités politiques étrangères, Guy Penne alla passer la nuit au domicile de l’ambassadeur de France, c’était irrégulier. Il était arrivé avec des journalistes dits « spécialistes des problèmes africains » dans un avion spécial qui atterrit à la base aérienne et non sur la piste de l’aéroport civil. Et des journalistes avaient rapporté que lors d’un cocktail avec la presse, le 14 mai à Paris, il avait laissé entendre qu’il irait bientôt à Ouagadougou « dégommer le Premier ministre burkinabè ».

Dans Voyage de la Haute-Volta au Burkina Faso, Nakibéogo, le sobriquet d’Edouard Ouédraogo fait une autre lecture des éléments déclencheurs du 17 mai. L’auteur dans son ouvrage ne fait pas mystère de l’aversion qu’il a  contre la gauche même si selon ses dires ce camp politique, auquel il est opposé par les idées, a profité dans sa marche pour la conquête du pouvoir des colonnes de l’Observateur son journal. Dans son livre Heurt et malheur du journalisme, il ne manque pas de donner les informations sur son antagonisme contre cette gauche depuis les bancs de l’Université de Dakar, ou il a fait des études des Lettres.

La justification qu’il donne sur la chienlit qui a occasionné la crise au sein du CSP est que « … Tout avait été mis en œuvre pour qu’au terme de sa visite, Kadhafi sût qui était réellement l’homme fort de la Haute-Volta. » Dans la suite de son explication de la crise née au sommet de l’État le « Nakib » ajoute que « Cette stratégie d’érosion de la crédibilité de Jean Baptiste Ouédraogo connaitra son couronnement deux semaines plus tard. Ce fut le 14 mai 1983, place Tiefo Amoro de Bobo-Dioulasso. Le CSP, sous l’instigation de son aile radicale y tient son deuxième meeting dédié à la jeunesse. Ni la date, ni le thème, ni même le lieu n’avaient été choisis au hasard. » Il poursuit : « Pour la date par exemple, retenons que le meeting intervenait une semaine après l’officialisation du programme du CSP. A cette occasion, Jean Baptiste Ouédraogo, sur un ton et un fond rassurants avait tenté de recentrer l’orientation du régime. Par sa pondération, son message tranchait avec le discours idéologique de l’autre bord qui exaltait la lutte des classes et qui reprenait à son compte la terminologie stalinienne « d’ennemis du peuple ».

Pour le fondateur de l’Observateur, devenu à sa renaissance après l’incendie de son imprimerie dans les 90, L’Observateur Paalga, le discours sur le retour de la Haute-Volta à la vie constitutionnelle rassurait les couches modérées et les forces traditionnelles mais inquiétait en revanche les partisans d’un changement radical.  C’est   ainsi que : « … pour conjurer un tel danger et réaffirmer l’option du CSP pour un régime de type nouveau, que le meeting fut convoqué. La veille une rencontre avait eu lieu de toutes les associations de jeunesse du pays. Leur ministre de tutelle, le Lipado-PAI Ibrahima Koné, déploiera ses talents de grand organisateur en la circonstance. Car tout fut savamment mis au point. »

L’analyse d’Albert-Salfo Balima dans son ouvrage Légendes et Histoire des Peuples du Burkina Faso n’est pas différent d’Edouard Ouédraogo. Ils semblent être de la même chapelle politique. Edouard se décrit comme étant un libéral humaniste. Les deux auteurs se distinguent des partisans de ceux qu’ils désignent comme étant les adeptes de la table rase. Balima sous la Révolution a eu un contentieux avec le président Thomas Sankara qui l’a fait remplacer à la direction de l’École internationale de Bordeaux par un certain Youssouf Diawara. Son ouvrage assez complet sur l’Histoire politique du Burkina Faso a également été préfacé par Blaise Compaoré. D’aucuns n’hésitent pas à établir le lien entre ces faits et les analyses à charge qu’il fait du règne de Sankara depuis le CSP jusqu’aux événements d’octobre 1987. Pour Albert-Salfo Balima : « N’approuvant pas la conduite du chef de l’État, excédé, le colonel Somé, chef d’état-major depuis le 16 juillet 1982, voyant la situation dramatique qui se nouait, agacé par les insultes que ses adversaires lui prodiguaient, décida de réagir sans consulté le chef de l’Etat jugé pusillanime, hésitant et passif. Jean Baptiste Ouédraogo était-il un complice des enragé ? Non à coup sûr. Il était seulement conscient et trop conscient de sa faiblesse et de sa solitude. »

L’un des acteurs majeur de l’époque, l’ancien président Jean Baptiste Ouédraogo dont la sortie du premier tome des mémoires a occasionné une polémique dans l’opinion revient amplement sur les événements du 17 mai dans son ouvrage. Il soutient que : « Le capitaine Blaise Compaoré qui avait également été ciblé, a échappé au coup de filet parce qu’il n’était pas encore rentré de Bobo-Dioulasso après le meeting du 14 mai. Il parviendra, grâce à son flair de commando, à rejoindre son unité de Pô par des chemins détournés. » Il assure en outre que : « Pendant ce temps, trois officiers se retranchent avec trente- cinq (35) hommes au camp Guillaume Ouédraogo. Il s’agit du capitaine Henri Zongo et des lieutenants Boukary Kaboré et Gilbert Diendéré. Ils se rendront à 23 heures 30. Les officiers rejoindront leur domicile tandis que les hommes seront désarmés et passeront la nuit au Groupement blindé. »

Le 17 mai 1983 au petit matin, les blindés encerclent les domiciles du chef de l’État Jean Baptiste Ouédraogo et du Premier Ministre Thomas Sankara. Contrairement à Sankara le président Jean Baptiste Ouédraogo n’est pas inquiété. Le leader de l’aile gauche de l’Armée, à savoir Sankara, et le secrétaire permanent du CSP son allié Jean-Baptiste Boukary Lingani sont arrêtés. Ils seront l’un interné à Ouahigouya et l’autre à Dori. Pendant la période qui suit, des tractations sont menées en vue de trouver une solution à la crise. Mais auparavant des manifestations de des militants acquis à la cause de l’aile gauche de l’Armée avaient éclaté à Ouagadoudou. Dans Burkina Faso : processus de la Révolution, l’auteur indique que : « Les élèves des lycées et collèges de Ouagadougou donnèrent le ton le 20 mai par une marche imposante à travers les grandes artères de la capitale pour dénoncer le putsch et l’impérialisme, en exiger la libération du capitaine Thomas Sankara et du commandant Lingani. Les 21 et 22 ce furent les hommes et femmes qui descendirent dans les rues pour la même cause et les mêmes exigences. Les putschistes paraissaient désemparés devant la situation qui leur échappait. »

La conviction d’Edouard Ouédraogo quant à la chance qui s’offrait aux révolutionnaires dans Voyage de la Haute-Volta au Burkina Faso se veut plus précis : « Du 17 au 18 mai, Henri Zongo donnait déjà le ton en se retranchant avec quelques partisans au Régiment du commandement et de soutien du camp Guillaume Ouédraogo. Il n’en sortira qu’après moult tractations qui présageaient déjà l’esprit capitulard qui animait certains acteurs du 17 mai et dont on verra plus loin les conséquences. » Pour le premier responsable de l’Observateur Paalga : « Après le baroud d’honneur et la reddition qui s’en suivit, deux autres chances s’offraient aux révolutionnaires pour faire échec au coup de force qui venait de neutraliser leur héros éponyme. » Pour Nakibeogo, «La première, c’était le charisme de Thomas Sankara, l’enthousiasme messianique qu’il avait répandu dans le milieu scolaire et du lumpen-prolétariat des villes. Moins que l’idéologie marxiste qui s’avançait encore masquée, c’était le personnage qui les fascinait jusqu’à l’idolâtrie. La seconde chance était militaire, à savoir l’ « hégire » d’un certain Blaise Compaoré vers ce qui deviendra la Mecque de la Révolution, Pô. »

C’est Ma Part de Vérité, le tome1 des mémoires de Jean-Baptiste Ouédraogo qui revient longuement sur les tractations dans l’objectif de la résolution de la crise de mai 83. Les deux autres ouvrages Burkina Faso : processus de la Révolution et Légendes et Histoire des Peuples Du Burkina Faso n’en font pas tellement cas. Un résumé succinct se trouve dans le livre d’Edouard Ouédraogo, Voyage de la Haute-Volta au Burkina. Le président Jean-Baptiste Ouédraogo se convainc. Edouard Ouédraogo a privilégié le dialogue. « En mai-août 1983, Jean-Baptiste Ouédraogo privilégia, lui, la négociation, son souci étant alors que les militaires voltaïques ne versent pas le sang d’autres voltaïques. Cette attitude d’homme de Dieu plutôt que d’homme d’État, profitera ô combien, à ses adversaires. »

L’une des mesures d’apaisement a été le remplacement de Yoryan Gabriel Somé à l’état-major de l’Armée par Tamini Yaoua Marcel. Yoryan était indexé comme étant le nœud de la crise.  Le 28 juin 1983 à l’occasion d’une conférence de presse Jean Baptiste Ouédraogo déclarait : « Je suis satisfait de pouvoir vous dire que tout est rentré dans l’ordre. L’unanimité s’est dégagé pour faire table rase de la crise que le pays venait de vivre. Lors de ces retrouvailles. Il a été question de fixer les modalités pratiques au nombre desquelles les dispositifs de combat qui avaient été déployés de part et d’autre soient levés ainsi que les armes brandies, rengainées. » Le commentaire à propos du ton rassurant de Jean Baptiste Ouédraogo d’Edouard était ceci : « Bien. Mais si Ouagadougou avait rengainé. Pô ne rengainera jamais. Tant et si bien qu’à mesure que les jours passaient, l’atmosphère d’incertitude et de péril qui s’était saisie du pays depuis le 17 mai 83 s’épaississait à couper au couteau. » La suite a été l’avènement du 4 Août 1983 avec le triomphe du camp de la gauche dans l’Armée et leurs alliés civils.

Merneptah Noufou Zougmoré

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