Victime du coup d’Etat du 15 octobre 1987 : Une orpheline brise le silence

Publié le 27 avril 2015 sans Courrier Confidentiel (http://www.courrierconfidentiel.net)

Elle avait seulement quatre mois lorsque le coup d’Etat du 15 octobre 1987 s’est produit. Emportant le PrĂ©sident Thomas Sankara et douze de ses compagnons. Parmi ces derniers, son père FrĂ©dĂ©ric KiemdĂ©, conseiller Ă  la PrĂ©sidence. AĂ¯da George KiemdĂ© a aujourd’hui 27 ans. Et elle a dĂ©cidĂ© de briser le silence. «J’ai un manque, une douleur d’Ăªtre privĂ©e de mon père; je ressens un sentiment d’injustice, car pendant 27 ans, rien de concret n’a Ă©tĂ© fait, mĂªme pas une tombe descente pour enterrer nos morts qui se sont donnĂ©s pour leur patrie», affirme-t-elle dans cette interview. Et ce n’est pas tout.

Courrier confidentiel : Avec le recul, comment analysez-vous le tragique événement du 15 octobre 1987?

AĂ¯da George KiemdĂ© : C’est un Ă©vĂ©nement douloureux, pas seulement pour nous les familles, mais pour le monde entier; plusieurs personnes ont Ă©tĂ© déçues, car ce coup d’Etat mettait fin Ă  beaucoup d’espoirs et de rĂªves pour le Burkina Faso et l’Afrique.

Vous avez sans doute cherchĂ© Ă  savoir ce qui s’est exactement passĂ© concernant l’assassinat de votre père. Qu’avez-vous du fond du cœur Ă  nous dire?

J’ai un manque, une douleur d’Ăªtre privĂ©e de mon père; je ressens un sentiment d’injustice, car pendant 27 ans, rien de concret n’a Ă©tĂ© fait, mĂªme pas une tombe descente pour enterrer nos morts qui se sont donnĂ©s pour leur patrie. J’ai connu la souffrance d’Ăªtre loin de mon pays, d’Ăªtre loin des miens. J’espère que très vite, justice sera faite et qu’on pourra nous Ă©clairer sur les circonstances de l’assassinat perpĂ©trĂ© le 15 octobre 1987

Blaise Compaoré affirme que ce jour-là, il était malade, il dormait lorsque les coups de feu se sont produits. Que lui répondez-vous?

Je ne suis pas dupe, le peuple burkinabè non plus; cependant, tĂ´t ou tard, la vĂ©ritĂ© jaillira. Je n’en dirais pas plus

En octobre dernier, le Président Compaoré a été balayé du pouvoir après 27 ans de règne. Comment avez-vous réagi lorsque vous avez appris la nouvelle?

J’Ă©tais et je suis toujours très fière du peuple burkinabè, qui s’est levĂ© et qui a pris en main son destin. Il a rĂ©ussi Ă  se dĂ©barrasser de son bourreau en montrant sa dĂ©termination et son ras-le-bol. Aujourd’hui, en tant que Burkinabè, je vibre de joie de savoir qu’une nouvelle page s’ouvre pour notre beau pays. J’espère sincèrement que nous aurons de beaux jours devant nous. Je souhaite Ă©galement que cette action burkinabè puisse Ăªtre un vibrant message Ă  tous ces prĂ©sidents d’Afrique qui abusent de leur peuple.

La Justice a aujourd’hui un grand dĂ©fi Ă  relever: faire la lumière sur l’assassinat du 15 octobre 1987 ainsi que les autres assassinats et crimes impunis. Pensez-vous que notre Justice, longtemps dĂ©criĂ©e concernant le traitement des dossiers sensibles, puisse s’affranchir des griffes du politique pour dire le droit, rien que le droit?

HonnĂªtement, je dirai non, car durant ces 27 annĂ©es d’attente, nous avons vu une Justice soumise Ă  l’ancien rĂ©gime; je n’ai plus vraiment confiance en la Justice. Mais j’ose croire qu’avec le nouveau gouvernement et la mouvance du peuple, les choses changeront.

Dans le cadre du traitement judiciaire de la plainte contre X pour assassinat, introduite en Justice par les ayants droit de Thomas Sankara, les tombes supposĂ©es Ăªtre celles des martyrs du 15-Octobre, dont la sĂ©pulture supposĂ©e de votre père, ont Ă©tĂ© mises sous scellĂ©s et devraient Ăªtre bientĂ´t expertisĂ©es. Cette procĂ©dure vous paraĂ®t-elle normale?

Oui, cette procĂ©dure est tout Ă  fait normale. Pour moi, c’est un premier pas vers la lumière. Cela permettra au moins de nous assurer que c’est bien nos morts qui y sont enterrĂ©s ; et aussi, petit Ă  petit, de pouvoir faire ce deuil qui dure 27 ans. Toutefois, je ne vous cache pas que j’attends plus.

Le Juge François YamĂ©ogo du cabinet N°1 du Tribunal militaire de Ouagadougou est chargĂ© de l’instruction du dossier. Qu’avez-vous envie de lui dire Ă  propos de l’assassinat de votre père?

Monsieur YamĂ©ogo, je veux croire en la Justice; donnez-moi des raisons de croire qu’elle peut encore exister au Burkina Faso. Beaucoup d’Ă©lĂ©ments sont Ă  votre disposition concernant ce dossier. Les langues se dĂ©lient de plus en plus. Nous rĂ©clamons justice, et croyons que cette fois-ci, elle jouera son rĂ´le et sera impartiale. Je souhaite qu’une page se tourne pour la Justice burkinabè et qu’un nouveau jour se lève, oĂ¹ on verra une Justice objective, et non celle qu’on a connue, manipulĂ©e et dirigĂ©e par les politiques sans scrupules.

Que souhaitez-vous principalement voir changer après la chute de Blaise Compaoré?

Je souhaite pour le Burkina un nouveau gouvernement qui sera Ă  l’Ă©coute de son peuple, et qui rĂ©pondra Ă  ses besoins. Je souhaite qu’il n’existe plus de nĂ©potisme, plus d’abus de la population, plus d’assassinat des citoyens. Je souhaite voir un pays Ă©mergent naĂ®tre. Nous avons un pays riche alors que nous faisons partie des pays les plus pauvres du monde. Il est temps que le Burkina se rĂ©veille et tende vers un meilleur avenir

A ce sujet, quel regard critique portez-vous sur le mode de gestion des autorités de la Transition?

Pour le moment, ils n’ont fait que six mois au pouvoir; on ne peut pas encore les juger avec efficacitĂ©. J’ai cependant une demande Ă  leur faire; c’est de soulager le peuple burkinabè , de nous soulager nous les familles, en faisant tout ce qui est Ă  leur pouvoir afin de nous Ă©clairer sur la mort de nos martyrs et de nous faire justice. Cela n’enlèvera pas la douleur certes, mais au moins nous permettra de faire ce deuil, qui a trop longtemps durĂ©.

Propos recueillis, via Internet, par HervĂ© D’AFRICK

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Les victimes du coup d’Etat du 15 octobre 1987

– 1. Thomas Sankara : PrĂ©sident du Faso
– 2. Der Somda: il a conduit Sankara ce jour-lĂ 
– 3. Christophe Saba : Adjudant de l’armĂ©e, SecrĂ©taire permanent du Conseil national de la RĂ©volution (CNR)
– 4. Babou Paulin Bamouni : Directeur de la presse prĂ©sidentielle
– 5. PatĂ©nĂ©ma SorĂ© : un gendarme venu distribuer du courrier
– 6. Wallilaye OuĂ©draogo : soldat de première classe
– 7. Emmanuel Bationo : Sergent-chef
– 8. Bonaventure CompaorĂ© : employĂ© Ă  la PrĂ©sidence
– 9. Sibiri Alain ZagrĂ© : professeur d’universitĂ©
– 10. Noufou Sawadogo : soldat de première classe
– 11. AmadĂ© Sawadogo : Sergent-chef
– 12. FrĂ©dĂ©ric KiemdĂ© : conseiller Ă  la PrĂ©sidence
– 13. Abdoulaye Gouem : soldat de première classe ; il Ă©tait Ă©galement l’un des chauffeurs de Thomas Sankara

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questions complémentaires

Nous avons de notre cĂ´tĂ©” pu entrer en contact Avec AIda Georges KiemdĂ©. Et nous avons voulu complĂ©ter cette interview par quelques questions supplĂ©mentaires.

La rédaction

Avez -vous des contacts avec les autres familles?

Seulement certaines. D’ailleurs si d’autres veulent me contacter, je suis Ă  leur disposition. Je cois qu’unis nous serons plus forts.

Les familles semblent avoir Ă©tĂ© silencieuses… pourquoi?

A cause de la peur et de la dĂ©ception tout simplement , rien ne nous permettait de nous faire entendre, ni le pouvoir de l’Ă©poque , ni la justice qui Ă©tait fortement manipulĂ©e.

Aujourd’hui grĂ¢ce au soulèvement du peuple BurkinabĂ© et au mĂ©dia nous avons plus la libertĂ© de nous exprimer.

On dit que certaines ont acceptĂ© de l’argent… qu’en pensez-vous?

La plupart se retrouvaient seules sans aucune aide ni de soutien de l’Etat. Certaines Ă©taient mère de famille et Ă©loignĂ©e de leur pays. Accepter cet argent permettait de soulager un peu les difficultĂ©s financières rencontrĂ©es. Cependant aucune somme d’argent ne peut remplacer les Ăªtres chers que nous avons perdus et cela il faut le souligner.

Quelles initiatives souhaiteriez vous prendre maintenant pour obtenir justice?

Toutes celles que nous aurons Ă  notre pouvoir. Aujourd’hui les choses avancent petit Ă  petit et j’espère que justice sera rendue au final que nous ne serons pas déçus. Nous ne sommes pas les seules Ă  attendre cette justice , beaucoup Ă  travers le monde y soupirent.

Je profite pour lancer un appel, je suis Ă  la recherche de photos et toutes informations concernant mon Papa FrĂ©dĂ©ric Kiemde, n’hĂ©sitez pas Ă  me contacter si vous en possĂ©der .

Propos recueillis (les questions complémentaires) par mail pour le site thomassankara.net.

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