par René OTAYEK

Au rebours des théories de la modernisation politique dominantes il y a quelques années, l’idée selon laquelle le politique ne se décline pas sur un registre unique en tout lieu et dans toutes les société s’imposent aujourd’hui comme une évidence en science politique. L’approche qui en découle, qu’on l’appelle historicité ou sociologie historique, trouve son originalité dans le refus des schémas explicatifs préfabriqués, totalisants, abstraits, souvent stérilisants, au bénéfice d’une appréhension du réel prenant en compte la spécificité de chaque trajectoire de changement et la singularité de son contenu [[B. BADIE, Culture et politique, Paris, Economica, 1986, p. 61.]]. C’est dire que l’étude du politique dans les sociétés non occidentales ne saurait plus se dispenser de réfléchir sur ce qui, dans les discours et les pratiques autochtones, fait véritablement sens pour les acteurs sociaux. Pour « compréhensive » qu’elle soit, la démarche est difficile, ne serait-ce que parce qu’il est difficile de déchiffrer le système de sens de l’autre avec son propre système de sens. Elle l’est aussi dans la mesure où le risque existe de verser dans une sorte de culturalisme exotique excluant toute explication globale. Restituer leur capacité de « dire du politique » aux procédures, parfois anodines en apparence, par lesquelles les dominés pensent et expriment leur rapport à la domination implique donc, en suivant la démarche que propose B. Etienne[[B. ETIENNE, « La moelle de la prédication. Essai sur le prône politique dans l’Islam contemporain », Revue française de science politique, XXXÏÏI (4), août 1983, p. 704, n. 1.]], de tenir compte de ce qui fait sens pour l’autochtone tout en ayant recours, pour faciliter la compréhension, à des catégories analytiques générales.

De ces procédures de fabrication de sens, le religieux est aujourd’hui le principal pourvoyeur en terre d’islam comme en Afrique noire (et sans doute ailleurs), à la fois « en tant qu’épistèmè donnée et… réservoir de représentations symboliques et d’expériences historiques[[J.-F. BAYART, « Islam pluriel et passage au politique », Bulletin de liaison des MPAP (Modes populaires d’action politique), CERI, n° 3, septembre 1984, p. 2.]] ». De ce point de vue, et compte tenu de la généralisation des situations autoritaires, le langage religieux acquiert une signification essentiellement politique dans la mesure où il exprime la contestation de la domination symbolique, pour parler comme P. Bourdieu[[P. BOURDIEU, Ce que parler veut dire, Paris, Fayard, 1982.]], en tant qu’un des « sites de construction de l’ordre et de l’hégémonie[[J.A. MBEMBÉ, Afriques indociles. Christianisme, pouvoir et État en société postcoloniale, Paris, Karthala, 1988, p. 29. Bien que traitant dans cette communication du discours islamique, nous ne nous croyons pas dispensé de prendre aussi en compte les expériences chrétiennes d’énonciation du politique en tant que phénomène d’« insubordination symbolique » dans une « économie de la domination », notions remarquablement bien étudiées par J.A. Mbembé dans cet ouvrage.]] ».

Partant de ces analyses, que nous ne faisons qu’esquisser ici, il nous a paru intéressant de nous interroger sur la manière dont des musulmans ont « lu » le processus révolutionnaire amorcé au Burkina Faso avec l’accession au pouvoir de Thomas Sankara le 4 août 1983. Formuler ainsi notre problématique, c’est, on l’aura compris, considérer, a priori, qu’aujourd’hui l’islam au Burkina se constitue en système de sens, en corpus référentiel à l’aune duquel a été pensé, et, parfois, repensé l’ordre politique et social voulu et partiellement mis en place par le CNR (Conseil national de la révolution) ; c’est aussi, implicitement, prétendre que l’islam au Burkina, contrairement à ce que pourrait laisser croire une approche superficielle, ne relève pas — ne relève plus seulement — du domaine privé de la foi. Son expansion, son surgissement dans les débats entre musulmans d’une part, entre la communauté musulmane et l’instance étatique d’autre part, les questionnements qu’en son sein a soulevés l’évolution socio-politique du pays depuis le 4 août enfin, font de l’analyse du discours islamique l’un de ces sites qui, pour « improbables »[[ J.-L. DOMENACH, « Chine, la victoire ambiguë du vieil homme », Revue française de science politique, XXXV (3), juin 1985, p. 375.]] qu’ils apparaissent à première vue, n’en sont pas moins des sites où se lisent les rapports de pouvoir et de domination, la tension entre l’ordre idéal islamique et l’ordre nécessaire[[Selon l’expression de B. BADIE, Les deux États. Pouvoir et société en Occident et en terre d’Islam, Paris, Fayard, 1986.]].

Réfléchir sur renonciation islamique du politique[[Pour une approche théorique du concept, cf. J.-F. BAYART, « L’énonciation du politique », Revue française de science politique, XXXV (3), juin 1985, pp. 343-373.]] au Burkina implique naturellement la prise en compte analytique de l’ensemble du champ politique et social et des profondes transformations qui l’ont affecté depuis 1983. Par les bouleversements que son cours a provoqués, la RDP (Révolution démocratique et populaire) a activé ou réactivé des pratiques, individuelles ou collectives, de positionnement par rapport au projet révolutionnaire : stratégies diverses, confuses, contradictoires, d’accommodement, d’évitement ou de subversion de l’ordre étatique nouveau. L’« insubordination symbolique[[J.A. MBEMBÉ, op. cit., p. 15.]] » — recrudescence de la sorcellerie, réveil du christianisme et de l’islam — est devenue la marque d’une société désarticulée qui ne se reconnaît guère dans les valeurs fondant le projet révolutionnaire[[Nous ne pouvons ici expliquer en détail ce que fut le projet politi¬que et social du CNR. Nous renvoyons pour cela à notre article « Burkina Faso : Between Feeble State and Total State, thé Swing Continues», in D.B. CRUISE O’BREIEN, J. DUNN et R. RATHBONE (éds.), Contemporary West African State, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, pp. 13-30 ; c f. également Politique africaine, 20, décembre 1985 (« Le Bur¬kina Faso »).]].

L’analyse du discours islamique — ou, plus précisément, d’un certain discours islamique, comme nous le montrerons — est intéressante dans la mesure ou elle révèle une tentative (parfois maladroite au point de pouvoir être qualifiée de bricolage) de conceptualisation du politique à la lumière des enseignements du Coran, dans un pays pourtant réputé, mais à tort, peu islamisé. Cette tentative est donc significative des mutations sociologiques et idéologiques qui affectent l’islam au Burkina. L’identification des « porteurs » du discours[[Expression empruntée à B. ETIENNE, art. cit., P. 707]] suggère en effet qu’on est en présence d’une catégorie particulière de musulmans — des intellectuels — aspirant au leadership moral de leur communauté. Appréhendée du point de vue de ses principaux initiateurs, la relecture islamique du projet révolutionnaire dévoile tout son caractère ambigu, polysémique.

D’une part, cette relecture met en évidence ce processus d’émergence d’une couche de nouveaux clercs prétendant s’arroger le droit de « dire » ce que doit être la voie ; en jouant simultanément et alternativement sur deux registres discursifs, l’islamique et le révolutionnaire, ceux-ci se mettent en situation de médiateurs entre le pouvoir et leur communauté. D’autre part, elle amplifie les luttes d’influence doctrinales, politiques, générationnelles, qui sont aussi des luttes de légitimité, parcourant le champ islamique, pour le monopole de la production et de la gestion des biens de salut[[P. Bourdieu, « Genèse et structure du champ religieux », Revue française de sociologie, n° 12, 1971, pp. 295-334.]]. Enfin, cette démarche formalise en le dramatisant le besoin des musulmans de se resituer idéologiquement par rapport à l’œuvre d’homogénéisation politique et sociale du CNR et des contraintes ; symboliques et physiques, en découlant ; démarche bivalente, reflétant dans un même mouvement la volonté des musulmans de trouver leur place dans les nouvelles structures de domination et le souci de préserver leur identité. Au total, cette relecture islamique du projet révolutionnaire renvoie à l’essence même du débat politique actuel en islam : quelle modernité[[Sur le débat concernant la modernité en islam, nous renvoyons à B. BADIE, Les deux États, op. cit., et à B. ETIENNE, L’islamisme radi¬cal, Paris, Hachette, 1987.]] ? Débat qui ne fait certes que s’amorcer au Burkina, mais qui souligne d’ores et déjà l’irréductibilité l’un à l’autre de deux projets : celui de Dieu — la Cité musulmane idéale — et celui des hommes — l’idéal modernisateur occidental des artisans du coup de force du 4 août 1983, sur la base d’une idéologie égalitaire, populiste et, en dernière analyse, très jacobine.

1. Le contexte : révolution et islam au Burkina

Pour bien comprendre ce que signifie la relecture islamique du projet révolutionnaire du CNR, il est nécessaire, au préalable, de présenter rapidement ce projet et de replacer dans son contexte l’évolution de l’islam au Burkina.

En résumant à outrance, on peut dire que l’avènement du régime Sankara constitua la première véritable fracture dans l’évolution politique du Burkina indépendant. Il n’est pas question de réécrire ici une histoire maintes fois racontée, et souvent bien racontée[[Citons entre autres A.S. BAUMA, Genèse de la Haute-Volta, Ougadougou, Presses africaines, 1970 ; Ph. LIPPENS, La république de Haute-Volta, Paris, DAP, Berger-Levrault, 1972 ; A. NBOEMA, « Évolution du régime politique de la Haute-Volta depuis l’indépendance », thèse pour le doctorat d’État en droit public, université de Poitiers, faculté de droit et sciences sociales, 1979 ; K. SANDWIDI, « Les partis politiques en Haute-Volta », thèse pour le doctorat en politique et droit du développement, université de Poitiers, institut de politique et droit du développement, 1981 ; C. SAVONNET-GUYOT, État et sociétés au Burkina. Essai sur le politique africain, Paris, Karthala, 1986.]]. Une comparaison rapide entre ce régime et ceux qui le précédèrent entre 1960 et 1983 montre que la différence essentielle entre eux résidait dans leur rapport à la société civile. Alors que, sur la base d’un système clientéliste et néo-patrimonial, tous les régimes qui le précédèrent, hormis ceux de Maurice Yaméogo (1960-1966) et de Saye Zerbo (1980-1982), favorisèrent une intégration « en douceur » de la société civile et de ses principales institutions (chefferie coutumière, autorités religieuses, syndicats) dans la sphère de l’État, celui de Thomas Sankara privilégia un mode d’intervention direct marginalisant les appareils idéologiques intermédiaires et visant le démantèlement ou la domestication des institutions de la société civile et leur inscription autoritaire dans l’espace de la domination[[Cette esquisse d’analyse demande à être développée, précisée et nuancée, notamment en ce qui concerne le régime du colonel Saye Zerbo (1980-1982), dans l’essence duquel pouvait se lire « en pointillé » une virtualité totalisante dont la comparaison avec le CNR serait certainement suggestive ; cf. à ce sujet C. SOME, Haute-Volta : bilan de la politique de redressement national amorcée le 25 novembre 1980, Bordeaux, CEAN, « Travaux et documents », n° 2, 1983.]]. En accord avec la mission modernisatrice dont il se croyait investi, le régime du CNR prétendait pénétrer toutes les sphères de la société pour y imposer partout ses références culturelles et idéologiques au nom d’un impensé pourtant évident : la destruction de l’ordre ancien et la « civilisation » de la société, fût-ce à son corps défendant[[Pour une analyse plus argumentée, cf. notre article cité n. 10 t cf.: également P. LABAZEE, « La voie étroite de la révolution au Burkina »; Le monde diplomatique, février 1985, pp. 12-13 ; P. ENGLEBERT, La révo¬lution burkinabé, Paris, L’Harmattan, 1986 (Coll. « Points de vue ».]].

La chute du CNR et la mort de son président, le 15 octobre 1987, ont dramatiquement illustré la vanité de ce projet et son échec ultime[[Sur cet épisode, cf. R. OTAYEK, « Quand le tambour change de rythme, il est indispensable que les danseurs changent de pas », Politique africaine, n° 28, décembre 1987, pp. 116- 123 ; P. LABAZEE, « L’encombrant héritage du capitaine Sankara », Le monde diplomatique, novembre 1987, p. 15.]]. Mais, pour brève qu’elle fût, l’action du régime révolutionnaire n’en a pas moins abouti à la déstabilisation profonde des systèmes de sens dans lesquels la société se reconnaissait. La dénonciation véhémente de l’autorité coutumière et la tentative de son élimination par l’instauration des CDR (Comités de défense de la révolution), la critique, tantôt violente, tantôt plus feutrée, de la religion, la volonté de caporalisation des syndicats, de la jeunesse, des femmes, la consécration d’une unique parole autorisée sur la société, tout cela, combiné avec les frustrations nées d’attentes déçues, a contribué à générer ce que M. Rodinson appelle une situation de « désespoir idéologique généralisé [[In « L’intégrisme musulman et l’intégrisme de toujours », Raison présente, n° 72, 4e trimestre 1984, cité par B. BADIE, Les deux Etats, op. cit., p. 264.]] » propice à la résurgence des phénomènes de dissidence symbolique.

Dans le même temps, l’instance la plus représentative des musulmans, la CMB (Communauté musulmane du Burkina), continuait de se débattre dans sa propre crise, amorcée bien avant la prise du pouvoir par le CNR[[R. OTAYEK, « La crise de la Communauté musulmane de Haute-Volta. L’islam voltaïque entre réformisme et tradition, autonomie et subordination », Cahiers d’études africaines, XXXTV (3), n° 95, 1984, pp. 299-320.]]. Bien qu’ayant donné lieu à de multiples manipulations politiques extraislamiques (dont, bien sûr, celles du pouvoir), cette crise s’explique d’abord par les changements sociaux qui ont affecté la umma. Depuis sa création au début des années 1960 et pendant près de vingt ans, la direction de la CMB a été monopolisée par l’association des cadres « modernistes » et des représentants du courant traditionaliste. Les premiers étaient majoritairement d’anciens agents de l’Administration recrutés avant ou après l’indépendance ; formés à l’école française, imprégnés de culture occidentale, ces cadres se réclamaient de l’UCM (Union culturelle musulmane), organisation réformiste née dans les années 1950 et qui avait essaimé un peu partout dans l’ex-AOF (Afrique occidentale française). Rationaliste, leur discours s’articule sur le thème de la rénovation des pratiques cultuelles au nom d’une meilleure articulation de l’islam sur la modernité. Les seconds, constitués par les imams et les marabouts parmi les plus influents, sont plutôt les interprètes de ce que, avec infiniment de prudence, on peut appeler les pratiques populaires de la foi. Représentatifs des milieux ruraux, ils tirent leur légitimité de leur statut de dépositaires de la tradition.

L’association de ces deux forces au sommet de la CMB résista vaille que vaille jusqu’à la fin dés années 1970 ; jusqu’au moment où une succession de scandales financiers révéla les tensions en les exacerbant. De réconciliations éphémères en compromis boiteux, d’interventions maladroites en manipulations du pouvoir politique, la crise suivit une courbe ascendante, culminant en août et septembre 1986 avec un schisme en bonne et due forme, chacune des deux tendances organisant son congrès, créant son bureau exécutif et revendiquant pour elle la légalité et la légitimité[[Pour de plus amples détails sur les origines de la crise, cf. notre article cité n. 10 ; nous en proposons une actualisation dans « Burkina Faso ; sous la révolution, l’islam», in Ch. COULON et D.C. O’BRIEN, Les communautés musulmanes et l’État en Afrique noire (titre provisoire, à paraître).]].

La question de la représentativité se posait — se pose toujours, d’ailleurs — de manière cruciale dans la mesure où, par-delà ses aspects doctrinaux, voire parfois personnels, le conflit est éminemment politique. L’enjeu véritable en est le rapport au pouvoir et le contrôle des ressources que chaque tendance est à même de mobiliser pour se poser comme son interlocuteur privilégié, fondé à parler au nom des musulmans[[R. OTAYEK, « La crise de la communauté musulmane… », art. cit., pp. 311-318 notamment.]].

Mais la conséquence la plus notable de cette, lutte pour la direction de la umma a été la décomposition inexorable de l’autorité morale du leadership de la CMB, « modernistes » et traditionalistes confondus. L’étalage des différends sur la place publique, les accusations, les insultes, les calomnies réciproques déversées dans les médias (la radio surtout), le spectacle de la fitna (division) et son exploitation par le pouvoir politique en vue d’accentuer son contrôle sur la CMB, le sentiment que, ce faisant, on laissait le champ libre à l’Église catholique, puissante et unie, tout cela a d’abord semé le trouble parmi les musulmans, avant de susciter un mouvement de défiance à l’égard des directions actuelles et un appel à la réunification et à la purification de l’islam[[R. QTAYEK, « Burkina Faso : sous la révolution l’islam » (à paraitre, art. cité.]].

Réformiste à la fois au sens étymologique du terme et dans son acception islamique, ce mouvement est lancé par un catégorie bien définie de musulmans : il s’agit majoritairement de jeunes intellectuels, d’universitaires ou d’entrepreneurs du secteur « moderne », relativement affranchis des réseaux clientélistes traditionnels dominés par les gros commerçants mossi ou dyula, très influents dès les origines au sein de la CMB. Issus indistinctement d’universités Francophones ou arabes, ces réformistes ont en commun le rejet des directions actuelles qu’ils jugent corrompues et compromises, et surtout la volonté de régénérer l’islam pour lui donner, enfin, la place qu’ils estiment lui revenir sur le plan politique et social.

Nous touchons là, en fait, au problème central qu’affronte l’islam. L’islamisation de l’espace culturel qui porte aujourd’hui le nom de Burkina Faso, en ce qu’elle a eu de singulier, a produit un «modèle» qu’on ne retrouve guère ailleurs en Afrique sahélienne. Longtemps minoritaire[[Actuellement, le nombre des musulmans est estimé entre 40 et 45% de la population. Pour une histoire de l’islamisation, cf. É.P.SKINNER : Les Mossi de la Haute-Volta, Paris, les Éditions internationales, 1972 ; du même auteur, «Islam in Mossi society », in I.M. LEWIS, Islam in Tropical Africa, Londres, International African Institute, Hutchinson University Library for Africa, 1980, pp. 173-193 ; « Christianity and Islam among the Mossi », American Anthropologist, LX (1), décembre 1985 ; A. KOUANDA, « Les Yarse : fonction commerciale, religieuse et légitimité culturelle dans le pays mooga », doctorat de 3e cycle, université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, UER d’histoire, 1984, non publié. Sur la période coloniale on consultera J. AUDOIN et R. DENIEL, L’islam en Haute-Volta à l’époque coloniale, Abidjan, IADES, 1975 ; B. BICHON, « Les musulmans de la subdivision de Kombissiry (Haute-Volta », in Notes et études sur l’islam en Afrique noire, Paris, J. Peyronnet, pp. 75-102.]], l’islam au Burkina a été également un islam politiquement dominé. Cette situation s’est perpétuée sous la colonisation et dans l’État postcolonial[[Pour plus de détails, cf. nos deux articles déjà cités.]]. La création de la CMB au lendemain de l’indépendance se fixait précisément pour objectif de favoriser l’intégration des musulmans au processus de développement politique, en leur donnant les moyens de profiter davantage de la distribution des compétences effectuée par (et à l’ombre de) l’État postcolonial. Mais la CMB, faute de se doter d’une doctrine claire en matière d’éducation, n’a pas su mettre en place les structures de socialisation à même de concurrencer l’école missionnaire et son décalque, l’école officielle, envers lesquelles les musulmans ont longtemps nourri une profonde méfiance. Aussi, à l’indépendance, le recrutement dans la fonction publique s’est-il opéré au bénéfice quasi exclusif des élites occidentalisées, parmi lesquelles celles des ethnies minoritaires et « acéphales » du Sud-Ouest, plus ouvertes que les autres à l’évangélisation, se taillèrent une bonne part[[Sur l’influence de l’Église catholique et de l’école missionnaire, cf. B. NOUATLLE-DEGORCE, « Les Pères blancs en Haute-Volta », mémoire de diplôme supérieur de recherche et d’études politiques, ŒP de Bordeaux, 1977 ; D. BOUCHE, « Les écoles françaises à l’époque de la conquête, 1884-1900», Cahiers d’études africaines, n° 6, 1966, pp. 228-267.]].

La situation a sensiblement évolué dans les années 1970. L’aversion des musulmans pour l’école européenne a diminué. La prise de conscience par ceux-ci du retard accumulé au niveau de la socialisation a modifié leur perception des filières de formation « modernes ». Peu à peu a donc émergé une élite musulmane formée à l’occidentale. Mais, compte tenu de la saturation des circuits de recrutement dans la fonction publique[[L’Administration burkinabé compte près de 30 000 agents, pour une population totale de 8 millions de personnes environ, selon le recensement de 1985.]], le rééquilibrage attendu et espéré ne s’est pas produit.

Dans le même temps, l’enseignement en arabe connaissait un développement sans précédent, comme autre réponse possible au défi de la « modernisation » et, plus encore, à l’incapacité du système éducatif officiel de satisfaire la demande sociale d’éducation. Les medersa croissaient en nombre. Leurs cursus tentaient (avec plus ou moins de bonheur) de s’adapter aux contraintes du développement. Victimes de leur succès (dû tout autant à la modicité des frais de scolarisation qu’au souci des musulmans de concilier la « modernité » avec l’enseignement de la religion), les medersa sont aujourd’hui le lieu de formation d’une nouvelle élite arabisée dont les éléments les plus méritants ont la possibilité de parfaire leur formation dans les plus prestigieuses universités arabo-islamiques. Mais une élite, pour quoi faire ?

En effet, les perspectives d’insertion sociale et professionnelle qui s’offrent aux arabisants sont des plus limitées. Hormis quelques cas isolés de recrutement (pour l’enseignement de l’arabe — en option — dans les lycées d’État ou le pourvoi d’un poste de traducteur-interprète dans quelque ambassade à Riyad ou au Caire), le diplôme universitaire français demeure le viatique obligé pour l’accès à la fonction publique ou au secteur économique « moderne ». En fait, la très grande majorité des arabisants ira grossir le flot des chômeurs. Dans le meilleur des cas, certains s’investiront dans le commerce ou le secteur dit « informel » ; d’autres, peu nombreux, trouveront à s’employer comme enseignants dans les medersa, où ils contribueront à la reproduction du système.

Occidentalisés ou arabisés, les intellectuels musulmans apparaissent donc, pour des raisons historiques et politiques tout autant que symboliques, comme les exclus du (relatif) développement. Dévalorisé, leur statut social est à la fois source d’attentes (déçues) et de frustrations. Or, c’est en leur sein que se repèrent les « porteurs » des discours évoqués plus haut ; c’est d’eux que part la tentative de relecture islamique du projet révolutionnaire, qui s’interprète, de ce point de vue, comme une stratégie d’« ajustement des espérances vécues aux chances objectives…[[P. BOURDIEU, art. cit., p. 310.]]».

2. La relecture comme invention d’un politique islamique

On l’aura compris, c’est à une catégorie particulière d’énonciation qu’on s’intéressera ici. Le discours islamique, au Burkina comme ailleurs, emprunte en effet à plusieurs registres discursifs qui lui confèrent une pluralité de sens possibles. Bien que puisant dans le même « stock », comme dirait B. Etienne [[In L’islamisme radical, op. cit., p. 106.]], ces registres renvoient chacun à une stratégie distincte de légitimation à partir d’interprétations différentes. L’originalité de la parole réformiste ici considérée est de se situer plus ou moins ouvertement en opposition à l’ordre religieux dominant tel que l’exprime, au sommet de la CMB, l’association conflictuelle des « modernistes » et des traditionalistes.

Dans le champ islamique burkinabé, ce discours est pour l’heure minoritaire et il est probable que, n’eût été le désordre social créé paradoxalement par l’ordre politique révolutionnaire, son émergence serait restée très problématique. En effet, hormis l’héritage sénoussiste et mahdiste de l’émirat de Liptako, centré sur la région de Dori, dans l’extrême nord-est du pays[[Cf. à ce sujet R.-L. MOREAU, « Les marabouts de Dori », Archi¬ves de sociologie religieuse, n° 17, janvier-juin 1964, pp. 113-134.]], il n’existe pas de tradition locale d’un islam politique dont l’actualisation pourrait servir de référence, de modèle pour décliner la société et l’État contemporains. On est loin du Sénégal d’Amadou Bamba ou du Nigeria d’Uthman dan Fodio, figures emblématiques des militants islamistes dans ces pays.

Ce n’est donc pas à un discours achevé — ni, a fortiori, à un projet fini — qu’on a affaire, la référence, en l’espèce, étant l’exégèse révolutionnaire du Coran par Sayyid Qutb[[In Mystique et politique. Lecture révolutionnaire du Coran par Sayyid Qutb, Frère musulman radical, Paris, Presses de la FNSP – Les Éditions du Cerf, 1984.]]. On est plutôt en présence d’un discours polymorphe, constitué de l’assemblage de fragments plus ou moins disparates (prônes, communications présentées à des séminaires de réflexion, entretiens…), plus ou moins dictés par les circonstances (comme les injonctions du pouvoir à l’adresse des musulmans pour qu’ils définissent leur attitude par rapport au processus révolutionnaire). Mais qui dit absence de projet fini ne dit pas absence de projet tout court : par sa cohérence interne rigoureuse et la référence constante au code divin énoncé dans le Coran, ce discours dessine en pointillé l’esquisse de l’ordre transcendantal comme projet alternatif à l’ordre imposé.

Les réformistes apparaissent donc comme une contre-élite fondant sa légitimité sur sa capacité à articuler la modernité sur l’islam (et non pas, il est important de le souligner, l’inverse…). Convaincus de leur supériorité intellectuelle à la fois sur les tenants de la tradition (les imams) et sur les interprètes musulmans de la modernité occidentale (les héritiers de l’UCM), ils se posent en leaders de la umma, aux demandes de sens de laquelle ils sont persuadés de pouvoir répondre. Pour expliquer les ressorts de cette autoproclamation, il convient d’analyser un par un les thèmes qui structurent le discours de ces nouveaux intellectuels musulmans.

La « fitna » et l’impérieuse nécessité de la combattre

Le statut de guides, les réformistes le revendiquent au nom de la faillite morale des clercs patentés de la CMB, accusés d’avoir suscité et d’entretenir, par leurs conduites contraires aux enseignements du Coran, la division au sein de la umma, Tirant sa force du malaise engendré dans la grande masse des fidèles par les déchirements au sommet de la CMB, la critique de la fitna est l’argument central sur lequel les réformistes fondent leur ascendant moral. Sur la base du rejet des leaderships reconnus, ils s’érigent en rédempteurs de la umma et se veulent les architectes de sa réunification. Pour eux, la crise de la CMB ne saurait se régler simplement par des voies institutionnelles ou l’intervention des pouvoirs publics. Elle passe obligatoirement par une profonde régénérescence de l’islam et le retour à la lettre du Texte, par la lutte contre les déviations confrériques et maraboutiques.

Cette purification est d’autant plus nécessaire que la réunification de la umma est l’unique voie susceptible de protéger les musulmans des velléités hégémoniques du pouvoir, soupçonné de jouer des divisions intra-islamiques. De ce point de vue, les directions actuelles sont doublement coupables, puisque, par leurs agissements, ce sont elles qui permettent aux ennemis de l’islam de s’ingérer dans les affaires de la umma. Aussi, pour combattre l’ennemi extérieur, convient-il au préalable de se purger de l’ennemi intérieur, c’est-à-dire d’ôter aux cadres de la CMB le monopole de la parole autorisée sur l’islam, pour se l’arroger au nom du salut de la umma, menacée dans son existence même par la conjugaison des périls internes et externes.

Dans cette perspective, les réformistes mettent l’accent sur la nécessité de dépasser à la base les vieux clivages qui opposent les musulmans entre eux. Eux-mêmes viennent d’ailleurs d’horizons doctrinaux assez divers. Certains sont d’obédience wahhabite, d’autres ont été formés à al-Azhar ou sont tout simplement issus de filières de socialisation occidentales, mais tous partagent, à des degrés divers, le souci de revenir à un islam « authentique », c’est-à-dire dépouillé de ses manifestations « syncrétiques », anti-islamiques. A leur initiative, les différends doctrinaux sur la base desquels, au Burkina comme ailleurs en Afrique de l’Ouest, le mouvement wahhabite était tenu en ostracisme par la très grande masse des croyants sont revus, au bénéfice de la mise en évidence de ce qui peut favoriser l’unité de la umma. A leur initiative également se développe une nouvelle sociabilité musulmane, dont la fonction est de donner corps à cette aspiration unitaire : montée du mouvement associatif (comme l’apparition, en 1984, d’une Association des étudiants et élèves musulmans du Burkina, AEEMB), floraison d’activités culturelles, ou simplement ludiques, etc., toutes estampillés du label « musulman » et traduisant, sur le terrain du « social », le contenu politique de la relecture islamique du projet révolutionnaire.

L’islam, la révolution, la modernité

La constitution des réformistes en corps de médiateurs culturels légitimes passe par une démarche, désormais classique en islam, de mise en conformité de la modernité avec le Texte. Mais le contexte idéologique prévalant à partir de 1983 confère une certaine spécificité à ce travail de réappropriation dans le cas du Burkina.

En effet, l’hégémonie symbolique sur laquelle reposait le projet révolutionnaire postulait la délégitimation de tout système symbolique concurrent, au nom de la mission civilisatrice dont les auteurs du coup de force d’août 1983 se croyaient investis. Dans cette optique, la lutte contre l’obscurantisme — concept générique renvoyant en fait implicitement à l’ensemble des systèmes de sens distincts de l’idéologie révolutionnaire — a servi de paravent à la critique parfois violente, de la religion, et de l’islam en particulier, en tant qu’obstacle au développement. En réaction, les réformistes ont donc entrepris, non pas de repenser l’islam pour le réconcilier avec la modernité (ce qui eût été admettre le caractère problématique de l’équation), mais, plus subtilement, de mettre en valeur l’héritage coranique comme mode idéal d’organisation de la Cité et donc comme forme achevée de la modernité, intégrant, en la transcendant, la modernité sous-tendue par. le projet révolutionnaire.

Nous avons la chance de disposer d’un ensemble de textes relativement élaborés, illustratifs de ce travail de réinterprétation. Il s’agit, pour l’essentiel, de communications présentées à un séminaire sur la pensée islamique, tenu à Ouagadougou du 1er au 7 avril 1985. Un faisceau d’éléments fait de cette réunion un temps fort de la production du discours réformiste : elle était organisée par le CSJIG (Conseil supérieur de la jeunesse islamique et de la culture),l’un des viviers de la catégorie d’intellectuels qui nous intéresse ici, et soutenue par l’Organisation mondiale de la jeunesse islamique ; bien qu’ouverte aux représentants des leaderships traditionnels, elle se caractérisait par une nette prédominance des réformistes de toute obédience, wahhabites compris, ce qui lui donnait l’allure d’un congrès constitutif ; enfin, les débats portent l’empreinte profonde de la parole réformiste, comme l’indiquent les intitulés des thèmes abordés : « La justice sociale en islam », « Contribution du jeune musulman à l’édification de sa nation », « L’islam, religion de réforme et d’égalité », «L’islam et la révolution», «Le statut de la femme dans l’islam »[[Documentation personnelle.]].

L’analyse de ces textes est intéressante dans la mesure où elle est révélatrice des préoccupations à la fois tactiques et stratégiques des réformistes. Dans un premier temps, en effet, l’argumentaire de ceux-ci consiste en une récusation du procès en obscurantisme intenté à l’islam par le pouvoir révolutionnaire. L’accent est mis, au contraire, sur l’apport civilisateur du Coran, par l’opposition entre la barbarie de la société préislamique (jahiliya) et l’harmonie sociale postmohamadienne. Mais la valeur de la démonstration n’est pas seulement historique ; la jahiliya menace encore les sociétés contemporaines : c’est le péché, l’égoïsme des hommes, la dégradation des mœurs, l’injustice, autant de maux qui actualisent le message du Coran comme armature morale indissociable de tout projet politique, fût-il révolutionnaire. Mais, ce préalable posé, l’argumentation sort du terrain islamique pour se placer sur celui privilégié par le pouvoir, la modernité occidentale. Si l’islam apparaît parfois comme un frein au développement, c’est parce qu’il est dénaturé par des pratiques qui lui sont étrangères : les « superstitions », le « charlatanisme », l’associationnisme (shirk). L’islam vrai, au contraire, est appel permanent à l’intelligence et à la raison. Et, pour mieux affirmer l’inaltérité du message coranique à la face des dirigeante révolutionnaires qui chargent l’islam de tous les maux du sous-développement, on n’hésite pas à solliciter le témoignage d’intellectuels européens : Goethe, Gustave Le Bon, Stendhal, Lamartine et d’autres encore sont convoqués pour illustrer la geste du Prophète, l’universalité et l’intangibilité de ses enseignements, la supériorité manifeste de la morale islamique sur toutes les autres et, finalement, la « grandeur » de l’islam. L’invocation de penseurs « infidèles » pour valider ce qui est en définitive la Parole de Dieu ne doit pas prêter à sourire, ni faire illusion. Elle est tactique et uniquement tactique : aux jugements officiels méprisants sur l’islam, les réformistes opposent ceux d’autorités intellectuelles que, pensent-ils, le pouvoir ne saurait récuser, précisément parce qu’elles sont l’incarnation de cette modernité occidentale derrière laquelle court le CNR.

Mais le texte ne s’arrête pas à cette simple mise en adéquation de l’islam et de la modernité. Au contraire, il propose une autre version de cette dernière. Comme si, non satisfait de réfuter les arguments du pouvoir au moyen de ses propres catégories analytiques, il entendait tracer les contours d’un projet alternatif de modernité islamique. C’est le second temps de l’argumentation, tout entière articulée sur l’actualité de l’islam comme fondement de la Cité idéale.

La démarche repose sur une constante mise en parallèle de l’avènement de la prophétie mohamadienne et de la révolution. On souligne, dans un cas comme dans l’autre, l’état d’« arriération » dans lequel se trouvait la société «ayant» et l’ampleur du changement qualitatif «après », qualifié de « progrès ». La conformité du projet révolutionnaire au projet de Dieu est affirmée, au nom des valeurs communes d’égalité, de liberté et de fraternité. Mais le second est dépassement du premier et, en ce sens, il l’intègre. Que serait le « progrès », en effet, sans les garde-fous que le message coranique oppose à la déliquescence morale et sociale ? « Libertinage », « ivrognerie », « fausse monogamie », bref, une « imitation corrompue » de la civilisation. L’exigence morale impose donc l’urgence du Coran, car « personne d’autre que Dieu ne sait ce qui convient le mieux au monde, à la société, à la famille, à l’individu ». Loin d’être «rétrogradé» ou « à moderniser», le Livre révélé est le « code idéal… indispensable à une société civilisée », car Lui, et Lui seul sait « ordonner le bien et interdire le mal ».

Du point de vue réformiste, la RDP n’est donc qu’une étape dans la construction d’un ordre social qui ne pourra qu’être parfait, puisqu’il sera authentiquement musulman. Le Coran n’est-il pas « toute la vérité à l’adresse du monde » ? En comparaison, que valent les vérités humaines, fussent-elles parées d’oripeaux révolutionnaires ? Cet ordre social qu’on voit s’inscrire « en creux » dans la valorisation mesurée des acquis de la révolution, nos réformistes en précisent les contours par petites touches successives, sans jamais se départir de cette « cohérence logique, rationnelle » que M. Arkoun dit être à la base de toute réflexion sur l’éthique et le politique en islam[[In L’islam, morale et politique, Paris, Desclée de Brouwer, 1986, p. 10.]].

La justice sociale

La justice sociale est au cœur de la société islamique idéale ; il n’est donc pas étonnant qu’elle occupe une place centrale dans le discours réformiste. D’autant que, le pouvoir révolutionnaire ayant fait de ce thème l’un de ses mots d’ordre favoris, les réformistes ont été conduits à en préciser le contenu spécifiquement islamique, circonscrivant dans un même mouvement dialectique les points de rencontre et les divergences entre l’acception islamique du concept et son acception révolutionnaire.

Comme précédemment, leur réflexion commence par une comparaison des conditions politiques et sociales respectives prévalant d’une part à l’aube de la prédication coranique, d’autre part à l’amorce du processus révolutionnaire. Dans les deux cas, affirment-ils, l’homme « subissait le joug de l’oppression et de l’iniquité sociale ». Et, comme le Coran lui restitua sa liberté et sa dignité dans l’Arabie de jahiliya, la RDP a apporté la liberté au Burkina, en le délivrant des chaînes du « néo-colonialisme ».

La réflexion se focalise ensuite sur la question de la redistribution des richesses, condition première de la justice sociale. Nettes et sans appel sont la condamnation de la spéculation et l’approbation de la mesure instaurant les TPR (tribunaux populaires révolutionnaires) chargés de juger les affaires de corruption et de détournement de fonds publics. Simple sacrifice à l’air du temps ? Pas tout à fait. Ces prises de position se fondent en effet totalement sur les prescriptions coraniques en la matière : la primauté de l’intérêt de la communauté sur celui de l’individu. Ce qui ne veut pas dire que la richesse soit contraire au Coran ; elle doit cependant être honnêtement acquise et s’accompagner du devoir d’aumône (zakat) en faveur des plus démunis, s’il n’est pas possible de donner du travail à chacun, comme souhaité.

Partant de cette série d’exigences, les réformistes se sont reconnus dans les objectifs affichés par le pouvoir révolutionnaire : moralisation de la chose publique, réduction des disparités sociales, droit au travail pour tous. Mais ils s’y sont reconnus sans s’y identifier[[ (33)]]. Au contraire, comme stimulés, ils ont considéré le triomphe (théorique) de l’idéal égalitaire incarné par le régime révolutionnaire comme un tremplin vers le système économique islamique que, maladroitement et confusément, mais toujours en restant fidèles au Coran, ils ont entrepris de décliner.

Comme toujours en islam, la conceptualisation de la société parfaite réfère à l’âge d’or des quatre premiers califes, dits les « bien inspirés ». C’est dans cette société et par la stricte application du Coran, que la « justice sans faille » a été possible. Elle l’a été parce que le Livre révélé renferme les dispositions « inflexibles » permettant de répondre à toutes les situations, hier, mais aussi aujourd’hui. Correctement et intégralement mises en œuvre, ces dispositions instaurent la société d’harmonie qui abolit l’exploitation, la domination du riche sur le pauvre et leur cortège de déviations (mendicité, vol, crime, luxe insolent, accaparement, monopoles…). Les objectifs que s’est assignés le pouvoir révolutionnaire, la justice sociale islamique peut les réaliser, grâce au respect strict des enseignements du Coran et de la sunna, sans bouleversements ni luttes de classes sous quelque forme que ce soit. Par sa capacité à réconcilier les hommes entre eux, le Coran rend obsolète, selon nos réformistes, la question du choix entre le capitalisme et le marxisme. En fait, et parce qu’il faut désigner un système – contextes oblige -, ils concèdent que « l’islam a trouvé depuis plus de mille trois cent cinquante ans le système socialiste musulman idéal par l’institution du facteur d’équilibre ». Mais c’est pour se demander aussitôt s’il existe une « meilleure forme de solidarité sociale » que celle qu’annonce le Coran. Pour eux, la réponse ne fait aucun doute…

Pour peu élaboré qu’il soit— mais nulle part en islam le problème économique n’a reçu de véritable réponse, de la part des islamistes radicaux encore moins que des autres —, le « projet » économique des réformistes circonscrit les limites de leur adhésion à la politique du pouvoir révolutionnaire. En effet, l’instauration de la justice sociale islamique est indissolublement liée à celle de la shari’a. Parce qu’elle édicte les règles d’organisation de la Cité musulmane idéale, la loi de Dieu est la négation de l’État laïc inscrit dans l’œuvre du CNR. Or, par le retour au Texte qu’ils prônent, c’est la shari’a qu’au fond nos réformistes ont en vue. La restauration de l’ordre moral et le statut de la femme, thèmes dont ils ont fait leurs chevaux de bataille, en sont le témoignage.

Loi divine et lois des hommes

Le respect de la shari’a est impératif pour deux raisons majeures. D’une part, seule la shari’a est à même de préserver l’identité de la umma et son intégrité, menacées par les changements juridiques et sociaux accompagnant la mise en œuvre du projet révolutionnaire, notamment la réforme du Code de la famille et l’« émancipation » de la femme. D’autre part, l’obéissance absolue et scrupuleuse à la Parole de Dieu est la condition sine qua non de salut pour la umma ; c’est cette obéissance qui permettra la résorption de la fitna et la réunification de la communauté ; c’est elle encore qui débarrassera l’islam des « fausses croyances » qui en déforment le message ; c’est elle, enfin, qui mettra fin au désordre social.

Autant les réformistes pouvaient se sentir en accord global avec les options politiques et économiques du CNR, autant la modification du Code de la famille et donc celle du statut de la femme leur posent problème. Rien d’étonnant à cela. Au Burkina, comme partout en islam, c’est constamment au niveau du droit familial que l’emprise de la shari’a a été et reste la plus forte[[Cf. à ce propos J. SCHACHT, Introduction au droit musulman, Paris, Maisonneuve et Larose, 1983, notamment, pp. 11 et suivantes.]]. En outre, parce qu’il bouleverse les rapports de domination fondés sur le sexe, le droit familial laïc accorde à la femme une liberté incompatible avec l’ordre social islamique. C’est donc au nom de la défense de cet ordre « voulu par Dieu » que les réformistes critiquent le nouveau Code de la famille.

Conçu comme un instrument d’homogénéisation juridique devant faciliter le contrôle du champ social par le pouvoir en mettant fin à la pluralité des régimes juriques, et notamment à la coutume, le nouveau Code de la famille était sur le point d’être institué quand survint le coup d’État. Tout au long des débats publics qui en jalonnèrent l’élaboration, c’est la question de la polygamie qui focalisa toutes les tensions. Souhaitée par le pouvoir, la monogamie suscita l’opposition tout à la fois des animistes et des musulmans. Parmi ces derniers, c’est des rangs réformistes que vint la défense la mieux argumentée, du point de vue religieux, de la polygamie (alors que, soulignons-le au passage, l’opposition des « modernistes » de la CMB fut infiniment plus nuancée…).

Classiquement, cette défense repose sur les préceptes coraniques en la matière et sur l’exemple du Prophète : la polygamie est licite à la condition de réserver un traitement égal à toutes les épouses ; il est d’ailleurs souhaitable que le nombre de celles-ci soit limité à quatre ; à chacune des épouses le Coran rend justice, assurant de ce fait l’équilibre familial ; une épouse a le droit de divorcer si le mari vient à contracter un nouveau mariage. Mais le recours au Texte est surtout l’occasion, pour les réformistes, de proclamer leur attachement à l’ordre moral institué par la Parole de Dieu. La polygamie est nécessaire parce qu’elle seule permet de conjurer le « désordre sexuel » qui, autrement, s’installerait et précipiterait la société dans la décadence, comme c’est le cas en Occident. En insistant sur ce dernier point, les réformistes ne jouent pas uniquement sur un registre discursif islamique. Leur discours sur la restauration de l’ordre moral recoupe l’une des préoccupations du pouvoir révolutionnaire ; la lutte contre la délinquance juvénile, en particulier la prostitution ; Mais il transcende la conception instrumentale, normalisatrice et productiviste de l’ordre moral révolutionnaire en affirmant que le Coran apporte « quelque chose de plus vivant » à la révolution, c’est-à-dire cette dimension spirituelle sans laquelle toute société est promise à la dégénérescence et à:la «bestialité » des mœurs.

Concernant la femme, les réformistes ne s’opposent pas formellement à la volonté du pouvoir de l’éduquer, de promouvoir ses droits et de l’encourager à travailler. Mais, tout en rappelant avec force les améliorations apportées par le Coran au statut de la femme par rapport à la société de la jahiliya, ils mettent plusieurs conditions à cela : l’éducation de la femme doit respecter sa vocation de mère ; elle doit d’abord la préparer à donner à son tour une éducation authentiquement islamique à ses enfants. Son rôle de femme est de s’occuper de son foyer. Elle peut travailler à l’extérieur si les difficultés matérielles l’y poussent ; mais, dans ce cas, son emploi devra respecter sa féminité, et donc son inaptitude physique ou intellectuelle à certaines tâches. Mais surtout, quel que soit son travail, elle devra soigneusement éviter toute forme de mixité sexuelle, toute promiscuité avec les hommes. En fait, concèdent finalement certains réformistes, l’idéal est que la femme qui désire travailler le fasse à son domicile, meilleur moyen de conjurer toute tentation.

En fixant ces limites, les réformistes, une fois encore, tracent la ligne de démarcation symbolique séparant leur ordre islamique de l’ordre révolutionnaire. Pour eux, la promotion de la femme s’arrête là où commence son devoir d’épouse obéissante et de mère dévouée. De ce point de vue, l’ambition du pouvoir de l’affranchir de la domination de son époux en lui octroyant une sorte de « salaire de femme au foyer » est perçue par eux comme une « hérésie » favorisant l’indépendance économique de la femme, et préparant donc la désarticulation de la famille, unité de base de la société musulmane. C’est l’offense suprême au projet de Dieu tel que l’énonce la shari’a.

Pour conjurer les périls qui menacent la umma, les réformistes en appellent donc au réarmement moral, par la connaissance vraie de la Loi divine. Pour eux, l’unique voie est celle de l’éducation musulmane.

S’ils saluent les efforts du pouvoir révolutionnaire dans le domaine de la scolarisation et pour la promotion d’un enseignement reflétant davantage les réalités « nationales » et africaines, les réformistes s’inquiètent aussi de la médiocrité de l’enseignement islamique, de la laïcisation des programmes
dans le système éducatif officiel et de la trop grande influence de l’école missionnaire. Pour eux, en effet, l’éducation n’a pas pour unique but de préparer à la vie professionnelle. Sa vocation fondamentale est de former de vrais musulmans, desquels émergeront les ulama capables de porter à leur tour la da’wa (appel, prédication) pour la plus grande gloire de Dieu et le bien de sa communauté.

La rénovation de l’enseignement musulman à la base est donc une priorité absolue. Elle implique d’abord un renouvellement du corps des maîtres coraniques traditionnels, des « incultes » formant des « incultes », accusent les réformistes. Il faut ensuite promouvoir le statut des medersa et valoriser les diplômes qu’elles délivrent, afin de réduire les inégalités de chances entre leurs élèves et ceux des écoles missionnaires et officielles. Il convient, enfin et surtout, d’améliorer la qualité de l’enseignement de la langue arabe, condition sine qua non d’accès à la Parole divine incarnée dans le Coran : d’abord sur place, ensuite par la fréquentation assidue des universités arabo-islamiques, source de la connaissance inaltérée.

Telle que nous l’avons restituée en nous efforçant de privilégier ce qui nous semblait faire sens pour ses locuteurs, la parole réformiste amorce un processus de passage au politique à l’écart duquel l’islam au Burkina s’était globalement tenu jusque-là. En réinterprétant les changements politiques, économiques et sociaux introduits par la révolution du 4 août 1983 à la lumière de l’héritage coranique, les réformistes expriment en fait leur impensé d’un ordre véritablement islamique. Procédure confuse qui balbutie une utopie, empruntant des références à une multitude de courants structurant la pensée islamique : nos réformistes sont dans la filiation des disciples de Ben Badis quand, comme eux en ce qui concerne le socialisme algérien, ils assimilent l’égalitarisme du CNR à la justice sociale islamique ; leur inspiration apparaît plutôt wahhabite lorsqu’ils font l’éloge de la rigueur morale et du travail ; leur discours prend des accents « qutbiens » quand il dénonce la corruption des mœurs et proclame la vérité intangible de la shari’a. Syncrétisme conceptuel ? Sans doute, mais l’essentiel, c’est que celui-ci permet de décliner sur un mode islamique les principes de démocratie, de justice sociale, de liberté, officiellement affichés par le pouvoir révolutionnaire, et d’en faire finalement tout autre chose que ce que celui-ci le voulait.

3. Les enjeux de la relecture

En effet, en tant que procédure dénonciation, la relecture doit être analysée comme l’expression d’une stratégie d’affirmation élitaire, politique et sociale. En situant leur discours sur cet entre-deux séparant leur vision du monde de celle du pouvoir, les réformistes fondent leur émergence en tant que « groupe en corps ». Le succès de leur démarche est subordonné à deux impératifs : se faire admettre par le pouvoir comme les porte-parole autorisés de la umma, habilités à traduire ses aspirations et ses devoirs dans le cadre circonscrit par le projet révolutionnaire ; faire reconnaître par la communauté des croyants la légitimité dé leur prétention à son leadership moral.

Fondamentalement, la montée du réformisme apparaît comme une réaction à l’état de subordination politique de l’islam dans l’espace burkinabé. Mais nos réformistes d’aujourd’hui sont différents de leurs aînés, les héritiers de l’UCM. A travers la création de la CMB, ceux-ci recherchaient une meilleure insertion de la umma dans le processus de construction nationale, mais en accord avec les idéaux modernistes de l’élite occidentalisée. Comme eux, les réformistes de la seconde génération veulent accroître le rôle politique de la umma, mais — et c’est en cela qu’ils se distinguent de leurs aînés — en soumettant la modernité à la critique islamique.

Mais l’opposition est aussi sociologique. En tant qu’intellectuels, les réformistes ‘aujourd’hui cristallisent les frustrations et les attentes des générations de musulmans nés après l’indépendance. Instruits, parfois d’un haut niveau de compétence, attentifs aux débats idéologiques qui parcourent le monde arabo-musulman, ces « nouveaux musulmans » vivent mal leur exclusion des lieux de décision politique et économique ; et celle-ci leur, paraît encore plus

inacceptable au regard du poids démographique prédominant des musulmans.
A ces laissés-pour-compte, la révolution est apparue comme une voie possible de promotion politique et sociale. La rencontre avec elle s’est d’autant mieux faite que le pouvoir révolutionnaire se cherchait les « relais » à même de diffuser son idéologie parmi les musulmans. A cette demande, les réformistes ont répondu en se posant comme légitimes interlocuteurs musulmans du pouvoir et interprètes qualifiés de son projet auprès d’eux. De ce point de vue, et en dépit de certaines résonances « qutbiennes » de leur discours, nos réformistes se démarquent nettement des Frères musulmans étudiés par O. Carré[[Déjà cité, et « Le combat-pour-Dieu et l’État islamique chez Sayyid Qotb, l’inspirateur du radicalisme islamique actuel », Revue française de science politique, XXXIII (4), août 1983, pp. 680-705.]] : leur démarché n’est pas en rupture avec la société ; ils n’ont pas en vue la hijra (retraite, exil) destinée à préparer par la violence l’avènement de la société islamique idéale. Ils agissent dans le monde tel qu’il s’impose à eux, avec cependant l’espoir de le réformer de l’intérieur (dans un premier temps ?), pour abolir, enfin le statut subalterne de l’islam dans l’espace politique burkinabè. Mais ce choix n’est pas sans risque pour eux, dans la mesure où il implique l’opposition aux leaderships traditionnels dans lesquels se reconnaît la umma, leaderships pour le moins méfiants vis-à-vis du nouveau cours politique. Or, une autre fonction de la relecture consiste précisément à lever cette hypothèque.

Les réformistes ont en effet bien assimilé l’un des caractères de la révolution du 4 août 1983, à savoir qu’elle se fît aussi comme une réaction des jeunes générations à la domination des vieilles élites politico-militaires et sociales en place depuis l’indépendance. Stimulés par l’exemple de Sankara et de ses compagnons, encouragés par le discours du pouvoir appelant au bouleversement des hiérarchies sociales, les réformistes ont trouvé dans la révolution l’occasion de contester, enfin, cette « force de l’âge[[G: BALANCIER, Anthropo-logiques, Paris, Le Livre de poche, 1985, p. 130 (édition revue et corrigée).]] » incarnée dans les leaderships traditionnels et bloquant leur accès aux postes; de responsabilité dans les institutions organisant la umma. Le fait que les associations à vocation juvénile ou intellectuelle comme le CSJIC et l’AEEMB soient des hauts lieux de production du discours réformiste est très significatif à cet égard. Dans le cadre de cette stratégie, l’adhésion mesurée au projet du CNR a pour but de donner à la parole réformiste l’onction révolutionnaire grâce à laquelle le combat contre la vieille génération devient sinon légitime, du moins possible.

Mais, pour avoir quelque chance de succès là démarche implique que le discours réformiste fasse sens d’un point de vue islamique ; c’est-à-dire qu’il se démarque à la fois de celui du pouvoir et de celui des leaderships traditionnels. D’où, dans un premier temps, le recours à la vision révolutionnaire dû changement social et, dans un second temps, sa déconstruction et sa reconstruction à la lumière du Coran. Pour imposer leur énonciation de l’islam au sein de la umma, les réformistes doivent en effet acquérir la légitimité religieuse sans laquelle, en islam, il ne peut y avoir de légitimité de commandement. Leur discours sur les méfaits de la fitna, la nécessaire unité des musulmans, la régénérescence de l’islam par le retour au Texte, l’ordre moral et l’obligation du savoir vise donc essentiellement à disqualifier ceux qu’avec G. Kepel[[« Les oulémas, l’intelligentsia et les islamistes en Egypte. Système social, ordre transcendantal et ordre traduit », Revue française de science politique, XXXV (3), juin 1985, pp. 424-445.]] on peut appeler les intellectuels de statut, et à récupérer leur capital d’autorité et de légitimité. Face aux compromissions des leaderships égarés, les réformistes se veulent guides de la umma et « montreurs de conduite[[C. COULON, « Les nouveaux ulama et la résurgence islamique au Nord-Nigeria », Islam et sociétés au sud du Sahara, 1987, n° 1, p. 38.]] ». Et leur discours a d’autant plus de chances d’être entendu qu’il s’engouffre dans ce « grand vide[[B. CUBERTAFOND, « Islam et démocratie », Revue juridique et politique. Indépendance et coopération, n° 1, janvier-février 1988, pp. 76-77]] » idéologique que la superposition de l’échec du projet révolutionnaire et de la crise de la GMB a créé.

4. Conclusion

Tel est, nous semble-t-il, le sens qu’il convient de donner à la relecture islamique du projet révolutionnaire. Celle-ci traduit incontestablement l’éveil d’un islam qui dit, parfois dans l’ambiguïté, des préoccupations politiques. Pour l’heure, ce mouvement ne fait que s’amorcer et rien ne dit que l’échec du CNR ne signera pas aussi le sien. En effet, le discours réformiste, scripturaire et élitiste (élitiste parce que scripturaire) est inaccessible à la grande masse des musulmans. Or, c’est dans son intelligibilité que réside, finalement, là capacité des réformistes à indiquer la voie, et donc à être suivis. D’où l’importance que ceux-ci accordent au « quotidien », à travers les mouvements associatifs dont ils ont suscité le développement et qu’ils organisent avec soin. C’est de lui, espèrent-ils, que viendra l’articulation entre leur vision du monde et les attentes de la umma. C’est dire que, dans les années à venir, il faudra demeurer attentif à cet islam décidément moins tranquille qu’on ne le croyait. Il conviendra en particulier de faire ce que, en l’état actuel de notre connaissance de cet islam, nous n’avons pu faire : étudier avec plus de précision la filiation intellectuelle du discours réformiste pour repérer les lignes de force conceptuelles permettant sa meilleure identification. Il faudra aussi suivre avec attention les rivalités, encore latentes, dans les rangs réformistes. Pour des raisons tactiques, arabisants et universitaires formés à l’occidentale s’y côtoient aujourd’hui, au nom de la sainte alliance contre ceux qui, au sein de la umma, déforment le message du Coran. Mais, on l’a vu, l’arabisation est l’un des chevaux de bataille du discours sur la « purification » de la foi. En ce sens, elle engage d’autres enjeux, d’autres stratégies… « Pour une introduction à la problématique de l’arabisation en Afrique », cf. R. OTAYEK (sous la direction de), Le radicalisme islamique en Afrique subsaharienne. Da’wa, arabisation et critique de l’Occident, Paris, Karthala MSHA, 1993.. Mais ça, c’est une autre histoire d’énonciation.

René Otayek

Juin 1988

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