Publié le 26 juin 2012 sur http://blog.danco.org/

Il y a 25 ans, le jeune président Thomas Sankara du jeune Burkina-Faso a fait ce discours dans le cadre africain, puisqu’il s’agit du sommet de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine). 25 ans c’est le temps de renouvellement d’une génération. Il n’est donc pas inutile de rappeler aux jeunes générations d’Afrique et d’ailleurs l’esprit de ce grand homme qui a défié, au péril de sa vie, les bailleurs de fonds, comme il aimait à appeler les créanciers qui ont endetté l’Afrique pour jusqu’à « 60 ans et plus ».

Ce sommet africain s’est tenu le 29 juillet 1987 et Thomas Sankara a été abattu le 15 octobre 1987 par un commando qui n’a eu aucun mal à s’approcher de lui puisqu’il refusait d’avoir une garde présidentielle comme d’autres qui pensaient d’abord à eux-mêmes.

Plusieurs remarques s’imposent, d’abord sur le délai entre son discours et son assassinat : moins de trois mois, le temps largement suffisant pour faire abattre un homme qui ne vit pas protégé derrière les murs d’une garde prétorienne. Ce n’était pas simplement un homme, fût-il président, qu’on a abattu mais tout ce qu’il représentait : la rébellion contre le néocolonialisme, la dignité, l’indépendance, la paix, l’espoir, le désarmement, un projet de société, un avenir, un idéal en dehors de ce qui est proposé par les grands de ce monde. Il représentait un autre monde, il préconisait un autre rapport avec les pays riches et développés d’Occident, un rapport de dignité et non de soumission. Ce nouveau rapport caressé par Thomas Sankara devait secouer les bases malsaines d’un monde construit sur l’exploitation, la duperie et la violence d’État, sur lequel les pays riches veillent comme on veille sur la prunelle de ses yeux. Comme on ne peut faire de « bonnes affaires » qu’avec des hommes corrompus, un homme intègre devient dans ce contexte un homme à abattre. Dans un monde de brigands, l’honnête homme passe pour un salaud. L’intégrité, la justice dérangent, car elles mettraient fin au modèle installé et dominé par l’Occident. C’est donc en valeur d’exemple qu’on a fait assassiner ce jeune président qui ne s’était laissé guider que par son intégrité, sa compassion pour les peuples asservis. On a éliminé celui qui a eu le courage de dénoncer les rouages de la dette immonde dont s’enrichit toujours l’Occident à travers des institutions internationales qu’il a mises sur pied depuis la fin de la deuxième guerre mondiale et qu’il contrôle. Par cet assassinat politique dont les enjeux tournent autour du pouvoir de contrôle sur le monde, on visait à faire peur à tous ceux qui seraient tenté de se dresser contre le néocolonialisme, ils ont été prévenus du sort qui leur serait réservé.

L’assassinat de Thomas Sankara n’a pas soulevé la foule en Afrique et encore moins en France, pays ancien colonisateur pour ne pas dire colonialiste qui s’y cramponne pour mieux contrôler les vieilles colonies perdues. Si Thomas Sankara fut abattu avec une telle facilité c’est parce que c’était un homme seul, parce qu’il n’y pas eu d’unité africaine, parce qu’il n’a pas obtenu le soutien souhaité de ses pairs, les hommes d’État d’Afrique, du moins sa proposition d’annuler la dette n’a pas été adoptée à l’unanimité. Si dans cette conférence on voit des visages gênés pendant son discours, – ce ne sont pas les pires parce que ceux-là ont encore un sentiment de honte en l’écoutant -, par contre, il y avait sans aucun doute des hommes qui ne laissaient transparaître aucun sentiment mais qui devaient se dire au fond d’eux-mêmes à son égard : « Cause petit ! On verra bien qui rira le dernier ! » Il y a eu bien sûr des applaudissements mais ils obéissaient sans doute plus à la logique de spectacle qu’à celle de conviction. C’était donc facile de se faire assassiner individuellement comme il a prédit. Les hommes d’État d’Afrique présents à cette conférence sont donc responsables aussi de sa mort au moins par non assistance à une personne en danger. Certains d’entre eux ont sans doute souhaité sa disparition ? Qui c’est ce jeune-là qui nous montre le chemin, qui nous donne des leçons ? Espérons que la pétition lancée par le site http://www.thomassankara.ne en son honneur aboutisse à faire éclater la vérité.

Même si Thomas Sankara s’en défend, à son honneur, en disant que la révolution au Burkina-Faso est une production locale qui n’a aucune prétention à s’exporter mais le modèle burkinabe pouvait se répandre malgré lui. C’est donc le risque de contagion de ce modèle qui inquiétait les prétendues démocraties occidentales qui tirent toutes les ficelles pour se maintenir en leadership. Elles s’attribuent le rôle de gendarmes avec leurs armes produites pour tuer tout en s’imposant comme interlocuteurs privilégiés, bref, elles s’autorisent à être juge et partie. Elles veillent à faire disparaître tout ce qui représente une alternative à leur modèle et ce dans tous les domaines (médecine, agriculture, élevage, consommation, arts, économie, politique, éducation, spiritualité, etc.) Plus les crises s’aggravent plus les masques tombent. Il n’y a pas d’alternative possible à l’intérieur de ce modèle occidental. Il faut chercher ailleurs, en dehors de ce monde marchand qui exploite et pénètre dans tous les domaines de la vie pour en tirer profits, sans avoir à se soucier du sort des humains, des dégâts en termes environnemental Le combat est donc inégal : d’un côté les puissants (en armes), de l’autre les faibles et pauvres. D’un côté on réclame la justice et la dignité, la fraternité, de l’autre on n’a que faire de ces notions bonnes à exiger des autres. Les gens qui ont une dignité ne se laissent pas chasser, or avec le [néo]colonialisme la chasse ne suffit pas. Un adage kazakh dit : « Quand on chasse un chien il s’en va. » Voilà la tâche qui attend tous ceux qui souhaitent bâtir un autre monde, en finir avec le monde dominé par le capital et les sangsues de l’humanité.

Il ne s’agit pas ici de faire des louanges à un personnage devenu aujourd’hui historique ni d’élever le respect à son égard au culte de la personnalité, ce serait trahir sa pensée. Nous souhaitons simplement mettre en regard, sans complaisance, ce qu’il a dit et ce qui s’est passé dans la réalité. Si son analyse sur l’ennemi commun des masses africaines et européennes est séduisante, est-ce que la réalité est aussi rose qu’on veut le croire ? Ce point de vue emprunté au marxisme était plus crédible à l’époque de Marx où les prolétaires européens vivaient à peu de choses près dans les mêmes conditions que les colonisées d’Afrique et d’ailleurs. Au XXe siècle, surtout depuis la deuxième guerre mondiale cette solidarité de classe s’étiole au fur et à mesure que le niveau de vie sépare les uns des autres. Il existe toujours une fraction de l’opinion européenne, du moins française, qui se sent solidaire, hier avec les colonies et aujourd’hui avec l’Afrique. Il s’agit plutôt d’intellectuels progressistes, de syndicalistes, de militants politiques ou associatifs que de masse populaire. Les masses européennes se sont-elles mises debout une seule fois en solidarité avec les masses africaines exploitées pendant la colonisation ? Le génocide au Rwanda dans les années 1990 n’ont pas empêché les masses européennes de dormir alors que la France comme ancienne puissance coloniale était fortement soupçonnée d’être impliquée d’une manière ou d’une autre. L’Afrique du Sud est un cas limite : il y eut effectivement des mouvements de masse en Europe occidentale, du moins en France, pour réclamer la fin de l’Apartheid ; la figure de Mandela marqua cette époque de luttes chez une franche de militants européens. Le régime d’Apartheid en Afrique du Sud était arrivé à un point où aucun État occidental ne pouvait s’afficher officiellement solidaire avec lui car cela discrédite son prestige. Aucun État occidental ne pouvait se permettre cette arrogance car ils ont besoin d’une apparence respectable. Au fond l’Afrique du Sud ne pouvait pas tenir si longtemps s’il n’était pas soutenu par ses frères européens et américains (comprendre États-uniens). Si l’Afrique du Sud fut lâché à la fin, ce n’est pas pour améliorer le sort des gens vivant à Soweto mais simplement pour redorer l’image des prétendues démocraties occidentales qui seraient desservie par le maintien de l’Apartheid. Plus près de nous, la mise à sac de la Libye n’a pas soulevé la foule européenne d’indignation. Cette réserve sur la solidarité internationale n’enlève rien au courage et la dignité d’un homme d’État qui voulait élever l’intégrité au sommet des principes de l’action publique.

En tout cas, même mort Thomas Sankara nous éclaire la route. C’est grâce à son combat, à des gens comme lui que nous comprenons mieux notre monde, la marche de ce monde. À cet égard nous pensons bien sûr à d’autres justes qui sont tombés sous les balles ou à cause des agissements de l’ordre établi, de l’autre monde qu’on peut appeler l’immonde. Citons rapidement les plus connus : Gandhi, Martin Luther King, Patrice Lumumba, Che Guevara, Salvador Allende, Jean-Marie Tjibaou. La liste serait très longue si on y intègre ceux dont l’histoire ne retient pas le nom car trop insignifiants sur l’échelle des valeurs marchandes.

Source : http://blog.danco.org

Vous trouverez la retranscription du discours à http://thomassankara.net et une video à http://thomassankara.net

1 COMMENTAIRE

  1. A propos du discours de Thomas Sankara sur la dette
    Lorsque je lis certain écrits sur notre Président Thomas Sankara et écoute de nouveau ses discours, je revis la révolution. Nul n’ignore que ce fut un grand prophète des temps nouveau.Heureusement que nous somme là pour continuer sa prophétie. Heueusement aussi qu’avec l’insuection des 3O et 31 octobre 2014, les langues se delient et les intouchables quittent les villas freutées pour les prisons qui étaient reservés aux faibles. Que Dieu benisse notre cher Faso. Bon vent au balai citoyen qui à pu balayer le regime blaisiste pour l’installation d’un Burkina véridique comme le souhaitait Thomas Sankara.Tuer Sankara, demain il y aura vingt Sankara

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