Nous publions ci-dessous une interview de Mélégué Traoré, mais les lecteurs n’en sauront que très peu sur son passé, si ce n’est qu’il a été diplomate durant la Révolution. Et pourtant, après avoir été diplomate durant la Révolution, il rejoint le camp de Blaise Compaoré, et au tout premier puisqu’il fut ministre des Enseignements secondaire, supérieur et de la Recherche scientifique, puis Président de la l’Assemblée Nationale 5 ans durant à partir de 1997, et enfin a mené une longue carrière à partir de 2007 comme président du Comité Interparlementaire de l’UEMOA.

Surtout, Mélégué Traoré est de ceux qui sont restés fidèles à Blaise Compaoré après l’insurrection. Il continue d’ailleurs d’exercer des responsabilités au sein du CDP.

Cette interview contient des réflexions et des éclaircissements intéressants sur ce qu’est la diplomatie, le rôle des ambassadeurs. Nous avons coupé ses passages, l’interview est très longue, pour ne garder que ce qu’il relate alors qu’il était ambassadeur du Burkina aux États-Unis. Vous pourrez lire l’interview en entier à https://lefaso.net/spip.php?article95052).

Mais nous lisons ce qui est dit sur diplomatie de Blaise Compaoré, qu’il qualifie de “rationnelle” avec une certaine circonspection si ce n’est de la colère. “C’était une politique où les calculs froids tenaient une place centrale. Le Burkina Faso allait uniquement là où le gouvernement pensait que se trouvait l’intérêt du pays.” Alors rappelons le trafic de diamants avec Jonas Savimbi soutenu par l’Afrique du Sud, le soutien en hommes et en soldats à Charles Taylor qui a été condamné à 50 ans de prison par le Tribunal spécial sur la Sierra Léone, la déstabilisation de la Côte d’Ivoire, et la complicité avec les Chefs terroristes, sans compter les différentes déstabilisations dans d’autres pays de la région.

Ce genre d’interview, tend à réhabiliter des gens qui ont cautionné tout cela, avec la comlicité du journaliste qui ne aucune question sur les dossiers noirs de la politique étrangère du Burkina. Ces personnages, et ils sont nombreux, apparaissent de plus en plus dans différents panels publics, dans lesquels on omet de les questionner sur leur passé.

Voilà pourquoi l’insurrection apparait inachevée, pour reprendre le titre de mon dernier ouvrage. Aucune introspection, aucun procès n’ont été lancés qui auraient permis que le peuple sache qui a fait quoi durant la période où Blaise Compaoré a dirigé ce pays. Ce n’est pas de cette façon que l’on doit rendre compte de l’histoire du Burkina, ni de l’histoire des hommes qui ont été complices de ce régime.

Fidèle à notre éthique au sein du site thomassankara.net, il nous est apparu nécessaire de rappeler tout cela dans l’introduction de cette interview, afin de rétablir certaine vérité et que nos lecteurs en profitent en sachant à qui ils ont affaire.

Bruno Jaffré


Alors qu’en cette matinée de samedi 25 janvier 2020 à son cabinet sis au quartier Patte d’Oie, il se disposait pour un de ses nombreux déplacements à l’international, la parenthèse que nous avons ouverte sur la situation nationale s’est finalement transformée en une interview sur la vie diplomatique du Burkina, de 1960 à ce jour ; du président Maurice Yaméogo à Roch Kaboré, en passant par Sangoulé Lamizana…, Thomas Sankara et Blaise Compaoré. Ancien président de l’Assemblée nationale, ancien ministre des Enseignements secondaire, supérieur et de la Recherche scientifique, l’ambassadeur Mélégué Traoré, puisque c’est de lui qu’il s’agit, retrace ici un pan de l’histoire du pays.

…/…

Comment êtes-vous devenu diplomate ?

C’est à la fois simple et complexe. J’ai fait au départ des études de Lettres modernes et d’Histoire. Au Centre d’enseignement supérieur, le CESUP, qui est devenu l’Université de Ouagadougou en 1974, j’ai simultanément fait les deux licences. Arrivé à Grenoble en France, je me suis inscrit, en plus de ces deux disciplines, à l’Institut d’études politiques, l’IEP, et puis après à Bordeaux, en Lettres, en Histoire, et en Sciences politiques. Plus tard, j’ai fait l’Institut d’administration publique de Paris, l’IIAP, où je suis sorti major de toutes les disciplines. A l’époque, à l’IIAP, il y avait la diplomatie, les finances, l’administration territoriale et l’économie. A la fin des études, sortaient un major par discipline et un major général de toutes les disciplines. C’était moi. En même temps, j’ai fait le DESS en diplomatie et droit des organisations internationales.

Je vous raconte tout cela, qui n’a pas grand intérêt, parce que mon parcours par la suite s’explique par ce caractère multidisciplinaire. Rentré au pays, c’est presque par hasard que j’ai choisi la diplomatie. En fait, j’avais préparé deux dossiers : un pour enseigner les sciences politiques à l’Université et l’autre dossier pour entrer aux Affaires étrangères. Il se trouve que j’étais très ami avec le colonel Félix Tientarboum qui venait d’être nommé ministre des Affaires étrangères.

Quand j’étais à l’Université de Grenoble, un jour, de passage à Paris en mission, il était venu me rendre visite (Grenoble est à environ 600 km de Paris). Ça m’a marqué, mais m’a créé quelques problèmes avec certains étudiants à l’AEVF (Association des étudiants voltaïques en France, ndlr). En plus, à l’époque, j’étais le commissaire général des Scouts de Haute-Volta et le président de la Fédération voltaïque du scoutisme. Naturellement, en fin de compte, les Affaires étrangères l’ont emporté sur l’Université. Voilà comment je suis entré aux Affaires étrangères.

En ce qui concerne ma carrière, mais pour juste deux ou trois faits… J’ai été très marqué par la période où j’ai dirigé notre ambassade à Washington en tant que chargé d’affaires de 1984 à 1986 et surtout pendant la guerre de décembre 1985 entre le Burkina et le Mali. Il y avait dans les capitales à travers le monde, une véritable compétition entre les ambassadeurs du Burkina et ceux du Mali. A Washington, chacun des deux ambassadeurs voulait convaincre le Département d’Etat américain que c’est son pays qui avait raison dans le conflit. Et pour le faire, il fallait présenter les cartes coloniales des frontières.

Je suis historien de formation aussi et je détiens toujours des tas de documents ; donc c’était plus facile pour moi de trouver et d’amener les cartes côté burkinabè, et de les présenter aux Américains ; l’ambassadeur malien faisait la même chose de son côté. Lui et moi, nous nous taquinions à ce sujet d’ailleurs… Ce n’était pas une guerre entre l’ambassadeur Modibo et moi. Plus tard d’ailleurs, alors que j’étais au gouvernement, il a été nommé ambassadeur du Mali à Ouagadougou. Vous voyez, c’est ça la vie des diplomates.

En pleine guerre entre vos deux pays, vous vous taquiniez ?

En pleine guerre, dans une même capitale, les ambassadeurs des pays belligérants gardent souvent des contacts entre eux. Même lorsqu’un gouvernement déclare la guerre à un autre pays, il ne porte jamais atteinte à l’ambassadeur de ce pays en résidence chez lui, car celui-ci est toujours couvert par les immunités diplomatiques jusqu’à ce qu’il quitte l’État de résidence, que nous appelons dans notre jargon du droit diplomatique, l’État accréditaire. Il garde les mêmes immunités quand il traverse des pays tiers pour rentrer chez lui.

L’autre fait qui m’a beaucoup marqué, c’est lorsque j’étais à Moscou comme ambassadeur auprès de la plupart des pays communistes, jusqu’en Mongolie. J’ai même été pour présenter mes lettres de créance à Oulan-Bator, la capitale de la Mongolie, en 1987. Il n’y avait que deux Noirs dans ce pays, un État quatre à cinq fois plus grand que le Burkina. Ces deux Noirs étaient deux étudiants angolais, qui étaient bénéficiaires de bourses offertes par le gouvernement mongol. Alors, quand je suis arrivé à Oulan-Bator, c’était la joie pour eux de voir un ambassadeur africain, noir. Les petits Mongols courraient après-moi dans la rue pour venir frotter leurs doigts sur mes mains, pour voir s’ils n’allaient pas noircir ! Ce sont des faits qu’on n’oublie pas. Mais, ce n’étaient que des enfants !

1987, c’est l’année du 15 octobre. Avez-vous des souvenirs précis à ce propos ?

Et comment ? Pour les évènements du 15 octobre 1987, à la mort de Thomas Sankara et de ses compagnons, à Moscou, nous n’étions au courant de rien du tout au départ. A l’époque, il n’y avait pas internet, pas de SMS, pas de e-mails. Les seuls canaux de communication avec Ouagadougou, c’était par la radio et par le télex, car le téléphone passait difficilement. La Radio du Burkina, elle, on ne parvenait pas l’écouter. Moscou n’est pas loin du pôle Nord ; il était pratiquement impossible d’écouter notre radio nationale, qui n’était pas assez puissante. Mais, il y avait des stagiaires burkinabè dans une localité à une cinquantaine de kilomètres de Moscou où les Soviétiques détenaient un centre qui formait les révolutionnaires, les espions et les rebelles du monde entier.

Le CNR (Conseil national de la révolution) y avait envoyé 25 jeunes officiers et magistrats. Eux ils arrivaient, je ne sais trop comment ils faisaient, à capter Radio Burkina chaque jour à 22h. Ils la captaient, mais juste pendant une heure seulement, puis ils la perdaient. Ce jour-là, le 15 octobre, je me souviens, nous avions été, tous les ambassadeurs africains, convoqués au MID, le ministère soviétique des Affaires étrangères. Le ministre voulait nous informer officiellement que les pays de l’Est, dont l’URSS (Union des républiques socialistes soviétiques, devenues Russie) était le chef de file, avaient décidé de ne plus soutenir la candidature du Sénégalais Amadou-Mahtar M’Bow, pour un troisième mandat comme directeur général de l’UNESCO.

En effet, c’est grâce aux pays de l’Est, qui associaient leurs voix à celles des Africains, qu’il avait à chaque fois, été élu à la tête de l’UNESCO. Le ministre soviétique des Affaires étrangères souhaitait donc que dès le lendemain matin, chaque ambassadeur envoie un télex à son gouvernement pour l’informer de cette décision du bloc de l’Est. Car on était à la veille de la conférence générale de l’UNESCO, et la décision des pays communistes était lourde de conséquences pour le Sénégal et pour l’OUA.

Je suis revenu de cette rencontre vers 22 heures et c’est à ce moment que Mathieu Koyo, un jeune magistrat et chef scout, qui était dans le groupe des stagiaires m’a appelé pour me dire qu’il se passait des choses graves à Ouagadougou. Je lui ai demandé ce qui se passait. Il m’a informé qu’on parlait de coup d’État au Burkina Faso, mais on ne savait pas qui était mort. Tantôt, certains parlaient de Blaise Compaoré, d’autres de Thomas Sankara et même d’Henri Zongo. Tout était confus. Nous ne savions pas ce qui se passait donc au pays. C’est seulement deux jours après les évènements que nous avons appris que Thomas Sankara avait été tué.

Le dimanche qui a suivi, le groupe de stagiaires voltaïques est venu à ma résidence et pendant qu’on était au déjeuner, nous nous sommes mis à discuter de ce qui était arrivé le 15 octobre à Ouagadougou. On m’a expliqué que ce sont les commandos de Pô qui étaient remontés à Ouagadougou pour faire le coup. Sur le champ, j’ai déclaré qu’à mon avis, on ne devrait plus laisser faire les commandos de Pô, sinon un jour, ils dicteraient au pays qui doit le diriger, et que cela n’était pas acceptable.

Le problème, c’est que j’ignorais que ce que je disais était enregistré avec la complicité de mon premier conseiller Anatole Kikiéta, que j’avais choisi ici pour être venir moi à Moscou, contre l’avis d’ailleurs de nombreuses personnes au ministère. Mes propos étaient ainsi par la suite, régulièrement enregistrés, et envoyés à Ouaga à mon insu. C’est cela qui apparemment a conduit, plus tard, à mon rappel, parce qu’on me considérait comme un ambassadeur de tendance sankariste. Cela, je ne l’ai su que bien plus tard, alors que j’étais devenu ministre en 1992.

Avez-vous d’autres détails sur cette affaire étonnante ?

L’autre chose qui m’a aussi marqué, c’est qu’après le 15 octobre, c’est moi qui ai été annoncé officiellement à Michaël Gorbatchev, l’assassinat de Thomas Sankara. Sa réponse m’a laissé interloqué. Vous savez, avec toutes les grandes puissances, qu’elles soient communistes ou capitalistes, quand on est un petit pays, c’est pareil, vous ne pesez pas lourd. C’était avant une réception au Kremlin. Gorbatchev m’a tout juste répondu que c’était un problème interne ; pas un mot de plus ; ni de regret, ni de compassion ; rien !
Je me le suis tenu pour dit.

C’est toute sa réaction, quand bien même le Burkina Faso était un pays révolutionnaire ?

Oui. Je vais vous le dire, c’est nous qui proclamions ici au Burkina que nous étions révolutionnaires. Dans les pays socialistes à l’Est, les dirigeants avaient une autre opinion sur la révolution burkinabè. Je m’en suis très rapidement rendu compte dans mes rapports avec les autorités soviétiques. C’était pareil avec Eric Oneker à Berlin-Est, Barcikoysky à Varsovie, Théodore Jouvkov à Sofia à Budapest, et partout ailleurs dans les pays communistes.

Alors que tout le monde croyait au Burkina que les Soviétiques supportaient beaucoup la Révolution burkinabè, qu’ils étaient avec nous, nos dirigeants se trompaient. En réalité, les Soviétiques n’ont jamais cru en la Révolution burkinabè, la RDP (Révolution démocratique et populaire). Dans la doctrine soviétique, depuis Lénine à partir des années 1917, une Révolution dirigée par des militaires n’en est pas une. Le Kremlin avait du respect pour la révolution chinoise qui avec Mao Tsé-Toung, était issue d’une insurrection paysanne. Celle de l’URSS avait comme base le prolétariat industriel.

Les dirigeants à Moscou ont toujours considéré que chez nous, le CNR était un régime militaire progressiste à l’africaine, favorable aux pays de l’Est, aux pays communistes et à l’Union soviétique. Mais ils ne l’ont jamais considérée comme une vraie révolution. Évidemment, ici notre gouvernement et les CDR (Comités de défense de la révolution) ne savaient pas cela. Mais comment le leur dire à l’époque sans avoir des problèmes ? Un an avant, le président Thomas Sankara avait été en visite officielle en Union soviétique avec une délégation forte de 50 membres, et l’évènement avait eu un grand retentissement. Il avait été reçu avec tous les honneurs possibles par Gorbatchev, le secrétaire général du parti communiste de l’URSS et par Andrei Gromiko, le président du Présidium du Soviet suprême de l’URSS, le chef de l’Etat.

Vous savez, alors que j’étais Chargé d’Affaires à Washington, j’avais développé des rapports avec les groupes et les partis d’orientation socialiste ou d’extrême gauche. Jusqu’aujourd’hui, il y en a aux Etats-Unis une cinquantaine. C’est surprenant, mais ils avaient la même appréciation que les Soviétiques sur notre révolution. Ils admiraient et louaient Thomas Sankara pour son nationalisme et ses critiques acerbes à l’encontre les Occidentaux. Ils admiraient ça, parce que cette politique était contre les Occidentaux. Mais pratiquement, tous m’avaient régulièrement tenu le même langage que j’ai plus tard entendu à Moscou. Pour ces Américains, la plupart d’extrême gauche, qui attendaient le grand soir du capitalisme en décrépitude, et l’avènement du grand matin du socialisme triomphant, une vraie révolution, surtout tropicale, ne pouvait être conduite par des militaires.

Quel a été l’impact du 15 octobre sur la vie diplomatique du Burkina, notamment les ambassadeurs ?

Jean Marc Palm Domba, aujourd’hui président du Haut-conseil du dialogue social, pourrait mieux répondre à cette question que moi, car il a été le premier ministre des Affaires étrangères sous le Front populaire. Le gouvernement avait, m’a-t-on dit, classé les ambassadeurs à l’extérieur en trois groupes. D’abord ceux pour lesquels il n’avait pas de doute, c’est-à-dire les ambassadeurs que la Révolution classait au départ parmi les réactionnaires et qui avaient échappé aux rappels en 1984. Ces ambassadeurs-là devaient être contents de la fin de la Révolution, style Sankara.

A l’autre extrême, ceux que le gouvernement estimait être des diplomates proches de Sankara ou à tendance sankariste. J’étais dans ce groupe, surtout que j’étais très lié à feu Michel Tapsoba, l’ancien président de la CENI, qui était mon logeur quand je venais au pays, qu’on avait arrêté après le 15 octobre. Et entre ces deux groupes, il y avait une masse d’ambassadeurs dont on ne connaissait pas exactement la position. Ceux qui étaient tièdes, sans agressivité sous Sankara, n’ont pas été touchés paradoxalement et cela se comprend.

Parmi ceux qui étaient entre les deux groupes, nombreux, sont restés en place même si quelques-uns ont été rappelés. Ceux qui étaient considérés comme étant de gauche, tendance sankariste, comme moi ou Sankara Mousbila à Tripoli ou Sanogo Bassirou à Alger, ont été pratiquement tous rappelés. Vincent Ouédraogo, notre ambassadeur à Cuba avait fui avec les Fonds de l’ambassade après avoir rendu les véhicules de la mission. La réalité est que n’eut été mes critiques sur les commandos de Pô, je n’aurais probablement pas été rappelé.

…/…

Aujourd’hui, la marche du Burkina en matière de diplomatie est-elle performante ?

Elle l’est incontestablement, même si ici au pays, les Burkinabè ne le savent pas. Nous sommes un pays aux ressources limitées. C’est pour cela que le Burkina n’a pas un dispositif diplomatique dense, en mesure de quadriller toutes les zones ou tous les pays du monde. La plupart de nos ambassades couvrent en même temps plusieurs États accréditaires, à l’exception de celles dépêchées auprès du Saint siège à Rome et à l’ONU. Là aussi, il convient de préciser que l’ambassadeur est accrédité auprès du Saint Siège, le gouvernement de l’Eglise catholique universelle, et non auprès du Vatican ou du Pape.

Notre politique étrangère a connu plusieurs étapes dans son histoire. Il y a quatre ou cinq ans, j’ai publié une réflexion sur ce sujet pour Lefaso.net à votre demande d’ailleurs. La première étape a été celle de l’indépendance ; la diplomatie du premier président, Maurice Yaméogo. Elle était pro-occidentale à deux cent pour cent et excessivement anti-communiste. Mais on minimise généralement les aspects positifs de l’action diplomatique du premier président tels son refus de signer les accords de défense avec la France en avril 1961, sa détermination qui a obligé la France à évacuer les bons militaires à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso, ses visites officielle au Vatican et à Washington avant les autres chefs d’Etat, la tentative d’établir des relations diplomatiques avec l’Egypte, et bien d’autres initiatives. Puis, à partir de janvier 1966, c’est ensuite la période de Sangoulé Lamizana, que Doulaye Corentin Ki dans le tome 1 de ses ouvrages sur la politique étrangère du Burkina Faso, qualifie de diplomatie du bon père de famille.

Sangoulé Lamizana ne voulait de problème avec personne. La diplomatie s’est alors ouverte aux Etats de l’Est socialiste, et aux pays arabes, à l’inverse de celle de Maurice Yaméogo. Dès février 1967, Lamizana a lancé le mouvement. C’est sous lui que le Burkina est entré dans le mouvement du non-aligné et a véritablement intégré la Haute-Volta dans la mouvance du Tiers monde.

Ensuite, sont venues les années de 1980 à 1983, caractérisées par l’instabilité politique. Or, généralement, l’instabilité dans un pays ne lui permet pas de conduire une politique étrangère efficiente. Dès lors qu’un Etat n’est pas stable à l’intérieur, son gouvernement n’a pas le temps et les moyens de concevoir et de construire une politique étrangère cohérente et performante. Entre 1967 et janvier 1970, à cause de la guerre civile du Biafra, le Nigeria avait perdu tous ses repères en matière de diplomatie. Plus récemment, la diplomatie ivoirienne a été paralysée pendant une décennie par la crise des années 2002-2011. Nous-mêmes, au Burkina, nous avons vécu cela avec le CMRPN (Comité militaire de redressement pour le progrès national) et le CSP (Conseil du salut du peuple), de novembre 1980 à août 1983.

Les changements successifs de régimes ne sont généralement pas propices à une politique étrangère cohérente et active. Néanmoins, le CMPRN, a eu une politique étrangère nationaliste. Elle était beaucoup plus audacieuse que celle de la période antérieure à 1980.

Que faut-il comprendre ici par « politique étrangère nationaliste » ?

Cela veut dire que la défense des intérêts du Burkina était la priorité. Le gouvernement tenait à l’affirmation de l’Etat dans la sphère internationale, même si c’était parfois par des méthodes contestables telles que l’institution du laissez-passer pour les Voltaïques qui voulaient émigrer. C’est avec les colonels, sous le CMPRN, qu’a commencé l’affirmation de la fibre nationaliste burkinabè, en Afrique et dans le monde, reprise plus tard par la Révolution. Avec celle-ci, la politique étrangère était plutôt orientée vers les pays progressistes, les gouvernements anti-impérialistes et ceux du Tiers-monde.

Le style du président Sankara était particulier, avec beaucoup d’agitation, de discours enflammés, de déclarations fracassantes, mais quelques fois inutilement provocatrices. En 1985, il n’avait pas hésité à déclarer que le peuple malien avait besoin de la révolution s’il voulait s’en sortir. Naturellement, le gouvernement malien, qui avait déjà des difficultés à l’intérieur, ne pouvait pas l’accepter et en a fait un prétexte. Ce fut l’une des origines de la guerre de décembre 1985.

La politique étrangère du CNR était faite de coups d’éclat, très voyante, voire tonitruante. C’était une diplomatie tribunitienne. Elle a été un temps fort de la politique étrangère de notre pays. Avant la Révolution, souvent les délégués burkinabè pendant les conférences internationales, étaient plutôt discrets. C’est la Révolution qui a véritablement donné au Burkina sa fierté, forçant les autres à nous respecter. Cette fierté a gonflé les diplomates burkinabè à bloc.

Le changement de nom du pays lui-même a parallèlement contribué à cela, même si au départ, les diplomates burkinabè, par manque d’informations, avaient du mal à en expliquer la signification. J’étais à Washington au moment du changement de nom. On était envahi d’appels des institutions, des entreprises, des universités, posant des questions auxquelles nous ne pouvions pas répondre. De plus, sans informations dans nos ambassades, nous avions beaucoup de mal à expliquer les raisons du changement de nom du pays, de Haute-Volta, en Burkina Faso et la signification même de ce nom.

A partir de 1987 et surtout 1989, a commencé la phase de rationalisation de la politique étrangère avec Blaise Compaoré et le Front Populaire, puis la IVe République. C’était une diplomatie sans déclarations fracassantes. Le style de Blaise Compaoré n’était évidemment pas celui de Thomas Sankara. Avec lui, on a eu affaire à une politique des relations extérieures très rationalisées, où les sentiments n’avaient pas leur place. La question était toujours de savoir quel est l’intérêt du Burkina dans telle ou telle opération de portée diplomatique. C’était une politique où les calculs froids tenaient une place centrale.

Le Burkina Faso allait uniquement là où le gouvernement pensait que se trouvait l’intérêt du pays. La rationalité était le réalisme brut à la Hans Morgenthau. Le rétablissement des relations diplomatiques avec Taïwan en février 1994 avait plusieurs raisons. Elle s’expliquait entre autres, par la logique de la diplomatie dite du chéquier, une expression forgée au milieu des années quatre-vingt –dix pour qualifier la politique extérieure de Taïwan. Seules les ambassades de Cuba, et dans une moindre mesure d’Alger, ont échappé à l’emprise de la rationalisation.

Tout était calculé. Dès lors qu’une ambassade par exemple était sensée ne rien rapporter au Burkina, on la fermait. La fermeture des ambassades à Téhéran et à Moscou, obéissait à cette logique. Dès lors qu’on ne pouvait rien gagner avec un pays, on n’établissait pas de relations diplomatiques avec lui, ou en tout cas, on n’y installait pas de mission permanente. Cette politique de la rationalisation de la politique étrangère a duré jusqu’en octobre 2014.

Mais c’est aussi la séquence de la montée en puissance de la diplomatie burkinabè. Alors qu’il n’en avait pas les moyens, le Burkina Faso est devenu une des principales places fortes de la diplomatie en Afrique. Notre pays a alors bousculé le schéma qui faisait depuis les indépendances, de Lagos puis Abuja, Accra, Abidjan et Dakar, les quatre pôles diplomates d’Afrique de l’Ouest Kontchoukoue-migui Augustin a fait en 1970, une étude magistrale sur cette question dans son ouvrage intitulé, Le système diplomatique africain. C’est un phénomène rare dans la diplomatie universelle, que cette intrusion d’un État faible, par effraction, dans le cercle des États dominants dans une région donnée. Il est tout aussi rare que cela dure longtemps. Il suffit qu’un des grands déterminants change. C’est ce qui est arrivé le 30 octobre 2014 (insurrection populaire, ndlr).

Comment qualifier alors la période post-insurrectionnelle ?

La période que nous vivons à présent, est celle des nouvelles interrogations. Elle est trop courte pour qu’on puisse l’évaluer. Mais, on peut au moins dire qu’elle recèle une part de continuité avec la séquence précédente. Jusque-là les grandes lignes de la politique étrangère sous Blaise Compaoré n’ont pas été fondamentalement modifiées par les nouvelles autorités. Toutefois, le style des acteurs n’est plus le même. Le style de Roch Kaboré n’est pas celui de Blaise Compaoré. Mais, l’opportunisme ou le sens de la saisie des opportunités si l’on veut, qui caractérise notre politique étrangère est toujours le même. C’est ce qui explique le rétablissement des relations diplomatiques avec la Chine populaire en mai 2018.

Dès 1961, la Haute-Volta avait établi des relations diplomatiques avec Taïwan, pratiquement en même temps qu’avec la France. Mais l’ambassadeur de Taïwan résidait à Paris. Il n’est devenu résident à Ouagadougou qu’en 1967. La même année, la Haute-Volta, a de son côté, nommé un ambassadeur auprès de Taïwan, mais il était non-résident. Il s’agit du ministre des Finances de l’époque l’intendant militaire, Tiémoko Marc Garango qui n’a jamais résidé à Taipei comme chef de mission diplomatique permanente.

Ensuite, en 1973, ce fut le bouleversement diplomatique mondial suite à l’entrée de la République populaire de Chine à l’ONU et au Conseil de sécurité, en lieu et place de Taïwan. Le Burkina a donc alors rompu avec Taipei, pour se tourner vers Pékin. Et puis, en 1994, Ouagadougou a estimé qu’il ne gagnait pas grand-chose, ou pas assez avec Pékin en termes d’aide. Mais en réalité, le changement était lié aussi à une tournée du ministre des Affaires étrangères de la Chine populaire dans notre sous-région, au cours de laquelle il avait été dans toutes les capitales sauf Ouagadougou. A l’époque, j’étais au gouvernement. Blaise Compaoré l’a mal pris. C’est le mélange de tous ces faits qui ont provoqué la décision de rompre avec Pékin et de se tourner de nouveau vers Taïwan. Cela a duré 24 ans.

En mai 2018, le Burkina a une fois de plus décidé de renouer avec Pékin. C’est une décision opportuniste ; la diplomatie du caméléon ; mais c’est aussi ça la diplomatie et la politique étrangère des Etats. Le parcours des intérêts de l’Etat, ou la vision que le gouvernement en a, est rarement linéaire. Il n’y a pas de morale ou de sentiments en politique étrangère. Seuls comptent les intérêts et les rapports de force, lorsque les intérêts des Etats deviennent divergents ou opposés.

On observe que la politique étrangère sous Roch Kaboré met aussi l’accent vers les pays arabes !

Oui, effectivement, et le président Kaboré a raison ; c’est notre intérêt de le faire. Comme disait Robert Mugabé en 2006, lors du Forum Chine-Afrique, « maintenant nous regardons vers l’Est, là où le soleil se lève ! ». Toutefois, il faut savoir que c’est Sangoulé Lamizana qui a lancé les rapports avec les pays du Maghreb et du Machrek (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Mauritanie).

C’est sous lui, qu’à partir de 1968, la Haute-Volta a d’abord signé un accord commercial et plusieurs autres accords avec l’Egypte, malgré un incident diplomatique entre les deux Etats en 1961 où il y a eu ratage du projet d’établissement des relations diplomatiques. Puis ensuite, le président Sangoulé s’est rendu à la Mecque. Après cela, les relations ont été établies avec la Libye.

Enfin, l’ouverture sur l’ensemble du monde arabe, avec des ambassades à Alger, au Maroc, en Arabie Saoudite, au Qatar et au Koweït. C’est vraiment l’œuvre de Lamizana au départ, et aucun gouvernement n’a par la suite remis en cause cette politique. La diplomatie parlementaire a suivi à partir des années 1990. Le gouvernement actuel n’innove pas véritablement sur ce terrain. C’était aussi, déjà, l’orientation de notre diplomatie sous Blaise Compaoré, marquée par des relations particulières avec certains Etats tels que la Libye, le Maroc, l’Algérie. Souvenez-vous qu’il a pris le risque énorme de brasser l’embargo qui frappait la Libye.

Il y a assez de clichés autour des représentations burkinabè à l’extérieur, faut-il comprendre que ça rase les murs ?

Non, nos diplomates ne rasent jamais les murs, vraiment pas du tout. Mais, ils ne sont pas non plus au paradis ou dans le luxe comme certains le pensent. A mon avis, il faut radicalement réviser les conditions de vie et de travail de nos diplomates à l’intérieur et à l’extérieur. Si l’on veut qu’ils soient efficaces, il faut qu’ils travaillent dans des conditions matérielles et morales favorables pour le faire. A commencer par les diplomates à l’intérieur ici même. Pour un diplomate, le seul grand poste qu’il peut occuper dans l’Etat un jour, c’est celui d’ambassadeur. Il ne sera jamais directeur général d’une grosse société d’Etat à la tête d’un important organisme, ou gouverneur. Il n’a que le poste d’ambassadeur comme perspective au bout de son parcours dans l’administration.

Or, les agents de la carrière diplomatique sont anormalement concurrencés sur ce plan par les allogènes : des officiers de l’armée, des journalistes, des professeurs, des responsables d’organisation, des économistes et des personnalités d’horizons divers, à la tête des missions diplomatiques. Cela pose un vrai problème pour les diplomates de profession qu’il n’est pas raisonnable d’occulter. La question n’est pas d’abordé de nature corporatiste. Il s’agit de justice et de la gouvernance rationnelle de l’Etat.

Notez qu’au départ, le terme allogène n’était pas du tout péjoratif. Je suis à l’origine de l’expression « allogène » aux Affaires étrangères. Ce terme est parti d’une note que j’avais adressée en novembre 1985 à Basile Guissou, notre ministre des Affaires étrangères, alors que j’étais Chargé d’Affaires à Washington. Il s’agissait d’une réflexion d’une dizaine de pages sur la gestion du personnel au ministère. Dans la note, j’ai employé le terme « allogène » pour désigner ceux qui, appartenant à d’autres départements et d’autres corps de la fonction publique viennent au ministère des Affaires étrangères, et qui ne sont pas diplomates de carrière, mais dont on a besoin des compétences.

Parmi eux, je citais les économistes ; mais à présent, il faut y ajouter les financiers, les conseillers culturels, les scientifiques, quelques personnels de sécurité. J’ai d’ailleurs par la suite à Moscou, étoffé le document en insistant sur la nécessité de garder un équilibre sur ce plan autre allogènes et agent des corps des Affaires étrangères, le ministère étant d’abord celui des agents de la carrière diplomatique.

C’est par un glissement lexical et sémantique qu’avec le temps, on l’a appliqué l’expression « allogène » aux ambassadeurs, dans un sens malheureusement péjoratif, qu’il n’avait pas du tout au départ. J’ai conservé le document de novembre 1985 et on peut le retrouver dans les archives du ministère. Il faut dire que ce problème des ambassadeurs non professionnels dans les ministères des Affaires étrangères est généralisé dans le monde. Les Américains ont, pour le résoudre, posé un principe depuis 1947 après la deuxième Guerre mondiale. Ce principe est devenu de pratique généralisée dans le monde, ou quasiment universelle. C’est celui de la règle des 2+1. Beaucoup de pays dans le monde, ont repris ce schéma.

…/..

Interview réalisée par Oumar L. OUEDRAOGO Lefaso.net

Source : https://lefaso.net/spip.php?article95052

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