Cet article paru en octobre 2006 dans le bimensuel burkinabè l’Evènement revient longuement sur la gestion des rapports avec les syndicats durant la révolution.

A noter que le journal livre avec l’article une pièce de tout premier plan à savoir un décret de 1984 demandant de reprendre les fonctionnaires et agents de l’État “dégagés”, que nous vous reproduisons à la fin de l’article. Reste à préciser quelles sont les personnes concernées par ce décret. Il ne s’agit en tout cas pas alors des instituteurs licenciés après la parution de ce décret puisque leur grève a éclaté en avril 1984.

La rédaction


Le Conseil National de la Révolution (CNR) a eu maille à partir avec les syndicats dès son avènement. Le Syndicat National des Enseignants Africains de Haute-Volta (SNEA-HV) a annoncé les couleurs aux premiers moments de la Révolution en condamnant la prise du pouvoir par les révolutionnaires. Alors qu’on savait que ce syndicat était un appendice du Front Patriotique Voltaïque (FPV) du professeur Joseph KI Zerbo. Il s’en est suivi un mot d’ordre de grève lancé par ce dernier. Les autorités du nouveau régime ne prendront pas de gants pour y répondre. Le 9 mars 1984 plusieurs milliers d’enseignants sont licenciés pour fait de grève. La nouvelle est tombée comme un couperet. Parce que explique Fidèle Toé, des missions étaient sorties mettre en garde les enseignants que les objectifs du SNEA-HV n’étaient pas corporatistes mais politiques.

Selon un acteur de la Révolution, c’est le commandant Jean Baptiste Boukary Lingani lors d’une réunion qui a exposé le caractère putschiste de la démarche du SNEA-HV. Il aurait dit que le syndicat a reçu de l’argent de l’extérieur pour mener cette campagne de déstabilisation. Face à une telle situation, le pouvoir a pris ses responsabilités. Par la suite on a voulu progressivement reprendre les enseignants mais il y avait des faucons qui s’opposaient à leur reprise. En février 1984 un décret signé par le président Sankara, (décret n°83-039/CNR/PRES/MF) annulait les deux décrets (83-220 et 83-231 des 23 et 29 novembre 1983, relatifs aux dégagements et aux mises à la retraite d’office de fonctionnaires et agents de l’Etat). Ce décret ne sera jamais appliqué (voir encadré). Pour quelle raison ? Il faut souhaiter qu’un jour les protagonistes vivants s’en expliquent. Au lieu de la mise en application de ce décret, ce sont 2000 nouveaux enseignants qui seront recrutés.

L’organisation syndicale qui s’entendait avec les nouvelles autorités, c’est la Confédération Syndicale Burkinabè (CSB) qui était le bras droit du CNR grâce à son secrétaire général, par ailleurs militant du PAI. Soumane Touré puis que c’est de lui qu’il s’agit. Pendant le temps que le PAI était avec le CNR, la CSB a été d’une certaine façon son bras armé syndical. Puis vint la rupture, après l’éjection du PAI/LIPAD du CNR. Dès lors la CSB prend la tête de la fronde syndicale contre le pouvoir révolutionnaire. Soumane Touré, le secrétaire général de ce syndicat, engage une guerre ouverte contre le CNR et son président. Il a pu ainsi déclarer que :” Si on décide d’abattre le régime de Thomas Sankara il ne tiendra pas un mois. Il le sait très bien. Le moteur de cette Révolution se trouve dans les centrales syndicales. ” Le CNR tiendra plus d’un an, mais la prédiction de Soumané Touré se réalisa quand même. Mais entre temps Soumane Touré a eu le temps de croupir en prison. Et d’aucuns disent qu’il doit la vie sauve à Sankara, dont il a été un ami d’enfance. Les CDR étaient eux décidés à avoir sa tête. Il servit un spectacle pendant une assise des Tribunaux Populaire de la Révolution (TPR) lorsqu’il s’écria qu’il y a des détournements même au sein du CNR.

Une commission d’enquête entre temps a été mise en place pour vérifier la véracité des dires de Soumane. On apprendra plus tard que l’intéressé a fait son méa-culpa en arguant qu’il s’était prononcé sous le coup de la colère. Les autorités et les CDR taxeront les syndicalistes à cette époque d’anarcho – syndicalistes. Pour beaucoup de militants de ces organisations de travailleurs, ça été une période difficile. Fidèle Toé avoue que les syndicats n’ont pas bien accueilli l’immixtion des CDR dans les entreprises. Etre syndicaliste n’était pas obligatoire à l’époque, par contre chacun se devait de participer aux activités des CDR. Le Comité de Défense de la Révolution avait un avantage à cette époque. Il avait une vision. Alors que les syndicalistes eux ne voulaient pas qu’on touche à leurs avantages sociaux. Le CNR voulait que les travailleurs acceptent faire des sacrifices pour la construction du pays. Des frictions étaient donc inévitables.

Sur le plan de la vision politique, beaucoup s’accordent à dire que Sankara était en avance sur ses camarades. C’est pour cela qu’il était tatillon sur certains aspects de la culture. Une anecdote racontée par Denis Bétio Nébié de l’Institut des Peuples Noir (IPN) une des œuvres culturelles de Sankara : pendant qu’il travaillait à l’Institut National de l’Alphabétisation et de Formation des Adultes (INAFA) le Président du CNR a demandé de traduire le Ditanyè, l’hymne national, dans les langues nationales. A l’époque, les responsables à qui on avait confié ce travail croyait que c’était un moyen de les faire partir de leur poste. Puisque le délai imparti était court. On a mobilisé toutes les ressources humaines en la matière et en l’espace de trois semaines, l’hymne national a été traduit en 12 langues. Pourtant beaucoup se demandaient comment traduire la férule humiliante en mooré. Ce qui a entravé l’existence de la Révolution, pour certains acteurs, c’est la non assimilation du capital culturel par les révolutionnaires du 4 Août.

Sankara semblait être le seul à s’intéresser à cet aspect des choses, les autres n’étaient que des “situationnistes”. Alors que Lénine avait bien prévenu : “Vous commettez une erreur si vous concluez qu’on peut devenir communiste sans avoir assimilé ce que les connaissances humaines ont accumulé. Il serait erroné de penser qu’il suffit d’assimiler les mots d’ordres communistes et les conclusions de la science communiste sans assimiler la somme de connaissances dont le communisme est lui-même la conséquence.” Lénine continue : “La culture prolétarienne ne surgit pas toute faite d’on ne sait d’où, elle n’est pas une invention d’hommes qui se qualifient de spécialistes en la matière. Pure absurdité. La culture prolétarienne doit apparaître comme le développement naturel de la somme des connaissances élaborées de l’humanité“. La Révolution d’Août qui était composée essentiellement de marxistes n’a pas intégré cette réflexion. Ces acteurs se sont fatalement empêtrés dans des querelles d’étudiants, derrière lesquelles étaient à peine masquées des ambitions personnelles.

Merneptah Noufou Zougmoré

Source : l’Evènement N° 101 du 10 octobre 2006 http://www.evenement-bf.net/pages/dossier_2_101.htm

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