Chronique d’une tragédie organisée

15 octobre. inventer un autre avenir face à la déroute des consciences africaines meurtries. Respecter le bien public, lutter contre l’injustice et la corruption. Lutter contre la pauvreté, la misère, la fatalité pour redonner dignité et espoir. Pour cela, il a été tué pour empêcher que la politique ne soit pas productrice de chef d’œuvre émancipateur et contagieux. Evoquer inlassablement son combat et son assassinat donne vie à la conscience de l’Afrique en mutation.

Cet article est extrait de l’hebdomadaire Bendré du 17 octobre 2004. Voir à l’adresse http://www.bendre.africa-web.org/article.php3?id_article=796

Par Pabèba Sawadogo

Le destin tragique de Thomas Sankara est lié au combat pour l’avènement d’une démocratie sociale. Ce combat ne pouvait plaire à la " Mafiafrique " composé des groupes d’affairistes et leurs collaborateurs qui gouvernent l’Afrique. Alors, il fallut l’exterminer. On trouva le bras armé dans les relais locaux et la machine se mit en branle. Retour sur les causes d’un jeudi macabre.

En fait, il faut convenir d’une chose : le 15 octobre et la rectification sont intervenus précisément parce que les camarades qui avaient commencé la RDP avec Thomas Sankara, étaient essoufflés et qu’ils ne se sentaient ni la force ni l’âme de continuer. Et comme les adversaires du processus existaient et étaient influents, tant en dehors que dans les rangs même des révolutionnaires, ils n’ont pas eu de la peine à rallier à eux tout un monde pour contrebalancer la RDP. La raison toute trouvée de la " trahison de la voie initiale" a été vite évoquée.
Or le capitaine Thomas Sankara a été le premier à se rendre compte de la nécessaire démocratisation du processus, lui qui professait en août 1987 à Bobo Dioulasso qu’il "fallait au Burkina, un peuple de convaincus et non un peuple de vaincus, de soumis qui subissent leur destin". Il avait commencé ainsi la véritable "Rectification" de la RDP marquée du reste par l’élargissement de plusieurs détenus politiques et de droit commun. Les sanctionnés à tort retrouvaient la possibilité de reprendre leur carrière.
Mais cette politique initiée par Thomas Sankara a vite été "court-circuitée" par le 15 octobre et revendiquée par le front populaire. Il fallait laisser l’image d’un Sankara fermé et hostile aux ouvertures. Aussi, les choses s’accélèrèrent très vite après le discours de " réconciliation" d’août 87 à Bobo où Sankara disait notamment : "Dans le proche passé, nous avons parfois commis des erreurs. Cela ne devra plus se produire sur la terre sacrée du Faso. Il doit y avoir de la place dans le cœur de chacun de nous pour ceux qui ne sont pas encore parfaitement en harmonie avec le discours d’orientation politique et les objectifs de notre plan quinquennal. Ce sera à nous d’aller à eux et de les gagner à la cause révolutionnaire du peuple… Nous devons préférer un pas ensemble avec le peuple plutôt que de faire dix pas sans le peuple". In Thomas Sankara, oser inventer l’avenir p.264 Ed Pathfinder et l’harmattan 1991.
Après ce discours, il fallait se dépêcher d’arriver au pouvoir, car laisser le temps à Thomas Sankara d’amorcer réellement la démocratisation de la RDP , ce serait se priver de prétexte justificatif d’un coup d’Etat militaire.
La commémoration du discours du 2 octobre à Tenkodogo sera l’occasion pour les comploteurs d’accélérer leurs manœuvres de liquidation de la révolution et d’entreprendre ce faisant, le 15 octobre 1987 .

La crise qui prévalait depuis un certain temps sur le terrain politique a gagné comme à l’accoutumée le terrain militaire, et il fallait dès lors que les armes parlent pour la dénouer. Telle a toujours été la tactique des hommes politiques au Burkina Faso . Ils créent toujours une pourriture qui oblige les militaires à intervenir. Dans le cas du CNR, il faut y ajouter le fait que la rigueur prônée n’était pas du goût de tout le monde, notamment de certains commandos, artisans du coup d’Etat révolutionnaire du 4 Août 1983 .
Ceux-ci revendiquaient avec insistance une bonne part du gâteau. Chose à laquelle Thomas Sankara aurait opposé une constante fin de non recevoir, arguant que le militaire doit "vivre avec les masses"et prônant "un quart de poulet par jour et par militaire". C’était mal connaître ceux-là qui revendiquaient qui une villa , qui un galon afin de jouir du fruit du risque encouru dans la nuit du 4 Août. Il nous revient à cet effet que ces derniers, lors des réunions régulières avec leur chef posaient constamment cette doléance. Ce à quoi le chef en question répondait qu’il n’y voyait pas d’inconvénient mais que " c’est Sankara qui s’oppose". Les militaires répliquaient : "pourquoi ne l’enlève-t-on pas ?". A force de se répéter tous les jours, on finit par " enlever" Thom’ Sank le 15 octobre 1987.

Que s’est – il passé ce jour là ?
Gilbert Diendéré déclare dans "Sankara, Compaoré et la révolution burkinabè" de Ludo Martens, aux pages 65 et 66 : "le 15 octobre donc, à la réunion des officiers, des éléments du palais ont accusé les militaires de Pô d’être venus pour tramer un complot . L’atmosphère a chauffé. Nous nous sommes séparés sans qu’un accord soit réalisé. Il paraît qu’au même moment, une autre réunion se tenait à la présidence, à laquelle Sigué et d’autres chefs de corps assistaient. Mais le registre de la présidence a disparu après le 15.
Comme les soldats de la garde présidentielle appartiennent à notre bataillon, tous n’étaient pas partisans de l’affrontement. Ainsi le chauffeur de Sankara, le caporal Der et d’autres sont venus nous prévenir que Compaoré, Lingani et Zongo seraient arrêtés ce soir. Pendant la réunion de l’OMR (ndlr : Organisation militaire révolutionnaire), le conseil serait encerclé par les troupes de la FIMATS (ndlr : Forces d’intervention du ministère de l’administration territoriale et de la sécurité) et de l’ETIR (ndlr : Escadron du transport et d’intervention rapide). Un groupe de militaires devrait mettre les trois en état d’arrestation, tandis que le gros des forces devrait se tenir prêt à toute éventualité. Bien qu’on ne nous eût pas exactement parlé de liquider les trois, nous étions convaincus qu’une tuerie ne pourrait être évitée. Les trois ne se laisseraient pas prendre sans réagir et des hommes comme Sigué et Koama n’hésiteraient pas une seconde à les descendre. Notre réaction a été qu’il fallait arrêter Sankara avant que l’irréparable ne se produise. La décision a été prise dans un climat général d’inquiétude proche de la panique. Nous n’avions pas vraiment le choix. Nous n’avons jamais pu croire que Sankara allait s’en prendre à ses trois compagnons. Blaise était à la maison, malade. Nous n’avons pas voulu le prévenir parce que nous savions qu’il ne serait pas d’accord pour arrêter Sankara. C’était une décision grave, mais il faut s’imaginer la panique qui régnait à ce moment parmi nos soldats.
Nous savions que Sankara avait une réunion au conseil à seize heures et nous avons décidé d’aller l’arrêter là-bas…
Peu après seize heures, la Peugeot 205 de Sankara et une voiture de sa garde sont arrivées devant la porte du pavillon ; une deuxième voiture de la garde est allée stationner un peu plus loin. Nous avons encerclé les voitures. Sankara était en tenue de sport. Il tenait comme toujours son arme, un pistolet automatique, à la main. Il a immédiatement tiré et tué un des nôtres. A ce moment, tous les hommes se sont déchaînés, tout le monde a fait feu et la situation a échappé à tout contrôle …
Après les événements, j’ai téléphoné à la maison de Blaise pour le mettre au courant . Quant il est arrivé, il était fort découragé et mécontent, surtout quand il a constaté qu’il y avait treize morts".

Le coup a été donc fait à l’insu de Blaise Compaoré !
Ce dernier d’ailleurs, déclare dans le livre précité à la page 67 : " lorsque je suis arrivé au conseil de l’entente après la fusillade et que j’ai vu le corps de Thomas à terre, j’ai failli avoir une réaction très violente contre ses auteurs. Cela aurait sans doute été un carnage monstre dont je ne serais certainement pas sorti vivant. Mais quand les soldats m’ont fourni les détails de l’affaire, j’ai été découragé, dégoûté. Je suis resté prostré pendant au moins vingt-quatre heures …
Quand j’ai demandé à mes hommes pourquoi ils avaient arrêté Sankara sans me le dire, ils m’ont répondu que s’ils l’avaient fait, j’aurais refusé. Et c’est vrai. Je savais que mon camp politique était fort. Thomas ne contrôlait plus l’Etat. Je n’avais pas besoin de faire un coup d’Etat. Mais, mes hommes ont pris peur quand ils ont appris, l’après- midi, que nous devions être arrêtés à vingt heures".

Et pourtant !
Le "Matin de Paris" en date du 27 octobre 1987, repris dans "Il s’appelait Sankara" de Sennen A. cite le témoignage d’un élément commando qui dit : "Le Lieutenant nous a prévenus le matin seulement de nous préparer pour anéantir le président parce que maintenant, il était insupportable. Blaise le connaît mieux que quiconque : il sait que même si on allait l’enfermer, il allait sortir par un trou de fourmi".

Et pourtant !
En vérité, ce jour-là, Thomas Sankara se trouvait en réunion de travail avec quelques-uns de ses collaborateurs dans une salle au Conseil. A 70 mètres de là, toujours dans le conseil, une 504 blanche démarra. A son bord, 7 personnes. Le véhicule arrive sur le lieu de la réunion. Les quelques éléments de la garde devant la salle ne s’en inquiètent pas outre mesure, parce que ce sont leurs collègues. Le véhicule se gare, en descendent K.H ; O.A.O ; N.N ; N.W ; O.N ; T ; K.M. qui ouvrent le feu immédiatement. Un gendarme et deux chauffeurs sont fauchés. Ils s’écroulent. Thomas Sankara dans la salle où il se trouve entend la fusillade et se lève, son pistolet à la main et dit à ses collaborateurs "restez, restez, c’est moi qu’ils veulent !". A peine a-t-il franchi la porte qu’il est pris par la mitraille nourrie d’un des "anéantisseurs". Il s’écroule. S’arrête-t-on là ? Non. Les assaillants rentrent dans la salle et exécutent ses collaborateurs.

Bref, supposons -difficilement- que la thèse qui veut que le capitaine Blaise ait été mis devant le fait accompli soit vraie. Cela le disculperait- il pour autant ? N’aurait-il pas été de façon indirecte à la base des événements tragiques du 15 octobre ? N’en est-il pas le grand bénéficiaire ?
L’homme, s’il n’a jamais eu vraiment soif du pouvoir comme il le prétend, laisse tout de même sceptique l’observateur de la scène politique burkinabè. En effet, après le 15 octobre, il a prouvé que le pouvoir ne se partage pas. L’apprendra à son dépend toute la cohorte d’intellectuels qui constituait le " comité insurrectionnel " qui a préparé psychologiquement l’avènement du 15 octobre par une série de tracts orduriers et d’intrigues de bas étage.
L’apprendront à leur dépend le commandant Boukary Lingani et le capitaine Henri Zongo.
D’ailleurs, seize (16) ans après, au micro de Christophe Boisbouvier, journaliste de Rfi qui lui demande si "l’homme qui a laissé tuer Thomas SANKARA peut donner des leçons de droits de l’Homme à quelqu’un d’autre ?" , Blaise Compaoré répond clairement : "Je ne pense pas qu’il y ait un pays au monde où il n’y a pas eu des problèmes ou de conflits politiques qui ont entraîné la mort d’un homme ou de deux hommes. Mais quand vous parlez d’un homme ou de deux, dans d’autres pays, on parle de milliers d’hommes. Le Burkina Faso, malgré les épreuves difficiles qu’il a traversées, vous pouvez faire une comptabilité. C’est dommage qu’elle soit macabre, mais vous verrez qu’il compte parmi les nations qui ont su préserver les cinquante dernières années, la vie humaine".
Sans commentaire !

Aujourd’hui 17 ans après, que retenir ?
Au- delà de toute rhétorique " dialecticienne ", Sankara est mort pour avoir été un paquet de convictions patriotiques et progressistes mais aussi pour avoir empêché de par la synergie entre sa théorie et sa praxis, certains de ces camarades civils comme militaires de manger goulûment, de boire frais et pétillant, de roter gras, de dormir mou et de se la couler royalement au détriment de leur peuple.

 

Pabèba Sawadogo

 

Cet article est extrait de l’hebdomadaire Bendré du 17 octobre 2004. Voir à l’adresse http://www.bendre.africa-web.org/article.php3?id_article=796

 

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